Courant alternatif no 109 – mai 2001

SOMMAIRE
Edito p. 3
A propos de la réédition de Mujeres Libres p. 4/5/6
Rubrique Livres p. 6
Les grèves à la SNCF p. 7/8
Les primes à l’emploi p. 9/10
Sans-papiers à Limoges p. 11/12
Immigration : les zones d’attente p. 13/14
Le Mouv’ment p. 14
Québec : sommet des Amériques p. 16/17/18
Mondialisation : question de vocabulaire p. 19
Rubrique flics et militaires p. 20
Camping p. 24

ÉDITO
«Oui, mais le chômage baisse!» répondent les membres du gouvernement et leurs soutiens lorsque l’on évoque le mécontentement croissant des milieux populaires. Cette baisse apparente du chômage, en réalité baisse du nombre de chômeurs répertoriés en catégorie 1 par l’ANPE, cache une augmentation considérable de la précarité et de la misère.

Les signes les plus évident de cette précarité, ce sont le nombre de RMIstes qui atteint des sommets et les sept millions de personnes qui survivent grâce aux minima sociaux. Parallèlement à la baisse du chômage officiel, on assiste à une explosion du nombre d’emplois précaires, qu’il s’agisse d’emplois aidés par l’Etat (CES, CEC, Emplois jeunes...) ou des emplois du secteur privé temporaires (CDD, intérim) ou à temps partiel (restauration rapide, grande distribution).

Pour pousser les chômeurs à accepter n’importe quel emploi mal payé, le gouvernement vient d’instaurer la «prime à l’emploi». C’est surtout un cadeau aux entreprises, puisque cela leur permet de ne pas proposer de salaires corrects en sachant que c’est la collectivité qui permettra à leurs employés de survivre à un niveau légèrement plus élevé que ce qu’ils leur versent.

Certains peuvent penser qu’il faut lutter pour l’accroissement des aides aux précaires et aller ainsi vers un revenu d’existence garanti. C’est une utopie intéressante, mais c’est aussi se faire pas mal d’illusions sur ce que le gouvernement et le patronat sont prêts à lâcher; ils ne peuvent pas se permettre de payer des gens à rien faire: ces aides sont avant tout une incitation au travail précaire.

De toutes façons, il n’y a aucune certitude que l’embellie au niveau des chiffres officiels du chômage puisse durer. Nous sommes actuellement face à une vague de suppression d’emplois rarement vue et qui touche aussi bien des secteurs traditionnels n’ayant aucun problème de santé économique (Danone, Dim) que des secteurs de pointe comme la téléphonie mobile.

Au premier plan des fournisseurs de main d’œuvre bon marché, se trouvent les travailleurs immigrés, souvent réduits aux travaux précaires, et parmi eux les sans papiers, réduits au travail au noir. Pas étonnant que certains patrons soient intéressés à faire venir de nouveaux immigrés, il n’y a pas mieux comme main d’œuvre à bon marché.

Heureusement, on constate actuellement de plus en plus de luttes sur des problèmes de salaires. Les travailleurs sous-payés sont de plus en plus souvent amenés à s’auto-organiser, y compris dans des secteurs où les syndicats traditionnels ont beaucoup de mal à s’implanter, comme dans la restauration rapide. Dans ce secteur, des luttes ont été victorieuses (petite victoire, mais victoire quand même), montrant ainsi la voie à toute une catégorie de travailleurs sans tradition de lutte. On peut aussi la lire comme un message au patronat et au gouvernement: le travail précaire ne nous fera pas taire !

Limoges, le 27 avril


LA GRÈVE À LA SNCF
Un conflit qui en appelle d'autres

La SNCF et le gouvernement, en particulier le ministère de tutelle, géré par le "camarade" Gayssot, ont complètement intégré les directives européennes et essaient de les transcrire dans le contexte français où l'on a l'habitude de confondre services publics et services de l'Etat (ce que font tous les syndicats sans exception). Et les directives conduisent à la libéralisation, à la privatisation et à la concurrence .

Une grève est programmée le 29 mars 2001, à l'initiative des syndicats CGT, CFDT, FO, Sud-rail et la FGAAC (syndicat autonome de mécaniciens), dans le cadre d'une journée européenne pour la défense du service public.

Les raisons de la grève

La SNCF est en train de réorganiser ses établissements et son encadrement de façon à séparer la SNCF par activités différentes, ce qu'on a déjà vu avec les PTT en France, la Deutsche Bahn en Allemagne et British Railways en Grande-Bretagne. C'était déjà une des raisons du conflit de 1995, mais depuis la situation s'est aggravée. La SNCF a été coupée en 2 : RFF (Réseau Ferré de France) qui gère l'infrastructure (voies, gares, dont certaines ont déjà été vendues au privé, à Vivendi en particulier) et qui emploie environ 400 salariés et la SNCF proprement dite qui s'occupe de la commercialisation (fret et voyageurs). La SNCF avait déjà créé des UO et UP (unités opérationnelles et unités productives). On est en train de préparer la SNCF à la privatisation et de laisser au public (c'est à dire aux impôts des contribuables) ce qui coûte cher, c'est à dire l'infrastructure. En fait, on assiste à un alignement sur ce qui se fait au niveau autoroutier où l'Etat finance la construction et l'entretien, par le biais de sociétés qui, tout en étant très fortement endettées, récupérent l'investissement par le biais des péages, en se prenant une plus value au passage. Car il faut dire que jusqu'ici, c'était à la SNCF que revenaient tous les coûts liés à l'infrastructure. Maintenant, RFF facture à la SNCF l'utilisation du réseau (ce qui permet entre autre à la SNCF de devenir bénéficiaire et à RFF de se désendetter). C'est la première raison du conflit.

