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CA 229-230 (avril-mai 2013)

Kurdes : « le plus grand peuple au monde sans État »

les parties 1 et 2 mises en ligne

lundi 3 juin 2013, par Courant Alternatif


Kurdes : « le plus grand peuple au monde sans État » (1) Partie 1

Le 10 août 1920, le traité de Sèvres préconise la création d’un état kurde à condition que cette création soit la volonté du peuple kurde. Ainsi pour les Kurdes de Turquie, il ne s’agit plus de trouver une voie guidée par des féodaux ou des élites à la botte d’impérialistes quelconques mais d’ouvrir la voie d’une résistance qui conduirait à la libération du Kurdistan dans sa totalité et au-delà à une révolution dans tout le Moyen Orient.

Le 10 août 1920, le traité de Sèvres préconise la création d’un état arménien et d’un état kurde

Avant la première guerre mondiale, le Kurdistan fait partie de la Perse et de l’Empire ottoman. En 1914, ce dernier s’engage au côté de l’Allemagne ; après la défaite du bloc allemand en 1918 les puissances coloniales victorieuses (Angleterre et France) s’autorisent un découpage de l’empire ottoman selon leurs intérêts. Le 10 août 1920, le traité de Sèvres préconise la création d’un état arménien et d’un état kurde à condition que cette création soit la volonté du peuple kurde.

Ce traité provoque en Turquie un sursaut national autour de Mustapha Kemal, qui dès 1919 ouvre une guerre d’indépendance aidé par certains seigneurs kurdes qui voient en Kemal et ses idées un allié de circonstance pour la constitution d’un futur état kurde. Cependant en 1921, une révolte kurde réclamant que les accords du traité de Sèvres soit respecté est écrasée et des opposants assassinés. La victoire de Kemal aboutit à la chute de l’ancien régime ottoman, à la négociation d’un nouveau traité et à la proclamation de la République turque le 23 octobre 1923. On passe d’une société féodale à un état proche de l’état français de 1789.
Ce traité, plus avantageux pour le nouvel état est signé à Lausanne, le 24 juillet de la même année. Il rend caduque le traité de Sèvres et reconnaît la souveraineté kémaliste sur la plus grande partie du Kurdistan. Le projet d’états kurde et arménien est abandonné et le territoire kurde divisé entre quatre états : La Perse, la Turquie, l’Irak sous contrôle britannique et la Syrie sous contrôle français. Cependant, l’actuel Nord de l’Irak qui devait faire partie de la Syrie, pour cause de pétrole, reste sous influence anglaise (2). A partir de 1924, la langue turque est déclarée unique et officielle, la culture kurde et arménienne ainsi que bien d’autres minorités sont niées sur l’ensemble du territoire et l’enseignement et l’assimilation à la culture turque sont rendues obligatoires dans chaque administration, école, caserne (3). Par la suite, jusqu’à une histoire plus contemporaine la question kurde est jalonnée de révoltes continuelles et transfrontalières. Ces affrontements eurent lieu entre séparatistes Kurdes et Kurdes Féodaux, et d’autres entre Kurdes et les états auquel ils sont inféodés.

Du mouvement kurde pour la liberté et la démocratie, de la guérilla du PKK vers le KCK (Union des Communautés du Kurdistan)

En 1952, la Turquie intègre l’OTAN. En 1971 après un coup d’état militaire en Turquie, la société turque et moyenne orientale sont en pleine ébullition et la poussée à gauche des mouvements sociaux s’intensifie sur l’ensemble de ces pays qui se partage le Kurdistan mais aussi bien au-delà.
Dans ce contexte, un groupe de l’université d’Ankara se forme et donne naissance au PKK (Partie des Travailleurs du Kurdistan). Il s’est formé autour d’Abdullah Öçalan. Dès 1974, cette organisation se distingue par sa radicalité sur le nationalisme, son athéisme et ses positions marxistes léninistes sommaires. Cette organisation est pour le séparatisme de l’ensemble du Kurdistan sous la forme d’une confédération. L’ indépendance sera l’œuvre de l’alliance des travailleurs et des paysans contre la bourgeoisie kurde et non avec les organisations compromises avec l’état turc. Cette relève de la contestation kurde est consciente que si les Kurdes ne sont pas directement responsables de leur situation, ils n’en constituent pas moins les maillons de la reproduction du pouvoir turc. Ses membres pour la plupart viennent de villages, ne sont pas issue d’une élite ou de professions libérales. La jeunesse, vivier de la contestation, digère la défaite en 1975 des opportunistes et corrompus Barzanistes du PDK irakien. Cette bourgeoisie tribale ne laisse derrière elle qu’une lutte intestine de pouvoir entre deux clans (le PDK d’un coté et l’UPK de Calal Talabani). Ces seigneurs n’existent que pour eux et par une répartition clientéliste des gains engrangés. Ils s’assurent la conservation du pouvoir par le haut par des revirements d’alliance constants.
Dans ces années, le traitement de la question kurde et sociale par une grande partie de l’extrême gauche turque est abordé d’une manière jacobine, ce qui éloignera le PKK d’une alliance avec cette gauche. On assiste depuis ce moment à une kurdisation de l’organisation. Ainsi pour cette jeunesse kurde de Turquie, il ne s’agit plus de trouver une voie constitutionnelle guidée par des féodaux ou des élites à la botte d’impérialistes quelconques mais d’ouvrir la voie d’une résistance qui conduirait à la libération du Kurdistan dans sa totalité et au-delà à une révolution dans tout le Moyen Orient.

