Courant alternatif no 106 – février 2001

SOMMAIRE
Édito p. 3
FTP : procès d’actions directes antifascistes p. 4
Relance exemplaire à Saint-Nazaire p. 5 et 6
Emplois jeunes : quel avenir ? p. 7 à 9
Rubrique Livres & revues p. 10
Sciences & progrès : au nom de la raison p. 11-12
L’illusion d’un municipalisme libertaire p. 13 à 17
Initiative contre le Sommet des Amériques à Québec p. 18
La « démocratie » américaine en pleine forme p. 19-20
Rubrique Brèves : Répression contre des libertaires p. 20
Chiapas : répressions économique et « démocratique » p. 21-23
Rubrique L’Mouvement p. 24

ÉDITO
L’effervescence sociale pour défendre la retraite à quarante annuités dans le secteur privé a permis de constater quelques points. Contrairement à 1995, ce ne sont pas que les fonctionnaires « privilégiés » mais surtout les bataillons du privé, les « vrais » travailleurs selon le discours patronal, qui ont défilé. Depuis les années 80, un tel rassemblement de salariéEs aux statuts aussi différents est unique. Contrairement à ce que la propagande capitaliste veut faire accroire, la valorisation professionnelle et l’implication individuelle dans le travail ne sont pas intégrées au point que les individus puissent accepter sans broncher cinq ans supplémentaires d’aliénation et de galère.

Après le coup de l’UNEDIC et l’instauration du PARE, le MEDEF de nouveau mène l’offensive à la place de la droite politique pour démanteler le statu quo des droits sociaux, et pousser à la capitalisation et l’individualisation des retraites, afin de disposer comme ses homologues américains d’investissements supplémentaires. Deux mois avant des échéances électorales, le MEDEF offre ainsi à la gauche l’occasion de se mettre en valeur, et aux confédérations syndicales une occasion de mobiliser des salariéEs dans l’expectative, au risque d’isoler de nouveau la CFDT contrainte bon gré mal gré d’emboîter le pas aux manifs traîne-savates. Décidément le patronat ne doute ni de sa position dominante actuelle dans le rapport des forces, ni de la pacification sociale instaurée par la gauche politique et syndicale.

Mais il est vrai que les faits confirment une santé pétaradante du capitalisme : fusions pharaoniques, emprunts insensés (plus de 1 000 milliards de dollars pour réserver les droits européens sur les fréquences des téléphones mobiles de 3e génération), etc. La compétition économique fait rage comme d’habitude ; les boîtes licencient pour se délocaliser à la moindre diminution — ou opportunité — de rentabilité financière. Aux Etats-Unis, le « ralentissement économique » a provoqué illico des dizaines de milliers de licenciements. En Grande-Bretagne, Nissan gênée par la non-intégration de la livre sterling dans l’euro a annulé sa délocalisation en échange d’une subvention de 72 millions de dollars du gouvernement Blair !... En fait les seuls obstacles qui peuvent se dresser contre cette logique du capital, sont les limites matérielles de fonctionnement (comme en Californie avec la panne générale d’électricité, occasionnée par une désorganisation trop poussée du secteur de l’énergie) ou les prolétaires qui jettent l’éponge en désespoir de cause.

Dans l’Hexagone les conflits durs et désespérés de cet été (Cellatex, Adelshoffen…) continuent, comme la grève de la faim des traminots de Rouen début janvier, et à un degré moindre dans de nombreux secteurs comme l’agroalimentaire, les transports, les hôpitaux… pour des résultats souvent minces.

Pour renverser la situation, on ne peut émettre que des doutes sur les capacités et la volonté d’une initiative comme le Forum social mondial de Porto Alegre (cf. l’article sur le municipalisme libertaire) et toutes ses célébrités démocratiques, politiques et associatives, tellement présentables et si médiatiques. La révolte ne les concerne pas.

Et d’ailleurs la révolte, la Justice s’en occupe très bien comme les procès en cours le démontrent (cf. articles et nombreuses brèves). Les rebelles aujourd’hui, ça ne sort pas de prison. En partant de Washington, Clinton usant de son droit de grâce n’a oublié aucun cercle du pouvoir, famille, amis, donateurs, mais s’est bien gardé de gracier un Léonard Pelletier ou un Mumia Abu Jamal. De même à Paris, un Jean-Marc Rouillan en grève de la faim depuis 43 jours et une Joëlle Aubron depuis 18 jours qui luttent pour la libération d’un camarade tombé dans la folie sous les sévices, ça ne « concerne » pas le ministère de la Justice.

OCL Nantes, le 27 janvier 2001


PROCÈS D’ACTIONS DIRECTES À MARSEILLE
Après deux reports de procédure, Yves et William passeront en procès à Marseille les 6 et 7 février pour avoir lutté contre la lepénisation des esprits et de la vie quotidienne à Marseille entre 1991 et 1998.

