OCL - Organisation Communiste Libertaire

Accueil du site > 2. Courant Alternatif, Mensuel anarchiste-communiste > 181 Juin 2008 > EXPO 2008 = Saragosse Atro-cité

EXPO 2008 = Saragosse Atro-cité

vendredi 30 mai 2008, par Courant Alternatif

« Saragosse transformée » est le mot d’ordre rabâché par les politiciens, les entrepreneurs et les médias. Une transformation qui se fait à coups de requalification, de bradage de terrains publics, de spéculation urbaine et de répression des mouvements sociaux.
L’Exposition internationale de 2008, et toute la campagne médiatique qui l’entoure, ne sont que la pointe de l’iceberg ; l’Expo accompagne, ou en tout cas accélère le processus de transformation de la ville à l’image et à la convenance des intérêts capitalistes.

Une cité « logistique »

L’exemple de PLAZA est clair : c’est la plus grande plate-forme logistique d’Europe, avec une extension de 13 millions de mètres carrés, dont la gestion, l’exécution et la promotion sont à la charge de PLAZA S.A. (Société à laquelle participe majoritairement le Gouvernement d’Aragon et dans laquelle sont présentes la Mairie de Saragosse et les deux banques Ibercaja et Caja de Ahorros de l’Immaculée), qui a converti toute la ville, selon ses propres termes, en un axe de trafic des marchandises.
Un autre exemple est le polygone Centrovia, de construction récente ; il couvre un million et demi de mètres carrés, où doivent s’installer plus de 50 entreprises nationales et multinationales.
Parler de Saragosse comme d’une « ville logistique », c’est en parler comme d’une cité capitaliste au sens plein du terme. L’espace cesse d’appartenir aux personnes qui l’habitent ; une fois dépossédées, elles perdent absolument la capacité d’influer sur leur environnement et, par là même, sur leur vie.
Les décisions sont prises très loin des gens ; ils n’ont qu’à assister à la façon dont la ville se transforme sur la base de critères techniques et stratégiques qu’ils n’ont pas choisis, qui n’ont rien à voir avec leurs besoins et visent seulement à ce que l’emmagasinement et le transport des marchandises soient plus rapides, meilleur marché et plus efficients.

Des cités dortoirs

Un autre aspect fondamental de la « Nouvelle Saragosse » est celui des quartiers-cités résidentiels récemment créés. Saragosse-Cité-Golf en est un bon exemple : il s’agit de la construction hors de la ville de 12 000 habitations autour d’un centre commercial comportant des cinémas, restaurants, gymnases, centres esthéticiens, boutiques… en définitive, des espaces privés dédiés à la consommation, et faussement désignés comme ‘« équipements sociaux ». Tout cela entouré d’un terrain de golf. L’entreprise Wilcox, coupable d’aménagements désastreux à Murcia ou Marbella, affirme sans rire que « sa ville », son centre commercial et son terrain de golf ont « plus d’habitants que Teruel ».
Il y a aussi Arcosur, un projet urbanistique de 21 000 habitations, qui sera plus proche de La Muela (un village à 20 km de Saragosse) que de la Place du centre-ville. Le projet a été très critiqué par la Fédération d’Associations de quartiers de Saragosse elle-même : elle le considère comme « démesuré », juge qu’il étend la ville de façon artificielle, en vidant et en détériorant les quartiers traditionnels ; qu’il est « insoutenable  » du point de vue environnemental et économique, à cause des coûts élevés de maintenance (équipements, transport, assainissement…) chiffrés par la Fédération à 20 millions d’euros annuels ; de plus, l’emplacement même où ce projet doit s’inscrire est problématique : bruit de l’aéroport proche et terrain accidenté (zone de dolines).
Cette nouvelle zone résidentielle est aussi à mettre en relation avec l’Expo 2008. En effet, la banque Ibercaja a été responsable du paiement des terrains où s’est construite l’Expo, en échange de quoi elle a reçu la concession de parcelles à Arcosur pour construire les habitations. Ainsi, Ibercaja gagne doublement de l’argent : d’une part elle ne paie pas le prix réel de plusieurs terrains, d’autre part elle tirera de juteux bénéfices de la construction et de la vente des logements. Ceci sans tenir compte d’autres gains provenant des hypothèques qu’elle-même concèdera.
Avant d’arriver à Arcosur et donc loin également du centre de Saragosse, il y a la dénommée « Eco-cité » de Valdesparta, projet défendu et applaudi par la pire engeance des développeurs Saragossais. Ils l’appellent « Eco-cité » sous prétexte que les habitations qui s’y construisent économisent l’énergie parce qu’elles sont orientées vers le soleil et sont munies de panneaux solaires. La société gestionnaire est Valdesparta S.A., une Société Mixte avec une majorité de capitaux publics, à laquelle participe la Mairie de Saragosse (PSOE et Chunta Aragonaise (1)), le Gouvernement d’Aragon et, encore elles, les banques Ibercaja et Caja de Ahorros de l’Immaculée.
On voit que l’exemple de « développement durable » dont se targue la ville de Saragosse consiste en la création d’une mini-cité sans commerces de base : tous les samedis, les gens devront recourir aux centres commerciaux pour faire leurs achats ; il sera impossible d’aller de chez soi à n’importe quel autre endroit sans utiliser un véhicule privé ; les espaces périphériques de la ville sont détruits en même temps que son centre se vide.
La cerise sur le gâteau est la « Ville Expo », très proche de l’enceinte de l’Expo 2008, où ont été construits 112 appartements qui, dit-on, sont réservés aux visiteurs de l’exposition. Une fois fini le spectacle, on retrouvera ces appartements sur le marché pour un prix qui avoisinera, ou pire dépassera les 100 millions de pesetas.