Un retour aux sources du kémalisme

Il s’opère au moment de l’occupation de l’Afghanistan par les Russes en 1978 en passant par la chute du Chah en 1979. En 1978, les sociaux-démocrates turcs déclarent l’état de siège au Kurdistan, et quelques mois plus tard, les conservateurs qui reprennent le pouvoir en Turquie échouent eux aussi.
Pendant ce temps, en 1978 le PKK se constitue en tant qu’organisation politique et la répression de l’état social démocrate turc de cette époque, écrase l’extrême gauche turque et le Kurdistan turc est occupé militairement : deux milles kurdes sont assassinés et torturés. A partir de là, beaucoup de Kurdes partent pour l’Europe. Dans ce contexte moyen oriental où la gauche nationaliste égyptienne signe les accords de paix de Camp David, le 17 septembre 1978, le PKK s’installe au Liban et s’engage au côté des Palestiniens contre l’invasion militaire d’Israël.
Depuis ces accords, les mouvements de résistance moyenne orientale se tournent de plus en plus vers l’islamisme. Ce cadre moyen oriental brouille de plus en plus la lutte des classes au profit de lutte de clan et/ou confessionnelle, les états intègrent ces forces belligérantes ingérables pour les orienter quand ils le peuvent vers des conflits incessants pouvant de près ou de loin servir leurs intérêts. La lutte spécifiquement kurdiste se marginalise de plus en plus par rapport à l’orientation de ces mouvements.
Mais prise dans un contexte transfrontalier elle bénéficie pourtant de ces mêmes processus d’extension des conflits. Sur fond de guerre entre l’Iran et l’Irak (les frontières de l’Est de la Turquie touchent l’ex-URSS), les USA choisissent en Turquie, de soutenir le général Evren et un retour aux sources du kémalisme s’opère. Le coup d’état du 12 septembre 1980 assure aux USA, la bonne conduite de leurs affaires au Moyen Orient. La société turque est verrouillée ainsi jusqu’à la deuxième guerre du golfe où l’administration américaine de Bush junior préfère jouer la carte de l’AKP (d’Erdogan) et de la société civile turque plutôt que des ultras nationalistes kémalistes.
La nouvelle Constitution de 1982 laisse les mains libres aux militaires turcs et crée le conseil national de sécurité (MGK) qui gèrent et met son nez partout ; l’assemblée nationale est dissoute, les partis politiques interdits. Les pouvoirs que cette constitution donnés aux militaires sont immenses et s’étendent bien au-delà des affaires de l’état (censures des média, de la production littéraire et artistique) et de ses frontières. En mai 1983, la junte militaire turque mène des opérations sur le territoire irakien avec l’approbation de Bagdad, ainsi qu’en Iran. Dans la guerre Iran-Irak, les zones kurdes sont bombardées de part et d’autre.

Une guerre d’autodéfense pour la création d’un état kurde

Avec la dictature du général Evren la répression envers le mouvement kurde s’accentue, la voie militaire choisie par Evren conforte le PKK d’engager une guerre d’autodéfense pour la création d’un état kurde.
Cette guerre commence officiellement le 15 août 1984, elle est ponctuée jusqu’à aujourd’hui de plusieurs trêves unilatérales de la part de la guérilla. Trêves qui ne seront jamais respectées par les gouvernants successifs turcs. Pour le PKK au fil de ses congrès, le processus critique et autocritique est constant. Durant ces années 1980, la digestion de cette première décennie de guerre amène les militants à redéfinir leurs objectifs collectifs, du moins à laisser le débat ouvert. Une remise à plat de la création d’un état-nation dans leurs revendications est dans l’air... La création d’un état puissant et dirigiste sur le modèle de l’URSS est loin de faire l’unanimité comme une autonomie restreinte basée sur un minimum culturel et éducatif signifierait une défaite.
Le débat sur le séparatisme reste donc ouvert et par ce processus critique-autocritique en attendant une éventuelle défaite ou victoire, l’évolution de la question du séparatisme reste ouverte. La pratique fertilise dorénavant le discours sur la question. Sur le plan des alliances, avant d’engager le conflit ouvert de 1984 qui dure encore aujourd’hui, le PKK se rapproche du PDK irakien qui cherche une organisation puissante au Nord pour peser face au pouvoir de Saddam Hussein.
Depuis, le PKK aura ces bases d’entraînement et de formation politique dans les montagnes au Nord de l’Irak. Cette alliance durera jusqu’à la date de l’autonomie du Kurdistan irakien en août 1992. Avec l’émigration, le PKK crée ses propres organisations en Europe. De 1984 à l’arrestation d’Öcalan en février 1999, le bilan de cette guerre contre-révolutionnaire est lourd, plusieurs témoignages attestent de la participation de conseillers militaires américains dans cette répression sanglante aux côtés des quatre cent mille soldats turcs et de l’utilisation de diverses armes chimiques. De quatre à cinq milles villages sont rasés, dix millions de Kurdes souffrent de déracinement (un tiers de la population du Kurdistan turc part vers l’Ouest, Istanbul ou l’Europe), des femmes sont violées, des hommes et des enfants mis en prison et torturés, des charniers sont découverts. Ces migrants viennent grossir les faubourgs des grandes villes kurdes et fournir au PKK ses combattant-e-s. Quant à la plupart des dirigeants kurdes, en cette fin de décennie, ils croupissent en prison. Ce mouvement pour les libertés démocratiques amorcé dans les années 1970, développe dans l’ensemble du Kurdistan, diaspora comprise, un sentiment démocratique et révolutionnaire positif. La lutte contre la politique négationniste de l’état turc permet aux Kurdes de prendre conscience et de lutter afin que leur communauté soit reconnue au sein de la société turque.

