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Côté Lycéens, entre mouvement de fond et explosions sporadiques !

vendredi 30 mai 2008, par Courant Alternatif

Le 15 mai dernier, la grève du secteur public a été relativement bien suivie dans l’enseignement et a amené entre 250 et 350 mille manifestants dans les rues de plus de 100 villes. Cette mobilisation, annoncée il y a près d’un mois par les organisations syndicales qui n’appelaient pas pour autant à faire grève, intervient après plus d’un mois et demi d’agitation dans les lycées depuis ce printemps. Et si cette grève fut importante c’est parce qu’elle était attendue depuis très longtemps par les acteurs du mouvement lycéen.

En effet, ce mouvement que les médias résument à une lutte contre les réformes Darcos, dont les principales suppressions de postes (je reviendrai plus tard sur le point des revendications), a commencé il y a près de 2 mois dans les banlieues parisiennes avant de s’étendre aux lycées parisiens puis aux villes de provinces. Si les jeunes de banlieues ont été les premiers à se mobiliser ce n’est pas un hasard : ce sont évidemment les plus touchés en termes de suppressions de postes et de budget. Mais surtout la réforme des bacs pro en 3 ans les attaquait de plein fouet. Leur implication a pris de l’ampleur pendant 2 à 3 semaines, montant régulièrement dans Paris pour manifester (chose rare) accompagnés par leurs professeurs, qui ont été d’ailleurs largement critiqués dans la presse comme manipulant leurs élèves. Car l’idée dominante en France est que les « jeunes défavorisés  » sont bien incapables de s’organiser tout seuls et de construire une contestation politique autrement qu’en faisant cramer des voitures. Quel fut alors l’étonnement de la population voyant ces jeunes là fabriquer des banderoles, organiser des blocus (voir des AG) et monter sur Paris centre en masse pour manifester !
Mais avant toute chose pour comprendre le mouvement actuel je pense qu’un petit retour en arrière est nécessaire.

Les germes de la révolte

Darcos s’est plaint publiquement de « la répétition des mouvements lycéens tout les ans » depuis quelques années. Sur ce point nous sommes d’accords pour dire qu’il y a depuis 4 ans une génération de lutte qui prend forme, quoi de plus réjouissant ! En effet depuis le mouvement lycéen contre les réformes Fillon en 2005, il y a eu le CPE (contrat première embauche), la LRU (Loi relative aux libertés et responsabilité des universités) et la mobilisation actuelle. Mais je pense que ce serait une erreur de séparer ces divers moments de lutte, qui forment pour beaucoup de personnes, dont les acteurs de ces derniers temps, un tout.
L’éducation est le secteur le plus touché par les réformes de la droite décomplexée ces derniers temps, et les lycéens (contrairement aux étudiants) ont toujours répondu présent en face. La lutte contre les lois Fillon a en quelque sorte préparée la mobilisation lycéenne contre le CPE qui restera dans les têtes comme le mouvement de référence par sa grandeur, le genre de mouvement que les syndicats voulaient quitter au plus vite alors que les jeunes voulaient l’étendre et l’installer dans la durée. La preuve, il suffit de demander aux acteurs du CPE (hors UNEF) ce que leur évoque ces trois ou quatre mois de luttes : tous ont vécu un grand moment mais tous sont conscient de s’être « fait couillonner » par le gouvernement et l’UNEF. Ne serait-ce que parce que le CPE n’était qu’une infime revendication de ce mouvement qui portait plus généralement contre la loi sur « l’égalité des chances », les suppressions de postes... Mais une fois le CPE retiré, il resta quand même un esprit de lutte assez développé dans les villes mobilisées. Pourtant l’année suivante est assez pauvre en terme de contestation, étudiante comme lycéenne : les élections ont rappelé aux gens le sens des priorités comme qui dirait...
Mais dès l’annonce de l’élection de Sarkozy la réponse n’a pas traînée, des facs se sont mises directement en mouvement suite aux violentes répressions qui ont muselé les rassemblements dans les grandes villes après le second tour de la présidentielle. Mais la période n’était pas propice avec des vacances et des examens imminents, et surtout, les étudiants n’étaient pas prêts à contester « le choix démocratique des Français » ! C’est le discours que l’on a entendu un peu partout : « nous nous battrons quand il aura sorti ses réformes, pour l’instant il n’a rien fait de mal » (oubliant les dégâts du gouvernement des années précédentes). Bien sûr les étudiants attendaient qu’il sorte sa fameuse réforme de l’éducation tant citée durant la campagne mais jamais véritablement expliquée.
Manque de chance pour ces derniers, le gouvernement fit passer le texte de loi durant les vacances, évitant ainsi toute réponse immédiate. Ainsi à la rentrée on attendit de longs mois qu’une fac prenne l’initiative de lancer le mouvement, ce fut finalement fait mais un peu tard. Le mouvement anti-LRU n’a jamais véritablement pris, ni chez les étudiants et encore moins dans la population et ce pour plusieurs raisons a mon avis. Cette loi était beaucoup plus compliquée à comprendre que le CPE, et était beaucoup plus d’ordre idéologique. Elle s’inscrivait dans une logique récurrente depuis 20 ans de privatisation de l’enseignement supérieur, d’autant moins évidente à expliquer que le contre argument principal est que les entreprises en participant au fonctionnement des universités amèneront l’argent que l’Etat ne peut plus apporter. Le débat autour de la répartition des richesses n’a d’ailleurs jamais été lancé dans les facs que j’ai côtoyé, de plus le mouvement s’est véritablement lancé qu’à partir du 20 novembre, les partiels et le mauvais temps approchaient, et l’UNEF avait signé des accords avec Pecresse, la Ministre de l’enseignement supérieur, et de fait, combattait toute velléité de mise en branle de l’Université. Et puis il ne faut pas non plus négliger que l’élection de Sarkozy a entraîné une véritable démoralisation d’anciens militants.
Néanmoins, là où la mobilisation contre la LRU s’est développée, elle a été violemment réprimée, comme à Lyon ou à Nantes, et les étudiants et lycéens sont restés seul cet automne, quand les appareils syndicaux mettaient tout en oeuvre pour éviter les jonctions avec les luttes des cheminots et les revendications salariales. Abandonnés face à une police surarmée, les jeunes les plus mobilisés ont été écrasés militairement à l’automne, ce qui explique aussi les difficultés a redémarrer au printemps.

