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Ἑλλάς - Grèce

Stratégie du choc, tutelle européenne et remise en ordre capitaliste en Grèce

La deuxième capitulation de Tsipras

mardi 14 juillet 2015, par WXYZ


Au terme de laborieuses discussions ce lundi matin 13 juillet, les 19 chefs d’État de la Zone euro ont fait connaître leurs exigences unanimes. Elles sont nombreuses, plus dures encore que celles du mois de juin et doivent être instaurées très rapidement sous le strict contrôle des instances européennes.

L’accord issu du sommet des chefs d’État de la Zone euro représente le pire plan d’austérité et de restructuration jamais entrepris en Grèce depuis 5 ans, doublé d’une mise sous tutelle du pays et du placement sous séquestre des biens de l’État grec. La gauche dite ‟antilibérale” se retrouve désormais en charge de le mettre en œuvre, de faire le sale boulot dans une ‟Union nationale” récemment formée pour l’appuyer.

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De nouvelles conditions du directoire de l’Eurozone

On peut parler d’un véritable coup de force car le gouvernement allemand, suivi par les autres, a introduit au cours des réunions de ce week-end de nouvelles conditions dans le chantage exercé pour que la Grèce reste dans la Zone euro.

La Troïka et singulièrement les principaux États de la Zone euro avaient exigé du gouvernement grec de “nouvelles propositions” pour ce sommet européen consécutif à la capitulation de Tsipras à la suite du référendum (voir à ce sujet, notre précédent article La capitulation du gouvernement Tsipras ou les lendemains amers du référendum ).
Tout semblait indiquer qu’un pseudo-compromis serait facilement trouvé, tant les positions des deux parties étaient devenues presque identiques. Or, le plan proposé par le gouvernement grec (rédigé pourtant avec l’aide de conseillers envoyés par Hollande), qui reprenait pourtant l’essentiel les exigences de la Troïka du 26 juin, n’a pas été jugé suffisant par « l’Eurogroupe » (réunion des ministres de l’économie de la Zone euro) réuni vendredi 10 juillet et n’a donc pas été accepté comme base de négociation. Le ministre allemand de l’économie, Schäuble, est venu à cette réunion avec un document contenant de nouvelles exigences, beaucoup plus dures sous peine d’expulsion de la Grèce en cas de non-accord et dont l’essentiel se retrouvera dans l’accord conclu le lundi suivent au petit matin. La veille sur sommet européen, n’étant pas parvenus à s’accorder sur un projet de document, les ministres se sont contenté de pointer diverses options, présentes dans le document de Schäuble, que la réunion des chefs d’État du dimanche 12 juillet devait trancher.

Le directoire européen a d’entrée de jeu insisté sur le mot « confiance ». Ils n’ont plus confiance dans le gouvernement grec ont-ils martelé et rappelé en boucle et ils ont donc agi en conséquence : en exigeant plus, plus vite et en imposant des « garanties » comme n’importe quel banquier qui n’accorde un prêt que sous condition d’une hypothèque sur les biens de l’emprunteur.

Par rapport à ce qui avait été mis en avant lors des dernières discussions du mois de juin, la volonté de la direction européenne d’imposer une violente restructuration de l’économie et de toute la société grecque a élevé ses niveaux d’exigence de plusieurs degrés. C’est l’application quasi-punitive d’une « stratégie du choc » comme peut l’être une déclaration de guerre ou la brusque instauration d’un état d’exception : nos nouvelles conditions immédiatement ou le chaos chez vous.

Pour les maîtres de l’Eurozone, la Grèce doit aller beaucoup plus loin dans :

  • la flexibilisation du marché du travail (licenciements, conventions collectives, droit de grève…),
  • de nouvelles règles pour améliorer la performance de l’activité économique : mise en concurrence des professions ‟indépendantes”, légalisation du travail du dimanche, etc.
  • la législation sur les retraites (suppression des préretraites, passage rapide à 67 ans sans régime dérogatoire, suppression de la contribution de l’Etat aux régimes de retraite avec objectif rapide de leur « soutenabilité », c’est-à-dire de l’équilibre de leurs comptes),
  • l’élargissement de l’assiette fiscale,
  • l’augmentation de la TVA à 23% sur presque tous les produits,
  • l’accroissement du nombre et du volume des privatisations (objectif 50 milliards d’euros),
  • la réduction des coûts de la fonction publique.

Á ce stade, les détails ne sont pas connus, il s’agit d’un accord-cadre.

D’autres mesures plus techniques, administratives et juridiques sont aussi imposées.

Le document engage le gouvernement grec à travailler étroitement avec les ‟Institutions” (la Troïka) y compris « sur place à Athènes pour améliorer la mise en place et le suivi du programme ».

Plus loin, plus vite et la bride bien serrée

Plusieurs de ces conditions doivent en effet être approuvées par des lois votées au Parlement d’Athènes au plus tard mercredi 15 juillet. D’autres avant le 22 juillet. C’est seulement à cette condition que pourront s’ouvrir des négociations qui se mèneront dans un rapport de stricte surveillance pour ne pas dire de mise sous tutelle du pays.

Les privatisations seraient réalisées en transférant les entreprises et autres actifs privatisables appartenant à l’État grec (réseau de distribution de l’électricité, télécom, ports, aéroports…) dans un fonds indépendant de l’État. Les quatre ou cinq principales banques devront quant à elles fusionner et être recapitalisées. Ces actifs, censés atteindre une valeur de 50 milliards d’euros, serviront en fait de garantie – ils seront mis en gage – par et pour les créanciers sur le prêt consenti. Ces actifs seront mis en vente (privatisés) pour, officiellement selon les premières informations, recapitaliser les banques (50%), rembourser la dette (25%), investir dans l’économie (25%). On peut supposer que si l’État grec ne parvenait pas à rétablir assez vite un équilibre des comptes budgétaires et à faire face aux échéances de sa dette (ce qui est plus que probable), leur valeur sera saisie pour rembourser directement les créanciers.

La création de ce fonds a été imposée par le gouvernement allemand : cela figurait noir sur blanc dans le document de Schäuble qui a circulé lors de la réunion des ministres de l’économie du vendredi 10 juillet. Elle s’inspire du processus qui a conduit à la liquidation des biens de l’État de l’ex-Allemagne de l’Est. Le fonds, qui sera cogéré par les autorités européennes, correspond à ce que fut en son temps, la Treuhandanstalt (‟Agence fiduciaire”, ‟Trust agency”), crée en juin 1990 et qui, jusqu’en 1994, a été chargée de privatiser les entreprises publiques de la RDA. C’est là que l’on retrouve la « confiance » qui manque tant à la direction européenne. « Fiduciaire », nom du type de monnaie que nous utilisons, vient du latin fides et fiducia (foi, confiance), et comme « Trust » en anglais ou « Treuhand » en allemand, veulent bien dire la même chose. Ici, cette confiance a un prix et elle doit se payer d’avance et cash pour se prouver.

Le chiffre de 50 milliards est ahurissant. L’ensemble des actifs de l’État grec dans des entreprises est estimé à beaucoup moins, et même en ajoutant des bâtiments, des propriétés, des plages et des îles, on est loin du compte.

L’éventualité d’un « reprofilage » de la dette réclamée par Tsipras ne figure pas dans les exigences, mais au simple détour d’une phrase hypothétique. Dans les options discutées par les chefs d’Etat de la zone euro, elle était juste évoquée, mais en cas de ‟Grexit”, c’est-à-dire si la Grèce ne remplissait pas les conditions imposées par le protocole d’accord qui lui était soumis.

Le volume des montants alloués par les prêteurs sur gage de l’Eurozone – dirigés clairement par le gouvernement allemand qui a introduit de nouvelles exigences et imposé ses vues – serait « de 82 à 86 milliards d’euros », soit plus que les 74 milliards annoncés 48 heures plus tôt lors de la réunion des ministres de l’Économie de l’Eurozone. Le FMI ne participe pas financièrement, du moins pas pour l’instant, à ce nouveau plan de « sauvetage » financier, mais il y est associé dans la supervision.

Imposition et mise sous tutelle : des mesures politiques pour la restructuration capitaliste

D’un point de vue politique, on peut dire qu’avec ce troisième plan d’ajustement, la Grèce et surtout sa population, et surtout parmi elle ses classes prolétaires et populaires, va se retrouver dans la pire situation qu’elle n’ait jamais connue. Pire que sous tous les gouvernements précédents.

Comme dans tous les pays, surtout méditerranéens, la structure familiale sert d’amortisseur face au chômage, à la précarité des emplois, à l’absence de salaire et de revenus, au démantèlement de l’État providence. Nombre de jeunes adultes (et moins jeunes) ont abandonné leurs logements et sont revenus vivre chez leurs parents, souvent retraités. La baisse programmée des retraites – et surtout des plus basses par la suppression du complément versé par l’État – va clairement placer du jour au lendemain ces centaines de milliers de familles dans la vraie misère.

Le gouvernement de la gauche « antilibérale » de Tsipras, qui avait déjà capitulé en rase campagne le 9 juillet devant les précédentes exigences de la Troïka en les acceptant, en faisant voter au Parlement (le 10 juillet) des mesures qu’il disait combattre et qui avaient été massivement rejetées (61,3%) par les électeurs lors du référendum du 5 juillet, espérait encore « un compromis honnête » lors du sommet européen sans se rendre compte qu’il n’y a plus matière à compromis : il a dû reculer une fois de plus mais cette fois en procédant à un grand saut en arrière, et là en un temps record, qui lui fait tirer un trait non seulement sur le référendum du 5 juillet, mais aussi sur les raisons de l’élection du 25 janvier et les premières mesures qui avaient été prises dans la foulée de la formation du gouvernement.

Sauf s’il démissionne ou si son gouvernement devait sauter en cas de nouvelles élections extraordinaires, il doit maintenant boire la coupe jusqu’à la lie en exécutant les ordres l’intimant de mettre en œuvre, en quelques semaines, le programme de restructuration capitaliste des rapports sociaux le plus violent depuis le début de la « crise grecque », avec des niveaux de privatisations, de destructions des conquêtes sociales et des formes de socialité populaire faites de cohésion et de solidarité, d’attaques frontales sur les niveaux de revenus (hausse des prix, baisse des petites retraites, licenciements prévisibles dans les secteurs privatisables et bien au-delà…) et l’ensemble des conditions d’existence (écoles non chauffées l’hiver, système de santé en ruine, chômage non indemnisé…) jamais atteints depuis les premières mesures il y a cinq ans. Avec aussi pour nombre de citoyens l’humiliation et la colère de voir des « biens publics » placés pratiquement sous séquestre et pour l’équipe de Tsipras celle de devenir des petits fonctionnaires de l’administration du capitalisme européen, de voir toute l’action gouvernementale et législative mise sous étroite surveillance avec comptes à rendre régulièrement et punitions en cas de retards et de mauvais résultats.

L’enjeu de cette opération n’est pas économique au sens où il ne s’agit pas de « sauver la Grèce » ou de faire baisser ses déficits et sa dette : ce qui n’a pas marché depuis 5 ans n’a pas de raison de mieux fonctionner. Il n’est pas nécessaire d’être anticapitaliste ou d’avoir quelques références marxistes pour savoir qu’une économie en récession et en quasi-déflation ne peut pas générer suffisamment de valeur pour rétablir l’équilibre les comptes budgétaires. D’autant que cette crise politique de juillet 2015, avec la paralysie du système bancaire et de la « petite circulation » monétaire, avec les pénuries qui commencent à se répandre, avec les multiples mises au chômage technique (du provisoire qui peut vite devenir définitif) et les salaires non versés, ne va pas arranger les choses.

L’enjeu du coup de force de l’Eurozone sur la Grèce est éminemment politique. Il renvoie à une question de commandement, d’ordre et d’orientation. Il s’agit de bien signifier, au-delà de la Grèce et partout en Europe, quelle est la marche à suivre, d’indiquer clairement que la « sortie de la crise » ne peut passer que par des sacrifices, si nécessaire par du sang et des larmes, par l’imposition d’une nouvelle discipline sociale, dont la ‟compétitivité” fait partie, par une mise au pas et une mise au travail forcé (un workfare qui ne dit pas son nom) que rendent possible les restructurations productives, les privatisations, le démantèlement du welfare (y compris ses formes clientélistes archaïques) et plus largement les attaques sur la sphère de la reproduction sociale. Il s’agit d’intimider, de terroriser, de briser toute velléité de résistance sociale, afin de recréer des lignes de clivages et de séparation au sein des exploités, de faire le tri entre les ‟bons” travailleurs qui accepteront les nouvelles conditions de leur mobilisation productive et ceux qui, en s’y refusant, se retrouveront placés dans un deuxième cercle, périphérique, celui de la relégation dans les marges sociales du lumpen et de la misère.