Une page se tourne

Suite à la déclaration de l’autonomie du Kurdistan irakien en août 1992, l’alliance entre le PDK irakien et le PKK se termine, une page se tourne. Désormais les guérilleros ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Les bases du PKK dans le Nord de l’Irak se trouvent dans une situation précaire, prises dans un étau entre les incursions des militaires turcs et les peshmergas du PDK (de Barzani) et de l’UDK (de Talabani) Irakien. Alliés de l’administration américaine et turque pour le contrôle des voies de communication et des oléoducs qui passent par le Kurdistan turc, ces deux organisations, UPK et PDK, restent jusqu’à nos jours dans les mêmes dispositions.
Aux yeux de la population des Kurdes de Turquie et de plus en plus dans l’ensemble du Kurdistan, ces deux organisations au pouvoir dans les régions autonomes irakiennes sont jugées de plus en plus comme corrompue. L’intégrité et la cohérence des engagements transfrontaliers du PKK au sein de la cause kurde se concrétisent sur le terrain par un engouement de plus en plus grand. Ces dispositions à l’encontre du PKK de la part du PDK et de l’ UDK et l’incursion de l’armée turque à partir de 1992, loin d’affaiblir le PKK, le renforcent. Pour étendre ses marges de manœuvre dans ce conflit, les gouvernants politiques turcs, en plus de la propagande bien huilée de cette époque, instrumentalisent le nationalisme mais aussi la religion en présentant cette lutte comme une obligation religieuse (Jihad).
La deuxième plus grande puissance de l’OTAN, va de plus en plus sous-traiter cette guerre. Une administration spéciale avec des supers préfets gère hors du cadre légal quelques onze régions du Sud-Est anatolien. Les JITEM (renseignement et lutte antiterroriste de la gendarmerie) sont créés, ses membres, qui viennent des services de renseignements, sont choisis comme partout ailleurs sur des critères idéologiques d’ extrême-droite. Ils organisent des escadrons de la mort pour terroriser la population. Des milices kurdes sont créées en 1985 (les « bandits kurdes » ou « protecteurs de village »), elles touchent jusqu’à trois fois le Smic turc et comptent cent mille hommes en plus des quatre cent milles soldats turcs. En 1990, les forces paramilitaires arment des islamistes, Hizbollah Kurdes.
Toutes ces forces qui coûtent un tiers du budget de l’Etat turc s’appuient sur une mafia qui ne connaît aucune frontière, ce qui facilite la surveillance des Kurdes d’Europe. Les effets sont pervers, toutes ses forces par un effet centrifuge s’autonomisent du pouvoir politique central et deviennent incontrôlables. Tous ces services se livrent aussi par assassinats interposés à une lutte sans merci au sommet de l’Etat. Résultat, chez les kurdes de Turquie un sentiment d’insécurité permanente s’installe et on constate en plus d’une prolétarisation, une désocialisation constante dans certains coins avec une re-féodalisation favorisée par l’Etat.

Vers l’autonomisme régional au sein d’une confédération

En ces temps d’isolement faute d’alliance, au début des années 1990 les ambitions du PKK sont revues à la baisse. Il passe d’un séparatisme vers l’autonomisme régional au sein d’une confédération. A l’occasion, les militants du PKK se tournent aussi vers les structures tribales du passé classé par l’Etat turc comme ennemies. Aussi, ils créent deux associations confessionnelles sunnite et alévi. Ce qui n’explique pas pour autant la croissance et le prestige grandissant dont jouit l’organisation auprès du mouvement des libertés démocratiques. Il faut plutôt chercher l’explication de cette ascension chez ces dix millions de Kurdes déracinés.
Avec la destruction des villages, une classe ouvrière agricole nombreuse grossit les périphéries urbaines. Cette paupérisation, l’insécurité perpétuelle des Kurdes de Turquie et le dynamisme des ces migrants sont un vivier pour le PKK. Ces ouvriers rentrent dans la lutte car ils espèrent une répartition des richesses plus juste, une reconnaissance vis à vis de la société turque. Mais surtout, la place des femmes dans la société kurde est très importante et le rôle des femmes n’est pas influencé par la religion musulmane. Les femmes kurdes augmentent leurs rôles au Kurdistan. En tant que classe à part et en tant que Kurde, elles luttent pour les droits des femmes et pour la libération du peuple kurde. Elles représentent la moitié de la guérilla. Au 5eme congrès du PKK en 1995, officiellement les symboles de la faucille et du marteau sont abandonnés, Le socialisme soviétique est même dénoncé comme « la plus primitive et plus violente période du socialisme ». L’opposition « légale » des années 90 prend sa source dans la contestation des années 70. Au fil des années, de nombreux politiciens et intellectuels fondent des formations légales qui s’ influenceront mutuellement avec le PKK. Certains membres de ces formations, font du rapport à la violence de l’état turc, mais aussi du PKK, leur fond de commerce. 62 % ont un diplôme d’études supérieures et sont de professions libérales. Le jeu électoral commence avec une alliance avec le SHP (parti social démocrate turc). Des élus kurdes mais aussi des anciens élus turcs du SHP seront expulsés (70 en tout) de ce parti pour avoir participé à la conférence internationale de l’institut kurde de Paris en 1989. Ils se représentent aux élections municipales et législatives mais ce jeu est verrouillé par la constitution militaire de 1982 du général Evren. Leurs mandats sont rythmés par cette constitution qui systématiquement lève l’immunité parlementaire. Plus d’une centaine de ses militants sont assassinés par les escadrons de la mort, certains sont arrêtés pour crimes contre l’état, d’autres partent vers un exil. Le 20 octobre 1991 sous l’étiquette HEP (Parti du Travail du Peuple), 22 candidats entrent à l’assemblée nationale (4).
Ces formations politiques jusqu’à nos jours, forment la tradition légale. Elles sont souvent utilisées par le pouvoir turc pour réduire l’influence du PKK. Au début, construites en alternative du PKK, au fil de la répression, leur destin va se lier de plus en plus. Des ex-combattants PKK rejoignent ses rangs d’autre font le chemin inverse. Conséquences, les idées et pratiques circulent de plus en plus dans un sens comme dans l’autre. Ces formations sont souvent utilisées par le pouvoir turc pour réduire l’influence du PKK.