A Saragosse, nous assistons à une complète séparation entre les décisions prises par le pouvoir et les besoins des gens qui y habitent. Comment comprendre sinon que soient construites tant de nouvelles habitations sur des terrains aux environs de Saragosse alors que, dans les quartiers traditionnels, environ 40 000 logements restent vides ?
Une des caractéristiques de l’actuelle conception des villes est la séparation spatiale de ce qu’on considère comme les trois axes fondamentaux de la vie humaine : travail, consommation et repos.
Le transport privé est transformé en un bien de première nécessité, d’une part à cause de la précarisation voulue du transport public et, d’autre part, des énormes distances qui séparent les lieux de vie des centres de travail et des commerces.
Les petits commerces de proximité remplissent une fonction importante : lieux de rencontre entre voisins, ils donnent une cohésion à la ville et la rendent plus humaine, proche et accessible. Ils convertissent les rues en quartiers. A Saragosse, l’année passée, on a évalué à trois par jour en moyenne la fermeture de ces commerces, comme conséquence directe de la prolifération des grandes surfaces (9 macro-centres !). Dans la « Nouvelle Saragosse », on ne parle plus désormais de quartiers, mais de « centres urbains ».

L’Expo internationale

Voilà le panorama tracé à grands traits dans lequel s’inscrit l’Expo de « l’eau et du développement durable », une Exposition internationale qui se déroulera du 14 juin au 14 septembre 2008. Un macro-événement qui, comme tous les autres de ce type (que ce soient les Expositions universelles, les Sommets, les Jeux Olympiques…), vient conforter la transformation de la ville en un lieu déshumanisé, aseptisé, inhospitalier et étranger à ses habitants  ; cela accompagné d’un discours qui, ironiquement, convertit cette transformation en « triomphe » de la Ville.
La mise en place de l’Expo 2008, en marge de la corruption, de la privatisation du sol public, des bénéfices pour les politiciens, les multinationales, les entreprises de construction, la bourgeoisie de Saragosse et les caciques aragonais, est l’image du triomphe de la domination capitaliste.
Le jour où le BIE (Bureau International des Expositions) a concédé l’Expositon internationale à Saragosse, après qu’a été consacré on ne sait combien d’argent public à des dépenses non contrôlées de « promotion » (petits voyages des notables et de leur suite, pots-de-vin, fêtes…), la Place du Pilar, où avaient été installés des écrans géants pour suivre la cérémonie, était en liesse. Ainsi, on nous vend l’Expo comme le triomphe de « Saragosse », en essayant de la justifier par des arguties qui en appellent à la subjectivité, au patriotisme et à l’absence totale de réflexion.
Leur rhétorique est connue : Saragosse cessera d’être « la ville arriérée » qu’elle a toujours été pour se convertir en une nouvelle Barcelone. Saragosse « sera enfin visible sur la carte ». Aujourd’hui nous vivons dans la « Saragosse du XXI° siècle », et donc nous n’aurons plus à en avoir honte, maintenant qu’elle a ses entreprises multinationales, ses plateformes logistiques, sa Grande Vitesse et, si nous nous y prenons bien, son Centre d’Opérations de l’OTAN.
Le commerce de l’immobilier et de la construction ne peut se justifier par lui-même, il ne touche pas le citoyen moyen qui jamais ne le considèrera comme quelque chose qui lui est propre ; c’est pourquoi il est nécessaire de l’accompagner d’un bon prétexte, d’une « bonne cause » qui soit suffisamment générale. Pour une population comme celle de l’Aragon qui, ces dernières années, a mené des mobilisations historiques contre le transvasement de l’eau de l’Ebre, les barrages et les lacs de retenue, le thème s’imposait  : celui de l’eau.
La vieille bourgeoisie franquiste de Saragosse adopte un visage neuf ; à présent, elle veut apparaître moderne, solidaire et elle s’accroche au wagon du sacro-saint développement « durable ». Le capital se teinte de vert et de social. Si, en 1992, l’Expo de Séville se revendiquait de la colonisation de l’Amérique et de l’espagnolisme le plus rance, en 2008, l’Expo de Saragosse célèbre l’utilisation raisonnable et « durable » de l’eau comme ressource rare. Le pouvoir se renouvelle et prétend, en plus, se présenter comme à l’avant-garde des revendications sociales et écologistes.

