Courant alternatif no 112 – octobre 2001

SOMMAIRE
Édito p. 3-4
Grève à Mossley p. 5-6
Retour sur Gènes p. 7-8
À propos des Tutte Bianche p. 9-10
La mondialisation où ça ? p. 11-12
Appel à la formation de GAG p. 12
Europolice p. 13 à 15
Prisonniers politiques p. 16-17
Manif à Bure p. 18
Manif nationale antinucléaire le 20 octobre p. 19-20
Rubrique livres p. 22
Le PC antilibertaire p. 21
Soutien aux objos israéliens p. 22-23
Rubrique flics et militaires p. 23
Les Brèves p. 24

ÉDITO
«Rien ne sera plus comme avant» le 11 septembre 2001, nous affirme-t-on. Il faut être singulièrement dépourvu de mémoire pour considérer que l’événement du 11 septembre est «sans précédent». «Qu’est-ce qu’une guerre ? C’est quand des pauvres qui ne se connaissent pas se massacrent pour des riches qui se connaissent et ne se massacrent pas», écrivaient les socialistes libertaires français en août 1914. La guerre est perpétuelle (de basse ou haute intensité), tant qu’exploitation et oppression existent, même si depuis 1945, les occidentaux n’en avaient, sauf pour ceux envoyés au front, vu que des images. Et ce sont toujours les puissants qui la mènent. Pour leur faire face, tous les moyens ne sont pas bons. Le monde n’a pas changé de visage le 11 septembre. Il reste gouverné par les capitalistes. Ce même 11 septembre, selon la FAO, plus de 35 000 enfants sont morts de faim dans le monde, comme chaque jour de chaque année. Ces morts s’additionnent, leurs assassins se complètent...

Depuis plus de 50 ans, le gouvernement et les multinationales des Etats-Unis, appuyés par les Etats occidentaux et tous ceux qui leur sont inféodés imposent leurs quatre volontés au monde entier, détruisent les économies locales, exproprient les paysans, renversent des gouvernements et mettent au pouvoir des Pinochet, Marcos et Mobutu à leur solde qui n’hésitent pas à massacrer leur propre peuple, loin des caméras. Ce faisant, ils ont suscité la haine et la révolte de tous ceux qui en sont les victimes.

La situation aux Etats-Unis

De plus, la crise économique qui frappe les Etats Unis, aiguise aussi toutes les contradictions à l’intérieur du pays. En 1990, les 20% les plus pauvres disposent de 3,7% des revenues, le top 5% les plus riches de 26% du revenu national (50% au total pour les 20% les plus riches). Depuis, la situation s’est encore dégradée. 9,6 millions de personnes (blacks ou latinos majoritairement) ayant un emploi à temps plein vivent, en 1996, en dessous du seuil de pauvreté. L’endettement des particuliers augmente en moyenne de 7,9% par an et celui des entreprises de 9,7%. L’ensemble de la dette se monte en 2000 à 184% du PIB (produit intérieur brut). En 2000, le déficit de la balance commerciale est de 445 millions de dollars, sans provoquer de turbulence financière. Mais ces 445 millions de dollars reviennent actuellement aux USA sous forme d’investissements, de prêts ou de placements en bourse, car l’économie américaine reste attrayante pour les investisseurs avec un dollar fort et un pouvoir qui paraît fort. Mais la bulle financière a déjà explosé. Le NASDAQ, la Bourse des valeurs technologiques américaines, a perdu depuis lors près de 70% de sa valeur depuis avril 2000. Il a entraîné dans sa dégringolade la plupart des Bourses mondiales. Seule Wall Street, la Bourse de New York, a plus ou moins résisté. Les entreprises les plus faibles ou les plus engagées dans les nouvelles technologies licencient massivement (26 000 postes chez Daimler Chrysler, 30 000 chez Motorola, 19 000 chez Ericson, la même chose chez Toshiba et NEC, 16 000 chez Fujitsu, 10 000 chez Kyocera et 15 000 suite au rachat de Compacq par Hewlett-Packard, s’ajoutant au 6 000 initialement prévus chez HP et ce ne sont que des exemples). Le taux de chômage atteint près de 5%, ce qui ne s’était pas vu depuis des années. Et ces attentats suicides tombent à pic pour resserrer un peuple derrière le drapeau.