Des acquis de lutte importants

Les syndicats lycéens : ce mouvement lycéen est marqué par le retour des syndicats lycéens sur le devant de la scène. En effet l’UNL et surtout la FIDL ont pendant près d’un mois été invités sur l’ensemble des plateaux télés, ont été reçu 3 fois par Darcos (étant les seuls à pouvoir le faire), et se rendant visibles pendant les manifs lycéennes parisiennes... Ils sont selon moi les grands gagnants de ce mouvement, leur membres se comptent en dizaines mais sont installé à 99% en région parisienne. Pourtant dans toute la France les lycéens savent maintenant qu’ils existent. Et même si la grande majorité des lycéens en lutte rejettent ces syndicats, l’impact médiatique était quand même là, un peu à la manière de l’UNEF chez les étudiants.
La preuve flagrante fut quand la FIDL invita dans un communiqué à arrêter le mouvement et rentrer en cours avant même la journée nationale du 15 mai (l’UNL fut plus prudente). Dans les AG qui suivirent, la majorité des lycéens, qui 2 mois plus tôt ne connaissaient même pas l’existence de ces syndicats, parlèrent ouvertement sur ce sujet. Les plus motivés utilisèrent pour la première fois l’expression de « syndicats collabos », mais d’autres, sous influence PS, annoncèrent, avec le retrait des syndicats, la fin du mouvement, ce qui ne fut pas le cas au regard des manifestations du 15 mai.