La grande revendication, c'est l'abandon de l'organisation verticale autour d'activités (fret, grandes lignes, Ile-de-France, TER, infrastructures - lié à la sous-traitance pour RFF) appelée Cap clients : on découpe l'entreprise en diverses activités, certaines pouvant devenir des filiales, d'autres, les plus rentables, cédées au privé. Comme il y a une dizaine d'années aux PTT, la SNCF dit que ce n'est qu'une mesure administrative, mais d'ici 3 ou 4 ans, une partie risque d'être privatisée comme France Télécom, (La Poste a elle déjà créé une multitude de filiales en vue de la privatisation). Les cheminots s'appuient sur ce qui se passe en Angleterre (accidents réguliers dus au non entretien du réseau) depuis la privatisation pour lutter contre cette réforme de la SNCF, sans pour autant vouloir maintenir le fonctionnement actuel.

La deuxième raison, ce sont les moyens donnés à la SNCF pour gérer un trafic en augmentation, aussi bien des voyageurs que du fret, tant au niveau des machines (les locomotives) que du personnel. Or la SNCF a supprimé plusieurs milliers de train en 2000, par manque de personnel ou de locomotives, alors que le trafic a augmenté de plus de 8%. Pendant une quinzaine d'années, il n'y a eu aucune embauche et la SNCF a perdu 25% de son effectif, soit plus de 60 000 cheminots, ce qui lui a entre permis de réduire de façon conséquente la masse salariale, lui permettant de redevenir bénéficiaire (Gayssot donne le chiffre de 87 000 disparitions d'emplois entre 1983 et 1997). Il n'y a pas formation de personnels nouveaux et la SNCF est en déficit de conducteurs. Bien que 25 000 embauches soient programmées sur les années 2000 à 2002, suite à l'accord sur la RTT, 20 000 sont dues aux départs en retraite, certains sont dus au passage sous statut de contrats aidés (1 500) ou le retour dans la maison mère d'employés des filiales (les 3 500 employés du Sernam par exemple), d'autres sont des emplois à temps partiel imposé. La direction reconnaît elle-même qu'il faudrait 3 915 agents supplémentaires rien que pour pouvoir accorder les 785 000 jours de repos, fêtes ou congés non pris en l'an 2000 auxquels les personnels ont droit. De plus, 400 suppressions d'emploi viennent d'avoir lieu sur l'entretien des voies. Si la SNCF décidait aujourd'hui d'acheter des locomotives neuves, il faudrait 4 à 5 ans pour revenir à des conditions satisfaisantes. Depuis une quinzaine d'années, les seuls investissements qui ont eu lieu l'ont été sur le parc TGV ou par les collectivités territoriales depuis la régionalisation. Il y a eu en 2000 près de 20 000 journées calées (retard de plus d'une journée ou annulation), dont 13 000 pour manque de personnels et 4 000 pour cause de machines en panne.

La troisième raison, c'est celle des salaires et celle-ci est commune à tous les salariés. La SNCF fait des énormes bénéfices (mais elle est plombée par une dette énorme), et pourtant les salaires sont bloqués depuis 2 ans. Il faut dire que les salaires de base sont très bas à la SNCF, et que si le salaire moyen est d'environ 8 000 F, c'est qu'il est complété par des primes et des allocations. La politique de la SNCF était ces dernières années de régler les conflits catégoriels par l'attribution de primes ou d'allocations sur lesquelles la SNCF ne payait pas de charges sociales. Or l'URSSAF réclame à la SNCF les charges non payées et celle-ci veut les répercuter sur les cheminots.

Une grève qui ne veut pas s'arrêter

Suite à la grève du 29 mars, les mécaniciens et certaines catégories de personnel décident, suite aux AG, de continuer la grève, aidés par les préavis reconductibles de 24 h déposés par Sud-Rail. Les mécaniciens réclament 8% d'augmentation. La direction a prévu une réunion le 9 avril. La CGT et la CFDT demandent la reprise du travail et à une nouvelle journée d'action pour le jour des négociations. Ce seront majoritairement les mécaniciens qui vont poursuivre la lutte (les dépôts sont les seuls lieux où des AG ont été convoquées et où la CGT est minoritaire). Malgré toute la propagande de la direction et du ministre "camarade" et de la CGT contre les syndicats minoritaires et Sud-rail en particulier, l'acharnement des médias à demander un service minimum, la grève sera reconduite dans une majorité des centres de traction. La direction décide de décaler sa journée de négociation où elle propose d'augmenter les salaires de 1,2%, de geler le projet Cap clients pendant 2 mois, sans le supprimer dans les 2 gares où le projet est déjà mis en place et de créer 1 000 emplois supplémentaires. Elle en profite pour affecter les mécaniciens non grévistes prioritairement au fret et aux TGV. Elle offre une remise aux entreprises "gênées" par la grève de 80 millions de francs.

Sud-rail, la FGAAC et FO (même si cette organisation n'est pas présente chez les agents de conduite) décident de poursuivre la grève après le 5 avril. Mais la direction se refuse à négocier. Il y a quelques années, la direction de la SNCF signait des accords avec les syndicats minoritaires et engageait des discussions lorsqu'il y avait des conflits. La nouvelle direction de Gallois, mais les patrons précédants avaient commencé à le faire, a décidé de ne plus signer des accords qu'avec les syndicats majoritaires (CGT et CFDT) et en conclut qu'elle n'a plus à négocier sur les conflits qui remettraient en cause l'équilibre des accords conclus. La direction engage en fait les syndicats dans une logique de cogestion des effectifs et des salaires et ne discute plus des conflits sociaux : on est dans un modèle anglo-saxon.