Le jour des attentats, Noam Chomsky (célèbre linguiste américain, libertaire) déclarait «Les attaques d’aujourd’hui ont été des atrocités majeures. En terme de nombre de victimes, elles n’atteignent pas le niveau de beaucoup d’autres, par exemple, le bombardement par Clinton du Soudan, sans aucun prétexte crédible, qui a détruit la moitié de l’approvisionnement en médicaments du pays, et a probablement tué des dizaines de milliers de gens (personne ne sait, car les Etats-Unis ont bloqué une enquête aux Nations Unies, et que personne ne se soucie de la poursuivre). Pour ne pas parler de cas encore pires, qui viennent facilement à l’esprit. Mais que ce qui vient de se passer soit un crime atroce ne fait aucun doute. Les principales victimes, comme d’habitude, étaient des travailleurs : portiers, secrétaires, pompiers, etc. Il est vraisemblable que cela va s’avérer être dévastateur pour les Palestiniens et d’autres peuples pauvres et opprimés. Il est également vraisemblable que cela mènera à de durs contrôles de sécurité, avec de nombreuses conséquences possibles pour miner les libertés civiles à l’intérieur du pays. Ces événements révèlent dramatiquement la folie des idées sur le «bouclier antimissile». Comme il était clair depuis longtemps, et mis en évidence régulièrement par des analystes des questions stratégiques, si quelqu’un désire causer des dommages immenses aux Etats-Unis, incluant des armes de destruction massive, il est extrêmement improbable qu’il lance une attaque par missiles, dont la destruction immédiate serait alors garantie. Il existe d’innombrables manières plus simples qui sont fondamentalement imparables. Mais les événements d’aujourd’hui vont, néanmoins, être utilisés pour augmenter la pression pour développer ces systèmes et les mettre en place. «La Défense» est une mince couverture pour les plans de militarisation de l’espace, et avec une bonne propagande, même l’argument le plus ténu acquerra du poids auprès d’un public effrayé. En bref, ce crime est un cadeau à l’extrême droite nationaliste, à ceux qui espèrent utiliser la force pour contrôler leurs domaines. Cela sans parler des vraisemblables actions de représailles américaines, et de ce qu’elles déclencheront, - peut-être d’autres attaques comme celle-ci, ou pires -. Les perspectives sont encore plus sombres qu’elles ne le semblaient avant ces dernières atrocités.»

Trouver des coupables

Il faut donc trouver des coupables : les Palestiniens dans un premier temps, puis les islamistes sont montrés du doigt, de même que certains états que les puissances occidentales ont mis en place. «Depuis les années 30, les Occidentaux ont soutenu les courants intégristes. Pratiquement tous les courants politiques faisaient référence à l’islam : les socialistes comme l’Egyptien Nasser, les communistes... Mais l’Occident a stimulé ceux qui utilisaient les aspects les plus réactionnaires et les plus obscurantistes de l’Islam. Les autres courants ont été combattus, comme en Syrie où le grand PC a été réprimé par la France ; comme en Egypte où les Britanniques ont soutenu les Frères Musulmans contre Nasser. Mais à ce moment-là, personne ne parlait d’intégristes car ils travaillaient pour les intérêts des Occidentaux. Donc, ce sont les Occidentaux qui ont affaibli ou éliminé tous ceux qui avaient une autre vision politique que les islamistes : les communistes, Nasser et puis même les régimes nationalistes comme l’Irak qu’ils avaient soutenus auparavant. Les USA ont très tôt aussi soutenu l’islamisme politique. La première base militaire américaine dans la région était la base de Dahran en Arabie Saoudite, installée depuis 1943, au milieu des champs pétrolifères. Or, l’Arabie Saoudite était le premier Etat intégriste de la région : elle n’a pas de constitution, sa constitution c’est le Coran. C’est le cœur du fondamentalisme, tout ce qui est politique et économique, on le règle par la religion. Le président Roosevelt, revenant de Yalta en 1944, a scellé une alliance avec le roi d’Arabie Saoudite lors d’une rencontre sur le porte-avions Quincy. Cet accord avait deux volets : aider la monarchie saoudienne dès qu’elle serait en danger et ne jamais soutenir des opposants à la monarchie saoudienne ; livrer massivement des armes américaines en échange de pétrole saoudien. Voilà pourquoi l’Arabie est depuis lors sur-armée et achète toujours de nouvelles armes aux Etats-Unis. Dès 1945, l’Arabie saoudite était le pion le plus important des Etats-Unis dans la région avec la Turquie et l’Iran. C’est à cette époque, que les USA ont créé une sorte d’«OTAN islamique» avec ces trois pays : le pacte de Bagdad. Voilà aussi pourquoi les Américains étaient tellement furieux par la chute du shah d’Iran en 1979. Non pas qu’ils étaient tellement contre l’intégrisme mais parce que l’Iran de Khomeiny n’était plus dans leur sphère d’influence. Contrairement à ce qu’on peut penser à première vue, Israël n’est devenu un pion central pour les Etats-Unis qu’après 1967 et surtout après la guerre de 1973 où les Etats-Unis les ont massivement armés. Mais ils ont continué à soutenir l’Arabie saoudite, ce symbole de l’intégrisme. Il y a là une continuité depuis près de 60 ans.» (déclaration de Lucas Catherine – auteur de «L’Islam à l’usage des incroyants», EPO – au journal belge Le solidaire).

Dans le jeu de «trouver les coupables», les médias vont encore jouer un grand rôle pour faire croire que tout le monde doit se retrouver derrière la «civilisation» contre la barbarie. Et comme pendant la guerre du Golfe, on va assister à une manipulation : des images en boucle pour renforcer l’émotion, des spécialistes qui savent tout (pour avouer qu’ils sont sûrs d’une seule chose : être sûrs de rien), utilisation d’archives pour faire croire que les Palestiniens manifestent leur joie après ces attentats suicides (ces images furtives, avec un plan très serré, dateraient de 1991, au moment où l’Irak envahit le Koweit) et sûrement d’autres bidonnages. Dans un monde «civilisé», qui se veut rationnel, on nous montre l’irrationnel : on lutte contre le «terrorisme» avec des prières… Peut-être est-ce le nouveau bouclier antimissile de Bush ? Le «God bless America» répond au «Allah Akhbar». L’un et l’autre ne traduisent que le vieux «Gott mit Uns» de tous les massacreurs, l’antique «Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens» de tous les soudards cuirassés de bonne conscience religieuse. «Nous sommes tous Américains» titrait Le Monde, mais ni plus ni moins que Palestiniens, Tamouls, Kanaks… Non, le monde occidental n’est pas le monde «civilisé» et le reste du monde les «barbares» ! Plus rien, pendant les jours qui ont suivi ce 11 septembre, n’avait d’importance (sauf la pub) : plus d’actualités nationales, plus de résultats de foot, plus d’émissions… Il faudra au moins attendre 3 jours pour apprendre qu’Israël profitait de la situation pour continuer leurs opérations en Palestine occupée : «Israël peut maintenant faire ce qu’il n’osait pas encore faire. La liberté d’action de ceux qui combattent le terrorisme va devenir quasiment absolue», expliquait un spécialiste israélien dans Le Monde du 14/09/2001. Que la situation est explosive en Argentine et que des experts américains sont là-bas pour former les militaires argentins à la contre guérilla…