Une main tendue pour une solution pacifique et démocratique à la question kurde de Turquie

Dans ces années 1990 au total, 4 cessés le feu unilatéraux du PKK pour tendre la main aux gouvernants turcs sont bafoués. Le dernier cessez le feu unilatéral du 2 août 1999 pourtant mis à mal par les militaires et politiques donne de l’espoir aux élites pacifiques kurdes en faveur de la paix. Ce cessez le feu s’intitule : « pour donner une fois de plus une chance à la paix et à la volonté des Kurdes en faveur de la fraternité entre les peuples ». Il durera quatre ans.
Durant cette période des milliers de kurdes, des organisations civiles, associatives et politiques en plus des membres de la guérilla sont arrêtés et condamnés. L’armée turque ne cessera jamais ses raids sur les bases du HPG (Force de Défense du Peuple kurde du PKK pour la Turquie) retirées au Kurdistan irakien. A partir de cette date, les états européens auront une attitude répressive similaire à celle de la Turquie à l’encontre de l’expression de solidarité de la diaspora envers la lutte kurde.
La fondation du KADEK le 4 avril 2002 (Congrès pour la Démocratie et la Liberté du Kurdistan), succède au PKK. Et le 2 août 2003, le KADEK pour contrer cette politique répressive met fin au dernier cessez le feu unilatéral et propose une feuille de route : « pour une solution pacifique et démocratique à la question kurde en Turquie ».
Cette feuille de route consiste en trois étapes, « ...la mise en place d’un comité pour la paix et le dialogue... de mesures prises pour instaurer la confiance... et la troisième, de la pleine démocratisation et de la paix achevée... mais avant, la tâche la plus urgente sera de transformer le cessez le feu de fait - unilatéral - en un cessez le feu bilatéral ». Elle est destinée, « ...à L’Union européenne, aux USA, aux états du Moyen Orient et aux forces démocratiques en Turquie... ».

K.

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Notes de la 1ère partie

(1) Aujourd’hui, la communauté kurde transfrontalière s’élève à 20 millions de personnes en Turquie, 10 millions en Iran, 5 millions en Irak et 2,5 millions en Syrie.

(2) 40 % du pétrole iranien et irakien ainsi que 60% du pétrole turc viennent des régions kurdes.

(3) Voir encadré en fin de ce numéro sur les lois d’assimilation

(4) Par ordre d’interdiction, HEP de 1990 à 92, ÖZDEP (Parti de la liberté et de la démocratie) de 92 à 93, DEP (Parti de la Démocratie) de 93 à 94, HADEP (Parti de la démocratie du peuple) de 1994 à 2003, Dehap (Parti démocratique du peuple) de 2002 à 2005, DTP (Parti de la Société Démocratique) de 2005 à 2009 et le BDP (Parti de la Paix et de la Démocratie) en 2010.

Sources : site, l’aménagement linguistique dans le monde de Jacques Leclerc http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/...,
Livres : Le « conflit kurde » d’Hamit Bozarslan, Les Kurdes, d’Ahmet Dere, Kurdistan de Julien Goldstein. Sites des amies du peuple kurde Francophone et Fondation institut kurde de Paris.

Les Kurdes : « le plus grand peuple au monde sans État » (2e partie)

Si nous sommes solidaires ou participons à certaines luttes de libération nationale ce n’est pas par goût particulier du nationalisme, au contraire, mais parce qu’elles participent au combat pour la réappropriation d’un pouvoir dans l’espace où vivent les gens... Les dynamiques de luttes de libération nationale peuvent placer les gens dans un rapport d’ouverture avec l’extérieur, d’attente des autres, d’échanges, de débats, ouvrant ainsi des perspectives internationalistes, révolutionnaires aussi *.

                     * extrait positions OCL

Nous ne savions pas par quoi commencer pour raconter ce qu’il se passe au Kurdistan. Un livre même ne suffirait a cerner que quelques problématiques. Et pour cause l’actualité et l’histoire des luttes et conflits de classes au Kurdistan est très riche car elles se situent géographiquement à l’intersection de 4 civilisations (voir partie 1).
Le Kurdistan est une voie, un nœud de communication routier, gazier (voie stratégique sud avec l’Asie) qui s’ouvre ou se ferme entre ces quatre espaces. La mémoire ou l’oubli de ces luttes ne se circonscrit pas seulement à cet espace (1). Les femmes dans ces luttes comme dans tous les conflits du monde, qu’elles aient ou non un fusil se retrouvent en première ligne (2). Aussi via la Syrie, le printemps arabe pourrait remonter jusqu’en Turquie. Nous avons donc dû faire des choix.
Le choix du Kurdistan nord et de la Turquie est motivé par le fait que celle-ci veut intégrer l’UE. Nous estimons du coup que la question Kurde se trouve projetée au cœur de la politique de notre vieux continent et surgit à nos mémoires de bien triste manière par un triple assassinat à Paris. Aussi, nous nous sommes rendu compte que sur le sujet dans nos propres milieux, les pendules se sont arrêtées il y a trente ans. Depuis c’est l’oubli, avec ses clichés d’un temps calqué sur une réalité bien vivante qui évolue très vite. Réalité qui pourtant, pour être comprise et saisie mérite un regard sans cesse renouvelé.
« La Turquie d’aujourd’hui est constamment au cœur d’une série de contradictions maintes fois répétées : les militants qui en France s’opposent à l’Europe capitaliste défendent l’intégration de la Turquie dans cette même Europe. En général, ces mêmes capitalistes sont d’ailleurs favorables, eux aussi, à cette intégration. Quand le sujet quitte l’actualité, les militants le délaissent aussitôt. Cela n’est pas à proprement parler un grand signe d’indépendance de classe. Tout cela provient en fait de l’ignorance de ce que sera l’avenir des luttes de classe internationales. Sur quels rivages verra-t-on en premier lieu des luttes à caractère révolutionnaire, c’est-à-dire ayant un contenu authentiquement internationaliste, politique, social et contestant la propriété privée des moyens de production, de financement et d’échange  » (Un militant kurde) ?

Un appel aux forces démocratiques de Turquie et d’Europe

Comme nous l’avons écrit précédemment, dans les années 90, tous les cessez-le-feu unilatéraux de la guérilla pour donner une nouvelle fois une chance à la paix ne se transformeront jamais en trêve bilatérale avec l’État turc comme il est proposé dans la feuille de route du 2 août 2003 (3). Entre 1999 et 2004, le PKK avec le mouvement pour une démocratisation de la société turque a déclaré unilatéralement un cessez-le-feu illimité mais devant ce nouvel échec de la main tendue, tout en visant la mise en place d’un système d’organisation démocratique et confédéral de la société par le biais de l’autonomie, rejetant le concept d’un État-Nation kurde indépendant.
En 2005, la guérilla reprendra les armes pour un temps. Ces cessez le feu du débuts des années 2000 jusqu’à aujourd’hui proposés par les composantes de la société kurde, du PKK/KADEK/CONGRA-GEL/KCK (4) et des élites kurdes resteront toujours lettre morte. Ce n’est pas un hasard si cette feuille de route s’adresse aux forces démocratiques de Turquie en incluant toutes les composantes de la société turque aussi les organisations politiques avec ou sans électorats utilisant ou non les urnes.
Les Kurdes n’ont aucune illusion concernant ces partis au pouvoir qui se succèdent comme nous le verrons. Ni non plus, la moindre confiance en l’Etat, même ceux qui collaborent avec. Dans les années 90, le PKK (3) à commencé à définir ce nouveau système qui se dévoilait de jour en jour jusqu’en 2004, où les choses se sont enfin concrétisées et où sont sortis des textes pour aboutir à la déclaration du 12 mai 2005 du KCK.

Pour sortir du kémalisme

Au début des années 2000 comme aujourd’hui, par le haut, ce sont toujours les mêmes forces dominantes qui s’affrontent au sein de l’État turc. D’une part l’AKP (5) au pouvoir est pro-européen. Avec le résultat des urnes (6), les courants les plus importants restent toujours au pouvoir malgré des scores électoraux inférieurs à 50%, au détriment des partis politiques représentant des opinions différentes, notamment kurdes. L’AKP, cherche une solution politique et pacifique à la question kurde en ménageant islamiste conservateur, ultra nationaliste, militaires, sociaux démocrates, laïques ou non. Vaste programme ! C’est pas gagné d’avance, mais l’AKP le souhaite-t-il vraiment ou le peut-il seulement ?

S’attarder sur le gagnant des urnes est nécessaire pour comprendre ce qui se passe en Turquie. L’AKP est un parti tel que nous connaissons chez nous avec sa propre histoire et base culturelle. Il représente les intérêts de la bourgeoisie. Dans les régions majoritairement kurdes, sa gestion reste exclusivement clientéliste. Mais pour une bonne partie de son électorat, c’est une occasion de sortir de l’emprise kémaliste et des pratiques militaro-terroristes de son appareil d’État. Un peu dans sa propre mesure, il est aussi avant l’heure du printemps arabe, une réponse aux attentes des Turcs face à l’armée. En effet en pleine "crise mondiale", lors du référendum pour changer la constitution (7) qui se déroule jour pour jour 30 ans après le coup d’état du 12 septembre 1980, il remporte une victoire.
L’AKP, poussé par une grande partie de l’opinion publique, promet un projet pour l’"Ouverture Démocratique". Par exemple, l’initiative civile "70 millions de pas contre des coups d’état", vient de mettre sur pied un tribunal de conscience pour juger les généraux putschistes de 1971 et leurs complices politiques. Ils n’ont jamais été inquiétés. Il faut relever que les généraux putschistes sont toujours protégés par l’attitude ambiguë du gouvernement de l’AKP et la demande des victimes pour les traduire devant des tribunaux est toujours refusée.
Cette initiative civile attire aussi l’attention sur le fait que l’armée a effectué depuis dix ans deux autres interventions directes dans la politique. Le 28 février 1997 et le 27 avril 2007.

D’ailleurs, comme il est constaté à la lecture de l’acte d’accusation du procès d’Ergenekon (8), qui a pour but le renversement du gouvernement issu de la mouvance islamiste, au pouvoir depuis 2002, quatre-vingt-six de ses présumés membres sont en prison et poursuivis par la justice dont des officiers, des journalistes, des hommes politiques et des membres de la pègre. Aussi, ces officiers ont préparé trois plans d’intervention entre 2003 et 2004. Pour l’AKP un os de taille reste présent, il faudrait épurer la hiérarchie militaire de sa composante laïcarde et kémaliste. Dans ce cadre, l’affaire Ergenekon est aussi considérée comme une riposte du parti d’Erdogan (premier ministre AKP) aux efforts du MGK (9) pour faire interdire l’AKP en 2008 par les tribunaux pour activités anti-laïques. Malgré la démilitarisation du MGK, les militaires continuent à dicter leurs choix.
Encore aujourd’hui, la constitution antidémocratique prônant la supériorité et le monopole de la race et de la langue turque (Articles 3, 42 et 66), imposée en 1982 par la junte militaire reste toujours en vigueur. L’article 4 déclare que l’article 3 ne pourra jamais être modifié, même la modification de cet article ne peut-être proposée. L’état ne tolère aucun concurrent. Dans ce cas, pour ces sociaux-démocrates contrôler une armée forte toujours nationaliste mais épurée de sa composante kémaliste reste un outil de circonstance pour réprimer d’éventuelles révoltes et intimider ses voisins. De même en 1999, les juges militaires sont retirés des Tribunaux de sécurité de l’État (DGM) avec l’arrivée de l’AKP au pouvoir. En 2004, ces tribunaux sont supprimés.

Si les tentatives de négociation via certaines petites phrases, discours et diverses initiatives bidon du gouvernement AKP pour une résolution politique de la question kurde se fait jour dans les média, ce n’est certainement pas pour une empathie avec la population kurde mais bien pour endiguer une lutte des classes qui prend de plus en plus d’ampleur en Turquie, sur le terrain mais aussi dans les mentalités et qui va bien au delà de l’idée simpliste qu’il y aurait un ennemi de l’intérieur dans la pomme turque.
Cette lutte des classes au Kurdistan nord, mais pas seulement, s’exprime aussi au sein du mouvement du KCK qui prône une organisation démocratique de la société (15). Elle pourrait aussi faire tâche d’huile sur les luttes présentes et à venir dans l’ensemble de la Turquie d’aujourd’hui et de demain. Et pourquoi pas au-delà ? Dans beaucoup de luttes dans ces années 2000, Turcs et Kurdes se sont retrouvés ensemble à défendre des revendications, des droits sociaux aussi. Il y aurait 20% (10 officiellement) de la population active turque au chômage. Dans certains quartiers de villes majoritairement Kurdes, le taux peut atteindre 70%. Depuis la crise mondiale, même si la croissance est toujours positive après une chute libre (aujourd’hui, elle semble se stabiliser), les conséquences de cette crise se font sentir de plus en plus au quotidien.

Le parti de la guerre

De l’autre côté, nous avons les forces kémalistes en embuscade qui font de la résistance au sein de l’appareil d’État et menacent tout ce qui est différent d’eux. C’est le parti de la guerre. Ce courant a créé une société très chauvine et nationaliste. C’est une bourgeoisie compradore, rentière (voir aussi OYAK) qui envoie ses appelés à l’abattoir. Une bourgeoisie pan-turque très gourmande en argent et aussi en soldats pour sa besogne au Kurdistan nord (Pour les conscrits, ils doivent à l’état 18 mois, Kurdes compris).
Ce sont des jusqu’au-boutistes qui s’accrochent au budget qui leur est alloué. C’est à dire un tiers des recettes de l’État. Ils ne sont plus aussi influents que par le passé mais restent menaçants car ils contrôlent une bonne partie de l’armée. Mais, petit à petit, les institutions gouvernementales se vident de leurs soldats où leur place était prépondérante. Ainsi, le MGK est devenu, à partir de 2003, essentiellement consultatif, son secrétaire autrefois un militaire, est désormais un civil. Pourtant, le Haut Conseil Militaire (YAS), chargé de gérer le fonctionnement interne de l’Armée, continue de radier certains officiers considérés comme anti-laïques malgré l’opposition du gouvernement. Les militaires exercent une influence sur la vie économique turque par le biais de leur holding financière Sui Generis OYAK (10) et d’une série d’industries de guerre. Des liens avec l’OTAN et cette holding sont mis à jour. Au parlement, ces sociaux-démocrates pro européen sont représentés par le CHP (11), fondé par Atatürk, membre de l’Internationale socialiste. Principale opposition, aux élections législatives de 2011, il fait 25,98%.

Le MHP (12) anti-UE, émanation des Loups Gris du colonel Alpaslan Türkep fait 13,01 % en (2011). Il participe aussi au parti de la guerre.
Les centristes laïques, aujourd’hui au fond dans les sondages se sont un temps alliés avec le MHP. Cette force de la bourgeoisie a le même souci que l’AKP, tirer avantage de la mise au pas de la classe ouvrière et paysanne turque et kurde, dans la mesure où l’armée contrôle l’industrie de la défense, mais aussi plusieurs chaînes de distribution, des agences immobilières, des conserveries, des cimenteries, des industries alimentaires et automobiles (Renault par exemple), des banques et des assurances (10).
D’ailleurs ces dernières années, des grèves dures où Turcs et Kurdes se sont retrouvés à lutter de concert ensemble ont touchés toutes ces boites. Il faut dire que les migrants kurdes, assimilés ou non, ayant quitté leur Kurdistan natal se retrouvent aujourd’hui dans les grandes villes de Turquie et « le mélange territorial est très poussé entre ceux qui se considèrent comme des Kurdes et sont prêts à soutenir un mouvement de révolte kurde, et ceux qui se considèrent comme des Turcs » (J-P Derriennic, Presses de Sciences-Po, 2001). La Turquie est la plus grande prison au monde pour les syndicalistes et autres militants, elle les vide de ses droits communs pour les remplir des acteurs du mouvement social en ce moment (13).

Le KCK n’est pas une organisation mais un mode d’organisation

Aujourd’hui, pour le PKK/KADEK/KONGRA-GEL/KCK (3), l’idée d’un Etat-nation kurde en Turquie est abandonnée, comme par la plupart de la population kurde, au profit d’un autonomisme et de relation transfrontalière d’ordre confédérative et associative.
Pour le PKK, l’autonomisme n’est plus qu’un souci d’ordre bureaucratique. Tout en ayant pourtant à l’esprit que quelles que soient les institutions - éducation, justice, police etc. - celles-ci viendront toujours d’en haut dans un système représentatif tel que la Turquie. Aussi on peut dire qu’une autonomie restreinte à la culture et l’éducation par exemple préserve toujours la verticalité d’un pouvoir monopolisé par ces élites cooptées. D’ailleurs au Kurdistan, les anciennes structures communales islamistes (14) favorisent les seigneurs locaux et leur gardes inféodés au centralisme ottoman en Turquie, persan et arabe ailleurs, et ne favorise pas une démocratisation du pouvoir (15).

Dans une autonomie restreinte, la question de l’égalité, de la répartition des richesses et du pouvoir ne peut pas marcher. Ces questions passent à la trappe selon un rapport de force figé d’avance, verrouillé par ces même élites et notables, leur modèle institutionnel et leurs gardes.
De la réponse aux questions par qui et pour qui dépend aussi de la structuration des rapports de force en présence et de ses mouvements. Si on souhaite l’égalité, on ne peut se satisfaire des seules répartitions clientélistes des richesses par un état providence. Et la modification des structures du pouvoir et du partage démocratique doivent s’opérer si on veut une avancée qualitative.
L’autonomie circonscrite à l’éducation et à la culture n’est qu’un cache sexe afin de nier tout conflit dans une société de classe pacifié par le haut, afin d’endormir les plus exploités, les plus opprimés. Tout comme le nationalisme et le fascisme instrumentalisés par la bourgeoisie envisagent de régler le problème des conflits dû aux inégalités par des thèmes idéologiques interclassistes. Dans ce contexte à l’annonce du 12 mai 2005, le mouvement kurde va s’approprier la déclaration du système de l’Union des Communautés du Kurdistan (KCK) : « Le système des KCK (16) est le résultat d’une recherche d’organisation de la société puisée aux sources d’une lutte quotidienne pour la défense des libertés, en butte à une répression féroce dans l’indifférence générale... »

L’État turc suit au début attentivement cette forme d’organisation, dans les années 2005 à 2009 il n’est pas intervenu car il ne la trouvait pas subversive et elle correspondait bien aux idées mises en avant dans le cadre des négociations pour intégrer l’Union Européenne... Partout où la situation le permettait, ont été créés des Conseils de Citoyens Libres au niveau des communes et des quartiers.
« Le but de ces conseils est de donner naissance à une société capable de s’organiser contre la toute puissance de l’État. C’est-à-dire, contre quasiment toutes les institutions, y compris les mairies. A vrai dire, cette composition est née à partir du moment où les mouvements Kurdes ont renoncé à l’indépendance.
Pour les Kurdes participant à cette expérience, une structure sans État est aussi un gage de démocratie. C’est aussi la preuve de la bonne volonté des Kurdes de vivre en commun avec l’État actuel de Turquie (mais surtout avec les Turcs en général). C’est la partie démocratique du concept d’autonomie démocratique qui importe le plus. La partie autonomie n’est qu’une question bureaucratique... »
Il faut rajouter qu’il n’y a pas que des Kurdes qui participent à ces assemblées.

Dans un journal kurde, une personne à écrit que c’était le seul système qui pouvait sauver le monde et le Kurdistan d’un massacre écologique (17). Avec une telle vision, on peut commencer à se dire : « je dois mettre en place un système qui serait la somme de tous les rêves : des féministes, des communistes, des marxistes, des rêves du Che, des anarchistes » (un militant kurde).
Les Kurdes dans les années 90 ont commencé à définir ce nouveau système qui se dévoile de jour en jour jusqu’en 2004 où les choses se sont enfin plus concrétisées et sont sortis des textes pour aboutir à la déclaration du KCK.
Le PKK n’a plus de poids au sein des ces assemblées populaires pas plus que tel ou tel individu. Dans le cas où il y un membre du PKK qui participe par exemple. Du coup, la déclaration du système trouve d’autant plus de crédit vis à vis de l’ensemble des composantes de la société au Kurdistan et au-delà.
Pour les assemblées se trouvant dans les zones de conflit armé, c’est les forces armées d’auto-défense HPG et YJA-Star (branche féminine du HPG) qui garantissent leur développement pour le Kurdistan nord. Dans chaque pays où se trouvent des zones sous influence kurde, ces régions ont leurs propres organisations politiques ainsi que leurs propres forces d’auto-défense (3).

Les KCK, l’auto- émancipation en pratique

Dans chaque village ou ville, il y a des assemblées. Pour une ville chaque quartier et atelier ont leur propre assemblée. Des délégués sont mandaté-e-s par chaque assemblée pour aller à l’assemblée des villes. Car on ne peut réunir tout le monde. Les assemblées des villes prennent des décisions mais les assemblées de quartier peuvent, si elles le souhaitent, ne pas les appliquer. Ces décisions des assemblées des villes ne sont pas directement applicables. Il y a une autonomie des assemblées.

Dans beaucoup de petites villes du Kurdistan, les gens ne vont déjà plus voir la police, ni la justice de l’état turc. Ils préfèrent investir ces assemblées là où il s’en trouve ; elles ont pour fonction aussi de trancher les litiges. certains participants pensent que l’état au Kurdistan nord et Syrien n’a plus de raison d’être. De fait c’est déjà le cas. Personne n’est exclu dans ces assemblées, on peut aussi créer autant de commissions que l’on souhaite. Aucun débat n’est tabou. Tout le monde peut élaborer un projet collectif et intervenir. S’il se trouve moins de 40% de femmes au sein d’une assemblée, celle-ci ne peut commencer. La limite d’âge est de 16 ans mais dans une ville, il existe une commission avec des enfants entre 12 et 16 ans.

Pour chaque assemblée, on choisit 2 présidents, une femme et un homme, c’est obligatoire. Au début ce n’était pas le cas mais cela a créé une forte polémique, ce résultat relève d’un fort attachement au débat et à la mixité. Le président est appelé représentant-e, il/elle n’a pas le droit de prendre des décisions, il est la voix de l’assemblée, il est chargé de préciser le calendrier concernant les débats, de faire connaître les décisions. Puis, un ou une secrétaire est désigné. Il ne fait pas l’ordre du jour, c’est un corps désigné par l’assemblée sur le moment qui doit le faire. Ce corps, est chargé de faire respecter le bon fonctionnement c’est tout. Là où il y a une assemblée, tout le monde participe sauf la bourgeoisie qui préfère probablement les salons plus aseptisés. En Irak où la contestation dans la rue et chez les étudiants gronde, il y a de plus en plus d’assemblées populaires dans les universités mais les journaux n’en parlent pas.

Il existe aussi des assemblées en Europe, cela marche plus ou moins bien selon les villes probablement en raison de l’origine des migrant-es kurdes et selon leur degré d’assimilation ordonné par l’état turc sur leur sol natal. Exemple pour une assemblée d’une grande ville européenne, l’association culturelle gère tout un tas d’aspects locaux dont un lieu. Quand une assemblée s’est mise en place, la structure de l’association n’est plus devenue qu’une commission au sein de l’assemblée qui gère les problèmes bureaucratiques, techniques. Cela ne s’est pas fait sans débats et résistance car le président de l’association voulait garder ses prérogatives. Et du coup le pouvoir s’est réparti dans l’assemblée.

Par le passé comme dans beaucoup de sociétés rurales, quand une communauté kurde avait besoin de s’organiser pour certains travaux, elle se réunissait en assemblée. Tous les membres du village de la tribu décidaient par eux-même et en toute égalité. Aussi pour faire face à une rupture du pouvoir dominant, lorsqu’en mars 1991 en milieu urbain au sud du Kurdistan irakien pour faire face aux impératifs immédiats d’une situation chaotique provoquée par l’invasion de la coalition occidentale pour "libérer" le Koweït. A partir de Souleimaniye, se met en place un mouvement des Shoras (18). Il se propagea à d’autres villes kurdes d’Irak.