Le 12 avril, les assemblées générales de grévistes, tout en maintenant les exigences du départ, "décident une "pause" dans le mouvement afin de laisser à la Direction la possibilité de démontrer concrètement sa capacité à répondre aux problèmes sociaux". Marseille prolongeait d'une journée la grève, Paris-Est jusqu'après le week-end pascal et Amiens décidait de continuer, avec plusieurs catégories de personnel, suite à des problèmes non réglés avec les directions locales.

De nouveaux conflits sont à prévoir, notamment avec les contrôleurs fin avril et début juin avec la mise en service du TGV Atlantique.

Une nouvelle donne syndicale

Pendant tout le conflit, la CGT a joué le rôle de syndicat jaune, même si ce n'était le cas des adhérents de base ou de sections locales. "Je n'ai à la fois jamais participé à un conflit aussi exemplaire et aussi malsain. Aussi exemplaire par sa conduite (aucune occupation des voies, aucune exaction) et aussi malsain de par le comportement partisan de certaines centrales syndicales relayées timidement par les maisons mères politiques plus aptes à alimenter quotidiennement la désinformation et la division. Autrement dit, ce conflit révèle l'impasse où se trouvent actuellement certaines organisations syndicales, à savoir l'absence affligeante de leur part de pratiques et d'idées en rupture ou en opposition réelle à la logique libérale… Je me dis aujourd'hui que vous avez mené, nous avons mené un des combats les plus modernes qui soit, un combat contre cet archaïsme ambiant, la pensée unique qui consiste à dire ce qui est bien ou ce qui est mal. Quelle que soit l'issue de ce conflit, soyons fiers de notre attitude, notre comportement qui fait du particularisme belfortain un exemple au niveau national, tant sur le niveau démocratique que celui de l'unité syndicale. Pour l'avenir, quoi qu'en pensent nos responsables parisiens, ce sera la seule voie pour gagner", déclarait le secrétaire CGT Belfort, lors de l'AG du 9 avril 2001). La CFDT transport, bien qu'oppositionnelle à la ligne Notat, et condamnant le projet Cap clients, a été incapable d'apporter un quelconque soutien aux secteurs en lutte. Elle a perdu ses points d'ancrage dans le personnel pour n'être plus présente que chez les agents de maîtrise et les cadres. Ces 2 centrales risquent de payer cher leur attitude pendant ce conflit lors des élections professionnelles de 2002. FO a quant à elle compris tout l'intérêt qu'il pouvait y avoir à soutenir ce conflit.

Troisième force syndicale lors des élections professionnelle, Sud-rail, né en 1996, suite aux luttes de 1995, a prouvé qu'elle n'était pas qu'une force électorale, mais qu'un réel travail syndical, où le fric est mis à un travail sur le terrain et non à un appareil syndical - peu de permanents -, pouvait être efficace. Elle a été le seul syndicat à ne pas être reçu par la direction, alors que celle-ci recevait la FGAAC pour essayer d'éteindre le conflit. S'appuyant sur les enseignements du phénomène des coordinations de la fin des années 80 et des assemblées générales de 95, elle a su montrer un très grand respect des décisions des AG et écouter, comme l'a fait aussi la FGAAC, ce que disait la base.

Les cheminots ont eu la sensation de réellement gérer leur lutte du début à la fin et lorsqu'ils ont décidé la "pause", ils ont fait la fête, alors qu'ils avaient gagné peu de chose. Cette exigence de gérer directement le conflit, de le contrôler du début à la fin va être certainement un élément clé dans les conflits à venir chez tous les cheminots, et pas seulement chez les ADC (mécaniciens). Il va être dur pour les autres organisations syndicales d'imposer leurs mots d'ordre et de vouloir contrôler les AG. Les travailleurs se sont emparés aussi des préavis reconductibles de 24 h pour décider de la poursuite du mouvement.

Une exigence de réelle démocratie est en train de naître, non pas au service des appareils syndicaux, mais au service des luttes et dans cette exigence, SUD-rail apparaît comme le seul syndicat capable d'y répondre. Mais SUD-rail sait aussi reconnaître ses faiblesses : n'avoir pas pu étendre le mouvement à toutes les catégories de personnel, même la où elle possédait des forces militantes non négligeables.

Camille, OCL Reims, le 18 avril 2001, avec l'aide de Christian de l'OCL Paris

Merci à SUD-rail et aux émissions "Vive la sociale", tous les jeudis de 19h à 20h30 sur Paris Fréquence Plurielle et de "l' Egrégore" tous les lundis de 19h à 20h sur Radio Primitive à Reims (rediffusion sur l'Eko à Montpellier et Canal Sud à Toulouse)

Encart 1 • Le groupe SNCF

Lorsqu'on parle de la SNCF, on pense rail, ce n'est qu'une partie de l'activité de la SNCF (à travers entre autre de nombreuses filiales) tant au niveau fret que voyageurs. Mais elle est aussi le premier transporteur routier européen via ses filiales regroupées dans le groupe GEODIS (Calberson, Bernis, Carewood, United Carriers, Züst Ambrosetti, Telsa, Extand pour la messagerie, Bourgey Montreuil et ses filiales en France et à l'étranger), et le SERNAM. Elle est un des premiers transporteurs urbains par bus, métro et tranway par l'intermédiaire de sa filiale Via GTI rachetée en 1999 à Vivendi, périurbains par Cariane. Elle est aussi dans le domaine maritime avec entre autre Seafrance, GIE Transmanche, BMS et la SNCM. Elle est aussi dans la téléphonie et elle gère un patrimoine HLM important. Et j'en oublie, car même l'organigramme simplifié est illisible.

Encart 2 • Le TGV

Depuis plusieurs années, la SNCF a mis presque tous ses œufs dans le même panier en ce qui concerne le transport des voyageurs : le TGV.
Si nous avons déjà dit tout le mal que nous pensons du TGV, la mise en service du TGV Méditerranée en rajoute à ce que nous pouvions dire : plus d'arrêt dans certaines gares, le coût fixé par RFF pour l'utilisation des lignes est dès le départ supérieur au montant global de la vente des billets, et de ce fait est déjà déficitaire. Cette ligne va donc profiter uniquement aux banques (par le remboursement de la dette par RFF).
Ce qui est aussi mis en cause dans le cas du TGV Est en construction, c'est le coût des infrastructures dont le rendement est d'environ 3%. Quid du TGV.


ZONE D'ATTENTE : EXPLOITATIONS ET VIOLENCES INSTITUTIONALISÉES
Entre décembre 2000 et mars 2001, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) a mené une campagne d’observation des conditions de maintien en zone d’attente à l’aéroport de Roissy . Le 3 avril dernier elle rendait public ce que certains journaux avaient déjà commencé à dévoiler en dressant le constat d’une situation alarmante.

La zone d’attente est définie juridiquement par l’article 35 quater de l’ordonnance du 2 novembre 1945, lui même issue d’une loi de 1992. Il s’agit d’un espace situé juridiquement hors du territoire français dans lequel peuvent être maintenus, dans la limite de 20 jours, les étrangers ne remplissant pas les conditions requises à l’entrée en France (absence de visa par exemple). Trois catégories de personnes sont ainsi enfermées dans ce qu’il convient d’appeler une prison spéciale pour étrangers : les non-admis - “ inad ” dans le jargon policier -, les demandeurs d’asile et les personnes en transit interrompu.

Nouvelle prison high-tech

Depuis la loi Quilles de 1992 légalisant cet emprisonnement administratif (merci la gauche !), la fréquentation des zones d’attente n’a cessé d’augmenter. La plus importante, Roissy Charles De Gaulle, a ainsi connu depuis 1997 une croissance exponentielle de ses effectifs : 1997, 4297 placements en zone d’attente ; 1998, 8737 ; 1999, 11591 et sur les 11 premiers mois de l’année 2000, 15235 placements. Les conditions exécrables de détention qui régnaient notamment dans le tristement célèbre hôtel Ibis de Roissy et qui avait conduit le sénateur socialiste Louis Mermaz à qualifier “ d’horreur de la république ” ce genre de lieu, ont finalement poussé le Ministère de l’intérieur à investir dans la construction d’un bâtiment spécialement adapté à ce genre de fonction.

Le 8 janvier dernier, trois semaines après avoir été “ visitée ” par les 150 manifestants du Collectif Anti-Expulsions, la nouvelle “ Zone d’attente pour personnes en instance ” (ZAPI 3 pour les intimes) fut inaugurée en grandes pompes par un Vaillant tout fier de présenter un édifice aux couleurs chatoyantes de 3500 m_ repartis sur 2 niveaux avec insonorisation et climatisation, munis d’une aire de détente de 250 m_, de 180 lits repartis en chambres de 2 ou chambres familiales, de 28 cabines téléphoniques, d’une salle de restauration de 66 places, de distributeurs automatiques de boissons, d’un coin kitchenette et chauffe biberon, de salles télévisions dont une réservée aux enfants avec accès à Disney Channel ( !), etc. Mais les rêves de “ détention humaine ” du Ministre de l’intérieur n’ont pas fait long feu et l’aire de détente de ZAPI 3 s’est rapidement transformé en une cours de promenade ridicule, les chambres en cellules sordides, et l’ensemble en une prison moderne constituée de multiples portes blindées électroniques et entouré d’une double rangée de barbelés.

Les dernières illusions sur les capacités à juguler les flux migratoires “ dans le respect de la dignité et des droits de l’homme ” ont sombré dés les premières semaines d’ouverture de cette nouvelle zone d’attente. Les maigres droits des personnes maintenues sont ainsi bafoués systématiquement : refus d'enregistrement des demandes d'asile, maintien des étrangers dans la zone sous douane pendant plusieurs jours sans notification de placement en zone d'attente, dépassement du délai maximum de 20 jours, documents administratifs antidatés, notification des droits sans interprète, non respect du délai d’un jour franc, etc. Tous cela se déroulant avec la complicité des juges de Bobigny censés contrôler au cours d’audiences publiques le maintien en zone d’attente.

Les violences physiques et les humiliations sont devenues également une pratique systématique de la Police Aux Frontières (PAF) : tabassage des récalcitrants au départ, pressions psychologiques, réveils au cours de la nuit et injonction de décliner son identité, refus de soins, insultes racistes, etc. La PAF frôle chaque jour l'"accident". Un rescapé racontait qu'un de ses camarades de galère avait été frappé tellement fort, qu'il en avait fait un arrêt cardiaque pendant quelques minutes. Ces pratiques ont atteint un tel degré de violence qu’un agent du Ministère des affaires ne supportant plus ce qu’il observait quotidiennement décida de le signaler officiellement - mais sans l’accord de sa hiérarchie - au procureur de la république provoquant ainsi l’ouverture d’une information judiciaire.

Les détenus ne restent également pas sans réaction. Le 21 mars une grève de la faim fut suivie pendant 24 heures par les 150 adultes retenus à ZAPI3.

L’aggravation de la situation dans la zone d’attente de Roissy est en grande partie liée à l'ouverture de ZAPI3. Effectivement, ce bâtiment flambant neuf et doté de multiples équipements de confort n'améliore au contraire en rien le sort des détenus car il a été construit selon des normes calquées sur l’univers carcéral. D’une part son isolement géographique dans l’enceinte de l’aéroport favorise tous les abus de la police à l’abris des regards extérieurs. Lors des renvois forcés, les personnes sont conduites directement sur les pistes avant de monter dans l’avion, sans passer par les aérogares ouverts au public, ce qui permet de procéder tranquillement à quelques séances de tabassages à l’encontre des réticents. L’organisation interne du bâtiment est aussi extrêmement cloisonnée par un système de sas restreignant les possibilités de circulation des différents personnels autre que policiers : affaires étrangères pour l’examen des demandes d’asile, Office des migrations internationales (OMI) pour l’assistance humanitaire, personnel médical. Les détenus n’ont donc les policiers comme seul interlocuteur.

Trafic d’êtres humains

Parallèlement à cette situation, il a aussi été constaté qu'un certain nombre de rabatteurs profitaient du dénuement et de l'affaiblissement des personnes qui parviennent à sortir de zone d'attente. Ces rabatteurs se manifestent principalement aux audiences de Bobigny, mais aussi à l'intérieur même de la zone d’attente, avec la complicité de quelques avocats véreux et sous l’œil totalement passif de la PAF et des juges. Leurs cibles : principalement les jeunes filles - parfois mineures - d'origine Sierra leonaise ou nigérianes que l’on retrouve ensuite la nuit sur les trottoirs des boulevards extérieurs ou dans les vitrines d’Amsterdam ; mais aussi occasionnellement des jeunes hommes recrutés pour travailler sur les chantiers, ou pour des activités plus délictueuses. La prospérité de ces réseaux est la conséquence logique du passage en zone d'attente qui induit une fragilisation et une déstabilisation des individus. Une fois sorti de Roissy après plusieurs jours d’attente et d’angoisse extrême, muni d’un simple sauf-conduit valable pour 8 jours, il est difficile de refuser les propositions d’hébergement et de prise en charge réalisées par ces rabatteurs.

Ce qui est aujourd’hui constaté à partir de la situation de la zone d’attente de Roissy illustre deux choses de manière évidente :

1) Il n’existe pas de zone d’attente ou de centre de rétention humainement acceptable. L’Etat peut toujours donner des moyens importants pour y développer le confort et l’hygiène, cela reste des lieux de détention et de répression. Plus généralement cela doit nous servir de leçon dans le cadre du programme annoncé de construction de nouvelles prisons pour détenus de droit commun. Là aussi une campagne médiatique a permit de réaliser l’horreur des conditions de détention, mais cela risque bien de déboucher aussi sur l’ouverture de nouveau centres pénitentiaires ultra-modernes, dans lesquels les techniques de contrôle, de surveillance, d’isolement et de torture blanche seront optimisés.

2) Les réseaux criminels qui mettent le grappin sur les jeunes réfugiées africaines à la sortie de l’aéroport ou du tribunal bénéficient à la fois de la passivité des policiers et des juges, mais aussi de l’acharnement de l’Etat à précariser la situation des demandeurs d’asile et des étrangers. Cela est également valable pour les jeunes filles venant des pays de l’est , mais qui arrivent par d’autres trajectoires, sans passer par Roissy. La Préfecture de Police de Paris a ainsi pour principe de leur refuser le droit au séjour en cas de demande d’asile et prononce même à tour de bras des décisions de reconduite à la frontière, qui le plus souvent ne peuvent même pas être réalisées. Le résultat, est que ces personnes sont encore plus démunies et vulnérables et ne peuvent d’autant moins s’affranchir de la tutelle de leur proxénète.

Encore un domaine où l’Etat sait subtilement mêler arguments humanitaires et répression accrue tout en s’accommodant très bien avec les réseaux mafieux qu’il contribue à renforcer par une politique de précarisation délibérée des réfugiés et des migrants.

Tonio, Paris, le 20 avril 2001


SOMMET DE QUÉBEC : QUELLE INTERVENTION LIBERTAIRE ?
Le sommet des Amériques à Quebec, du 20 au 22 avril, a été l'occasion d'une contestation libertaire dépassant la pratique d'action directe des Black Blocks anarchistes, très médiatisés lors du sommet de Seattle aux USA en 1999.

SOMMET SYMBOLIQUE

Courant Alternatif a déjà exposé dans ses derniers numéros le cadre de ce sommet des Amériques qui regroupe 34 chefs d'Etat. En résumé, le projet de Zone de Libre Echange des Amériques - ZLEA - veut élargir à l'ensemble des Amériques - moins Cuba - l'accord de libre échange nord-américain - ALENA - entré en vigueur en 1994. Les USA et le Canada représentent 80 % du poids économique du continent... Les négociations entre les différents exécutifs sont entamées depuis 1994 et vont bon train. Ce sommet des Amériques sur deux jours, avec 34 chefs d'Etat réunis autour de Bush - et 900 technocrates et 500 businessmen en coulisse - constituait surtout un symbole d'intronisation de Bush et un signal à destination des populations disparates du continent pour annoncer solennellement un marché unique continental comme un accord conclu - à égalité - entre représentants élus du Peuple. Cette farce (1) sinistre ne s'adresse évidemment pas aux pauvres de l'Amérique Latine mais plutôt aux classes moyennes et aisées qui sont encore nécessaires à un minimum de consensus pour maintenir la situation.

Le symbole semble d'ailleurs être la seule utilité de ce sommet des Amériques. En effet les textes des accords ont été négociés confidentiellement entre exécutifs, au grand dam des syndicalistes et des politiciens. Par contre, les état-majors des multinationales,eux, sont partie prenante des débats puisque le chapitre 11 des accords donne carrément aux sociétés privées un statut comparable à celui d'un État. Elles peuvent attaquer un pays devant un tribunal si leurs marges de profit sont mises en cause par la législation ou l'action du pays (2).

TROIS PÔLES

Trois regroupements "contestaient" l'organisation du sommet. D'abord l'Alliance sociale continentale - ASC - est un groupe institutionnel qui rassemble centrales syndicales, parlementaires, églises et organisations non-gouvernementales de l'ensemble du continent ; l'ASC veut être invitée à la table des négociations de la ZLEA, à laquelle siège le patronat du continent regroupé dans l'Américas Business Forum - ABF. L'ASC organisait en parrallèle à Québec un Sommet des Peuples, subventionné grassement par le gouvernement nationaliste québecquois et néo-libéral... exclu du sommet par le gouvernement fédéral canadien, également financeur...

Ensuite la Convergence Q-2001, qui se définit comme "l'opposition pacifique au sommet des Amériques", est un regroupement plutôt nord-américain de syndicats et d'ONGs, avec notamment Attac-Québec et les Amis du Monde Diplomatique. Québec 2001 regroupe la version canadienne de la "gauche de la gauche" hexagonale, avec une quinzaine de propositions (3) très explicites illustrant une nouvelle mouture de la sociale-démocratie (4). Québec 2001 pourrait alimenter de fait la construction d'une nouvelle Internationale sociale-libérale entreprise par le parti socialiste français sous la houlette de Jospin. Ce dernier, en visite le 6 avril au Brésil, y évoquait "une mondialisation à visage humain"...

Enfin le regroupement du Comité d'Accueil du Sommet des Amériques (CASA) et de la Convergence des Luttes Anti-Capitalistes (CLAC), respectivement de Québec et de Montréal, constituait le troisième pôle d'opposition. Nous avons publié dans CA de mars la plate-forme du CASA comprenant six points (5). Pour le CASA, "en attendant de voir le capitalisme s'effondrer sous les coups de boutoir d'un nouveau mouvement révolutionnaire", il s'agissait de "faire dérailler la ZLEA pour ébranler le pouvoir des dirigeants des Amériques". Ce regroupement anti-capitaliste CLAC-CASA regroupe des individus intervenant dans le mouvement étudiant, et sur des terrains aussi variés que le logement, le chômage, la répression policière, etc. CLAC-CASA avait déjà organisé fin janvier et fin mars deux rencontres de 200 délégué-e-s de collectifs ou de groupes d'affinité, extérieurs ou du Québec, pour se mettre d'accord sur les grandes lignes de la mobilisation.

DES MOUVEMENTS SPORADIQUES

Ces dernières années, le Québec (6) a connu quelques mobilisations, parmi la jeunesse notamment des deux grandes villes, qui ont commencé à constituer une mouvance avec une pratique d'agitation politique libertaire. On peut citer la grève générale étudiante contre le déficit zéro imposé lors des Sommets paritaires québécquois en 1996, les "émeutes" de la St-Jean à Québec en 96 (la police locale voulait appliquer la tolérance zéro à l'encontre des jeunes, trop visibles en centre-ville bourgeois et touristique), ou bien lorsque Coca-Cola a voulu s'imposer à l'université UQAM de Montréal, à l'occasion du sommet québécois de la jeunesse, lors d'initiatives (téméraires) du 1er mai, contre les violences policières ou la tenue du G20, etc. Différents collectifs sont investis sur le logement, les quartiers. Sans aller jusqu'à constituer un mouvement implanté dans la population, ce qui serait étonnant vue la pacification sociale de ces dernières décennies en Amérique du Nord, cette mouvance jeune avait la capacité de construire une mobilisation unitaire contre la tenue du sommet des Amériques. Comparée à l'Hexagone, la répression semble également plus forte, proportionnellement, (les matraquages et arrestations massives de manifestantEs ne sont pas rares, avec nombreux procès, cautions et autres conditions libératoires pour intimider) comme si, dans un état d'apathie politique social, le moindre regain de contestation était intolérable au pouvoir.

La radicalisation politique, induite par la répression, semble être renforcée par deux autres facteurs: les évènements de Seattle, somme toute modestes mais suivis d'autres mobilisations antiglobalisation comme Prague, ouvrent une perspective d'affirmation collective d'une critique radicale et globale du système ; ces derniers mois, une campagne de presse, orchestrée par des partis, syndicats et associations pacifistes contre toute action directe dépassant le strict cadre non-violent, a provoqué en retour un clivage avec celles et ceux qui refusent toute condamnation à priori d'éventuels affrontements.

RESPECT DE LA DIVERSITE DES TACTIQUES

L'originalité de la mobilisation contre le sommet résidait notamment sur le "respect de la diversité des tactiques" : assumer politiquement que des groupes d'affinité - comme par exemple des black blocs - se retrouvent dans les manifestations du CLAC-CASA et choisissent pour intervenir contre le sommet d'ouvrir le périmêtre, d'affronter les flics ou de détruire des cibles, en bref assumer la violence collective sans empêcher pour autant la possibilité pour toute personne de manifester en sécurité sur les mêmes mots d'ordre. Il y avait donc trois couleurs pour caractériser les actions, pour que les simples manifestantEs sachent en connaissance de cause ce qui pouvait leur arriver. Les blocs rouges organisaient les actions directes avec les risques correspondants; les blocs jaunes des actions directes non-violentes telles que blocages de routes, de bâtiments, sit-ins,etc, avec possibilité d'arrestations en nombre et de résistance non-violente ; enfin des zones vertes, où toute personne peut manifester son désaccord dans la rue, sans pour autant risquer de prendre une balle de gomme dans la tête, ou un grand jet de "gaz de poivre" dans le nez. Inévitablement cette "diversité des tactiques" est assez contradictoire en soi. Si l'on considère que la rue devient un espace politique de contestation anticapitaliste, quelle autorité peut décréter qu'une action a - ou n'a pas - sa place à tel endroit ? Mais en même temps, cette diversité des tactiques permet à beaucoup plus de personnes d'assumer une expression politique, sur un certain nombre de points radicaux, et par là même de renforcer la légitimité et de diminuer l'isolement des actions "rouges" criminalisées par les flics, les médias, un groupe non-violent choyé des médias (et doublement bien nommé: SALAMI!) ou une centrale syndicale. Ces derniers menaçaient d'intervenir physiquement contre les blocs rouges. Rappelons pour mémoire que les organisations libertaires hexagonales, à l'occasion d'une réunion du G7 à Lyon en 1995, n'avaient pu se mettre d'accord sur un pôle unique de contestation, à cause notamment de la question de violences éventuelles, acceptables pour les un-e-s, et compromettant la crédibilité des propositions libertaires pour les autres... Mais revenons au Québec.

LES EVENEMENTS

Le Sommet des Peuples a tenu boutique et conciliabules à huis clos pendant cinq jours sous un chapiteau à bonne distance du périmètre, et a conclu le samedi 21 par une manifestation s'éloignant ostensiblement à travers friches industrielles et quartiers populaires québecquois jusqu'à un grand parking, où les orateurs et oratrices pouvaient s'en donner à coeur joie. Le cortège "des Peuples", fort de 40 000 personnes - du jamais vu à Québec - s'effilocha en fait copieusement au fil des kilomètres, bon nombre de participantEs préférèrent bifurquer vers les affrontements qui se déroulaient au même moment en haute ville.

Pour le pôle Convergence Q-2001, ce fut moins clair, selon les composantes de ce cartel. Si certaines avaient copieusement craché sur les méchantEs anarchistes violentEs et irresponsables, Opération Québec 2001 collabora finalement avec le CASA-CLAC pour assurer conjointement l'hébergement et la bouffe en prévision de l'accueil de milliers de manifestantEs. Les manifs furent moins concluantes. Une composante surtout étudiante, le GOMM (groupe opposé à la mondialisation des marchés) appela le vendredi 20 à une manif
verte (7) (?) au même endroit de départ que la manif jaune (?) du CASA-CLAC avec un certain cafouillage intéressé.

Le CASA-CLAC, quand à lui, appelait à un carnaval anti-capitaliste anti-sommet (pour faire la nique à l'interdiction policière de tout masque) avec trois étapes. Le jeudi soir, une marche au flambeau joyeuse partait de l'université, principal lieu d'hébergement, pour arriver pacifiquement et en musique à une des zones vertes prévues pour le week-end, avec deux mille personnes. Le vendredi, la manif partait du même lieu pour se scinder ensuite en deux cortèges: le vert avançait jusqu'à une zone verte, la rue St-Jean - le comité de quartier, dont les permanents sont au CASA, y avait fortement encouragé les habitants et les petits commerçants à ne pas se terrer chez eux comme la police et les médias le souhaitaient, mais au contraire à sortir dans leur rue pour montrer par leur présence qu'ils soutenaient les manifestants anti-sommet - alors que le cortège jaune, 7 à 8000 personnes, avançait tout droit jusqu'au périmètre. La surprise fut d'apprendre au bout de vingt minutes que la clôture, censée protéger les chefs d'Etats, était par terre et que les premières lignes de manifestants étaient face à face aux anti-émeutes, dans la fumée des lacrymogènes et les jets de pierres, avec des milliers de personnes observant de prés ou prenant part aux assauts répétés. De fait les affrontements durèrent à deux endroits du périmètre jusqu'à trois heures du matin. Les flics repoussèrent les manifestants jusqu'au bord de la zone verte sans toutefois oser y entrer le 1er jour. Inversement cette rue St-Jean offrait un aspect trés paisible et irréel: la paranoïa à l'encontre des casseurs, même si elle avait poussé les commerçants à couvrir de panneaux de bois les 3/4 des vitrines (qui furent transformés en panneaux de libre expression), s'est dégonflée et les cagouléEs pouvaient y boire une bière fraîche avant de repartir.

Le samedi, le CASA-CLAC avait choisi de suivre la marée humaine de la manif syndicale, après que trois syndicats (fonction publique, postiers) aient annoncé leur volonté de bifurquer à mi-parcours vers le périmètre (faux espoir!). De fait, ce mélange avec les syndicats noya complètement le collectif. La plupart des gens retrouvèrent les occupations de la veille. Par contre les gaz, balles en plastique (similaires à celles utilisées en Irlande ou en Palestine), les canons à eau, les enlèvements lors de moments tranquilles de manifestants (ou de militants du CASA-CLAC repérés) dans des vans banalisés par des flics encagoulés, les saupoudrages de cayenne dans les rues par les hélicos furent employés beaucoup plus largement que la veille. Le centre ville était parcouru de nuages de gaz cs qui obligèrent les organisateurs du sommet, comme la veille, à verrouiller hermétiquement leurs chefs d'État, entraînant quelques heures de retard sur l'horaire (8). Jusqu'au petit jour, les face-à-face continuèrent. Par contre les jeunes et les habitants des quartiers, plutôt observateurs la veille, prétèrent main forte aux manifestations en ouvrant leurs maisons pour fournir de l'eau fraîche et autres soutiens.

Malgré la trés forte présence de vans et de groupes de police un peu partout - le périmètre n'avait plus besoin d'être gardé - le conseil de déléguéEs du dimanche matin décida d'organiser une marche symbolique contre les pratiques et violences policières jusqu'au ministère de la justice. Les deux cents participantEs furent trés fortement encadrés par des lignes d'anti-émeute armés jusqu'aux dents et ne durent leur non-arrestation qu'à la présence d'une trentaine de journalistes attendant la bavure probable.

QUELLE PERSPECTIVE ?

Au-delà de la campagne nécessaire pour les libérations et les procés, ces initiatives canadiennes contre ce sommet pourraient inspirer des pôles larges anti-capitalistes anti-autoritaires. Les assises du mouvement libertaire hexagonale en octobre prochain seront peut-être l'occasion d'en reparler, sans vouloir transposer mécaniquement bien sûr un modèle à une situation différente. Mais pour peser politiquement sur la réalité, il est nécessaire de tenter d'autres expériences.

Québec city - le 24 avril 2001.

ENCADRE • LA REPRESSION

L'Etat canadien a préparé la population (7 millions d'habitant-e-s au Québec) six mois à l'avance en évoquant la violence anarchiste qui déferlerait probablement sur Québec. Plus de 500 millions de francs ont été affectés aux mesures de sècurité: clotûre de 3 m de haut et de 3,8 km autour du centre-ville avec laissés-passer pendant le sommet (inspirés des mesures prises à Nice), refoulement aux frontières de "touristes" arrêtés précédemment à Seattle, Prague ou Davos (avec probablement l'appui d'Interpole), blindés, nouvel équipement anti-émeute à 25 000 frs pour chaque flic, hélicoptères survolant déjà la ville, de jour comme de nuit, 4 jours avant le sommet, et pulvérisant du "gaz poivre" sur les rues tranquilles mais trop peuplées et trop proches des lieux d'affrontements au goût des flics. Prévision d'une extension du périmètre de sécurité en cas de situation "critique"... Visites chez des militant-e-s à Québec et Montréal d'agents des services secrets canadiens. Harcèlement et arrestations de militant-e-s diffusant des tracts ou collant des affiches. Menaces diverses sur les structures assurant l'hébergement et la bouffe pour les milliers de manifestant-e-s logés pendant trois nuits. Ecoutes, filatures, mais également noyautages de groupes d'affinité (le groupe Germinal) et de groupes politiques par des flics infiltrés huit mois avant, avec arrestations trés médiatisées deux jours avant le sommet. Enlèvements éclairs de militants trop gênants (comme Jaggi Singh, montréalais de la CLAC) ou de manifestants repérés par des flics encagoulés, devant des passants ou des journalistes, sidérés.

Sur les deux jours il y eut 463 arrestations officielles. De nombreux blessés, dont 2 graves chez les manifestants:une balle en plastique, tirée à deux mêtres dans la trachée d'un manifestant non-armé - il ne parlera plus ; une fracture du crâne avec coma. La majorité des arrêtéEs ne sont relâchéEs que sur versement d'une caution en attendant les procés, à partir du 22 au 31 mai. Pour tout renseignement consulter le site web A-infos et/ou le site de la CLAC.

Notes:

(1) Chrétien, premier ministre du Canada, a d'ailleurs fait un lapsus explicite au cours de ce sommet en parlant de Bush comme le "président des Amériques"...

(2) L'ALENA a ainsi déjà permis à des sociétés US de porter plainte contre les États canadien et mexicain.

(3) La primauté des droits humains - droits de l'homme ; les Etats gardiens du "vivre ensemble" ; l'égalité femmes-hommes ; la reconnaissance et le respect des peuples autochtones ; développement durable, droit aux ressources, agriculture et autosuffisance alimentaire ; droits du travail - conventions de l'organisation internationale du travail ; commerce équitable ; annulation de la dette ; investissements productifs socialement et écologiquement responsables ; fin des diktats du FMI et de la BM ; des Amèriques où la monnaie retrouve ses véritables fonctions (sic!) ; taxe Tobin entre autres mesures fiscales ; élimination de la criminalité financière (resic!) ; informations et référendums sur les accords économiques ; intégration de Cuba dans les nègociations.

(4) Il est toujours possible de commander l'excellent numéro spécial de Courant Alternatif résumant l'action de cette stratégie politique au cours du XXème siècle :" Le mythe de la gauche: un siècle d'illusions social-démocrates"- 25frs - chèque à l'ordre de: La Galère - OCL c/o EGREGORE, BP 1213, 51058 Reims cedex.

(5) Anti-capitalisme ; anti-patriarcat ; refus de la hiérarchie ; autonome ; non-réformisme ; diversité des tactiques ; contact: la_casa2001@hotmail.com

(6) 3 fois la superficie de l'Hexagone, 7 millions d'habitants dont la moitié à Montréal et ses environs, 180 000 dans la ville de Québec.

(7) Affecter des couleurs à une manif, pour que les personnes en connaissent les risques éventuels, peut sembler un peu surréaliste ; après tout, dés que l'on descend dans la rue pour contester l'état de la société, tout peut arriver (et d'ailleurs, on aimerait bien que certaines choses arrivent...); Est-ce une intériorisation par le mouvement de l'obsession "sécuritaire" des sociétés occidentales, sécurité qu'il se sent obligé de fournir aux manifestantEs répondant à son appel? Il est vrai que la police canadienne a par le passé chargé dans des cortèges pacifiques, notamment quand des libertaires en étaient à l'origine.

(8) Face à l'arsenal militaire en place ( tireurs d'èlite, services secrets, blindés ) il fallait autre chose que quelques pierres pour stopper ce sommet. Mais néanmoins la clause "démocratique" rajoutée au projet de ZLEA apparaissait trés clairement comme une énormité et un bras d'honneur à la population, quand au même moment les affrontements continuaient tout autour du périmètre protégeant les éluEs du peuple....


[Sommaire de ce numéro] [Liste des numéros de CA sur le site] [S'abonner] [Commander des anciens numéros]