Les conséquences possibles et notre positionnement

A l’heure où sont écrites ces lignes, on ne connaît pas encore toutes conséquences de ces attentats. Des peuples vont souffrir de la réaction des Etats-Unis et de ses alliés (en particulier les Afghans). Les Etats en profitent pour réduire les libertés (avec par exemple le renforcement de Vigipirate en France). Ils vont en profiter pour essayer de fermer encore un peu plus les frontières. Comme l’ennemi désigné est maintenant l’islamiste, certains esprits simplistes vont faire la déduction facile : islamiste = musulmam = arabe = étranger et on risque de voir une remontée de la xénophobie. Il va être facile aussi pour les états occidentaux de faire passer les anti-globlisation comme étant des soutiens aux islamistes et de réprimer encore plus durement les manifestations. Toutes les manifestations d’ailleurs. D’essayer de faire taire toutes les oppositions au système.

Nous ne nous situons dans aucun des deux camps en présence : ni celui du capitalisme, ni celui de ceux qui disent le combattre par un retour à l’obscurantisme. Depuis quand des milliardaires ont été le soutien des opprimés ? Dans le combat du Bien contre le Mal où veulent nous emmener les gouvernants américains, le Bien n’est pas du côté de ceux qui ont commencé par le génocide des Indiens, puis par l’esclavage, ceci au nom de la liberté d’entreprendre. Le Bien, ce n’est pas le capitalisme qui génère de la misère, du chômage, du désespoir, de l’oppression. S’il se drape des oripeaux de la démocratie, il sait aussi dans certains cas se servir de la torture, de la négation des droits fondamentaux, de la violence des puissants pour asseoir son pouvoir. Mais au fait qu’est-ce que le Bien et le Mal, sinon des concepts moralistes. Nous nous situons bien dans le camp de ceux et celles qui se battent contre ce système et veulent une révolution sociale. Bush n’est pas crédible comme défenseur de la démocratie, pas plus que ceux qui ont commis cet attentat ne le sont comme défenseurs des victimes de l’ordre du monde. Chacun n’est que l’ombre de l’autre.

OCL, le 15 septembre 2001


OBSERVATIONS DISSONANTES SUR GÊNES

Sans aucun doute le sommet du G8 et les manifestations qu’il a provoquées du 19 au 21 juillet 2001 correspondent à une nouvelle étape dans l’émergence de ce que l’on appelle le mouvement “antimondialisation”. La violence, qui semble être le seul fait marquant de ces journées, est la principale question qui occupe désormais les débats. Qu’en était-il vraiment ?

Il est indéniable qu’un pas supplémentaire a été franchi à l’occasion de ce sommet. Depuis de long mois le sommet du G8 à Gênes était annoncé comme un point de convergence très important en Europe. L’expérience des sommets précédents (Prague, Nice, Davos ou Seattle, Washington, Québec) et de la montée en puissance de la contestation faisait craindre le pire aux autorités. Le dernier qui s’était déroulé à Göteborg en Suède avait également été marqué par des affrontements sérieux et l’utilisation de balles réelles pour contenir les manifestants. Dès lors, les manifestations de Gênes s’annonçaient "chaudes" et, aussi bien côté manifestant que policier, on se préparait à une grosse "baston".

La violence de l’Etat (Opération "justice infinie" sur Gênes…)

Bien sûr, le gouvernement italien avait mis en place un dispositif de "protection" à la hauteur des hordes de manifestants qui allaient déferler sur la ville en provenance des quatre coins de l’Europe. Quelques jours avant le début des festivités, les plus optimistes (ou pessimistes selon le camp dans lequel on se situe) annonçaient le chiffre de 100 000 personnes qui devaient se rendre sur la ville avec l’intention d’empêcher le déroulement de la réunion des chefs d’états. Finalement au plus fort des manifestations il y eut plus de 200 000 personnes.

En conséquence, la ville de Gênes avait été complètement blindée, notamment autour de ce qui fut appelé la "zone rouge", où devait se tenir la petite sauterie de nos dirigeants planétaires. Cette zone enveloppait l’intégralité du port et la plus grande partie du centre historique de la ville dans une muraille bétonnée et grillagée de plus de 4m de haut. Aux alentours, les moindres plaques d’égouts ou de canalisation avaient été soudées. Les grandes avenues commerciales et les principaux buildings étaient protégés par d’énormes conteneurs disposés comme des légos géants. Les rues avaient été vidées de la plus part de leurs voitures et tous les commerces étaient fermés. Les hélicoptères rodaient nuit et jour. Des patrouilles de police étaient postées à chaque coin de rue. De temps en temps, circulaient d’inquiétants cortèges de véhicules blindés de toutes sortes (noirs, gris, à roues, à chenilles, etc.). Bref, tout ceci donnait une forte impression d’état de guerre.

Lorsque les premières manifestations se sont déroulées se fut la surprise. Alors que tout le monde croyait que ce dispositif policier et militaire était surtout prévu pour défendre la zone rouge, il apparut de manière assez évidente que ce qu’avaient préparé les autorités italiennes depuis des mois consistait en fait en une sorte de “blitzkrieg” (1) offensive. Il est toujours difficile d’analyser et d’imaginer ce qui se trame dans les cerveaux de responsables policiers, mais il semble que cette fois leur objectif était d’empêcher toute initiative, de désorganiser systématiquement tous les cortèges qui pourraient se former et de provoquer des mouvements de panique. Pour ce faire, la tactique policière était simple : "frapper sur tout ce qui bouge". L’utilisation systématique de la matraque et des gaz lacrymoGênes, y compris contre la manifestation pacifique et autorisée de la gauche italienne (2), ne peut laisser croire qu’il s’agit de bavures. De même l’opération de “perquisition” en pleine nuit contre l’école Diaz où se trouvait l’intendance du contre sommet et la salle de presse fut d’une violence inouïe, mais planifiée. Les ambulances avaient ainsi été commandées à l’avance par la préfecture et sont arrivées sur les lieux en même temps que les policiers ! D’autre part, pourquoi avoir laissé les policiers sans relèves subir pendant des heures les assauts des manifestants ? Pourquoi leur avoir laissé leurs armes chargées à portée de main ? Dans ce contexte, les 600 blessés et la mort de Carlo Giuliani laissent planer un sentiment de préméditation.

La détermination des manifestants

De l’autre côté des barricades, la totalité des participants à ce contre sommet était déterminée à s’exprimer et étaient venus en imaginant bien qu’il y aurait quelques heurts avec la police.

Concernant les manifestations du vendredi 20 juillet qui réunirent 50 000 personnes, le mot d’ordre était de franchir la zone rouge. Cela impliquait donc forcément la destruction de l’édifice et un contact physique avec les forces de l’ordre. Cet objectif était partagé, de façon plus ou moins ambiguë, par la totalité des organisations présentes - y compris celles qui dénonceront un peu plus tard la violence des Black Block. Dés lors une grande proportion de manifestants étaient équipés en conséquence pour faire face à quelques coup de matraques et au gaz : casques, lunettes de plongée, masque à gaz, boucliers en plexiglas, protection en mousse. Quelle que soit leur appartenance (des Black Block aux syndicats d’extrême gauche italiens en passant par les Tute Bianchi3) un grand nombre de manifestant possédait ainsi au moins un élément de cette panoplie, peu approprié aux manifestations pacifiques, et affichait ainsi leur détermination à résister aux forces de l’ordre. Un certain degré de violence était donc assumé par une partie importante des participants et les premières vitrines de banques sont tombées sous des applaudissements.

Le lendemain, les forces répressives - responsables de l’assassinat de Carlo Giuliani la veille – s’était massées de manière très provocante et agressive à proximité du grand cortège de 200 000 personnes. Immanquablement ce sont des centaines de manifestants, toutes couleurs confondues, qui se sont alors relayés tour à tour pour les harceler jusqu’à épuisement. De nouveaux il n’y avait pas beaucoup de pacifistes bêlants pour reprocher cette juste riposte au meurtre de la veille. Bien au contraire, ces journées furent marquées par une grande solidarité entre tous les émeutiers : échange d’eau, de collyre pour les yeux irrités par les gaz, organisation de cordons pour faire face aux charges policières, etc.

Les donneurs de leçon

Cette vision ne correspond donc absolument pas à la description qu’on voulut faire certains responsables politiques le lendemain des événements. Il n’y avait pas de petits groupes "ultra minoritaires", "ultra violent", "ultra noir", "ultra radicaux", venus pour tous casser et pour piller. Il n’y avait pas de "Black Blocks" et autres "racailles anarchistes" qui profitaient des cortèges pacifiques pour se protéger et saccager la ville. Il n’y avait pas de policiers qui chargeaient uniquement les honnêtes manifestants et qui épargnaient leurs petits copains habillés de noir.

Bien sûr, comme toujours lors de ce genre d’événement, il eut quelques dégâts collatéraux. Un ou deux commerces sans signification politique particulière furent attaqués, et quelques voitures de particuliers furent brûlées dans le feu de l’action par quelques individus agissant plus par gourmandise, pour renforcer l’ambiance de d’émeute et de guérilla, que par stratégie réfléchie. Quoi qu’il en soit, ces actes furent très isolés et ne méritent en aucun cas l’obnubilation qui a animé les médias et les discussions les jours suivants. Au contraire, avec un peu de recul, les manifestants de Gênes, même les plus radicaux, peuvent apparaître comme très pacifiques : à peine 1 ou 2 cocktails Molotov, quelques barricades maigrelettes et totalement inefficaces contre les blindés de la police, très peu de policiers blessés. En tous cas rien à voir avec les traditions de luttes ouvrières en Europe, ou certaines manifestations sur d’autres continents.