FTP : un sigle, deux accusés principaux

Le 15 octobre 99, le SRPJ marseillais arrêtait Yves et William considérés comme les auteurs d’une série d’actions visant des locaux du Front national marseillais, une salle de restaurant accueillant un meeting FN, la villa d’un cadre lepéniste, la direction départementale du travail et de l’emploi, le consulat d’Italie, et pour finir le Stadium de Vitrolles où devait se tenir un concert de rock identitaire français à l’initiative de la municipalité mégrétiste. Ces actions revendiquées FTP (Franc-tireurs partisans), échelonnées entre juillet 91 et octobre 98, menées tantôt au cocktail molotov, tantôt à l’explosif, ont conduit à l’incarcération des deux militants.
Yves Peirat, qui assume et revendique seul l’ensemble des actions, est toujours détenu aux Baumettes. Ses demandes de mise en liberté ont été rejetées au motif fallacieux de risques de « troubles exceptionnels à l’ordre public » (alors que Yves avait cessé toute action depuis plus d’un an quand le SRPJ s’est finalement décidé à l’arrêter faute du flagrant délit attendu), mais surtout en raison de « la personnalité de la personne qui n’exprime aucun regret des actes graves qu’il reconnait avoir commis au nom de ses convictions politiques et les assume de façon déterminée ».
William Ferrari pour sa part, a été remis en liberté en février 2000 après 4 mois de préventive, et n’est poursuivi que dans le cadre de l’action de Vitrolles, dont les déclarations d’Yves le disculpe.
Une troisième personne est poursuivie, mais l’absence d’éléments a conduit l’instruction à la laisser libre, et le procès devrait lever les accusations policières.

L’action armée comme choix politique

L’investissement antifasciste d’Yves n’est qu’un volet des engagements révolutionnaires et internationalistes qui l’animent depuis plus de vingt ans. C’est un militant de terrain, toujours préoccupé par une diffusion sociale de ses convictions par l’investissement dans le tissus politique et associatif marseillais. Avant de faire le choix des armes, Yves a donc vaille que vaille tenté de résister publiquement au double choc de la crise économique et de son corollaire sécuritaire et xénophobe mis en musique par le FN mais instrumentalisé par une classe politique où le PS et ses satellites ont souvent tenu le pupitre de chef d’orchestre.
Le développement de l’appareil lepéniste dans les Bouches du Rhône, et surtout son imprégnation idéologique dans une base sociale de plus en plus étendue, ont conduit Yves à faire le bilan de l’action protestataire et à constater l’impuissance du front des démocrates antifasciste, comme des militants radicaux. Il a donc choisi, face à l’agressivité idéologique de l’extrême droite qui se traduisait aussi par des débordements meurtriers, de répondre par des actions menaçant directement l’infrastructure frontiste. L’échec des actions légales à contrer la violence de l’extrême droite, l’a conduit à un choix légitime de résistance active.
Yves a eu raison de s’attaquer directement aux infrastructures du FN quand aucune lutte collective ne parvenait à exprimer d’opposition radicale à la hauteur des nuisances du FN sur Marseille et sa région, ou à l’échelle de l’hexagone. Et pour cause : les démocraties ont toujours eu besoin de contre-exemples pour asseoir leur domination. Le nazisme, l’URSS, l’ennemi intérieur, le terrorisme, l’intégrisme, et le Front national ont été, à des degrés bien sûr divers, les épouvantails indispensables pour nous faire adhérer au « moins pire des systèmes possibles », tout en masquant ses propres crimes.
L’antifascisme à un tournant ?
L’antifascisme unitaire et démocratique, dont l’Appel des 250 ou le Manifeste contre le Front national étaient les plus beaux rejetons, a fait long feu : l’implosion de son fond de commerce avec la scission FN-MNR ont conduit pour le moins à sa mise en sommeil, que seules des opportunités électoralistes pourraient interrompre avec les prochaines municipales et cantonales .
En ce qui concerne la mouvance radicale, l’antifascisme stricto sensus s’étiole, et ses militant-es se tournent depuis quelques années vers les mobilisations «anti-mondialisation » et le terrain économique et social, pour recentrer leurs investissements sur une problématique anti-libérale.
Espérons que le bilan de l’antifascisme radical qui commence à se faire ici où là aidera à trouver des positions, des perspectives et des alliances qui se démarquerons des manifestations rituelles qui contribuent à la reproduction du système par la contestation de ses seuls excès, afin de situer clairement les enjeux en terme de rupture révolutionnaire avec le capitalisme.
Yves a sans nul doute le fruit de son engagement à verser dans ce débat. Ce n’est qu’une raison de plus pour le soutenir afin qu’il sorte libre de ce procès.

POUR EN SAVOIR PLUS

Manifestation à Marseille le 3 février (15h30, Porte d’Aix)
Rassemblement les 6 et 7 février (8h, devant le tribunal)

Soutiens à Yves et William
– Solidarité et Résistance antifasciste (SRA), 21ter rue Voltaire, 75011 Paris ou No Pasaran, même adresse, tél : 06.11.29.02.15)
– Anarchist Black Cross c/o Maloka, BP 536, 21104 DIJON Cédex
– Comité de vigilance pour la libération et la défense de William Ferrari et Yves Peirat c/o Théâtre Toursky, Passage Léo Ferré, 13003 Marseille.

Franc Tireur. Un combat antifasciste à Marseille
Ouvrage collectif, préface de Maurice Rajsfus, Editions Reflex, octobre 2000, 110 pages, 40 F en soutien aux FTP (en librairie, ou à l’adresse de No pasaran).

Dossier Fascisme & antifascisme
Numéro commun des revues La Griffe, et Réflexes, automne 2000, 15 F.
Ce dossier comprend, entre autres, un article intitulé « antifascisme 15 ans de faux semblant » qui propose un bilan critique très intéressant de l’antifascisme, et notamment des difficultés du courant antifasciste radical à se dissocier de l’antifascisme humaniste et frontiste, en dépit de l’étiquette radicale affichée depuis les origines.
Librairie La Gryffe, 5 rue Sébastien Gryphe, 69007 Lyon, ou à Reflex/No pasaran.

Philippe, le 24 janvier 2001

L’ILLUSION D’UN MUNICIPALISME LIBERTAIRE
A l’approche des élections municipales on voit refleurir, dans une partie du microcosme libertaire (en particulier sur Lyon) pourtant opposé à toute délégation de pouvoir, le débat sur une éventuelle participation à ce type d’élections locales. Il ne s’agit pas seulement de voter mais de se présenter avec évidemment un projet, à ce type d’élections qui seraient particulières en ce sens que se seraient les seules élections proches de la population, pouvant entraîner
une certaine mobilisation citoyenne (le mot est prononcé !) sur une réalité palpable par le commun des mortels résidant dans un lieu donné. Ce n’est pas nouveau. Par contre ce qu’il l’est, c’est que cette démarche s’appuie aujourd’hui sur un théoricien américain, Murray Bookchin, lequel prône un « municipalisme libertaire » qui a au moins le mérite de poser le problème d’un changement de société.

Un phénomène ancien

Ce processus d’attirance par des libertaires pour les élections locales s‘est toujours expliqué de diverses manières :
– Certains militants se demandent, de par leur pratique dans leur village, leur quartier, leur ville, si les élections municipales ne seraient pas une occasion de concrétiser leur implantation locale afin d’aller plus loin dans leur projet de société libertaire en mobilisant la population avec laquelle ils luttent quotidiennement afin de constituer de réels contre pouvoirs aux institutions. Reconnaissons que dans la période actuelle, malgré les derniers mouvements sociaux d’ampleur nationale (1995, Mouvement des chômeurs et précaires…), ces implantations locales se font plus que rares !
– D’autres, et parfois (seulement !) les mêmes, en ont marre de se cantonner au seul terrain protestataire activiste et déclamatoire de bonnes intentions. Ils veulent passer à autre chose, peser politiquement disent-ils, en étant porteurs d’une alternative locale et décident d’oser mettre le doigt dans l’engrenage de la démocratie représentative en espérant se faire ainsi enfin entendre. A noter que cette démarche est d’autant plus présente dans les périodes de recul de « l’utopie révolutionnaire » ce qui est actuellement le cas depuis déjà au moins une trentaine d’années.
– D’autres veulent tourner en dérision cette mascarade électorale à moindres frais... Et c’est de loin les plus sympathiques.

A noter que d’autres militants libertaires ont pu s’investir dans une démarche clairement politicienne, c’est à dire dans le cadre clairement défini de la démocratie parlementaire. Un communiste libertaire illustre – Daniel Guérin – n’était pas opposé à ce type de participation électorale (à la fin des années 50, des communistes libertaires se présenteront devant le peuple-électeur !). D’autres ont été amenés à participer, dans une période révolutionnaire (Espagne 36), à un gouvernement républicain s’opposant au fascisme, participation qui a montré clairement ses conséquences inéluctables anti-révolutionnaires par rapport au mouvement réel porteur d’un autre type de société (mai 37 à Barcelone) qui fut d’ailleurs massacré avec la caution anarchiste apportée au pouvoir.

Aujourd’hui, nous sommes dans une autre période et pour certains de ses militants, l’anarchisme serait à dépoussiérer, à adapter à notre société actuelle afin qu’il ait un avenir… car après la déroute du communisme étatiste totalitaire symbolisé par la chute du mur de Berlin en 1989, il y avait un espace à prendre. Cet espace aurait rapidement été occupé par les Partis Verts qui se sont « malheureusement » (mais il y a des malheurs complètement explicables), soi-disant à l’insu de leur plein gré, intégrés au paysage traditionnel politicien de la démocratie parlementaire. Cet espace serait donc à reconquérir…. Mais comment ?

Qu’allons nous faire dans cette galère ?

Le pouvoir municipal, le maire, ses adjoints et son conseil, constituent la première marche de l’édifice organique de l’Etat. En France, c’est la structure de base qui a permis à l’Etat nation d’asseoir et d’étendre son pouvoir dans les moindres recoins de son territoire. La « mairie » n’a pas pour seule fonction d’établir un budget concernant le quotidien de la commune, ses projets d’aménagement de son territoire, ses projets à caractère social, économique, culturel… Cela a toujours été le lieu de recensement de la population pour l’Etat qui lui a toujours servi et lui sert encore pour d’éventuelles mobilisations à vocations militaires ou civiles.

La « mairie » a une fonction de contrôle social important, indispensable à l’Etat et c’est ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, que nombre de secrétaires de mairies servent (et dans certains cas sont même appointés pour) d’indicateurs de gendarmerie ou de police… Ce contrôle social via la municipalité revêt bien d’autres aspects concernant tous les services de l’Etat qu’ils soient donneurs éventuels de subsides (comme la CAF) ou une fonction de contrôle des va et vient des populations (immigration, « gens du voyage », marginaux). Cette fonction de contrôle social est d’ailleurs d’autant plus efficace que l’entité communale est réduite ; là y règne une police de proximité : la gendarmerie (c’est à dire des militaires), qui n’a pas son pareil dans les grandes zones urbaines.

Le Conseil Municipal peut fonctionner formellement comme il le veut en respectant le fait qu’il doive se réunir au moins trois fois par an. Il peut, pourquoi pas et cela s’est déjà fait, organiser des assemblées générales de ses citoyens, voire des assemblées par quartier ; fonctionner, pourquoi pas mais là c’est beaucoup plus rare, suivant des principes proches de la « démocratie directe ». Et alors ! Chaque délibération part à la Préfecture pour un contrôle et si des décisions communales allant dans le sens opposé de l’Etat sont prises, la Préfecture a le pouvoir de les annuler, de les différer (la Préfecture peut refuser un budget municipal). N’oublions pas non plus qu’un simple citoyen, donc en particulier un notable-citoyen bien informé, peut saisir le Conseil d’Etat afin d’annuler une décision du conseil municipal non conforme aux lois de la République. Quand par exemple, et cela arrive très souvent, un Maire refuse d’organiser dans sa commune des élections régionales, nationales, la Préfecture tente toujours de les organiser à sa place et le Maire est sanctionné par une mise à pied de plusieurs mois. Quand cela va trop loin, le Maire et son Conseil peuvent être, par L’Etat, tout simplement démissionnés de force, et si lors de nouvelles élections municipales personne ne se présente… et bien la Commune est mise sous tutelle et est gérée par des fonctionnaires de la Préfecture.

Maintenant, concernant toutes les infrastructures dépendantes de l’Etat (routes nationales, autoroutes, TGV...), l’avis d’un conseil municipal n’est que purement consultatif. Il en va de même pour l’implantation de centrales nucléaires, de sites d’enfouissement de déchets nucléaires… Dans ce cas, bien sûr, pour asseoir ce type de projet sans que la population ne mobilise contre, il est important pour l’Etat d’avoir dans sa poche les élus locaux. Pour ce faire, il les achète d’une manière ou d’une autre. S’il n’y arrive pas, il a les moyens institutionnels de s’en passer. Mais les élus ont localement dans notre démocratie représentative (qui est bien imprégnée dans les esprits des électeurs même si une certaine crise se développe - voir plus loin), un certain pouvoir sur leur électorat, d’autant plus fort qu’il est de proximité. Tous ceux et toutes celles qui ont participé activement à des luttes locales savent à quel point les élus peuvent être les éléments déterminants dont nous nous passerions bien dans maintes situations! D’ailleurs, l’un des premiers combats essentiels à mener dans une lutte locale est de faire prendre conscience aux gens avec qui on lutte qu’on peut se passer des élus, qui ne sont que les représentants de base de l’Etat. S’ils entrent réellement dans une lutte fondamentale, ils doivent démissionner car ils ne sont que les fantassins de l’Etat. Il arrive que certains élus en prennent conscience et de facto démissionnent !

On ne doit pas oublier non plus que les municipalités sont progressivement devenues, depuis un siècle, des entreprises avec tout ce que cela implique (recherche de la rentabilité, pouvoir réel des technocrates dont dépendent totalement les élus, hiérarchie, clientélisme…). D’ailleurs, dans certaines villes moyennes, la « municipalité » est l’une des entreprises de la ville ayant le plus de salariés ; mais, libéralisme oblige, certaines dégraissent au profit de la sous-traitance afin de faire baisser les coûts salariaux pour tout ce qui concerne le quotidien, c’est à dire pour toutes les tâches d’entretien et de maintenance. Dans les villes, les élus ont effectivement le pouvoir de décision mais en fait, ils ne sont que les employeurs d’une entreprise permanente où les cadres supérieurs (les technocrates, les bureaucrates) sont bien les seuls à maîtriser certains dossiers sensibles.

En résumé, quand un « citoyen » s’adresse à sa mairie pour X raisons, il est et il sera de plus en plus considéré comme un client, comme à la Poste ou à la SNCF !

Y-a-t-il une crise municipale, voire une crise de la démocratie représentative ?

Je ne vais pas traiter ici, dans le fond, le problème de la montée de l’absentéisme électoral qui touche toutes les anciennes démocraties représentatives si ce n’est de rappeler que cette montée ne peut s’expliquer que par une défiance grandissante des électeurs (qui sont, en France, tout de même électeurs de leur plein gré car ils se sont inscrits volontairement sur les listes électorales et ont le pouvoir à tout moment de se faire rayer de ces listes contrairement à d’autres Etats, comme la Belgique, où l’inscription sur les listes électorales et le vote sont obligatoires) envers la classe politique censée les représenter. Cela m’apparaît comme une crise de représentation, mais nous sommes encore loin d’une crise remettant en cause les fondements même de la démocratie représentative. L’électeur « lambda », aujourd’hui écœuré par la classe politique, peut très bien demain retourner aux urnes pour un monsieur ou une madame « propre ». Sans un mouvement social d’ampleur, je ne vois pas comment il pourrait être entraîné dans le tourbillon d’un autre type de démocratie, où il serait un des acteurs remettant fondamentalement en cause ce qu’est devenu la politique depuis l’avènement des Etats Nations.

A noter tout de même que les élections municipales sont celles qui mobilisent traditionnellement le plus les électeurs surtout en dehors des grandes villes et cela d’ailleurs devraient encore se vérifier en mars 2001.

Concernant les élections municipales, notre démocratie représentative a émis des craintes qui dépassent ce phénomène de l’absentéisme : Y aura-t-il assez de candidats pour pourvoir tous les sièges de Maire dans les communes françaises ?

