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Edito 166 Fevrier 2007

jeudi 1er février 2007, par Courant Alternatif


Ne laissons pas faire

Chacun a sa place et les vaches seront bien gardées… C’est dans cet esprit que des milliardaires se sont lancés depuis dix ans dans un nouveau type de philanthropie, à travers les " fonds d’investissement ". B. Gates (fondateur de Microsoft), M. Bloomberg (patron de presse et maire de New York) et T. Turner (créateur de CNN) mènent en effet campagne sur ce thème auprès de leurs pairs - par le biais du magazine en ligne Slate et de la Fondation B. Clinton - pour les pousser à se montrer charitables.
L’idée a gagné en France, où on voit à présent des riches lâcher des sommes considérables à destination des pauvres, afin d’investir dans des " quartiers sensibles ", de venir en aide à des handicapés ou de financer quelque ONG. Pourquoi tant de bonté ? se demandera-t-on perversement. Parce que la fiscalité y incite, bien sûr ; à cause de quelques cas de conscience, peut-être, face aux immenses inégalités sociales… Mais, sans nul doute surtout, comme le reconnaît ouvertement D. Pineau-Valencienne (cet ancien P-DG de Schneider que deux semaines passées derrière les barreaux en 1996 ont paraît-il convaincu de porter secours aux prisonniers), " parce que ne pas partager la richesse nous expose à des incendies ". Rassurons-nous, non seulement ces sommes lâchées représentent moins que rien pour de telles fortunes, mais elles ne le sont pas gratuitement. L’irrépressible désir de bienfaisance manifesté ici est étroitement balisé par les critères d’efficacité, de rentabilité et de retour sur l’investissement. Dans cette optique, plutôt que de financer directement des hôpitaux et des fondations de recherche, les " philanthropes entrepreneurs " créent des fonds chargés de de le faire. Pas bête, hein ? car ces fonds (mis au point par des spécialistes du capital-risque de la Silicon Valley) permettent aux généreux donateurs à la fois de ne courir aucun risque financier et de figurer au palmarès des " top givers " de Business Week ou à celui de Slate 60. Revue selon laquelle, si les 60 premiers de sa liste en 2005 ont donné trois fois plus d’argent (4,3 milliards de dollars) que ceux de 1996, c’est " parce que les riches deviennent de plus en plus riches ". On ajoutera que la pub faite autour de leurs largesses est d’un profit plus que parfait.
F. Riboud, P-DG de Danone, vient pour sa part de lancer - avec la Gramen Bank (ou " banque des pauvres ") du Bangladais M. Yunus, Prix Nobel de la paix 2006 et spécialiste de la microfinance - un fonds destiné à développer dans les pays pauvres des entreprises liées de près ou de loin aux activités de son groupe. Ces entreprises doivent avoir " vocation à être rentables ", mais, assure-t-il, leur " ambition principale est la maximisation d’objectifs sociaux ou sociétaux et non la maximisation de leurs profits ". Ainsi vont être construites au Bangladesh 50 usines - dont le nouveau commercial Zidane a inauguré la première - pour produire des yaourts bon marché. Les deux actionnaires actuels ne toucheront, nous dit-on, que 1 % des dividendes, le reste allant à la construction d’autres usines. Danone se désengagera ensuite de l’opération ; et le fonds " danone-communities " sera financé plus largement, par une partie des dividences versés aux actionnaires, par l’épargne salariale… et peut-être même par les consommateurs ! Riboud admet lui aussi sans fard que son initiative est commerciale et stratégique. Il s’agit d’adapter le double " projet économique et social " qu’avait déjà son papa " à l’heure de la mondialisation " ; et d’" apporter la santé par la nutrition au plus grand nombre " tout en maximisant les profits, donc " que ceux-ci soient les meilleurs possibles ". Un objectif qui, dans la bouche d’un " communiquant " du groupe agro-alimentaire, est " résumé " par la représentation de la population sous la forme d’une pyramide à 5 niveaux dont les A, B et C sont " déjà atteints ", et les D et E le seront bientôt puisque Danone va " pouvoir leur proposer des produits ".
Ces " innovations " caritatives montrent à quel point le patronat se sent aujourd’hui fort - fort de ses richesses accumulées (en entreprises et en salarié-e-s comme en biens), mais aussi de l’impact idéologique qu’il a sur les populations (voir notamment, dans ce numéro, p. 13). La propagande déversée en continu par les médias vise l’adhésion au système, en donnant l’illusion de pouvoir décider de l’avenir (grâce au vote électoral, voir p. 4), sur le plan individuel sinon social ; et de pouvoir jouir, même de façon infinitésimale, des " bienfaits " de la société existante (grâce au crédit d’achat, à la participation salariale…) quand on est un-e bon-ne citoyen-ne, c’est-à-dire travailleur-électeur coopératif. Pour les autres, c’est la charité s’ils-elles se tiennent à carreau, la répression s’ils-elles ne le font pas (voir pp. 7 et 11). Surtout s’ils-elles sont étrangers (voir p. 9). Et ce programme est le même partout dans le monde (voir p. 15). Contre un tel cynisme tranquille, une seule réponse : Ne laissons pas faire !

OCL-Poitou


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