Toute l’habileté des responsables politiques de gauche4 qui se sont aussitôt fermement positionnés contre la violence après les événements de Gênes consista à retourner de manière abjecte la responsabilité des 600 blessés et de la mort d’un manifestant vers les éléments les plus radicaux. Ce fut l’occasion d’un déballage hallucinant de déclarations sécuritaires en appelant, sans la moindre réserve, à la collaboration avec les forces de l’ordre afin d’isoler et d’affronter les groupes anarchistes et autres Black Block (n’est-ce pas Monsieur Cohn Bendit !). On en entendit même certains reprocher le laxisme de la police berlusconienne qui avait laissé venir en Italie ces indésirables. Encore une occasion flagrante où tous ces personnages, responsables d’ONG, de syndicats et de groupe d’extrême gauche dévoilent leurs véritables intentions : manifester paisiblement et négocier leur part du gâteau auprès des puissants. Heureusement, ce type déclarations, qui avaient déjà fusées en accompagnant les balles tirées à Göteborg, ne paraissent pas calmer les ardeurs de la majorité des manifestants qui se sont rendu encore plus nombreux à Gênes "en bravant le danger des casseurs".

Pour conclure, la mobilisation à Gênes confirme indéniablement l’apparition d’un mouvement hétéroclite, mais néanmoins relativement soudé en dehors des Etats major d’organisation, que la répression sauvage ne semble pas pouvoir stopper pour le moment. Au delà de la question de l’utilisation de la violence, il est désormais indispensable que se posent désormais les orientations vitales de ce mouvement : vers une critique réformiste de la société, ou vers l’élaboration d’une contestation révolutionnaire et résolument anti-capitaliste ?

Tonio, le 19 septembre 2001

(1) Guerre éclair pratiquée par les troupes de Hitler lors de la seconde guerre mondiale.
(2) Pour se rendre compte, il faut imaginer en France une manifestation composée de cortèges de la CGT, du PC et des verts qui se feraient charger et matraquer par les CRS ! Du jamais vu depuis les morts de Charonne en 1962.

ENCADRE
Pendant ce temps la Suède – patrie de la social-démocratie – fait tourner ces tribunaux à plein régime pour réprimer les manifestants de Göteborg :
30 inculpés ont été jugés pour agression, émeute, sabotage, vol. Les peines sont très lourdes : nombreuses peines de prison ferme, allant jusqu’à 4 ans et des interdictions du territoire pour les étrangers, 7 acquittements. Il y a des appels pour presque toutes les condamnations, en particulier, appel du parquet pour tous les acquittements.



FAUX-SEMBLANTS SANS FARD EN COMBINAISONS BLANCHES
Avec le texte qui suit nous voulons contribuer à remettre les pendules à l’heure concernant le mouvement des Tute Bianche – Les Invisibles – en Italie. Alors que beaucoup les citent en exemple dans les luttes : sans-papiers, antiglobalisation… (à Gènes ils/elles sont présenté-e-s comme « La tendance la plus intransigeante de la protestation antiglobalisation »), il nous a semblé intéressant de traduire ce texte paru dans l’hebdomadaire de la Fédération anarchiste italienne, Umanita Nova. Un texte porteur d’un tout autre point de vue.

La naissance du mouvement dénommé Tute Bianche remonte à 1988, quand les centres sociaux se réferant à la « Charte de Milan » décidèrent de s’éloigner, au moins par leur image, du reste du mouvement antagoniste qui n’adoptait pas leurs positions politiques.

Cette Charte est apparue dans une assemblée qui s’est tenue le 19 septembre 88 à Milan, au centre social Leoncavallo. Elle constitua le point de convergence de différentes démarches, venant de l’aire des centres sociaux, comme Leoncavallo, le « milieu » des centres sociaux du nord-est italien (Padoue, Venise, Mestre, etc.) ainsi que certains de Rome (Corto Circuito, Forte Prenestino). Les centres de Ligurie et des Marches s’y rallièrent ensuite.

Ces différentes démarches n’étaient pas totalement homogènes, mais s’étaient construites au cours de la période précédente autour de la tendance de certain-e-s militant-e-s en recherche d’une (re)définition et d’un nouveau rôle politique ; la pratique se constitua à partir de connections avec la « gauche » institutionnelle comme avec certains secteurs associatifs et des militant-e-s bénévoles, dont des catholiques. Dans le même temps des contacts avaient été pris avec des maires, même de droite, pour obtenir une reconnaissance politique et une légalisation des centres squattés avec l’argumentation qu’ils offraient des services publics et des spectacles, organisés par des coopératives sociales liées au secteur non-marchand.

À Mestre (Venise) en particulier, des négociations menées au conseil municipal autour du centre squatté « Rivolta », une ancienne usine, pour un coût approximatif d’un million de dollars US venant de fonds publics et soutenu par le groupe économique Benetton, déboucha sur une légalisation de ce centre. Un tel « tournant » politique, applaudi à la fois par la presse de gauche et la TV, fut alors présenté comme la conséquence d’une révision théorique assumant la fin de la période de la lutte des classes et de la subversion communiste, la reconnaissance d’une « société civile ». Mal définie, celle-ci n’en est pas moins considérée comme une nouvelle interlocutrice visant une « réforme conflictuelle de l’État-providence » par la revendication de droits universels, avec en premier lieu le « revenu citoyen ».

Pour soutenir ces thèses, les centres sociaux de la Charte de Milan dénichèrent un fédéralisme ambivalent : le municipalisme et l’autogestion n’apparaissaient plus comme des alternatives radicales pour une auto-organisation sociale mais plutôt comme un « nouveau » modèle de participation démocratique et de représentation politique dans les institutions comme dans les administrations locales. Ainsi le Centre Leoncavallo a fini par soutenir un démocrate-chrétien comme Martinazolli, dans la course à la mairie de Milan. Tout en regardant à la dérobée de derrière le drapeau du néo-zapatisme, l’étape suivante a été la participation de membres de cette mouvance aux élections locales dans les rangs du Parti Vert ou de Refondation Communiste avec une position exprimant tout sauf l’opposition aux gouvernements de centre-gauche. Lucas Casarini, un porte-parole (mais un vrai : le leader !) des Tute Bianche fut désigné comme conseiller de Livia Turco, ministre des Affaires sociales dont le nom est associé à la loi créant les camps de rétention pour sans-papiers et clandestins en attente d’expulsion.

Depuis 1998, suite à cette « nouvelle » évolution politique, une profonde rupture s’est installée dans le mouvement antagoniste, avec d’un côté les Tute Bianche de plus en plus impliqués dans un cadre institutionnel et social-démocrate; et de l’autre les centres sociaux, les squatts et les expériences d’auto-organisation sociales et syndicales qui prennent leurs points de référence dans « l’Autonomie de Classe » ou les expressions bigarrées de l’anarchisme depuis les squatteurs jusqu’à la Fédération anarchiste italienne (FAI).

Durant les manifestations de rue, une question contribuait à aggraver les fractures, la prétendue « désobéissance civile ». À plus d’une occasion, il apparut clairement que certains affrontements entre les Tute Bianche et la police avaient été arrangés préalablement, comme un article de L. Quagliata le dénonça dans le journal Il Manifesto du 1er février 2000 sous le titre : « Guérilla urbaine ? Mais je vous en prie... ». D’autant qu’à plusieurs reprises et en différents endroits (Bologne, Aviano, Trévise, Trieste, Venise, Rovigo...) les Tute Bianche ont commi agressions physiques, menaces ou délation contre des autonomes, des anarchistes, des communistes révolutionnaires et d’autres composantes du mouvement pour l’auto-organisation qui rejettent l’hégémonie politique que les Tute Bianche prétendent imposer, avec la complicité des médias, à la totalité du mouvement d’opposition.

SANDRA K.
(traduction OCL Nantes)

ENCADRÉ - Morceaux choisis:

« ...Excusez-nous, camarades, mais pour nous votre inflexibilité à suivre des principes et le refus de toute médiation avec les institutions se rapprochent plus de la pensée anarchiste et du maximalisme populiste, digne de l’ancienne organisation de gauche Lotta Continua, que de la formation politique de nos militants. Il n’y a rien de pire que cela, éclaircissez donc cette question. Permettez-nous seulement d’observer que les propagandistes néo-anarchistes de l’action directe et les néo-communistes orthodoxes et fondamentalistes ont en commun le même extrémisme en ce qui concerne le langage pseudo-révolutionnaire ».
(extrait de la déclaration « Camminiamo interrogandoci », écrit par Radio Sherwood à Padoue en réponse au mouvement antagoniste toscan, octobre 1996).

« L’État n’est plus dorénavant l’ennemi à abattre, mais l’homologue avec lequel nous devons discuter les choses » (interview de Luca Casarini, supplément du quotidien Il Gazzetino, 23/04/98).

« Les squatteurs de Turin sont trés éloignés de nous, qui discutons les choses avec les institutions et qui travaillons sur des projets et des initiatives. Ils occupent les centres sociaux seulement pour y vivre et s’isoler eux-mêmes du reste de la société. Hier Valentino Castellani (le maire de Turin) m’a téléphoné pour demander mon aide. Nous avons pris rendez-vous »
(interview de Luca Casarini - avril 98).

« Dans les centres sociaux du nord-est du pays, nous avons sorti des nouveaux dirigeants, des gens sérieux comme Luca Casarini. Ne sont-ils pas des nôtres ?! Maintenant certains centres sociaux s’orientent eux-mêmes vers un esprit d’initiative indépendant. Ils ont Cacciari (le maire de Venise) comme interlocuteur intelligent, ils se pensent comme un lobby démocratique »
(Interview de Fausto Bertinotti, secrétaire du parti Refondation communiste, dans Il Manifesto du 16/07/98).

« Le jour où ils ne nous appelleront plus « autonomes » sera une fête... L’idéologie est dépassée »
(interview de Max Gallob, porte-parole du centre social Pedro à Padoue dans le quotidien Il Gazzettino du 15/03/00)

« À Davos, en accord avec José Bové, le leader des agriculteurs français, nous avons invité par mégaphone à isoler ceux qui brisaient les vitrines. Nous y avons réussi avec l’aide des plus jeunes des centres sociaux de Mestre.. J’ai rencontré les garçons des centres sociaux de Mestre et de Padoue... J’ai parlé avec eux, je leur ai dit qu’à la première action violente ils seraient repoussés, ensuite j’ai écouté leurs raisonnements. En fait à Davos ils sont restés de notre côté, ils n’ont jeté aucun molotov »
(interview de Grazia Francescato, parlementaire et leader du parti Vert dans le quotidien Corriere della Serra du 25/05/00).

« Dans le vieil atelier nous trouvons les restes des traditions révolutionnaires qui ont traversé l’histoire du XXe siècle: la communiste, l’anarchiste, la travailliste (?) et les autres. Observons les, désenchantées par ce qu’elles sont : des fragments d’une époque dépassée, avec sa splendeur et sa misère, ses victoires et ses défaites, qui ne reviendront plus jamais, qui ne peuvent être reconstruites »
(extrait d’une déclaration en direct sur Radio Sherwood, printemps 2000).

« ...Ainsi il existe aussi une gauche réactionnaire, pleine de nostalgie pour l’identité de classe, avec sa manière idéale de spéculer sur les petits pays (de Haider) »
(interview de Beppe Caccia, conseiller municipal de Mestre et chef de file des Tutti Bianchi, dans le supplément « Musica » du quotidien La Republica en novembre 2000).


VOUS AVEZ VU LA MONDIALISATION OÙ ÇA ?
Pourquoi encore parler de cette tarte à la crème qu’est devenue la mondialisation ?
C’est une évidence pour tous, de Bill Gates à José Bové et bien au-delà des secteurs réformistes ; c’est même une évidence pour la plupart des révolutionnaires. Et pourtant…

On nous fait croire que le système recouvre le monde – le fameux village global –, et qu’il est parfaitement légitime qu’il en soit ainsi. Ce n’est pas une idée propagée par les seuls tenants du néolibéralisme : selon Marx comme selon Lénine, le capitalisme en dominant le monde, suscitera ses propres contradictions, qui finiront par l’abattre. C’est ce qu’ont affirmé Marx dans son Capital et Lénine dans l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. La seule différence entre Bill Gates et Vladimir Illitch est que le premier souhaite voir ce système perdurer tandis que l’autre se réjouissait de la perspective d’émancipation des masses au niveau mondial. Nous savons depuis longtemps que le processus dialectique qui conduirait à la révolution est tout sauf mécanique : le capitalisme de l’époque de Marx, pas plus que celui de l’époque de Lénine, n’a suscité des contradictions internes telles que cela l’aurait abattu.

Dès l’époque de Lénine, Rosa Luxemburg critiqua les thèses de Marx : elle montra que l’accumulation du capital s’appuyait sur la permanence de secteurs non capitalistes (dans son Accumulation du capital, 1913, ouvrage condamné unanimement par les marxistes du moment et notamment Lénine). Cette approche est pourtant d’un intérêt certain : la camarade Luxemburg est en effet partie de l’idée que le capitalisme n’avait pas l’air du tout, à son époque, de s’effondrer, à l’inverse de ce qu’on aurait pu croire.

Rosa Luxemburg explique que, si le capitalisme ne s’effondre pas aussi vite qu’on pouvait l’espérer, c’est parce qu’il subsiste, à côté des secteurs recouverts, dominés et organisés par le système, de larges pans de l’économie mondiale en quelque sorte "précapitalistes". De ces secteurs, le système tire un grand profit, en les exploitant sans vergogne – c’était, à l’époque de Rosa, le cas des colonies, notamment. Il ne s’agit pas de discuter à perte de vue pour savoir si le fait que le système tire un profit nécessaire à son accumulation de capital de ces zones précapitalistes les inclut ou non dans le système : la critique de Lénine consistait à dire que le système s’étendait bel et bien au monde entier, dont les masses avaient été prolétarisées, et que de cette extension impérialiste allait naître la contradiction qui allait abattre le capitalisme.

Un siècle plus tard, c’est la thèse de Rosa Luxemburg qui reste seule vraie : la misère de nombreuses masses du Sud n’est pas le produit direct d’une exploitation de type capitaliste – la plus-value extraite de leur travail est soit nulle, soit infime, et surtout leur travail ne participe pas au système dans son ensemble car le produit de ce travail ne trouve pas d’autre débouché que celui d’une économie de survie locale, qui n’influe pas sur le système – ou alors en négatif, parce que ces masses de pauvres font des enfants, et que cela finit par créer de fortes tensions sociales, et peut-être même démographiques à l’échelle mondiale (cf. Amérique ? Amerikkka ! et le dernier texte, "… des moyens naturels : la famine et la maladie", éditions Acratie, 1992). Pour le dire autrement : une énorme part des miséreux du Sud ne sont pas des prolétaires au sens marxiste du terme. C’est le cas de tous ceux que les statistiques regroupent sous l’appellation générique de "secteur informel". Ce qui n’enlève rien à la réalité du processus de domination impérialiste.

D’autre part, le système "mondialisé" ne s’intéresse pas autant qu’on le croit aux masses pauvres du Sud et, en tout cas, ne parvient pas à les intégrer. Un dénommé Paul Streeten, professeur d’économie encensé par le FMI et la Banque mondiale, en donne une preuve dans un ouvrage à paraître : La globalisation, opportunité ou menace ? L’auteur est un fervent adepte du capitalisme et de la mondialisation, qu’il souhaite voir s’intensifier. Voici ce qu’il dit (c’est moi qui souligne) :

"… remarque à la notion selon laquelle nous vivons une mondialisation sans précédent : les pays en développement (et leurs divers groupes), qui ont bénéficié de l’expansion des échanges (et des investissements étrangers qui sont très concentrés en Asie de l’Est, au Brésil, au Mexique et maintenant en Chine) ont été peu nombreux, une douzaine tout au plus, bien que leur nombre ait augmenté. Douze pays d’Asie et d’Amérique latine comptent pour 75 % du total des flux de capitaux, tandis que 140 des 166 pays en développement en ont reçu moins de 5 %. Une grande partie des investissement étrangers est effectuée dans un éventail restreint de branches d’activité par des entreprises de quelques pays (source : Cnuced, 1996). Les masses pauvres du sous-continent indien et de l’Afrique subsaharienne n’ont pas (jusqu’à présent du moins [sic !]) tiré d’avantages substantiels de la croissance du commerce et des investissements internationaux. En fait, le plus gros des flux internationaux de biens, de services, d’investissement direct et de financement suivent les axes reliant l’Amérique du Nord, l’Europe et le Japon. Les pays les moins développés n’ont reçu que 0,1 % du total des apports d’investissement, et l’ensemble des pays en développement 0,7%. L’Afrique en particulier a été quasiment laissée pour compte."

