Courant alternatif no 107 – mars 2001

SOMMAIRE
Édito p.2
Séoul, autre lieu anti-mondialisation p.3
Davos est Partout p. 5-6
Non au travail de nuit ! p. 7-8
Anti-nucléaire p. 9-10
Rubrique Flics et militaires
Uranium appauvri p.11-12
Les élections à Toulouse p. 13-15
Rubrique Livres et revues
Fissures dans la Françafrique ?
p.17-18
Répression en Turquie p. 19-20
Chiapas (2e partie) p. 21-23
Rubrique L'Mouvement

ÉDITO
Depuis quelques années, la mode est aux grands rassemblements gauchistes ; de “l’intergalactique” des zapatistes aux “Bové parades”, le processus est similaire : un mouvement populaire nécessitant un soutien large finit par drainer des “V.I.P” indésirables étalant leurs idées fumeuses. Les ingrédients aussi sont toujours les mêmes : grandes théories réformistes et bonnes intentions, le tout servi dans un contexte “couleur locale” avec bonne bouffe à la clé. Les gesticulations spectaculaires des sociaux-démocrates de tous poils ne nous interpelleraient pas plus que çà si elles ne dévoyaient pas des initiatives et des luttes intéressantes, ou si elles ne servaient à détourner les velléités contestataires d’énormément de gens. Quantité d’incontrôlables et autres révolutionnaires ne s’y trompent pas et nous rappellent que les luttes sociales ne sont pas menées par les politicards. Finalement, il peut paraître opportun à certainEs d’entre nous d’être présentEs à Seattle, Prague, Nice ou Davos ainsi qu’au sommet des Amériques au printemps prochain ; la perspective de reprendre possession des rues tout en perturbant quelques rencontres au sommet ne peut que nous attirer.

Toutefois, le manque de débats de fond quant au(x) but(s) de notre présence en de tels lieux nous paraît symptomatique du manque général de projet chez les révolutionnaires. Aux réunions précédant Amsterdam, Prague ou Nice, n’ont été abordés que les aspects logistiques. De même, sur place, ni cortège libertaire, ni forum digne de ce nom, seules les batailles de rue semblent avoir de l’intérêt. L’absence de plate-forme politique au sein des mouvements anarchistes devient un réel handicap face à la montée en puissance d’ATTAC et autres réformistes… dont le discours, paradoxalement, est légitimé comme opposition réelle par la présence des “casseurs”. Si nous ne cédons pas le pavé aux flics et autres forces répressives, ce n’est pas pour l’abandonner aux professionnel, de la subversion mondaine qui se rendent à Nice en première quand d’autres se font tabasser sur le quai, qui vont parader à Porto Alegre en classe affaires quand d’autres regagnent le Mali ficelés et bâillonnés.

Ils fustigent le néolibéralisme quand il faut mettre à bas le capitalisme, votent la parité quand il s’agit de détruire le patriarcat et parlent d’intégration quand il faut imposer la régularisation de tous les sans-papiers. Il est hors de question de partager quoi que ce soit avec ces gens qui, malgré leurs discours poisseux, parviennent à séduire des individuEs intéressantEs qu’il est fondamental de sensibiliser à nos idées. Pour ce faire, il est indispensable de ne pas “débarquer les mains vides” lors de ces mobilisations “anti-mondialisation”. A l’heure où l’on parle d’unité des libertaires, peut-être est-il temps - au moins - de se retrouver pour se mettre d’accord sur les axes et méthodes de luttes contre le capitalisme et ses valets

Les mouvements sociaux ne tombent pas du ciel. Il faut aider à les dynamiser, si ce n’est les impulser…

Paris, le 23 février 2001


DE LA REPRISE DES TRANSPORTS DE DÉCHETS AU RECYCLAGE DES VERTS
Tandis qu’en Allemagne comme en France les écologistes semblent se satisfaire d’un hypothétique arrêt du nucléaire outre-Rhin d’ici à 2021, les deux pays vont reprendre leurs va-et-vient terrifiants de déchets avec l’aval des Verts allemands. Que feront leurs homologues français, eux qui se réclament du modèle germanique de sortie du nucléaire ? Rien de bien satisfaisant certainement. Mais certains antinucléaires, comme ceux du réseau “Sortir du nucléaire”, tentent de poser les problèmes autrement et d’échapper à l’enfermement institutionnel.

Il faut savoir arrêter de manifester…

On se souvient que, l’été dernier, un accord sur le renoncement progressif à l’énergie nucléaire (fermeture de la dernière centrale en 2021 !) avait été conclu en Allemagne entre la coalition sociaux-démocrates/Verts et les industriels de l’énergie. Un accord qui prévoyait la reprise – rapide, elle – du rapatriement des déchets nucléaires envoyés aux usines de retraitement française et britannique de la Hague et de Sellafield. Ces convois avaient été interrompus en 1998 suite aux nombreuses manifestations des écologistes et antinucléaires allemands. Il était à prévoir que ces derniers seraient réticents à l’idée que ces transports devaient être acceptés comme étape indispensable avant l’abandon définitif (1) du nucléaire civil. Et effectivement, les responsables du parti Vert ont dû monter au créneau pour faire avaler cette couleuvre à leurs militants. Leur argument ? D’une simplicité enfantine : L’Allemagne a “le devoir politique” de rapatrier ses déchets retraités à l’étranger, a affirmé Jürgen Trittin, le ministre allemand de l’Environnement, par ailleurs jadis partisan d’une ligne dure face aux exploitants des centrales nucléaires et chef de file des “Fundi” c’est-à-dire la branche considérée comme la plus radicale des Verts. C’est d’ailleurs en raison de ses positions plus “radicales” que celles de Fischer qu’il fut nommé à l’Environnement : un bain de “réalisme”, ça calme les plus ardents, un peu de pouvoir octroyé et exit les belles affirmations du passé. Bref, selon lui, les conditions juridiques et politiques étaient réunies pour accepter ce transport. Manifester serait par conséquent “politiquement inapproprié”, et il a appelé les militants écologistes à ne pas livrer la même guérilla que par le passé.

Il faut quand même signaler que la direction des Verts de deux régions (Thuringe et Basse-Saxe) entend ne pas répondre positivement à ces injonctions et a appelé à reprendre les manifestations pour empêcher les convois de déchets de circuler librement.

Nous verrons très bientôt ce qu’il en sera, car, si tout va comme les exploitants du nucléaire et leurs collaborateurs dans les gouvernements français et allemand le souhaitent, entre le 26 mars et le 8 avril 2001, six conteneurs “Castor” chargés des résidus radioactifs du retraitement des déchets nucléaires allemands prendront le chemin du centre de stockage intermédiaire à Gorleben, en Allemagne – et ouvriront donc la piste pour l’expédition de plus d’une cinquantaine de conteneurs “Castor” vers la Hague.

Une nouvelle coordination : Stop-Nucléaire

Si, du côté allemand, il est plus que probable que des mouvements importants se dérouleront, du côté français, ils risquent fort de se cantonner à des démonstrations symboliques, étant donné la faiblesse du mouvement antinucléaire. Il semble que le “Réseau pour une sortie progressive du nucléaire” ait quelques velléités de s’opposer aux convois de déchets. Mais, tenu en laisse comme il l’est par les Verts, il y a tout à parier que des tractations en sous-main auront encore lieu pour s’en tenir à un niveau symbolique et médiatique, c’est-à-dire acceptable par leurs alliés de la gauche plurielle. Mais peut-être sommes-nous là trop pessimistes ? Soyons quand même attentifs.

En fait, il y a beaucoup de choses à revoir dans le mouvement antinucléaire. C’est ce que pense la nouvelle coordination “Stop-Nucléaire” qui s’est réunie les 27 et 28 janvier à Paris. Elle regroupe différents collectifs antinucléaires de Bordeaux, Toulouse, Poitiers, du Limousin, de Bretagne, le collectif Stop-Nogent, la CNT-énergie, etc. Sans avoir la prétention de donner à elle seule une nouvelle impulsion au mouvement, et consciente de sa propre faiblesse actuelle, elle n’entend pas bluffer en alignant des listes de signatures factices. Elle entend simplement contribuer à la reconstitution d’un mouvement antinucléaire clair politiquement, correspondant à une implantation locale et se battant concrètement sur des bases politiques globales (ne reproduisant donc pas les erreurs du passé). Elle considère qu’il faut globaliser par une réflexion sur la critique totale de la société industrielle : avoir par exemple une analyse et une prise de position sur le combat contre les OGM, débattre sur la manière de combattre le nucléaire militaire, entamer une critique de la science, etc.
A son niveau, elle souhaite faire circuler des textes et des infos, favoriser les coups de main entre les groupes pour une apparition collective au plan local, et, autant que faire se peut… contre les forces politiciennes qui négocient en fait la continuation du nucléaire.

Un deuxième numéro du bulletin Stop-Nucléaire va voir le jour en mars (2).

Le rendez-vous d’octobre

Les Verts français entendent, semble-t-il, ne pas abandonner ce qui fut un temps la devanture de leur fonds de commerce : ils ont annoncé publiquement l’organisation d’une manifestation en octobre prochain avec tous les antinucléaires ! Sans consulter ces derniers, bien entendu ! Ainsi, même leurs alliés du réseau précité ont été pris de court… Certains ont jugé “maladroite” l’annonce prématurée de la manif. Echaudés par les volontés récupératrices des Verts par le passé, ils souhaitent, tout en jugeant l’initiative bonne, qu’il n’y ait pas, dans la manif, de signes distinctifs d’organisation – juste une banderole commune. Oui, mais qu’y aurait-il sur cette banderole ? Bien évidemment un slogan jugé de compromis, c’est-à-dire prônant une sortie progressive… c’est-à-dire sur la ligne politique des Verts. Et puis, même sans banderole d’organisation, les Verts sauront apparaître autrement, et finalement la manif sera perçue par les gens, aidés en cela par les médias, comme la manif des Verts.

Puisque les Verts la veulent avec tous les antinucléaires, il nous faudra être présents à cette manifestation… s’ils la maintiennent, ce qui n’est pas certain ! Présents avec toutes les forces se positionnant pour un arrêt immédiat du nucléaire ; avec tracts et banderoles dénonçant le modèle allemand de sortie du nucléaire tant vanté de ce côté-ci du Rhin. Présents sous la forme d’une contestation globale de la société qui nous impose le nucléaire, comme les OGM, sous couvert de progrès, alors que ce qui progresse réellement ce sont les mécanismes de l’exploitation et de l’oppression.

Notes :
(1) Cet accord sur un abandon “définitif” dans 20 ans étant lui-même une escroquerie puisque : premièrement, cela signifiait l’acceptation du risque majeur durant toute cette période, et deuxièmement il y a toutes les chances qu’il ne soit jamais respecté.
(2) On pourra se le procurer en écrivant à : CLAP, 20 rue Blaise Pascal, 86000 Poitiers.

JPD


NON AU TRAVAIL DE NUIT
Le gouvernement a décidé, par le biais d’un amendement au projet de loi sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, de se mettre en conformité avec le droit européen sur le travail de nuit des femmes.

En France, le travail de nuit dans l’industrie (usines, manufactures et ateliers) est interdit aux femmes depuis 1892.

Il était alors question de “protéger la matrice” et de veiller à ce que les femmes ne volent pas le travail des hommes, “la place des femmes étant au foyer et non à l’atelier”.

- 1953, la France, ainsi qu’un certain nombre de pays de la CEE, signe la Convention 89 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) datant de 1947 qui interdit le travail de nuit des femmes dans l’industrie entre 22h et 5h, et introduit dans le Code du travail l’article 213-1 qui va dans le même sens.
- 1976, une directive européenne, sous le prétexte de “l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes”, lève l’interdiction du travail de nuit pour les femmes et laisse aux gouvernements européens quatre ans pour revoir leur législation.
- 1987, le gouvernement fait adopter au parlement la loi Seguin sur “l’aménagement du temps de travail” qui, en douce, comporte une clause sur le travail de nuit des femmes dans l’industrie.
Concrètement, l’interdiction est levée, sous réserve de la conclusion d’un accord patronat syndicats au niveau de la branche et de l’entreprise.
- 1990, le Bureau International du Travail révise la Convention 89 ce qui aboutit, d’une part à lever l’interdiction du travail de nuit pour les femmes dans l’industrie, et, d’autre part, à une nouvelle définition de la plage horaire considérée comme travail de nuit.
• 1992, la France, mise en demeure de se conformer à la directive européenne du 9/2/ 1976 sur “L’égalité de traitement entre hommes et femmes”, dénonce la convention 89 de l’OIT et se propose de rédiger une nouvelle mouture du code du travail sur la question du travail de nuit: c’est l’avant-projet de loi Aubry. Mais l’article du code de travail n’est pas abrogé.

La Cour européenne de justice, qui trouve que la France lambine trop, la condamne d’abord verbalement le 13 mars 1997, puis d’une amende journalière de 950 000 F le 21 avri11999. Cela fait maintenant 23 ans qu’a été adoptée la directive européenne, et la France est désormais le seul pays européen où existe une loi nationale qui lui est contradictoire.

L’amendement gouvernemental

Les principales dispositions contenues dans l’amendement gouvernemental : l’introduction du travail de nuit doit être soumise à un accord d’entreprise; elle doit faire l’objet d’une consultation du CHSCT (Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail) ; la durée maximale de travail doit être de 8 heures ; il doit y avoir des contreparties sous forme de repos compensateurs ou de rémunération (avec préférence pour le repos) ; le suivi médical est obligatoire avec deux visites annuelles; si la personne en nuit est malade, un poste de jour lui est proposé; mais il est possible de la licencier si elle refuse ou si l’entreprise n’a pas de poste à proposer; il doit y avoir un système de protection pour les femmes enceintes avec transfert à un poste de jour s’il y a incompatibilité avec leur état de santé.

Le travail de nuit... nuit

L’être humain n’est pas fait pour travailler la nuit, cela va à l’encontre de son horloge biologique: le travail de nuit diminue la durée du sommeil; la personne ne dort pas au moment où le sommeil est le plus réparateur ; son sommeil est plus léger et entrecoupé de nombreux réveils, notamment parce qu’à l’heure où il dort tout bouge autour de lui et il fait jour; cela provoque insomnies, perturbations de l’humeur, dépressions, problèmes digestifs et cardio-vasculaires, et, pour les femmes, des cycles menstruels irréguliers, le danger de fausses couches et d’accouchements prématurés ; on peut ajouter à tous ces dangers celui de l’état de somnolence en dehors du travail qui enclenche des accidents de toutes sortes dus au manque de vigilance.

Il y a une différence entre les métiers où le travail de nuit est nécessaire socialement (services publics, santé, hôpitaux, transports, restauration), et l’industrie où seuls, productivité et profits compteront. Comment va-t-on empêcher la multiplication des travaux de nuit dans des secteurs où il n’y a pas de vraie nécessité ?

Nous reconnaissons que l’amendement a avancé sur les contreparties, mais avec quelles garanties ? La responsabilité de négociations est renvoyée aux partenaires sociaux. Or, on sait que les secteurs de l’industrie où le travail de nuit est le plus important sont à majorité féminine et peu organisés syndicalement. Par ailleurs, Lorsque des structures existent, il y a danger, à l’exemple de la CFDT qui accompagne ces mesures au nom de la soit disant égalité professionnelle.

La réalité du travail de nuit pour les femmes

Aujourd’hui, 650 000 femmes, soit 1/4 de l’ensemble des salariées, travaillent de nuit, principalement dans les secteurs de la santé, du commerce et des transports, dont environ 55000 femmes dans l’industrie.
Les femmes dans l’industrie occupent les métiers les plus dévalorisés, ceux qui requièrent le plus de minutie, de répétition, sans initiative, avec le plus de pressions sur les rythmes de travail. D’où une plus grande fatigue. Travailler en plus la nuit va aggraver les problèmes de santé physiques et psychologiques que nous connaissons déjà dans ces métiers.
Les femmes qui travaillent la nuit sont souvent volontaires, mais pourquoi ? La réponse qu’elles donnent en priorité est que ça leur permet de mieux s’occuper de leurs enfants et du travail domestique. On peut donc au moins en conclure que, pour se faire, elles égratignent leur temps de sommeil réparateur. Quelles conséquences sur leur santé ? Sur leurs rapports aux enfants et compagnons ?

Plusieurs études très sérieuses existent sur ce problème. L’une d’entre elles a mis en évidence que les femmes avec enfants dormaient 1 heure 30 de moins dans la journée que les autres salariées de nuit sans enfant. Pour elles, s’ajoute à la fatigue la peur de partir et de rentrer tard la nuit, peur justifiée par des trajets souvent longs et lointains.

Autre question: a-t-on mesuré les conséquences sur l’emploi des femmes de cette banalisation des travaux de nuit ? D’autant plus qu’on les trouve surtout dans les emplois non qualifiés réservés aux femmes! Vu le manque criant de gardes collectives et autres ?...

Un certain nombre d’entre elles ne vont-elles pas perdre leur travail, être obligées de démissionner parce qu’elles ne pourront pas faire garder leurs enfants ? Et les familles monoparentales (90 % de femmes) ? On sait que les femmes interrompent plus facilement leurs carrières professionnelles et changent plus facilement d’emplois que les hommes pour “concilier vie familiale et vie professionnelle”, comme on dit trop facilement. Cela va introduire une nouvelle inégalité pour les femmes dans le travail. Et une nouvelle sélection pour les femmes qui ne pourront accepter un travail de nuit parce qu’elles ne trouvent pas à faire garder leurs enfants ou que ça coûte trop cher.

L’argument porté y compris dans des groupes féministes des années 70 comme quoi son interdiction aux femmes serait un frein de plus à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, un maximum hypocrite, relève soit de la naïveté, soit de l’hypocrisie. Quand il s’agit d’aligner les salaires sur ceux des hommes à travail égal, ou de remettre en cause la flexibilité de l’emploi des femmes, ou le temps partiel, etc., le zèle est bien moindre de la part de nos exploiteurs.
Ce qui compte vraiment dans cette affaire, c’est de permettre aux entreprises de rentabiliser l’outil de travail par une main d’œuvre de nuit moins coûteuse et de flexibiliser les horaires au maximum.

Caen, le 19 02 01


TOULOUSE SOUS LE SIGNE DES ÉLECTIONS ET DES FLONFLONS DU CARNAVAL
Comment des poètes, des musiciens, des saltimbanques, des artistes s’invitent au bal des élections à Toulouse en sollicitant les suffrages de ceux et celles qui les font vivre, les ont aider à exister par le biais de la culture et du réseau associatif.

Culture et Politique

Aujourd’hui quand on parle de culture, il s’agit de politique politicienne et quand on parle de politique c’est de la culture politicienne dont il est question, car les listes électorales pour mars 2001 jouent la confusion des genres et pas aussi naïvement qu’on veut le laisser croire. Représenter les autres, parler en leur nom, donner du prêt à penser civique et du jeu et du pain aux pauvres et aux exclus, cette ambition des artistes proclamés candidats est dans l’ordre des choses (ordre républicain) de participer à la grande mascarade démocratique des élections. La démarche des politiciens nous est familière et il est aisé en interrogeant l’histoire proche des décennies passées de mettre à jour tous les mensonges, les promesses, pour certains les trahisons, qui ont contribué au maintien d’une caste au pouvoir. Concernant les “cultureux”, c’est un rien nouveau, on était habitué aux big concerts de soutien, aux pétitions de solidarité, aux prises de position par presse patentée de tel ou telle vedette du show business ; ils ou elles se portaient alors caution pour un programme politique, pour un candidat. Maintenant on assiste à l’entrée sur la piste des artistes eux-mêmes prétendant rallier les suffrages sur leur côte de popularité, leur bonne mine et leurs bons sentiments.

Liste Motivé-e-s

A Toulouse la liste des Motivé-e-s n’est pas une liste Zebda [groupe au hit des succès après le tube “mouiller sa chemise”] car nous dit-on “même si certains d’entre nous en font partie. Les membres de Motivé-e-s viennent d’horizons très différents.” En fait il n’y a que des potes à Zebda et tout le milieu culturel qui l’entoure et constitue le soutien logistique de la campagne électorale. Des listes de motivé-e-s ou apparenté-es, il semble qu’il y en ait un peu partout, pas loin de 25 (1) recensées dans des villes moyennes ayant toutes une banlieue, des cités et leurs jeunes à mobiliser, c’est une campagne ciblée. Après les émeutes dans les quartiers difficiles à vivre, la démarche de citoyenneté participative tombe à pic comme une pédagogie à retardement destinée à impliquer dans le jeu électoral les habitant-es de ces quartiers. La participation risque de s’arrêter aux urnes mais l’horizon électoral est assez vaste dans les années à venir pour maîtriser un nombre non négligeable d’électrices et d’électeurs citoyennement dociles. Le relais associatif – le tissu, comme disent les experts – emballe suffisamment d’énergies, de temps pour épuiser toute velléité de révolte. Ce ne sont pas les miettes du gâteau qui seront octroyées, non là il faut mettre les mains à la pâte pour participer à sa confection et n’en tirer à la fin que des miettes comme d’habitude !

Toutes ces listes entrent dans le jeu électoral sans aucune remise en cause du système, pas un groupe qui se déclare anticapitaliste, révolutionnaire ou simplement rebelle. A Toulouse la rupture toute tacticienne d’avec la LCR, tient pour la liste des Motivé-e-s de la démagogie anti-révolutionnaire (pour si peu que le soit la LCR !), d’une stratégie de récupération d’électeurs, d’électrices isolé-es, mécontent-es, mais sans volonté de détruire ce système, c’est la réforme à portée de mains.

La démarche des listes Motivé-e-s procède comme ils le déclarent : “de la démocratie, non seulement représentative, mais aussi participative” (2) leur programme est “résolument ancré à gauche, droit de vote des immigrés, citoyenneté pour tous, pacte républicain sans appeler à la révolution” et leur succès est tel que “même dans les classes aisées, des gens adhèrent à nos valeurs de gauche que sont l’esprit solidaire, la justice sociale, un regard moderne sur la mixité” on ne s’étonne pas de trouver sur leur liste une catholique motivée. Quant à leur rôle de rabatteur vers les urnes, ils l’affichent sans ambiguïté “on veut inciter les jeunes de toutes les origines à voter, même si les politiciens lassent”. Est-ce l’effet Zebda, ou le travail conjoint d’une association éphémère (3) créée pour la cause des urnes, au budget suffisant pour avoir les moyens de placarder des tas d’affiches pour l’inscription dans les mairies et contre l’abstention, sur les murs des facs, des quartiers périphériques (et à Utopia !) qui aurait fait grimper le nombre d’inscrits sur les listes de la commune de Toulouse : plus 20 000 dont près de 3000 jeunes de 18 à 25 ans, bravo ! Mais pour ne pas laisser en rade les natifs du début de l’année 2001, on pourra s’inscrire sur les listes jusqu’au jour même des élections, bonjour l’embrouille !

Programme, quel programme ?

Quant au programme de ces listes qui manient adroitement les valeurs de gauche, républicaines et non révolutionnaires, qui jouent de la morale, ce programme est aussi virtuel que les places dans la cour des grands qu’ils réclament. Que veut dire “solidarité avec tous” et “justice sociale” dans un monde capitaliste c’est quoi au juste, le RMI pour tous, des CES et emplois précaires garantis ? ou bien l’égalité des droits dans les geôles ? de quelle justice parle-t-on et dans quel monde ? Aucune revendication n’émerge contre les prisons, le capital, le patriarcat, le nucléaire, etc., seulement contre les excès à la manière des Attac et consorts. Ainsi le pourfendeur de l’ultra libéralisme et de la malbouffe, en direct de Porto Alegre, déclare partager “la démarche citoyenne de la liste Motivé-e-s et ses initiatives en matière de concertation avec les citoyens” et son avocate MC Etelin figure sur la liste des Motivé-e-s. Si ce n’est pas du bourrage de crâne citoyen, cela lui ressemble étrangement.

En fait, l’absence de programme constitue le cœur de la campagne : “on veut porter le débat pas les mots d’ordre”. Avec quelques contradictions qui font dire à la suite des commissions de travail : “on est parti sans programme pour arriver à un programme”.Le doute et l’absence de certitudes politiques n’empêchent pas de voir grand et d’imaginer un mouvement d’ampleur national sur le thème de ni parti, ni association (sic !), quelque chose d’autre, qui reste à inventer. L’imagination reste bien en panne à la porte des mairies [première marche de l’édifice organique de l’état] et “la projection d’un idéal de société” sonne aussi creux qu’une leçon d’instruction civique mais sert de réponse sociologique évidente aux émeutes des banlieues, à la rage des jeunes des cités et remplit son rôle de pompier républicain.

On pouvait penser que des formes originales de campagne, des désirs innovants justifieraient la singularité de la démarche électoraliste en se démarquant des autres listes en compétition. Sur la forme rien de nouveau : des débats, des commissions pour user la base, puis des affiches, des interviews et des concerts de soutien, un carnaval pourquoi pas, il faut amuser le peuple ! Sur le fond en lisant et relisant l’histoire des candidats et de leurs propres associations socio/éducatrices/animatrices /intégratives et culturelles, de ceux et celles qui les soutiennent, gravitent autour, ont fait un bout de chemin ensemble avant de vivre de leurs subventions particulières, il n’est question que d’attributions de lieux spécialisés dans le domaine des prétendants. Cela va de l’école de percussion, à une école de musique alternative au Conservatoire, d’ateliers d’artistes, de centre d’initiative culturelle pour la Samba, etc. Si un projet émerge de la municipalité justement dans le quartier Nord, fief de Zebda et du Tactikollectif (4), ceux-ci le récusent car trop grand, trop cher et surtout pour n’être dans ce projet que des partenaires parmi d’autres. Un de leurs amis l’accepte pour une école de musique (Ph. Metz pour Music Halle) ; ils avaient ensemble imaginé un café/musique “L’arène des rumeurs”, mais quand la municipalité propose chacun se retourne vers ses propres intérêts.

De la pertinence d’une liste culturelle

En épluchant les innombrables articles de presse, interviews ou tracts, il est difficile de comprendre la nécessité de présenter une liste de candidatures s’appuyant sur le domaine culturel. Bien sûr, cela permet d’avoir une couverture médiatique similaire à celle de la sortie d’un album, de se retrouver toutes à la fois dans les rubriques sociales, politiques et culturelles, de cultiver un look sympa, branché et cool, de quoi rassurer les 7 à 77 ans. La technique de propagande est calquée sur celle du marketing de consommation des produits culturels, elle cible un public potentiel ici c’est une population habituellement désintéressée du fait électoral mais très consommatrice de cette culture de rap, de théâtre de rue, de squats artistiques, de concerts dits alternatifs, de festivals et repas de quartier, de tag, etc. Il ne s’agit pas de marge mais bien de mode.

Le réseau des amis

Mais ce ne sont que des médisances, des ragots, bref de la jalousie peut-être face au succès dans les sondages, qui inspirent ces réflexions, puisqu’on les crédite de 10 voire 15% des intentions de vote, alors pour ôter le doute voici quelques morceaux choisis de faits satellitaires au phénomène en cause, ici. Parlons de Mix Art Myris, qui soutient la liste Motivé-e-s en organisant une vente aux enchères d’œuvres d’art au profit de la campagne électorale des Motivé-e-s, car cela coûte cher de jouer comme des grands ! Cette association déclarée à la préfecture est installée dans les anciens locaux de cette même préfecture en squat culturel, mais là le mot squat a plusieurs sens car il ne s’agit ici de rien de subversif, de clandestin, ni d’entrée en force dans les lieux mais de négociation avec les propriétaires (l’Education Nationale) et les institutions : le sous préfet à la ville s’est rendu plusieurs dans les lieux mais aussi tous les politiciens, des listes y sont passées ou presque, des Verts à la LCR au PS au PC et Motivé-e-s bien sûr ! La revendication est l’attribution d’ateliers d’artistes en centre-ville : “nous ne sommes pas des éducateurs sociaux” disent-ils, refusant de s’installer dans des quartiers dits sensibles. Tactikollectif qui, selon eux , pour échapper à la dépendance vis à vis des bailleurs de fonds dans le cadre de l’ex-assos Vitécri, devient producteur de CD et déclare pouvoir ainsi agir seul en soutien aux Sans/Papiers ou dans le cadre d’un festival de films à Empalot (quartier insurrectionnel en son temps). Samba Résille (association 1901) qui se scinde en deux groupes : l’un professionnel sillonne le pays et l’étranger pour animer des stages, des carnavals etc. ; l’autre associatif tourne autour de bénévoles pour tenir la maison sur place, à Toulouse. Un sympathique groupe de graffeurs qui s’étant exercé sur les murs de Toulouse a poursuivi sa carrière à Paris, New-York, Amsterdam, Vienne, Bruxelles, Cologne, et fait des fresques à thème, sponsorisées par Adidas entre autre, puisqu’il n’y a pas de commandes des institutions : “on travaille mieux avec les entreprises privées qu’avec la municipalité de Toulouse. Le graff est toujours assimilé aux tags et dégradations urbaines”. Rubrique Cinéma avec les complexes Utopia qui dans toute la France du Sud soutiennent ces listes à Avignon, à Bordeaux. A Toulouse les déclarations n’ont pas été aussi claires car ayant appelé dans leur gazette à voter pour la liste LCR/LO aux dernières élections il y a du brouillage sur la scène toulousaine, cela n’empêche pas de distribuer en grand nombre les tracts de la liste Motivé-e-s (5). C’est dans cette gazette qu’on a pu lire que la gratuité induit des comportements inciviques, argumentant de leur opposition à la carte de cinéma des complexes commerciaux donnant libre accès aux salles, il y est dénoncé le fait que le spectateur ne se sent plus obligé de rester jusqu’à la fin du film, qu’il peut circuler librement, bref que des incivilités ! Poursuivant la liste des sponsors et soutiens de la liste culture, il y a le patron du Bikini, salle de concert qui marche très, très fort, bien implanté dans le réseau toulousain, qui ne fait pas dans la gratuité bien sûr et qui se présente en dernière position sur la liste de... F. Simon, le candidat du P.S. ! (les amis de mes amis...) Nous retrouvons presque les mêmes dans un autre collectif le COUAC (6) pour un carnaval qui se veut une manifestation “militanto-festive, citoyenne et populaire [...] pour une autre politique culturelle à Toulouse” (NDR : les italiques reproduisent les paroles ou écrits des intéressés). Même le supplément Loisirs du journal local qualifie l’initiative de “carnaval à des fins politiques”.

On pourrait souhaiter une autre culture ici et ailleurs mais le projet des alternatifs de la culture des pauvres, des exclus, des étudiants, des jeunes, des beurs, des autres... ne fait aucune ombre à la culture officielle, celle des élites et de la classe bourgeoise qui affiche complet à tous les abonnements de théâtre ou conférences de vulgarisation de la pensée dominante (7). On peut gager de la réussite de leur action car ils auront des salles en ville et en périphérie, ils auront des subventions et le peuple pourra consommer des spectacles à prix modiques et faire la fête sur son lieu de vie (il faut éviter le déplacement des populations) comme alternative à la télé.

Tactiquement collectif et associatif

De la démagogie, de la tactique politicienne ces listes n’en ont pas le monopole mais de la part des professionnels de la politique représentative (les autres listes liées aux partis) on serait presque tenter de dire c’est normal, de plus ces derniers manipulent leur électorat avec des supports classiques de la visite au marché en passant par le costard-cravate avec les respectables Rotary et Lions’club comme F. Simon (PS) pour remettre un chèque à une association d’handicapés, par exemple et en s’appuyant sur un programme aussi vaste qu’inapplicable traitant de tous les problèmes de société sans en omettre un seul ; ils sont experts et polyvalents ; ont des idées sur tout ; sont compétents etc. L’apparition des artistes sur les listes électorales tient du détournement d’un capital culturel qu’ils n’ont pas construits seuls.

A Toulouse la reconnaissance associative de Zebda et de ses satellites s’appuient sur des événements culturels qui ont été aussi porté par le bénévolat, la gratuité et l’enthousiasme de faire dans un désintéressement total avec une autonomie revendiquée. Du festival Racines à celui de a Bouge au Nord, – ces festivals tournés vers les populations immigrées, victimes de l’exclusion sociale et raciste –, combien de temps, d’énergies, combien de forces et de potentiel créatif donné pour que quelques individus engrangent ce capital d’actions par le biais associatif et le portent aux urnes en 2001 ! Cela fera 100 ans que la loi sur les associations gère les activités extra professionnelles des citoyens et les politiques en récoltent les fruits en cette date symbolique. En son temps De Gaulle dans les années 1960 s’appuie sur le réseau associatif comme relais politique au travers de leur représentant qui pratiquent la délégation de pouvoir. “Cette démocratie participative a des fonctions précises : garder ou conquérir un pouvoir local et perpétuer le système de délégation de pouvoir” (Courant Alternatif n° 106 de février 2001)

Quelles différences ?

Un mot sur les autres listes et sur les différences essentielles pour la ville de Toulouse qui les singularisent entre elles. Sur la sécurité : de l’éducateur de rue à l’ex ministre de la ville en passant par le PS, selon eux la police de proximité a amené le calme dans les quartiers, mais ce n’est pas suffisant et F. De Veyrinas s’appuie sur les “associations qui ont pris conscience du véritable rôle qu‘elles devaient jouer”, pour la gauche il faut trouver des alternatives à la violence et augmenter le nombre d’éducateurs et d’animateurs. Sur les transports il y a la Droite classique avec sa deuxième ligne de métro et la Gauche avec un hypothétique tramway ; tous sont pour le vélo , le PS veut les mettre dans le métro et les Motivé-e-s proposent des locations à 10 f/jour. Et puisque nous sommes en Occitanie, les noms des rues seront traduits en occitan des Verts au PS, les premiers feront un “Ostal Occitania” les seconds une maison de l’Occitanie, ce qui veut dire la même chose ; la Droite a son association Convergence Occitane et une Flamme Cathare sur sa liste, et les Motiv’ et 100% à gauche disent vouloir aussi défendre la cause Occitaniste. C’est le PS qui a remporté le candidat du Parti Occitan en 20e position (J. Vilotte).

Mais les artistes ne sont pas en reste sur ces listes ici et ailleurs. Le poète Serge Pey (8) qui déclame, au micro de France Inter avec la fougue et ferveur qu’on lui connaît et jouant de la poésie des mots, son allégeance à la liste des 100 % à Gauche de la LCR, et à Uzeste c’est Bernard Lubat, coutumier du fait, qui brigue la mairie pour pouvoir organiser peinard et dans le confort ses petites festivités culturelles et gasconnes.

Difficile dans ces conditions de faire la différence car de plus dans ce milieu de gôche, l’union est de mise contre le danger suprême que représente l’extrême droite et tous unis (PS/Gche plurielle, LCR, Verts et Motivé-e-s) ils signent un appel contre la venue de Le Pen à Toulouse le 28 février.

Ni dieu, ni maire certes, mais méfions nous des artistes associativement organisés qui courent après les subventions et maintenant décident de se servir directement dans la corbeille grâce à une petite place qui leur serait réservée dans les mairies. “Bas les Masques”, slogan d’un carnaval mobilisateur et manipulateur, n’est qu’une coquetterie d’artiste pour mieux distraire et enterrer tout espoir de changement de société.

Chantale Efe

Notes
1. Bordeaux, Marseille, Grenoble, Nantes, Bayonne, Parthenay, Hyères, Chartres, Dreux, Gagny, Strasbourg, Mantes-la-Jolie, Angers, Montbéliard, Bègles, St Etienne, Sarcelles, Bondy, Fayence, Condom, Avignon, Bretigny sur Orge, Bondy...
2. Voir sur le thème de la démocratie participative l’excellent article paru dans Courant Alternatif n° 106, février 2001.
3. Dont j’ai oublié le nom, mais une demi page dans le journal local nous a informé de son existence sans en préciser ni le financement, ni le soutien politique et elle semble avoir disparu dès le 31 décembre, fin des inscriptions réglementaires sur les listes électorales.
4. Tactikollectif dont les membres sont issus de l’association Vitécri du quartier des Izards, veut s’autofinancer en partie et produit pour cela des CD : le Motivés avec l’appui de la LCR puis le 100 % Collègues avec toute la bande de potes autour de Zebda (à noter le nom de la liste LCR “100% à gauche”, slogan déjà utilisé pour les dernières campagnes.) Les amis de mes amis, etc.
5. Les Motivé-e-s’ précisent qu’ils ont divorcé avec la LCR car ce parti croit détenir la vérité universelle, ils jouent fort habilement du doute, du rien n’est définitif, personne n’a la vérité même pas nous ! et cela fait partie de l’orientation de leur campagne qui se veut hors des partis et des appareils, pour le premier tour à ce qu’il paraît !
6. Collectif Urgence des Associations Culturelles constitué de Mix’art Myris, l’Usine, Fédercie MidiPyrénées, Tactikollectif, Samba Résille, Terre Blanque, La Grainerie, Pluriel, et Guernica.
7. Pour ne citer que le GREP à l’initiative d’une librairie monumentale de la ville qui organise pour la modique somme de 70 à 90 F à l’Ecole de Commerce des conférences/débats dont le dernier intervenant présenté comme philosophe était Alain Finkielkraut et qui a réuni plus de 500 personnes sur plusieurs salles avec retransmission vidéo.
8. Poète, enseignant à l’université du Mirail, il a initié les rencontres internationales de poésie contemporaine et une revue dans ce domaine “Tribu”.


FISSURES DANS LA FRANCAFRIQUE
L'actualité de la politique africaine de la France, avec ses nombreux scandales, est très riche depuis quelques mois. En même temps, une association française – Survie – qui justement depuis plus de 15 ans dénonce cette politique est attaquée en justice par trois dictateurs-présidents africains pour "offense à chef d'Etat" après la parution d'un livre intitulé "Noir silence".

Jean Christophe Mitterrand et l'«angolagate», Roland Dumas et les “quelques menus cadeaux” de Christine Deviers-Joncour, mises en examen et arrestations à répétition (Roussin, Falcone, Sirven...), corruption de plus en plus avérée des différents réseaux franco-africains (ceux de Foccart passés aux mains de Chirac, de Pasqua, de Mitterrand sans compter ceux des multiples services secrets...), dénonciation de plus en plus forte du pillage systématique des ressources pétrolières africaines par Elf... La liste pourrait... et devrait s'allonger ! Mais s'agit-il enfin d'une remise en cause générale et définitive d'un système mafieux mis en place depuis des décennies ou seulement de quelques malencontreuses affaires – certes rapprochées – qui ne pouvaient qu'éclater au grand jour mais que l'on saura vite étouffer et oublier ?

Une association menacée

Survie France a été créée en 1981. Au départ, son objectif était d’analyser et repenser la politique de développement de la France surtout vis-à-vis de ses "ex-colonies" en Afrique. Les événements tragiques du Rwanda ont marqué un tournant : d'une part Survie a radicalisé son action, ajoutant dans ses statuts deux points importants, la dénonciation de la politique africaine de la France et la lutte contre la banalisation du génocide, et d'autre part, de nombreuses personnes ont rejoint Survie, renforçant l'association en créant dans plusieurs villes de France de nouvelles antennes. L'actualité ci-dessus évoquée, plus l'annonce d'un procès, amènent bien des sympathies à cette association et même au-delà, puisque des adhésions affluent sans cesse.

François-Xavier Verschave, président de Survie-France a écrit plusieurs ouvrages dont un sur le génocide rwandais (1). En 1998, il signait un livre "La Françafrique" paru aux éditions Stock qui lui valait déjà un procès en diffamation intenté par Charles Pasqua. Celui obtenait 1F de dommages et intérêts pour un bout de phrase anodin ce qui n'otait rien aux accusations de fond portées à son encontre. Un deuxième ouvrage paru en mai 2000, "Noir silence" aux Arènes va déclencher chez certains présidents africains une plus violente attaque. Omar Bongo, président du Gabon, Idriss Déby, président du Tchad, Denis Sassou Nguesso, président du Congo-Brazzaville portent plainte pour "offense à chef d'Etat". Ils sembleraient que d'autres présidents africains aient été dissuadés de se joindre à cette plainte collective, notamment Compaoré du Burkina-Faso, Eyadema du Togo et bien d'autres encore. A noter que ces trois "charmants" présidents sont défendus par l'inénarrable Vergès ! Dans un premier temps, on a pu penser que l'Etat français ne voyait pas d'un très bon œil ce procès qui va permettre bien des déballages. Mais l'actualité montre encore une fois, qu'après tout, certains en France peuvent avoir un regard moins irrité par l'action de ces pantins africains, évitant à des officiels français de s'attaquer eux-mêmes à Survie.

Une loi scélérate (une de plus...)

Bongo, Déby et Sassou Nguesso s'appuient sur l'article 36 d'une loi de 1881 sur la presse pour attaquer Verschave et l’éditeur, François Beccaria. Il faut savoir que cette infraction du délit d'offense est le prolongement de l'ancien crime de lèse-majesté que les présidents français ont fini par ne plus appliquer. Mais toujours présente dans le droit pénal français, celle-ci permet à des présidents étrangers d'attaquer des citoyens français sur le sol français. Comme le fait remarquer Survie, Milosevic aurait pu attaquer quiconque l'aurait traité de criminel contre l'humanité dans la presse française après l’épuration ethnique en Bosnie. Qui plus est, la jurisprudence soutient que les preuves ne sont pas autorisées dans le délit d'offense.

Le risque est grand pour F.X. Verschave, ainsi que pour l'éditeur des Arènes : chacun risque un an de prison, 300 000 F d'amende plus les dommages et intérêts.

Museler la vérité

Au-delà de ces deux personnes, c'est aussi l'action d'information et de dénonciation menée par Survie qui est visée.
La corruption, le pillage, les massacres et autres violations des droits de l'Homme les plus élémentaires dans ces trois pays (Gabon, Tchad, Congo-Brazza) par ses présidents ne sont plus à démontrer depuis longtemps. La collusion tout aussi flagrante entre ces personnages et l'Etat français est dénoncée et mise à jour par Survie de manière évidente. Le pillage économique de l'Afrique par le biais d'entreprises françaises comme Elf (maintenant TotalFinaElf) et Bolloré est souvent doublé par l'alimentation de conflits violents. Dans la quasi-totalité des guerres qui agitent l'Afrique en ce moment, la France est présente : Tchad, Soudan, les deux Congo, Sierra Leone, Libéria, Guinée, Angola... Tous ces pays possédant d'énormes richesses sont totalement dévastés et l'on peut même s'apercevoir que depuis quelques années, les frontières du "pré carré africain" de la France sont dépassées pour atteindre des pays des anciennes colonies anglophones ou lusophones. Mais le pétrole du Nigéria, du Soudan ou de l’Angola, les diamants du Libéria ou de la Sierra Leone, les multiples ressources du Congo (belge, ex-Zaïre) sont autrement plus attrayants que la situation de tous ces pays que je viens d’évoquer qui connaissent tous des guerres civiles depuis des dizaines d’années pour certains. Leur richesse est hypothéquée pour des années à venir, en échange de l’achat d’armes pour des montants colossaux qui sont commandées directement en France ou, par son intermédiaire, dans certains pays de l’ex-Europe de l’Est (Ukraine, Bulgarie, Russie...). Gaïdamak, citoyen russe, maintenant réfugié en Israël, recherché par la France, fait partie de ces individus qui sont devenus multi-millionnaires en peu de temps, servant d’intermédiaires dans toutes ces transactions mafieuses.

Toutes ces informations, autrement plus fouillées, sont distillées par Survie au travers des ouvrages de F.X. Verschave, mais aussi par son bulletin mensuel, “Billets d’Afrique”, par une série de petits bouquins, les “Dossiers Noirs” édités chez l’Harmattan. De plus, une nouvelle collection est annoncée chez L’Esprit Frappeur.

Faire taire Survie ou lui couper tous ses moyens d’expression est certes tentant. D’autant, que dans ce domaine (comme dans d’autres !), la collusion droite-gauche n’est plus à démontrer et le soutien de Survie se trouve davantage dans “la société civile” que dans le monde politique.

Le black-out médiatique est aussi quasi-total. L’affaire Jean-Christophe Mitterrand a un peu crevé ce silence, Survie étant souvent sollicitée par le biais de son président pour donner son avis sur ces relations peu ragoutantes entre le monde des affaires, le monde politique...

Le samedi 24 février, en soutien à ce procès, des manifestations étaient organisées dans une quinzaine de villes en France. En tout près de 3000 personnes (800 à Paris, 500 à Lyon, 400 à Marseille, à Bordeaux, Laval, Grenoble, Strasbourg, Montpellier, Nantes, etc.) ont défilé pour la première fois pour dénoncer vertement ces réseaux françafricains. La presse nationale a totalement ignoré ces actions.

Il reste à amplifier cette contestation pour en finir avec ces relations mafieuses de la France avec l’Afrique et ce néo-colonialisme qui ne dit pas son nom. Et rappelons que cette corruption distillée en Afrique depuis des décennies a depuis longtemps eu un effet boomerang en France. Tout ceci est à l’origine de ces affaires qui éclaboussent de nombreuses personnalités permettant au sieur Sirven d’énoncer qu’il a de quoi faire exploser plusieurs fois la République. Chiche !

N. - G.

Notes :
1. “Complicité de génocide ?” paru à La Découverte en 1994. Après lecture de cet ouvrage, où il est bien entendu question d’une éventuelle complicité de la France dans le génocide, on peut oter le point d’interrogation présent dans le titre !

Pour en savoir plus sur Survie :
57, avenue du Maine 75014 Paris
Tél. 01 43 27 03 25
survie@globenet.org
http://www.globenet.org/survie

Abonnement à “Billets d’Afrique” : 100 F
Les ouvrages de FXV ou de Survie dans quelques bonnes librairies ou directement à l’association.


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