Les résistances

A l’autre extrémité du montage politique, financier et médiatique de l’Expo, il y a ceux-celles qui sont tenus en marge, chaque fois plus nombreux, et, sous une forme organisée, les comités, les organisations, les Collectifs Sociaux et les Radios Libres autogérés. Il est évidemment pénible de constater que des organisations écologistes, qui ont été partie prenante des luttes contre le transvasement de l’Ebre ou contre les barrages et qui ont participé à des collectifs d’habitants, se contentent aujourd’hui de ne s’opposer qu’à la construction d’une roue hydraulique sur l’Ebre à hauteur de Saragosse, de demander que les pavillons de l’exposition soient utilisés plus tard comme équipements sociaux et de se dire vigilants, avec pour prétexte, souvent utilisé, que l’Expo « va se faire », et qu’il s’agit d’essayer de la changer « de l’intérieur  ».
Quand la carotte-subvention ne sert à rien, le pouvoir sort le bâton, comme il faut s’y attendre ; la répression des mouvements sociaux a crû sensiblement ces deux années avant l’Expo : interpellations massives, gardes à vue nombreuses, amendes disproportionnées pour des bombages politiques ou pour le déploiement de banderoles (10 militants menacés d’une amende de 123.000 euros) , arrachage par la police d’affiches ou de pancartes contre la spéculation, effacement sélectif et quasi immédiat d’inscriptions contre l’Expo, alors que des graffiti antisémites peuvent rester des années sur le même mur… Voici quelques exemples de la répression subie par les opposants à l’Expo.
Cependant, le mouvement contre l’Expo de Saragosse continue à tenir tête, malgré ses moyens limités, à la déferlante médiatique et répressive.
La réalisation de journées d’action, des publications, des occupations, des débats, des concerts, des expositions, des tracts, des pancartes (« Expo = spéculation  » ; « Il reste 111.000 millions de dette »), des autocollants, des bombages, la séquestration de Fluvi (la mascotte de l’Expo) perpétrée par un groupe de masqués anonymes dont le mot d’ordre est « La ville n’est pas pour Collectifs Sociaux ou des Radios Libres, etc… toutes ces actions se poursuivent depuis deux ans, rompant le silence médiatique qui étouffe toute forme de critique à l’encontre de l’Expo et du modèle de ville qu’elle induit.

L’opposition à l’Expo 2008 passe nécessairement par l’opposition à la transformation de Saragosse, qui n’est rien d’autre que la création de ghettos pour les plus pauvres et de cités-dortoirs pour les autres, qui convertit la voiture en un bien de première nécessité, qui entraîne la disparition de l’espace public et du petit commerce comme lieux de rencontres, qui provoque l’anonymat, l’individualisme, l’isolement et le démantèlement des collectifs de quartier, qui induit l’augmentation de la répression et la diminution des libertés.
L’image que « la Nouvelle Saragosse  » doit offrir à l’extérieur est l’image du capitalisme, transformant la ville entière en une marque commerciale de plus, qu’on peut vendre et acheter, qui est cotée en bourse et qui traite ses habitants comme s’ils étaient du bétail.
Méga-centres commerciaux, polygones industriels, plateformes logistiques, édifices de bureaux, cités dortoirs, privatisation du centre de la ville…Saragosse empeste le capitalisme, la spéculation, les mensonges, le béton et l’essence.

1°Mai 2008 –
Traduction de l’article signé ZH2NO, paru dans la revue libertaire Ekintza Zuzena n°34 (2)


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette