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Edito 192 Été 2009

jeudi 9 juillet 2009, par Courant Alternatif


Si l’aspect le plus visible de la démocratie est le suffrage universel, s’intéresser à cette forme d’exercice du pouvoir nécessite de se poser la question : à quoi peuvent servir les élections ?

A transformer un pouvoir légal en pouvoir légitime ; à valider ce pouvoir même en cas de forte abstention ; à faire croire aux votants qu’ils possèdent un pouvoir ; à affirmer que le pouvoir légal reflète la volonté du peuple ; à transformer l’individu concret en un citoyen de droit, un être abstrait et un pourcentage ; à dissimuler le pouvoir réel des partis politiques, groupes constitués pour ne défendre que leur propre intérêt ; à atomiser les individus et empêcher toute forme d’action collective car, lorsqu’on vote, on ne le fait pas comme groupe mais en tant que personne – citoyenne et seule – en cachette : l’isoloir symbolise parfaitement cet état de séparation sociale ?

Remédier à ces travers suffit-il à établir une véritable démocratie ? La démocratie comme symbole idéologique possède d’autres vertus magiques ; nous ne pouvons nous empêcher aujourd’hui de nous demander s’il n’y a pas des mots qui tuent ? Et si la démocratie était une arme de destruction massive, au mieux une arme d’aliénation massive ? En effet, c’est juste un mot qui, à travers le temps, justifie les massacres, les invasions, les bombardements, les occupations, les répressions, l’exploitation, les classes sociales, etc.

Mais ce mot n’est pas seulement un mot, il recouvre tout un arsenal de structures concrètes et matérielles : les Etats, les armées, les institutions -telles que la prison, l’école, l’hôpital, le tribunal, etc. , les patrons, et aussi des intellectuels, des artistes, des psychologues, des sociologues, des experts en tout genre. Tout ce beau monde s’évertue à travailler pour nous, pour notre bien, pour nous rendre libres et nous permettre d’exercer notre pouvoir ou plus exactement libres de déléguer ce pouvoir, comme s’il nous restait un pouvoir après tous les efforts faits pour isoler, séparer, morceler, disperser chacune et chacun dans son isoloir pour y vivre et finalement voter.

Le mot démocratie n’est qu’un nom générique. Il y aurait d’autres mots plus précis, plus précieux : la liberté, l’égalité, la laïcité, le progrès, le droit… Ainsi au nom de la liberté on peut interdire : « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », ou tout permettre : « je ne suis pas d’accord avec toi, mais je peux mourir pour que tu puisses exprimer ton opinion ». Au nom de la liberté on peut autoriser la diffusion d’images publicitaires sexistes ou racistes ; au nom de la laïcité on peut oublier la liberté et interdire certaines formes vestimentaires ; au nom du progrès on justifie le développement de structures à caractères totalitaires (OGM, nucléaire,…) ; au nom du droit d’auteur on restreint la liberté d’accès à internet. En fonction de ses intérêts, l’adaptabilité de la démocratie est paradoxale et étonnante.

Chaque fois que la démocratie vacille ou se fissure, le capitalisme arrive à générer des évènements pour colmater la brèche et réparer les dégâts ou trouver des arguments. Ainsi, la démocratie aurait permis aux femmes, aux noirs, aux esclaves de se libérer, de s’émanciper, alors que c’est la base même de la démocratie qui les a exclu-es pour les ré-intégrer sous condition après d’âpres luttes ; de même, l’élection d’Obama est vue par certains dans cette perspective. En France, par contre, les attaques répétées contre la classe ouvrière et l’arsenal impressionnant des lois qui visent à restreindre le peu de liberté qui reste soulèvent des indignations un peu partout ; la gauche institutionnelle désigne un responsable unique qui concentre tous les pouvoirs entre ses mains ; d’un autre côté, quelques intellectuels pensent que c’est le système démocratique lui-même qu’il faut questionner et qu’il s’agit de remettre en cause la représentativité comme antidémocratique.

Est-il possible de rendre la démocratie plus démocratique sans une critique de l’exploitation par le travail ? Le salarié, celui qui n’a que sa force de travail comme moyen de subsistance, est à la fois l’opprimé, l’exploité et celui ou celle qui est la clé de voute de la société qui l’opprime : il est en tant qu’exploité indispensable au fonctionnement du système. La question de la démocratie n’est-elle pas une question secondaire et non pas constitutive de cette oppression ? Ne faudrait-il pas régler au préalable la question de l’exploitation et des rapports de production dans la société ?

Toute démocratie, peu importe sa forme, présuppose et implique des fondamentaux que sont la propriété privée et le droit d’entreprendre et d’exploiter. Interroger la démocratie c’est poser des questions qui déplacent le problème vers la sphère politique : comment gouverner, comment exercer le pouvoir, prendre des décisions ? Cela, sans se soucier de la situation concrète du travail et de la production. L’égalité des droits est l’arnaque démocratique la plus grossière car, si nous sommes égaux devant la loi en tant que sujets abstraits (citoyens), en réalité il existe toujours l’ouvrier/ le patron, le chef / le subalterne, l’homme/ la femme, l’adulte / l’enfant, le normal / le déviant, le bien portant / le malade, le riche / le pauvre, etc. Est-il possible de faire disparaitre ces inégalités sans un bouleversement social radical ? La question de la démocratie pourrait-elle aider à aller dans le sens de ce bouleversement ou au contraire n’être qu’un moyen d’enterrer définitivement l’hypothèse de la révolution, c’est-à-dire la destruction du fondement même de la démocratie qu’est la propriété privée des moyens de production ?

Sans remise en cause de la propriété privée (des terres, des moyens de production industriels), de l’exploitation du travail et des hiérarchies, la démocratie est une illusion, une mystification.

Dans nombre de luttes, quand les gens se mettent en mouvement pour un objectif commun qu’ils élaborent ensemble, le problème du pouvoir est vécu autrement, les hiérarchies sont contestées non seulement théoriquement mais surtout par nécessité sociale pour s’organiser et réfléchir à comment mener les luttes. Deviennent alors primordiaux non seulement la conscience de prendre du pouvoir sur sa vie (la conscience d’une force collective qui élargit le champ des possibles) mais encore l’exercice pratique de ce pouvoir (le temps de la lutte). Les gens posent alors concrètement le problème du pouvoir, de leur propre pouvoir sur ce qui les concerne de près et contestent le pouvoir de ceux qui décident à leur place et contre eux ; c’est ce qui peut être nommé la démocratie directe, où le pouvoir n’a plus sa raison d’être.

CJ Sud Ouest, juin 2009.


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