S’il y a un enjeu économique dans ce coup de force– pour autant que la distinction entre politique et économie ait un sens sur ces questions-là – il se situe dans l’opportunité offerte par la « crise » : la volonté et la possibilité d’instaurer de nouvelles conditions, d’implanter de nouvelles règles du jeu social plus favorables au capital, de reconstruire les rapports sociaux (commandement dans l’entreprise, marché du travail, flexibilité/mobilité, type de contrats, niveaux de salaires et de prestations indirectes, hiérarchie selon le genre et les niveaux de citoyenneté et de droits politiques …) permettant une plus grande intensification de l’exploitation de la force de travail tout en réduisant simultanément les coûts des modes de redistribution que l’on retrouve dans le champ de la reproduction sociale (transports, éducation, santé, énergies, loisirs…) en cassant les « services publics » et en en privatisant les parties potentiellement rentables, c’est-à-dire en introduisant ces segments, une fois privatisés, dans la chaîne de la production de marchandises, de valeur et de profits. Et là, la logique n’est pas “grecque” ou “slovaque”, elle la même partout même si son intensité varie considérablement selon des latitudes.

Et maintenant ?

En attendant, la Grèce va s’enfoncer de plus en plus profondément dans une crise sociale faisant grandir et ressortir les contradictions qui lui sont imposées. Et les agendas et les priorités de ceux d’« en haut » risquent bien de ne pas correspondre à celui de ceux d’« en bas ». Pour l’instant, les réactions dans le pays ont été plus que modestes. La stratégie du choc semble fonctionner surtout vis-à-vis d’un gouvernement « antilibéral » qui s’est converti en quelques jours à peine, en un serviteur zélé de l’Europe « libérale » qu’il prétendait combattre. Jusqu’à quand ?

Les rassemblements sur la place Syntagma, ne regroupant que des militants convaincus et encore, ne semblent pas être, en ce moment, la réponse adaptée à la situation. De même qu’il ne sert strictement à rien de vouloir mobiliser abstraitement sur des mots d’ordre « contre l’austérité », ou compter le nombre de députés de Syriza qui vont bientôt entrer en dissidence, surtout en répandant les mêmes illusions que Syriza et la « gauche radicale antilibérale » sur le bien-fondé des bons sentiments et avec la naïveté de croire – et de faire croire – que des « idées justes », raisonnables et argumentées vont bien finir par convaincre nos ennemis du camp adverse. L’espoir ne fait pas vivre tout le monde, en tous cas pas ceux qui ont faim.

Les dirigeants de Syriza, qui comptent parmi eux de nombreux universitaires d’origine marxistes gagnés par les idées de la démocratie représentative bourgeoise, ont confondu la controverse académique et le débat entre élus pour ‟convaincre” et ‟corriger les erreurs” commises dans le passé avec le conflit plus ‟structurel” et substantiel des intérêts antagoniques et inconciliables, à commencer par celui qui a resurgi violemment à l’initiative des États de la Zone euro : la lutte entre États devenus entre eux créanciers et débiteurs et aussi, de manière sous-jacente, la lutte des classes, la bataille acharnée livrée par les fondés de pouvoir du capital pour la défense d’un modèle et le maintien des rapports sociaux et des mécanismes d’exploitation et de domination.

L’épisode grec de ces dernières semaines aura au moins eu cette vertu : celle de rappeler que les rapports de forces sont toujours nécessaires pour arracher quelque chose de tangible, que cela ne se construit pas avec des « idées justes » (et d’ailleurs très discutables) sur le fond du problème et sa solution supposée, qu’il s’agirait alors de faire partager sur un mode forcément consensuel avec le camp d’en face, mais avec des idées, des propositions et des pratiques pertinentes d’ordre stratégique sur la manière de construire le conflit et d’inverser l’équilibre des forces.

C’est très certainement sur le terrain social, dans les entreprises, dans les quartiers, dans les zones rurales et les îles que peuvent naitre des formes de luttes, de solidarité et d’organisation de base propres à mobiliser les premiers concernés de cette guerre de classe pour bloquer concrètement les processus de dépossession et de paupérisation en cours et à venir, sur tous les plans, avec l’objectif de rendre impossible, ou extrêmement compliquée et couteuse, leur mise en application, tout en inventant nécessairement des alternatives concrètes, solidaires et antagoniques de communautés humaines en résistance ayant pour premier objectif de satisfaire leurs besoins immédiats et non négociables. Ce qui les placeraient tout aussi nécessairement, à distance de la charité et des ONG, dans des pratiques de conflit et une perspective de réappropriation immédiate de leurs moyens de vivre.

Le syndicat des fonctionnaires et celui des salariés des collectivités locales appellent à une grève de 24 h le mercredi 15 juillet, jour où doivent être votées les premières mesures “engageantes” du nouveau plan d’ajustement structurel. On verra si cela ouvre un premier espace de contestation et de conflit contre la vague qui s’annonce.

MP (OCL Périgord-Quercy) / 13 juillet 2015


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