Comme nous l’avons déjà dit, dans les années 90, le mouvement kurde à bien changé au niveau des mentalités, du discours, même si les objectifs sont pareils, les pratiques ont bien changé du fait que la liberté d’un peuple ne peut venir d’un Etat-nation ni d’une quelconque organisation mais bien de la prise de conscience de l’exploitation, de l’oppression par l’ensemble de la population en mouvement. Dans ce cas, l’Etat pour les Kurdes est plutôt une source de malheur et la liberté ne dépend pas des élections ou des urnes seulement. Dans le système des KCK, personne encore ne peut savoir ce que cela donnera. C’est l’intention qui compte. Pour l’instant, nous n’avons pas assez de retours pour en tirer un bilan, ces assemblées représentent la somme des rêves de toutes les personnes de bonne volonté ou non qui y participent.
Ce que l’on peut dire c’est qu’ils tournent le dos à la somme de toutes les soumissions, exploitations, oppressions que subissent les Kurdes depuis des siècles.
Actuellement, le gouvernement de la Turquie accuse le mouvement des KCK d’être la branche politique du mouvement armé du PKK, de vouloir remplacer les institutions officielles dans le sud-est anatolien et de favoriser une insurrection dans ces régions. Pour cela une grosse répression s’abat sur toutes les composantes de la société au Kurdistan et des Kurdes d’Europe qui se sont appropriés ces pratiques émancipatrices. Toutes celles et ceux du mouvement qui y participent sont considérés comme terroristes.

Pour terminer, « les travailleurs ne pourront surmonter cette contradiction capitaliste, ce fait que de leur liberté juridique découlent leur exploitation et leur esclavage, que lorsqu’ils auront dominé cette contradiction politique qu’est la démocratie bourgeoise. Dans la lutte de classe d’aujourd’hui, cette idéologie est l’obstacle le plus important sur le chemin de leur libération » (19). Pour cela, nous devons nous départir de la politique des urnes, de la passivité qu’elle engendre et défendre l’idée que la libération ne passe pas par « l’installation d’une bourgeoisie nationale mais par une réorganisation de la vie sociale, de la création d’autres structures politiques de pouvoir que celles imposées actuellement, d’une réorganisation de la production orientée vers la satisfaction des besoins exprimés par les classes exploitées et non en fonction des “impératifs” du marché et du profit. Nous devons combattre les tactiques d’intégration dans les institutions et préserver l’autonomie des structures de contre-pouvoir qui se mettent en place, assemblées populaires ou autres. En même temps, combattre aussi les formes de revendications ou de luttes qui tendraient à renforcer le poids d’une future ou actuelle bourgeoisie, ou des notables » (extrait texte OCL).
La lutte actuelle des Kurdes a des aspects révolutionnaires dans la mesure où elle possède un contenu internationaliste, politique, social et conteste la propriété privée des moyens de production.

K.

Les sources sont les mêmes que dans la partie 1 + celles citées dans les notes.

___

Notes de la 2ème partie.

(1) Malgré la désapprobation d’Ankara, le mois dernier, avec l’alliance de l’ASL (Armée Syrienne de Libération) et du PYD (branche politique Kurde pour le PKK en Syrie), le conflit avec le régime baasiste au pouvoir prend une autre tournure.

(2) Sur les femmes, lire http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article673, voir aussi Courant alternatif n°229, "féminisme et antimilitarisme"

(3) Voir article Courant Alternatif d’avril

(4) PKK, KADEK, Congrès pour la Démocratie et la Liberté crées le 4/4/2002 ; CONGRA-GEL, Congrès du Peuple du Kurdistan créé le 15/11/2003 et le KCK déclaration du système de l’Union des Communauté du Kurdistan le 12/05/2005. Pour l’Iran c’est le PJAK, la Syrie, le PYD.

(5) L’AKP (Parti de la Justice et du Développement) est aux commandes depuis 2002 et fait de 37 à 49 % des votes depuis les années 2002 à aujourd’hui.

(6) Les candidats présents sur la liste d’un parti politique ne sont élus que si leur formation a obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au niveau national, si elle a présenté deux candidats à chaque siège de député dans au moins la moitié des provinces, et si elle est bien implantée dans la moitié des provinces et un tiers des arrondissements provinciaux.

(7) Aujourd’hui, l’armée n’est plus majoritaire à la cour constitutionnelle.

(8) Ergenekon, est une organisation clandestine chargée de créer le chaos et saper la stabilité en Turquie pour déclencher un coup d’état.

(9) MGK (Conseil National de la Sûreté), créé en 1961 après un coup d’état, il est transformé en véritable instance de contrôle par la Constitution de 1982.

(10) OYAK, ex : Oyak-Renault est un constructeur turc du groupe automobile Renault et fait partie de cette holding depuis 1969. Pour les ramification, surfez sur www.oyak.com.tr

(11) CHP (Parti républicain du peuple), fondé par Atatürk, membre de l’Internationale socialiste.

(12) MHP (Parti d’action nationaliste).

(13) http://kurde-moyen-orient.20minutes-blogs.fr/lutte-des-classes-syndicats/

(14) L’Agha était - et est toujours - un chef tribal que le gouvernement soutient sur le plan économique et technologique. (cf. http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article673)

(15) D’où l’engagement de beaucoup de Kurdes dans le projet d’indépendance kémaliste dans les années 1920 qui y voyait une porte de sortie de cette « arriération ».

(16) KCK, http://www.amitieskurdesdebretagne.eu/spip.php?article461&lang=fr

(17) En Turquie, il y a des conflits contre des barrages qui menacent les populations, la culture et la paix dans la région (chantage avec la Syrie et l’Irak).

(18) « shora » signifie « conseil ». Historiquement, on entend parler pour la première fois des shoras lors de la révolution iranienne de 1979 qui aboutit au renversement du Shah (l’insurrection populaire de mars 1991) ; http://www.infokiosques.net/lire.php?id_article=621

(19) Pannekoek dans Démocratie, fascisme, national-socialisme, Acratie.

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