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Le Printemps des précaires

dimanche 1er mai 2005, par Courant Alternatif

Le Premier avril dernier, la Marche des chemineux de la colère est partie de Montluçon pour rallier Paris, à pieds, par des chemins de traverse, en un peu plus de trois semaines. Le lendemain, la Marche du printemps des précaires du Sud-ouest est partie de Bayonne pour parcourir l’Aquitaine, puis rallier Paris, en transports gratuits depuis Bordeaux afin de rejoindre celle de Montluçon. L’objectif de ces deux marches étant aussi de rejoindre l’Euro May Day, le Premier Mai des précaires européens. Ces deux marches, soutenus par le réseau AC !, ont voulu garder leur entière autonomie, dans leurs objectifs et dans leur fonctionnement.

Le 19 avril, est partie la Marche contre la précarisation de nos vies, dans le Pas de Calais. Son objectif est de parcourir la Région Nord Pas de Calais et de rejoindre la manifestation syndicale du premier mai à Lille. Non loin de là, dans le département de la Somme, il s’est constituée une autre marche qui répond au même appel que celle du Nord. En Ile de France, il n’y a pas eu de marches à proprement parlé mais des initiatives, des actions régulières, tout au long du mois d’avril, sur les terrains du logement, de l’insertion, du travail obligatoire, du transport… Il est difficile de parler d’une initiative "Marche contre la précarisation de nos vies", du fait que toutes ces initiatives ne se reconnaissent pas dans cet appel mais par contre on peut bien parler d’un printemps des précaires, dans le sens d’un frémissement des luttes sur le terrain de la précarité, dans un espace saturé par le référendum sur la constitution européenne, les appétits de recomposition d’une partie de la gauche et la répression que subissent les précaires, notamment les radiations de RMI et l’instauration de différentes mesures de travail obligatoire.

l’autonomie : un enjeu

Au départ, il y avait des initiatives éparpillées. Les uns avaient envie de fêter les 10 ans d’AC ! en retrouvant cette dynamique des Marches de 1994. D’autres pensaient aussi que c’était l’occasion de remettre des choses à plat, faire un bilan tout en le confrontant à des rencontres. D’autres enfin, se sont rencontrés l’été dernier, sous l’appellation de Forum des Luttes Sociales, à Calais. On y retrouve des gens de la Confédération paysanne, du DAL, de No Vox et d’AC ! Là aussi, a été décidé l’organisation de marches, au printemps. Ces initiatives n’ont pas communiqué entre elles. Pas par choix mais surtout par méconnaissance. Elles auraient pu se rencontrer mais sans doute le calendrier politique en a décidé autrement.
Les premières initiatives (en gros Bordeaux et Montluçon) se sont calées sur l’ Euro-May Day, pour le Premier Mai à Paris (cette démarche a été validée par les assises d’AC ! en octobre 2004). Elles ont affirmé tout de suite l’autonomie des marches. Des militants de ces deux collectifs avaient déjà eu l’expérience négative des "Marches" d’Amsterdam (1997) et Cologne (1999). Ils s’étaient sentis manipulés et considérés comme des petits soldats par des militants syndicaux comme l’expriment Sylvie et Charles, deux des marcheurs qui ont participé à cette marche de Bruxelles à Cologne : "Samedi 29 mai : 30 000 personnes manifestent. Les marcheurs s’imposent en tête de cortège et scandent " Précarité, visibilité...Organisateurs collaborateurs" . Cette marche, organisée d’en haut par des "responsables", nous a laissé un goût amer. Une véritable scission est apparue entre la volonté de la masse des participants de réaliser une véritable marche militante et celle des "responsables", tant locaux que français, de conduire cette marche de la façon la moins combative possible. L’initiative politique de la marche Bruxelles-Cologne devait être valorisante...mais il fallait des " troupes " pour donner une crédibilité au mouvement. Par contre ces mêmes troupes ne devaient pas avoir leur mot à dire dans les prises de décision. Alors " on " organise des assemblées générales, mais " on " ne tient aucun compte des décisions prises. Pendant toute la marche, la nourriture et le logement sont prétexte à diriger les marcheurs là où "on " veut qu’ils aillent. Cette marche doit nous permettre de tirer des leçons. L’organisation de telles manifestations doit être axée sur une démocratie directe, avec une structuration transversale permettant une réelle circulation de l’information. Faisons le maximum pour que la marche du " Printemps des Précaires " ne donne pas l’impression, comme en 1999, que des précaires se font trimballer comme du bétail affamé à travers les rues désertes des faubourgs traversés."
C’est de cela que les marcheurs de Montluçon ne voulaient pas. Idem pour ceux de Bordeaux dont certains avaient vécu une expérience un peu similaire à Amsterdam, en 1997. D’où l’affirmation non négociable de l’autonomie de leurs marches et la méfiance par rapport à un appel "national".
L’initiative "Printemps des précaires" a donné lieu à des débats très âpres à l’intérieur d’AC ! On a pu sentir parfois des manœuvres autour du non à la constitution européenne et des volontés de recomposition qui vont avec (un peu ce que l’on a senti lors de la manifestation nationale de Guéret pour la défense du service public où les militants du PC ont arboré sans vergogne des pancartes pour le non à la constitution, alors que ça n’était pas le but de la manifestation).
Les gens d’AC ! qui sont allées dans la démarche du Forum des Luttes disent qu’ils défendent "la convergence des luttes". L’idée était que ces initiatives se retrouvent au Premier mai pour l’Euro May Day mais voilà, le Forum des Luttes avait décidé dans un premier temps de marcher jusqu’à Strasbourg, en partant après l’Euro May Day. Pour ne pas aller au clash, les uns ont dit, nous marcherons en avril jusqu’au Premier Mai, d’autres ont dit, nous nous joindrons ensuite à la Marche qui partira vers Strasbourg. Ce compromis un peu foireux a donné une formulation du genre : "17 avril au 1er mai : marches régionales" et "2 mai au 11 mai : marches nationales." , d’autant plus qu’il y en a qui partent dès le 1er avril et qui ont décidé de marcher tout le temps. Le problème soulevé par Strasbourg et qui plombe le débat, c’est la question du référendum. Aux dernières assises d’AC ! il a été refusé de se prononcer pour le non. Là aussi, une position de compromis a été trouvé avec un appel à se battre contre cette Europe :"Nous ferons tout, sous de multiples formes, pour que ce traité constitutionnel européen soit rejeté par les peuples de l’Union européenne, pour une autre Europe de nouveaux droits et des libertés" (Assises d’AC ! , Créteil, le 5 février 2005.)
Comme il ne pouvait plus être question de marcher de Paris à Strasbourg pour le non à la Constitution, la Marche prévue de Paris à Strasbourg est purement et simplement annulée et avec elle la fiction entre "marches régionales" et "marche nationale". Aussitôt, d’autres ont annoncé qu’ils maintenaient l’idée de marcher jusqu’à Strasbourg. A ce jour (25 avril), on ne sait toujours pas ce qui va se passer. Par contre cette situation de confusion est très intéressante puisqu’elle laisse supposer et c’est ce qui est annoncé que ce seront les intéressés, c’est à dire les marcheurs qui décideront de ce qu’ils feront. En 1994, à la fin de la manifestation qui mettait un terme aux marches, les organisateurs avaient eu beaucoup de mal à disperser les marcheurs qui avaient occupé un immeuble et qui avaient envie de rester ensemble.

Qu’est-ce qui les fait marcher ?

Les deux marches autonomes, soutenues par AC !, Bordeaux et Montluçon ont des positions identiques. Par rapport à la situation actuelle, elles estiment qu’ "il faut en finir avec l’imaginaire de l’urgence et se réapproprier notre temps". D’où l’idée de marcher, de rencontrer des gens de proche en proche, de recueillir des témoignages, de les consigner, de les faire circuler. Les marcheurs de Montluçon et de Bordeaux estiment que les avancées sociales n’ont jamais été gagnées dans des cabinets ministériels mais dans la rue et par la rue. Les revendications énoncés, servant de base de discussion lors des multiples rencontres sont : l’indemnisation de toutes les formes de chômage et de précarité ; un revenu individuel au moins égal au SMIC mensuel ; transports gratuits ; abrogation de la Loi de sécurité quotidienne (LSQ) ; présence des chômeurs et précaires là où se décide leur sort.
En se nommant "les chemineux de la colère", les marcheurs de Montluçon font référence aux chemineux qui allaient de ville en ville pour proposer leurs marchandises mais aussi pour faire circuler des informations.
Les Marches du Nord Pas de Calais et de la Somme ont un positionnement différent.
Celle du Nord n’ira pas rejoindre les autres marches à Paris, pour le Premier Mai. Elle manifestera à Lille, avec le cortège syndicale. Idem pour celle de la Somme qui manifestera à Amiens, ce jour-là. La marche du Nord part de la situation de cette région industrielle sinistrée : fermetures d’usines, taux de chômage important, coupures de courant pour impayés, expulsion de logements, surendettement, problèmes des sans papiers et des réfugiés, notamment à Calais, pollution, notamment l’amiante à Dunkerque, le plomb à Métal Europe, nucléaire à Graveline, répression.
L’objectif affirmé est de monter les convergences entre toutes ces luttes, d’aller vers les habitants et de prendre le temps. Là où il y a une grosse différence avec les marches de Bordeaux et de Montluçon, c’est la volonté affirmée de faire campagne pour le Non à la Constitution.
Mais la Marche la plus déconcertante dans ce qu’elle annonce, est bien celle de la Somme. Elle est organisée à l’initiative du DAL, de l’UDC (Union pour la dignité des citoyens), Emmaüs 80 et l’Union syndicale solidaire de la Somme. La première actions des marcheurs sera de remettre des CV collectés auparavant aux entreprises près desquelles ils doivent passer. Ensuite elle (sans doute une délégation) doit rencontrer les responsables de l’organisme de HLM d’Amiens pour "leur rappeler la pénurie de logements sociaux". Idem pour l’EDF, "pour leur demander plus de souplesse" par rapport aux impayés. Et dans la même veine, elle revendique la régularisation de tous les sans papiers, "pour des hommes et des femmes qui ont demandé l’asile dans notre beau pays (sic) car fuyant la mort qu’ils encourent s’ils retournaient chez eux"
Les Marches du Nord et de la Somme se situent, elles, dans les Marches du Printemps contre la précarisation de nos vies qui a lancé un appel intitulé "Contre la précarisation de nos vies, résistons, luttons, marchons - appel signé par entre autres AC !, le DAL, la Confédération paysanne, Droits devant, le MNCP, la CIP-IDF, … Les collectifs d’Ile de France se situe aussi dans l’appel contre la précarisation de nos vies mais en font une lecture qui semble différente de celle de la Somme. Ils ne marchent pas mais font des actions plusieurs fois par semaine, depuis le mois de mars, réalisant occupation sur occupation, dont l’extrait de ce communiqué d’AC ! Air libre donne le ton : "Parce que ruser avec l’assistante sociale qui veut vous obliger à bosser, c’est tout un art. Parce que marcher sur 600 bornes pour dénoncer la précarité , c’est une performance Parce qu’on a tous besoin de notre temps pour peindre, faire un film, lutter en collectif, dormir jusqu’à midi, monter un projet professionnel sur le long terme, apprendre le chinois ou occuper les assedic. Parce qu’aucun d’entre nous par contre n’a une vie à foutre en l’air en faisant des boulots sous payés, inutiles et épuisants. Parce que ce que nous défendons, il faudra bien le défendre tous contre les politiques de tous bords et les charognards de l’insertion." On est très loin du ton de ceux qui demandent par avance une entrevue aux responsables des HLM ou de l’EDF pour les supplier de faire quelque chose. Les militants d’AC ! Paris Air Libre sont très investis dans le Comité des mal logés et ne se retrouvent pas du tout dans les positions et les pratiques du DAL et de Droits devant, signataires de l’appel des marches contre la précarisation de nos vies.

Euro May Day

Cette année le Premier mai à Paris sera marqué par l’Euro May Day. C’est là que se retrouvent notamment les marcheurs partis de Montluçon et de Bordeaux.
Cette initiative est partie d’Italie. Cette année, elle va exister dans de nombreux pays européens. Elle combine parade festive de rue avec des actions plus offensives. A Paris la fête aura lieu le Premier Mai. Les actions, à partir du lendemain. Il s’agit pour les précaires de se réapproprier et de recréer le sens du premier mai, comme journée de mobilisation et d’expression des réalités du précariat européen en affirmant des revendications de droits nouveaux, en rapport avec les nouvelles réalités de l’exploitation en partant de plusieurs constats : d’une part, la norme du travail a pris le visage de l’emploi précaire, d’autre part, les contrats "atypiques" se multiplient et enfin, l’emploi ne protège pas de la pauvreté. Cette année, il vient de se constituer un réseau européen l’Euro May Day Network où se côtoie la diversité de la lutte des précaires.
"Nous voulons le plein emploi de nos propres vies, annonce AC ! dans son appel pour l’Euro May Day parisien. A la fête du muguet vendu à la sauvette par des migrants sans droits sociaux, pour cette journée internationale des travailleurs, sifflons des airs nouveaux. Chantons, crions, dévastons, rions, fêtons, faisons. Faisons autrement, comme nous pouvons faire : nous savons travailler, coopérer, inventer, aussi bien que nous savons dénoncer, résister, revendiquer. Fêtons ce premier mai avec tous ceux qui travaillent pour rien parce qu’ils sont invisibles, producteurs sans papiers produits par la législation, intermittents, chômeurs, pas assez subventionnés par l’ASSEDIC ou le RMI".
Expressions multiples. Expressions confuses. Expressions diffuses. Un peu de tout ça sans doute. Et on n’arrive pas à imaginer ce qu’il peut résulter de cela. On a même l’impression que les vérouilleurs n’arrivent plus tout à fait à verrouiller, les récupérateurs à tout à fait à récupérer, que les partitions écrites ne peuvent prétendre canaliser des improvisations et le fait qu’on ne puisse pas imaginer la suite est sans doute ce qui en fait l’intérêt.

Christophe (26 avril 2005)

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Les Chemineux de la colère

Voici l’appel des chemineux de la colère, partis de Montluçon le premier avril :

Nous subissons tous les jours les injustices commises par le gouvernement.
Ne pas réagir, c’est lui donner raison.
Leurs lois sont injustes, immorales et illégitimes. Nous déplorons la mort à petit feu des droits fondamentaux. Nous regardons avec horreur et incompréhension les carnages du néo-libéralisme.
Comment une telle chose a pu se produire, malgré la résistance dont nous faisons preuve ?
le gouvernement fait peser sur notre société une chape de répression.
Nous contestons le sérieux des dirigeants de ce pays lorsqu’ils parlent d’avancée sociale. Nous sommes confrontés à une politique envers les plus démunis qui manipule la peur afin de réduire les droits des personnes.
Résistons. Trop souvent, au cours de l’histoire, les gens ont attendu jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Solidaires, par les mots et par les actes aux précaires, chômeurs, à tous les "sans", d’ici et d’ailleurs, nous signons cet appel en vous appelant à nous rejoindre. Nous encourageons les actes de critique et de protestation, tout en sachant qu’il en faudra beaucoup plus pour arrêter cet engrenage infernal.
Marchons pour nos droits, libres et égaux, pour l’accès au logement, aux transports, à la culture…
proposons d’autres mondes.


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