Les coordinations : le mouvement lycéen ne fait pas exception à l’engouement pour les coordinations lors des derniers mouvements de la jeunesse. En effet dans toutes les villes mobilisées des coordinations lycéennes se sont formées. Bien sûr ce genre de réunions entre les personnes les plus mobilisées (et aimant diriger) a toujours existé dans différents mouvements. Mais cette fois cela se fit moins dans l’anonymat que d’habitude. Pour comprendre cela il faut revenir au mouvement anti-LRU et la création d’un forum de la coordination nationale lycéenne. Étant donné l’attrait qu’ont les lycéens pour Internet ce fut un succès, et ce forum compte aujourd’hui plus de 700 inscrits dans toute la France, auquel il faut rajouter les centaines de non-inscrits qui le visitent, et des espaces de coordination locale sont même intégrés au forum. Bref même si les coordinations sont des alternatives non négligeables à l’emprise syndicale et permettent d’installer un minimum d’organisation dans la lutte, elles ne sont tout de même pas exemptes de critiques. Elles permettent encore à quelques-uns de contrôler le mouvement à l’échelle locale et limitent les prises de décisions collectives, les lycéens ne sentant pas l’intérêt de prendre part aux décisions puisque des gens sont là pour le faire à leur place. Mais ce contrôle est à relativiser car à la différence des étudiants, les lycéens sont beaucoup plus imprévisibles et ne se laissent pas diriger comme cela.
Des coordinations nationales se sont tenues plusieurs week-ends de suite à Paris mais n’ont jamais réussi à faire venir d’autres villes mobilisées, car les lycéens n’ont pas les mêmes moyens de transports que leurs compères étudiants. L’intérêt particulier d’aller se coordonner à Paris est d’autant moins perçu que la coordination nationale regroupe depuis le début une quarantaine de personnes, en gros affiliées majoritairement à SUD ou aux JCR, qui souhaitent en garder le contrôle, comme en témoigne leur décision de ne pas tenir de coordination nationale dans les villes de régions.Toutefois les revendications avancées par la coordination nationale étaient bien plus générales et importantes que d’habitude, et débordaient largement le cadre lycéen  : régularisation de tous les sans papiers (on sent l’inspiration parisienne…), retrait de la LRU, titularisation de tous les emplois précaires de la fonction publique, etc.
Politisation et répression : j’ignore si le phénomène se vérifie à l’échelle nationale mais en tout cas au niveau local et des échos d’autres villes, il y a une véritable politisation de la part des lycéens par rapport aux derniers mouvements. Il n’y a jamais eu autant de monde pour venir aider au blocus des lycées, pour s’opposer à l’administration, pour continuer les manifs pendants plusieurs heures, pour chanter l’Internationale (rire), ou pour venir en soutien aux camarades interpellés. Le terme de camarade est d’ailleurs fréquemment utilisé maintenant par les lycéens en lutte... Il est certain que l’accumulation des moments de lutte y est pour beaucoup, de la même manière que ceux qui ont lancé le mouvement de novembre dernier ont utilisé l’argument de la LRU, la majorité des lycéens ne sont pas dans la rue aujourd’hui contre les seules suppressions de postes, qui étaient déjà au coeur des revendications des 2 derniers mouvements étudiants, et qui devrait être une revendication porté plutôt par les profs. Et face à ce mécontentement plus général et profond, la répression policière et administrative est beaucoup plus forte qu’avant : interdiction de réunion dans les lycées, gazage dès les premières manifs, sanctions administratives contre les élèves bloquant leur lycée, arrestations ciblées, provocations en tous genres, tirs de flashball... Des villes comme Grenoble, Poitiers ou Le Mans ont connus ce printemps des affrontements avec la police très violents, ce qui ne s’était pas produit auparavant ! De nombreux lycéens se sont fait arrêter et ont écopé de peines assez lourdes. Comme à l’exemple de Poitiers où la police est venu chercher un lycéen connu du mouvement devant son lycée un vendredi matin à 9h, alors que la proviseure était au courant de l’intervention 1h avant, et qu’elle n’a cherché à prévenir ni le lycéen ni ses parents...

Tout est toujours possible.

Tous ces éléments indiquent une remontée certaine de la combativité dans de larges franges de la jeunesse scolarisée. Cette année, le mouvement lycéen n’a pas trouvé les moyens de se généraliser, confronté à l’inexpérience, défait localement par une répression sauvage, jugulé dans son expression par les médias et les bureaucraties syndicales des confédérations de salariés et leurs relais étudiants et lycéens… Mais le cumul des évènements de l’automne 2007 et du printemps 2008 pourrait bien activer encore une maturation politique, et rebondir dès la prochaine rentrée. Pour peu que cette combativité émergente d’une partie de la jeunesse submerge la résignation des « adultes responsables » qui se confinent dans l’impuissance et la morosité.

Serge Dupoitou 24/05/08

1 Message

  • Les syndicats lycéens sont des fictions, certes. Mais la FIDL a annoncé la fin du mouvement simplement après avoir vérifié qu’il ne repartait pas dans la région parisienne ; cette "décision" ne fut qu’ un constat utilisé par ces jeunes manoeuvriers bien conseillés. La question de la faible mobilisation parisienne après les vacances de Pâques reste entière. La question est aussi qu’au-delà de la critique des coordinations locales, où des jeunes se préparant à des luttes de pouvoir peuvent se retrouver en effet, et des limites des coordinations nationales lycéennes, il y a le fait que le site de la coordination nationale n’est pas un outil à la hauteur, que la démocratie à la base demande beaucoup d’effort, que la lutte anti-CPE fut certes valeureuse, mais que la récupération par les directions confédérales fut d’autant plus aisée qu’une nouvelle génération de militants en rupture n’a pas émergé. Comment faire fonctionner des AGs massives où un nombre croissant de jeunes prennent la parole ? Comment faire des coordinations où les représentants ne sont pas toujours les mêmes ? Comment assurer une lutte avec ses contradictions, de façon autogestionnaire ? Ce mouvement lycéen pose ces questions à nouveau, de façon percutante.

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