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Bussière Boffy
L’acharnement du maire n’a pas eu raison des habitants des yourtes

jeudi 14 mai 2009, par Courant Alternatif

Bruit des bottes des cagoulés de l’antiterrorisme à Tarnac, commune du Plateau de Millevaches, en cette fin de l’année 2008. Silence des pantoufles du maire de Bussière Boffy, une petite commune du nord ouest de la Haute Vienne, en ce début de l’année 2009. Deux affaires qui se passent dans la même région, le Limousin, une région périphérique, vieille terre d’émigration, où le prix du foncier est relativement plus accessible que dans d’autres régions, ce qui a permis à une population nouvelle et pas très fortunée, de venir s’y installer et essayer d’y construire des projets de vie parfois assez éloignés des normes en vigueur (crédit, consommation, salariat...). Ici s’arrête sans doute les similitudes. Sauf que du point de vue de nos gouvernants (tant localement que nationalement), il s’agit d’éradiquer préventivement de possibles foyers de sédition, identifiées par les sécuritaires comme des zones de non droit (1).

A Tarnac, l’Etat a utilisé l’arme judiciaire pour tenter d’éradiquer la communauté des Goutailloux, avec des conséquences dramatiques puisque Julien Coupat est toujours détenu et les huit autres inculpés sont toujours sous contrôle judiciaire, assignés à résidence et, de facto, isolés les uns des autres et de leurs amis. A Bussière Boffy, le maire (représentant de l’Etat) a utilisé une arme plus silencieuse et moins spectaculaire, celle de la procédure administrative afin de tenter d’éradiquer les habitants de cinq yourtes installées sur des terrains dont ils sont propriétaires. Mais du fait de la mobilisation et du soutien qu’ils ont reçu, la manœuvre a provisoirement et partiellement échoué.
Nous allons dans cet article d’une part examiner, chronologiquement, ce qui s’est passé durant les deux mois de l’offensive du maire et les réactions qu’elle a suscité et d’autre part en tirer quelques enseignements.
A Bussière Boffy, un maire, fraîchement élu depuis un an, après avoir accompli un mandat en tant qu’adjoint, semble s’être fixé pour objectif de nettoyer sa commune de celles et ceux qu’il considère comme des marginaux qui vont entraver ses projets de développement économique. Ainsi, le 9 février dernier, un huissier apporte aux habitants de cinq yourtes une injonction à démonter leurs habitations en leur indiquant qu’ils n’avaient pas à habiter un terrain déclaré comme non constructible, en référence à la toute nouvelle carte communale. Celle-ci a été établie en octobre 2007, à l’initiative de l’actuel maire, alors qu’il était adjoint. Ce document détermine l’usage des terrains, ceux qui sont destinés à la construction et ceux qui doivent restés destinés à l’agriculture ou à la forêt. C’est une limite importante du droit de propriété, c’est dire l’importance qu’elle revêt. Mais avant d’être adoptée par le Conseil municipal, elle doit être soumise à une procédure d’enquête publique. Or, dans le cas de Bussière, le commissaire enquêteur a conseillé d’élargir la surface des terrains constructibles proposés pour faire face à la demande de la population. En effet, si on regarde les statistiques de l’INSEE, Bussière s’est longtemps dépeuplé mais depuis les années 1990, le solde migratoire est devenu positif, comme pour l’ensemble du Limousin. On peut aussi faire l’hypothèse qu’il y a eu d’une part l’arrivée d’anglais, venus s’installer en Limousin mais aussi de cette population que stigmatise le maire et qui s’est installée à Bussière, notamment sur les hameaux du Grand Pic et du Petit Pic, parce que des terres étaient disponibles et qu’elles voulaient vivre autrement. Ainsi, le commissaire enquêteur constate, dans son rapport, que toute une frange de la population, celle des deux hameaux cités plus haut, n’a pas été prise en compte par le document et qu’il serait donc souhaitable de leur permettre d’améliorer leur condition de vie en rendant leurs terrains constructibles, ce qui aurait des effets bénéfiques sur la commune puisque ces familles ayant des enfants, elles contribueraient ainsi au maintien de l’école publique. Le maire prend en compte la première proposition du commissaire enquêteur, celle qui stipule qu’il faut augmenter la surface constructible mais rejette la deuxième, celle qui stipule de prendre en compte les habitants des deux hameaux. Au passage, un de ses propres terrains devient constructible. Ce document a été vraiment conçu pour fragiliser les habitants du Grand et du Petit Pic, trop peu conformes aux normes du maire. C’est sans doute le rêve de tout maire, celui de choisir sa population, celle qui va le réélire inlassablement. Les méthodes et l’argumentation du maire de Bussière s’inspirent directement d’un document édité par la Mission Littoral Languedoc-Roussillon, « Traiter le phénomène de la cabanisation sur le littoral du Languedoc-Roussillon - Guide pour l’action ». Il est préfacé par le préfet de Région. Il exprime donc une volonté de l’Etat sur la question de l’éradication de l’habitat précaire.
L’irruption de l’huissier, le 9 février marque une nouvelle étape des hostilités. Pour les habitants des yourtes, il est vécu comme une déclaration de guerre, une bataille à assumer. Ils alertent la presse, déploient une banderole à l’entrée du Petit Pic, revendiquant le droit au logement pour tous. Ils interviennent aussi (heureux hasard) à une soirée animée à Limoges par Augustin Legrand, des Enfants de Don Quichotte devant un public très sensibilisé.

La bataille semble gagnée

la question du droit au logement. Les articles de la presse locale écrite et audiovisuelle leurs sont de suite très favorables. La mobilisation se structure autour de l’objectif du maintien des yourtes et de la révision de la carte communale. Une pétition est mise en ligne sur Internet. In fine, en deux mois, elle recueillera plus de 2630 signatures. Le comité de soutien organise aussi une manifestation. Celle-ci a lieu le 14 mars. Plus de 300 personnes y participent, en marchant du Petit Pic jusqu’à la mairie. Cette manifestation est suivie de toute une après midi de débats permettant des échanges d’expériences avec des personnes ayant subi des situations similaires. Le 5 avril, les habitants des yourtes participent à la semaine du développement durable, à l’initiative de l’association Traits d’union localement, créée localement, pour servir de lien entre les habitants arrivés récemment et les plus anciens. La semaine du développement durable est une action très médiatisée, organisée par le ministère de l’écologie. Cette année, ô ironie, elle était axée sur la sensibilisation à un changement nécessaire du mode de consommation. Mais cette journée a été l’occasion de montrer à de nombreuses personnes s’étant déplacées, que le discours du maire quant à l’insalubrité du lieu et au parasitisme social de ses habitants n’étaient pas fondé et il suffisait pour s’en convaincre d’écouter quelques réflexions des visiteurs. Dans son acharnement, le maire n’avait pas pris en compte cette capacité très concrète des habitants des yourtes à saisir des opportunités démontant de fait son discours. Il en a été de même quand il a porté plainte pour menaces de mort contre Alex, un des yourteux. Le TGI de Limoges, le 14 avril lui a infligé une cuisante défaite, interprétée comme telle par la presse locale. Alex a été relaxé et son avocate a démonté une accusation s’appuyant sur « le comportement de sobriété pas très exemplaire de celui qui a rapporté ces propos », en l’occurrence un adjoint au maire. On peut toutefois s’interroger sur le parquet qui a donné suite à une plainte reposant sur une accusation aussi fragile. Puis c’est le bouquet final, le 18 avril. Ce jour là, les yourteux ont installé une yourte devant la préfecture de Limoges et ont organisé un pique-nique festif pour remettre la pétition à la préfette. Ils apprennent par la presse que quatre des cinq yourtes sont régularisées et qu’on s’acheminerait vers « un projet collectif et novateur d’écovillage ». Cela aurait été décidé lors d’une réunion entre le sous préfet de Bellac, la DDE et le maire de Bussière mais sans la participation des intéressés. Paul et Céline, un couple avec un enfant, ont été exclu de ce dispositif. Comme par hasard, il s’agit de celui dont il a refusé d’inscrire l’enfant à l’école et qui ont fait un recours à cette décision. De même, dans une interview qu’il a donné au journal Le Populaire du Centre, le maire a nommément stigmatisé Paul qui a eu l’aplomb de le mettre dehors, lui et le représentant de la DDE. Actuellement, on peut dire que le maire de Bussière a mangé son chapeau mais ne veut pas perdre tout à fait la face, d’où cette décision ambiguë. La bataille des yourteux semble en effet, en partie gagnée. Le maire, quand on regarde l’évolution de ses discours, sur deux mois, a considérablement reculé. Il a certainement été recadré par une autorité supérieure mais il reste à déterminer le nouveau cadre juridique pouvant permettre la pérennisation de la situation actuelle. De même, la bataille pour la régularisation de la cinquième yourte doit aboutir. Cela ne peut passer que par la révision de la carte communale. Ce qui est la revendication de départ de cette affaire. C’est aussi la possibilité ouverte par cette lutte d’ouvrir des lieux de discussion sur cette question et de débattre de l’avenir de ce territoire. Mais sans doute le maire n’en est il pas là. Une réunion de concertation avec le maire est prévue le 5 mai prochain.

Quels enseignement tirer de cette lutte ?

D’abord, cette bataille s’est menée à partir d’un rapport de classe. D’une part, nous sommes en présence d’un maire, se projetant comme le représentant de l’Etat, de la normalité sociale. Il roule en 4 x 4, il habite un petit château. C’est un ancien ingénieur de l’EDF et des Charbonnages de France. Il a été impliqué dans des restructurations de mine. Il tire de cela une légitimité. Il veut développer son bourg autour du tourisme. Il pense que les yourteux sont un obstacle à cela. Il veut donc les expulser du village comme on licencie des travailleurs d’une boite. Il défend une certaine idée du progrès. Il vient de prendre la présidence d’une association qui milite pour la réalisation d’une autoroute qui relierait Nantes à la Méditerranée avec la construction d’un « barreau » entre Niort et Limoges, passant par Confolens, promu pour l’occasion « Carrefour européen » (sic). Peut être une bretelle d’autoroute lui permettrait elle d’amener massivement les touristes à un éventuel parc de loisirs. De l’autre côté, nous avons des personnes qui sont venues là, à la recherche du plus d’autonomie possible. Ils ont pensé se protéger en devenant propriétaires de leurs terrains. Mais le droit de propriété s’arrête où commence la raison d’Etat.
Institutionnellement, un maire dispose de nombreux outils pour rendre un espace conforme à son rêve qui peut devenir ainsi un cauchemar pour certains habitants. En l’occurrence, ce maire s’est battu pour la fermeture de l’école et vient de l’obtenir. Cette école abritait les enfants de cette population qu’il entendait exclure de son territoire. Pour ce faire, pour faire diminuer le nombre d’élèves il a refusé des inscriptions et des recours ont été faits. De même, il a refusé des inscriptions sur les listes électorales. Il a fait fermer la cantine scolaire et aux parents qui proposaient d’installer une cantine autogérée, il a refusé l’accès aux salles municipales. Il a menacé l’association Traits d’union qui avait organisé une conférence sur la démocratie de les exclure de la domiciliation à la mairie pour menées anarchistes. Il a rendu payante l’utilisation des salles municipales pour la même association qui les utilise chaque semaine pour des séances de gymnastique volontaire. Il a fait bloquer l’accès à un terrain communal, au Petit Pic, avec des pierres. Tout a été bon pour empoisonner la vie d’une population qu’on veut voir partir. Il a préempté une maison proche des yourtes alors que des personnes avaient proposé de l’acquérir pour en faire un gîte. C’étaient des personnes proches des habitants des yourtes. Il a utilisé les termes « d’occupation » et de « reconquête ». Depuis février, les hélicoptères de la gendarmerie ont régulièrement survolé la zone.
Ensuite, nous sommes en présence de ce que Foucault désignait sous le terme de biopolitique et de biopouvoirs (3). La bataille engagée à Bussière s’est faite autour de la question du vivant. Le maire a défendu ses conceptions très normatives de l’hygiène. Il a dit que les yourtes étaient insalubres parce qu’elles n’étaient pas reliées aux différents réseaux d’eau et d’électricité alors qu’elle disposent de panneaux solaires, d’éoliennes et de l’accès à une source. Les habitants des yourtes défendent une autre conception du vivant, celle que l’on retrouve dans les réseaux autour de la décroissance : l’habitat choisi et la sobriété volontaire. Ils défendent une relation aux autres et à l’environnement basée sur l’entraide, la gestion des ressources et des besoins par la production d’énergie (solaire, éolien, bois), d’engrais (crottin de cheval, compost), de légumes (jardin), de viande (basse cour) mais aussi l’auto construction collective, les crèches parentales, les achats en commun de matériel agricole ou de véhicules. Et là-dessus un certain nombre d’élus locaux ont pris position en signant une pétition de soutien.
C’est aussi à cet endroit, au Petit Pic, que s’est constituée en octobre 2007, l’association des habitants de logements éphémères ou mobiles afin de défendre cette approche de la vie.
Enfin, il faut souligner l’attitude de la presse. Est-ce une conséquence de l’affaire de Tarnac où dans un premier temps, la presse, manipulée par le pouvoir, avait abondé dans le sens de la police, avant de se retourner pour une partie d’entre elle ? Là, dans cette histoire, la presse locale, tant écrite qu’audiovisuelle a présenté des articles favorables aux habitants des yourtes et donnant une image très négative du maire (mais c’est vrai qu’il suffit de lui donner la parle pour cela). Pourtant jusque là, la presse locale était davantage encline à prendre le parti des notables. Même TF1, comme France 2 ont fait des papiers allant dans ce sens. Cela a certainement joué un rôle important dans cette affaire.

Christophe, Limoges

(1) Lire à ce propos le livre de Mathieu Garouste : L’ennemi intérieur, la généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, La Découverte, 2009, 341 pages.
(2) Ce document est disponible sur le site : http://www.macabane.info/
(3) Pour une définition de ce concept foucaldien, voir le livre de Judith Revel, Le vocabulaire de Foucault, Ellipses, 2002, 70 pages


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