Si au niveau des cantonales, législatives, régionales, européennes, présidentielles, le nombre de candidats est en progression constante, il n’en va pas de même au niveau du poste de Maire. Dans ce système de délégation de pouvoir, le Maire est de loin le plus exposé aux sollicitudes de ses électeurs. C’est l’élu de base qui doit payer de sa personne sur des terrains touchant directement à la vie publique ou privée de ces concitoyens. Dans une société de plus en plus déstructurée, individualisée, … il peut être sollicité jour et nuit par des conflits de voisinage, familiaux… sa traditionnelle position de notable n’est plus ce qu’elle était sans compter que ses administrés n’hésitent plus à le traduire en justice en cas de grave pépin pouvant mettre en cause la municipalité. Cette crise n’est pas sans rappeler celle qui touche le corps enseignant, en particulier les instits.

Cette crise touche la base de l’Etat Nation. Elle effraie ponctuellement la classe politique qui a obtenu depuis sa création sa légitimité grâce à ce pouvoir local. Pour devenir député, ministre, à moins d’être un technocrate dans un domaine essentiel (santé, économie, recherche scientifique…), il n’y avait pas d’autres solutions que de passer par le statut de maire d’une grande ville, d’une ville moyenne ou tout simplement d’un bourg, première marche obligée d’une carrière politique.

Mais, tout laisse à penser que dans cette période de refonte des échelons hiérarchiques de la démocratie représentative dans le cadre supra-national de l’Europe, la classe politique saura trouver des remèdes juridiques (limitant la responsabilité juridique des maires), financiers (augmentation des indemnités), politiques en intégrant en son sein les bonnes volontés réformatrices (faire participer les associations à leur gestion), structurelles en diminuant à terme le nombre d’élus locaux de proximité dans le cadre de l’intercommunalité.

Dans un futur très proche, la commune va disparaître comme entité de base. Ce sera « le pays » en zone rurale, « les communautés d’agglomération » en zone urbaine. Tous les projets élaborés depuis 1980 sous le label de la « décentralisation » vont dans le même sens. L’Europe a besoin d’une autre structuration : « L’agglomération » ou « le pays » à la base, puis la région comme structure intermédiaire, en concurrence les unes par rapport aux autres. En France, à terme, les départements et les communes traditionnelles ne seront plus que des structures en voie d’extinction, réduites à leurs plus simples fonctions administratives, qui ne nécessiteront peut-être même plus d’élus spécifiques.

La démocratie participative

Le concept de la démocratie participative fut porté en France dans les années 60 par le gaullisme qui avait le souci de rechercher constamment une certaine symbiose entre le pouvoir d’Etat et les électeurs. Contrairement à ce qui est dit très souvent la démocratie participative n’est pas une réponse visant à limiter l’absentéisme, elle est d’ailleurs apparue bien avant la montée de l’absentéisme électoral et elle ne s’adresse pas à la fraction de la population qui est amenée à s’abstenir ; elle s’adresse justement aux électeurs/électrices qui votent mais qui par ailleurs participent à la vie locale en étant responsables d’associations à but non lucratif dans des domaines les plus variés. Ces associations sont très intéressées par le pouvoir local pour des raisons matérielles et financières. Elles ont besoin de subventions si modiques soient-elles, de salles, de locaux permanents. Ses responsables sont généralement des personnes ayant ou se donnant du temps disponible. De plus elles connaissent beaucoup d’autres personnes, elles brassent énormément d’informations locales dans leur domaine et peuvent être porteuses de revendications réalisables au niveau municipal. Elles sont indispensables à L’Etat Nation et pour tous ceux et toutes celles qui veulent conquérir ce pouvoir représentatif à sa base. C’est ainsi que les responsables associatifs reçoivent du courrier des idylles dont la fréquence augmente en période électorale, sont sollicités pour donner leur avis sur tel ou tel sujet …

La classe politique a tout intérêt à faire participer ces personnes-relais afin qu’elles donnent leur avis. Cela lui permet de prendre le pouls de ses sujets/électeurs, de leur piquer éventuellement des idées pour ses programmes électoraux, de recruter de futurs élus de base pour sa chapelle et aussi d’avoir des interlocuteurs représentatifs qui dans leur association spécifique reproduisent très bien la délégation de pouvoir. C’est ce qu’on appelle s’implanter !

Ce type de démocratie participative est aujourd’hui prônée par quasiment toute la classe politique, de la droite à l’extrême gauche (LCR car Lutte ouvrière reste sur les schémas traditionnels du centralisme démocratique) et il suffit de regarder le contenu formel de toutes leurs propositions pour s’apercevoir que la participation qu’ils sollicitent des électeurs est strictement du même tonneau. Cette démocratie participative a des fonctions précises : garder ou conquérir un pouvoir local et perpétuer le système de délégation de pouvoir.

Mais il y a un autre type de démocratie participative, celui qui émane non pas du pouvoir mais des gens regroupés le plus souvent dans des associations les plus diverses qui revendiquent, luttent pour ou contre telle ou telle chose. Là, nous sommes dans une situation de lutte, donc différente de la précédente. Ce type est d’ailleurs antérieur au précédent, on peut même affirmer qu’il a contribué largement à donner naissance à la démocratie participative pratiquée aujourd’hui par la classe politique. Dans l’après 68, on utilisait un autre vocabulaire : « L’autogestion » ! Il y a eu des tas de « mairies frappées d’autogestion » (1) où des associations d’habitants ont gagné des réalisations concernant l’urbanisme, l’aménagement de la cité en faisant céder le pouvoir ou en participant à celui-ci dans les municipalités concernées. Ces mouvements ont eu (et peuvent avoir encore ?) des aspects intéressants dans les formes de lutte collective (certains n’hésitant pas de parler de démocratie directe) mais aussi dans leurs réalisations concrètes. C’est du réformisme, du vrai, qui a son utilité sociale. A cette époque, certains rêvaient que cette « autogestion » se généralise à tous les aspects de la société faisant ainsi disparaître le capitalisme. C’était du rêve car ces formes autogestionnaires ne s’attaquaient pas aux fondements même du capitalisme, et comme tout réformisme, permettaient à celui-ci de s’adapter et de se modifier pour mieux perdurer. Le problème n’est pas de savoir si nous devons faire ou non du réformisme, à un niveau ou un autre nous en faisons tous, mais d’analyser :
– Ce qui peut être porteur de rupture avec la domination au sens large comme ce qui peut être intégrateur.
– Pourquoi on gagne sur telle ou telle revendication et pourquoi on perd sur telle autre.

Dans le cas de la démocratie participative des années 70, ces pratiques « autogestionnaires » existaient déjà parce que la gauche était exclue du pouvoir central aux mains du gaullisme ou de la droite (de 58 à 81). Quand en 1981, Mitterrand , le PS et le PC obtiennent enfin les rennes de l’Etat, ils se font élire entre autre grâce à tout ce mouvement associatif…. Et ce mouvement va lui donner une partie de ses futurs élus de base et va rapidement quasiment disparaître car il s’est institutionnalisé. C’était logique, d’autant plus qu’il était porté par des nouvelles classes moyennes exclues à cette époque du pouvoir et qui finalement y aspiraient profondément.

L’intégration est la plus grande force du système capitaliste et de l’une de ces formes de gestion (car la dictature en est une autre…) : la démocratie représentative.

Le théoricien américain Murray Bookchin veut répondre à ce problème qui a fait sombrer ce que beaucoup ont appelé la Nouvelle gauche dans les années 70 en donnant au départ à un mouvement de « municipalisme libertaire » un but global d’une nouvelle société, but dont il ne faudrait jamais s’écarter...

Un bref aperçu du « municipalisme libertaire » de Bookchin

Cela fait partie d’un tout, c’est à dire d’un nouveau projet de société. Ce projet part d’un constat : La crise écologique limite de façon dramatique les choix que nous pouvons faire pour notre propre avenir :
– renverser l’ordre établi pour réaliser une société écologique et libertaire abolissant la domination de l’homme sur l’homme et de l’humanité sur la nature.
– ou régresser en tant qu’espèce.

Bookchin est connu pour avoir donné un contenu au concept de « l’écologie sociale ». Il a développé des critiques fondamentales concernant l’écocapitalisme, l’intégration des partis Verts aux institutions des Etats Nation, le mysticisme d’un certain mouvement écologiste (les fondamentalistes) qui fait de l’écologie une religion. Pour lui, une société écologique ne pourra être que non hiérarchisée, donc sans classes, ni Etat. Pour cela, il faut revenir aux fondements de l’anarchisme. Le but est bien défini comme étant le renversement du capitalisme et son remplacement par une nouvelle société écologique fondée sur des relations non hiérarchiques. Sa dénonciation de la hiérarchie est globale et revêt toutes les formes de domination (sociale, patriarcale, culturelle…).

Pour arriver à ce type de société, Bookchin ne croit plus à l’insurrection prolétarienne ni même à toute confrontation armée – même faiblement – avec un Etat nation moderne qui a tous les moyens d’écraser tout mouvement porteur d’un tel projet de société. Pour ce faire, il ne reste plus qu’à passer par un processus très lent reposant sur une éducation politique se développant à travers une participation politique construite autour de l’établissement de contre-institutions s’opposant au pouvoir de l’Etat nation. Son cadre d’action concret ne peut être que la commune, la municipalité. Pour lui, l’organisation des hommes au sein de cités dans certaines sociétés antérieures au capitalisme (dans des villes de Mésopotamie, dans la Grèce Antique, dans les bourgs médiévaux, …), malgré leurs nombreuses imperfections, ne se résumait pas à des techniques de gestion de la société mais était un véritable mode de vie suivant des principes éthiques et rationnels conformes à certains idéaux de justice et de bien-être. Cette amorce d’une réelle citoyenneté fut par la suite détruite par l’avènement des Etats nations où la gestion des affaires publiques est devenue le domaine exclusif des politiciens et des bureaucrates. Il prône donc une politique, en dehors de l’Etat et des partis, dont la cellule véritable serait la commune, soit dans son ensemble si elle est à l’échelle humaine, soit à travers ses différents quartiers. C’est à travers la commune que les gens peuvent se transformer eux-mêmes en devenant un corps politique novateur créant une véritable vie civique vitale. Bien sûr, la forme d’organisation non hiérarchique, la démocratie directe, est décrite avec ses coordinations d’assemblées populaires à travers des délégués pourvus d’un mandat impératif, soumis à rotation, révocables à tout moment. Cette conception municipaliste repose sur la conviction que chaque citoyen doit être considéré comme compétent pour participer directement aux affaires et devrait être encouragé pour le faire. Quant à l’économie, Bookchin propose une municipalisation de la propriété des moyens de production opposée aux traditionnelles privatisations ou nationalisations pour en arriver à une approche différente de l’économie. La fameuse maxime « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » se trouverait institutionnalisée comme une dimension de la sphère publique.

C’est un résumé très succinct d’un des textes de Bookchin extraits de « From Urbanization to Cities », traduit par Jean Vogel pour la revue Articulations, publié par Alternative Libertaire belge dans son numéro d’été 2000, par la revue Silence en octobre 2000… ; c’est apparemment le texte référence des partisans actuels du municipalisme libertaire. Mais Bookchin a depuis semble-t-il évolué en proposant, dès aujourd’hui, une participation libertaire à la vie et à la gestion municipale. Il propose même d’utiliser les élections municipales pour en faire un moment d’éducation populaire (alors qu’il disait auparavant le contraire), de constituer des assemblées populaires et de se présenter à des postes électifs afin que naissent des municipalités libertaires où règnerait évidemment la démocratie directe. Toute dérive serait évitée par un programme clair dont l’objectif final serait la destruction de l’Etat !

Quelques objections de fond

Bookchin critique très bien l’Etat nation, les partis politiques qui ne sont que des répliques de l’Etat, la démocratie représentative. Ce qui choque c’est qu’il réduit cette démocratie représentative à son seul aspect parlementaire. Cela signifie-t-il qu’aux USA les municipalités auraient une marge d’autonomie vis à vis de l’Etat qu’elles n’ont pas en France, en Europe, telle que des libertaires puissent s’en servir comme d’un levier afin de balayer l’Etat et le capitalisme ? On peut en douter !

Ensuite, ce qui est étonnant c’est cette démarche menant à une société nouvelle faite de petits pas (très formels d’ailleurs) se déroule sans affrontements avec les tenants du régime parlementaire, comme si tout pouvait se passer en douceur, sans révolution (mot que Bookchin a banni de son répertoire). Ce n’est pas très sérieux, on nage en plein idyllisme, un peu à la mode Proudhon, voici 150 ans, avec la multiplication de ses coopératives qui allaient étouffer le capitalisme naissant. Le plus drôle c’est quand il veut donner des exemples prouvant que son projet de société est réalisable, il cite « la Commune de Paris », « la Révolution en Espagne en 1936 »... des évènements où, c’est le moins que l’on puisse dire, les affrontements armés étaient omniprésents et avaient impliqué une réorganisation collectiviste de la société. Non, il est impensable qu’un changement radical de société se fasse sans un certain degré de violence, sans une « lutte armée » incluant toute une panoplie de méthodes de lutte comme la désobéissance civile, le sabotage, l’attentat ciblé… même si l’une des priorités de ce mouvement révolutionnaire sera d’éviter toute dérive militariste car la fin ne justifie pas n’importe quel moyen.

Maintenant, en remettant en cause la centralité des rapports de classe dans la société, il en vient à ignorer la lutte des classes dans tout son processus révolutionnaire. L’expérience de la démocratie participative à Porto Alegre au Brésil à l’initiative et sous la direction politique du Parti des travailleurs (qui comprend, entre autres, des trotskistes) nous le montre bien. Comme le prouve un très bon article de Paul Biono (2) : Quelle classe sociale a les moyens de participer à une telle expérience de démocratie participative dans la société actuelle en l’absence de mouvements sociaux globaux remettant en cause tout le système ? Les classes moyennes en recherche d’un pouvoir sur leur vie quotidienne ! Que cette expérience soit menée par des trotskistes n’y change rien. Le système de domination a bien rodé, depuis plus d’un siècle, toute une panoplie lui permettant d’intégrer socialement, économiquement, politiquement, la majeure partie de cette classe intermédiaire (tout du moins dans nos sociétés occidentales) comme il l’a fait pour le syndicalisme. Parions qu’un tel mouvement « municipalisme libertaire », s’il naissait, éclaterait rapidement et que des franges de celui-ci s’intègreraient dans le paysage politicien lui redonnant éventuellement un nouveau souffle «participatif». Si les Verts (allemands et autres) se sont rapidement intégrés, ce n’est pas seulement à cause de leur projet de société, mais c’est aussi à cause des moyens institutionnels utilisés (la démocratie représentative, pas seulement parlementaire), leur absence de contenu de classe, leur absence d’appréhension et de prise en compte de toutes les facettes de la domination.

Ce qui est absent dans les théories de Bookchin c’est bien la notion fondamentale de mouvement et sans mouvement les gens ne peuvent que reproduire très majoritairement l’idéologie dominante ; seule une infime minorité qui a acquis une certaine contre-culture grâce à son éducation, ses rencontres, ses échanges dans des mouvements sociaux antérieurs auxquels elle a participé, … peut être porteuse de projets allant à contre-sens de la domination. Mais il ne faut jamais oublier que cette infime minorité est la plus exposée à l’intégration, sous une forme ou sur une autre, par le système dominant.

Le problème c’est que ce type de mouvement ne se décrète pas, il n’est pas non plus imprévisible si ce n’est pour les politiciens et idéologues car il est une réponse logique à un certain nombre de facteurs convergents dans une période donnée. Je ne mythifie pas le « mouvement social », tout ce que je sais c’est que ce n’est pas l’addition de militants associatifs, politiques, intervenant sur le chômage, le logement, l’immigration, les droits, la mal-bouffe, … Il ne faut pas nier leurs éventuelles influences positives comme les éventuels freins dont ils seraient et sont bien trop souvent porteurs.

Un processus révolutionnaire ne pourra véritablement s’enclencher lorsqu’une importante minorité agissante aura rien à perdre et surtout tout à y gagner ! Que les pessimistes rentrent chez eux car cela c’est déjà produit dans l’Histoire humaine et cela se reproduira nécessairement demain ou après-demain, ici ou ailleurs, en espérant que le « ailleurs » sera aussi le « ici », et réciproquement, car nous ne pouvons plus raisonner en dehors de l’échelle planétaire.

Et aujourd’hui, que fait-on ?

Il ne s’agit pas d’attendre qu’un réel mouvement social porteur d’un nouveau projet de société (qui ne soit pas une autre version du capitalisme) veuille bien s’enclencher. D’ailleurs ceux qui se contentent d’attendre ne voient généralement rien venir… même quand çà vient !

Il ne s’agit pas non plus de réciter des schémas pré-établis, prêts à porter fussent-t-ils libertaires. L’Histoire peut bégayer, elle peut aussi s’emballer. La seule chose dont nous sommes sûrs c’est qu’en certaines périodes des mouvements tendent vers l’auto organisation non pas par idéologie mais par nécessité, par efficacité au regard du contenu rupturiste dont ils sont porteurs.
Se pose donc le problème de l’intervention des minorités agissantes qui peuvent avoir une réelle influence positive ou négative (tout dépend de quel point de vue on se place) sur certains mouvements sociaux quand ceux-ci se manifestent.

Il y a toujours eu et il y aura toujours deux grandes tendances :

– Celle qui ne conçoit pas autre chose que de se servir des institutions existantes. Cela peut passer par la recherche d’une prise de pouvoir d’une structure politique qui va du plus bas de l’échelle de la démocratie représentative au sommet (hier et aujourd’hui de l’Etat nation, demain de toute structure supra-nationale). Mais c’est aussi la recherche d’une prise de pouvoir dans toutes les structures syndicales, associatives… qui respectent le cadre façonné par le système dans ses fonctions d’intégration et de récupération. Les moyens de cette pratique allaient traditionnellement de l’entrisme institutionnel plus ou moins caché, à la prise autoritaire d’un pouvoir structurel. Maintenant avec la crise du militantisme politique ou syndical et plus globalement la progression de la dépolitisation, un militant dynamique, quelque soit son étiquette, peut acquérir, s’il le désire, de « hautes » fonctions représentatives au niveau politique, syndical ou associatif...
– Celle qui considère que les institutions existantes sont à combattre et que si nous sommes amenés à participer à l’une d’entre elle ce ne sera pas pour y prendre un quelconque pouvoir… ni surtout pour se faire des illusions sur l’éventualité de la transformation de cette institution en une arme contre le système qui l’a créée. Cette tendance peut être amenée à créer des « alternatives » qui peuvent d’ailleurs se transformer, dans le temps, en de nouvelles institutions du système. Nous ne devons jamais oublier qu’une « alternative » peut être simplement une bulle de liberté pour quelques personnes privilégiées dans un domaine et un lieu donnés… En fait les seules alternatives qui doivent retenir notre attention sont celles qui sont amenées directement à être, aujourd’hui ou demain, des outils sur un terrain de lutte, à entrer en conflit avec l’institutionnel.

En fait à l’OCL nous avons toujours été dans cette deuxième tendance mais il y a toujours eu des militants se réclamant de l’anarchisme dans les deux tendances, de 36 en Espagne aux derniers mouvement sociaux (même si l’ampleur n’est pas la même…). Il nous est arrivé bien des fois d’être dans un autre camp que celui d’autres communistes libertaires qui avaient choisi l’institutionnel contre l’autonomie d’un mouvement.

Maintenant, nous devons nous méfier de ceux et celles qui jettent aux orties ce qu’ils ont jadis adoré. En effet, dans le municipalisme libertaire le lieu d’habitation est considéré comme étant le lieu exclusif d’une pratique pouvant amener une autre société avec justifications historiques citoyennes à l’appui ; les autres lieux dont celui du salariat, de l’exploitation capitaliste, n’existent plus ! Etrange pour un contenu anticapitaliste, à moins que la forme, la démocratie participative anti-chambre de la démocratie directe, ne devienne un but en soi. Et je ne vois pas là-dedans le contenu d’un nouveau projet de société pourtant esquissé par Bookchin dans d’autres parties de ses écrits. Il me semble que les partisans du municipalisme libertaire dans le cadre de notre société actuelle soient bien pâles, et un noir et rouge pâle cela donne quoi ?

Alors que peut-on faire en dehors de tout mouvement social ? Des tas de choses et surtout pas se présenter à une quelconque élection de leur démocratie. On peut lire, analyser, rencontrer des gens qui luttent ici ou ailleurs, échanger, participer à de réelles alternatives, bouger, se solidariser, lutter au quotidien… en d’autres mots : se politiser dans le réel.

Denis, OCL Reims, janvier 2001

1. « Mairies frappées d’autogestion », Christophe Wargny in « Débattre » n° 10. [retour au texte]
2. « Le cas de Porto Allegre au Brésil », Paul Biono, hors série du Monde Libertaire n° 14, printemps 2000. [retour au texte]


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