On pourrait étayer le raisonnement sur d’autres chiffres, par exemple l’expansion d’Internet – autre tarte à la crème du discours triomphaliste néolibéral – est bien moins remarquable que prévu : à la mi 2001, il n’y a que 400 millions d’ordinateurs connectés, et sur ces 400 millions, il n’y en a que 3 millions en Afrique (pour 600 millions d’habitants) et 16 millions en Amérique latine (pour 500 millions d’habitants). Et les perspectives de croissance dans les pays pauvres sont très réduites, d’autant que 2 milliards d’êtres humains n’ont pas, en 2001, l’électricité…

Ainsi, la mondialisation – le fait d’incorporer l’ensemble de la planète à l’économie mondiale – est un leurre si l’on croit par là que, aujourd’hui, l’ensemble des activités humaines participe à un seul système.

Le capitalisme ne parvient pas à intégrer "positivement" l’ensemble des pays du monde, c’est-à-dire à leur offrir des moyens de faire vivre les masses et de les faire adhérer ainsi à son ordre économique et politique. Or, seule cette intégration positive pourra lui éviter d’exploser – sans préjuger du type d’explosion qui se produira, révolutionnaire ou réactionnaire. En effet, seule l’intégration peut résoudre les contradictions économiques trop criantes entre riches et pauvres, comme on l’a bien vu dans les pays développés par le capitalisme, où le réformisme politique et l’élévation du niveau de vie ont très largement gagné la classe ouvrière. De plus, la permanence de secteurs précapitalistes, ou plutôt non capitalistes, laisse penser que l’utopie d’une humanité non régie par les lois du profit n’est peut-être pas si en dehors du réel que cela…

La mondialisation existe pourtant bel et bien si l’on entend par là la tentative de soumettre les pays dominés à un ordre régi par une libre-circulation théorique des capitaux et des marchandises. Mais cela ne relève pas d’un bouleversement aussi radical qu’on le pense en général : la libre-circulation reste en effet théorique car, à force d’appauvrir le Sud, il n’y a plus assez d’acheteurs et il y en aura de moins en moins (tel est, en dernière analyse, le sens d’une expression comme "la concurrence féroce entre les USA, l’Europe et le Japon"). Rien de bien nouveau : les êtres humains dominés par l’économie capitaliste s’appauvrissent.

Conclusion : derrière la mondialisation se cache le progrès, technologique, financier et autre, qui réduit le monde et la vie des êtres humains à la production de marchandises et s’appuie sur une intensification de la spoliation d’une part toujours plus grande de pauvres. Critiquer la mondialisation sans s’attaquer aux progrès, aux technologies et à tout ce qui a rendu cette mondialisation possible et nécessaire pour le système, c’est ne pas regarder la Lune mais le doigt qui montre la Lune…

Philippe GODARD


POUR UN RÉSEAU DE GROUPES ANTI-GLOBALISATION
Depuis Seattle, la contestation des grands sommets capitalistes se généralise. La participation à cette contestation n’est pas pour nous une fin en soi mais le complément des différentes luttes anticapitalistes dans lesquelles nous sommes impliqués. Depuis le début des années 1990, des initiatives se sont fait jour dans la mouvance libertaire pour se donner les moyens de contester ces sommets (sommets franco-africains de La Baule et de Biarritz, sommet du G7 à Lyon).
Ces rassemblements donnent l’opportunité de globaliser les luttes que nous menons, d’affirmer qu’elles découlent de la logique capitaliste mondiale. C’est aussi l’occasion de renforcer les rapports de force et de multiplier les convergences.

Pour nous, il est important d’affirmer nos positions :
- la globalisation est l’évolution logique du capitalisme. Demander l’aménagement du capitalisme pour en atténuer les inégalités les plus criantes est illusoire et manipulateur : c’est un changement radical de société qui s’impose ;
- pour nous, les solutions ne consistent certainement pas au retour à un État fort et régulateur réclamé par le courant citoyenniste mais passent par sa suppression et l’instauration de l’autogestion.

ALORS PASSONS À L’OFFENSIVE !!!

Nous constatons que nous ne nous sommes pas donnés tous les moyens pour faire entendre clairement nos positions lors des contre-sommets précédents : la formalisation d’une opposition radicale et révolutionnaire aux forteresses du capitalisme est nécessaire. Pour nous, les mobilisations comme celle de Nice ont manqué : de coordination entre les libertaires présents ; de matériels communs ; d’organisation sur place ; et la présence des libertaires n’a pas été non plus le reflet des luttes locales.

De surcroit, face à la mise en place d’un contrôle et d’une répression policière brutale et planifiée, le manque d’organisation ne permet pas de façon optimum : de répondre à la double répression policière et idéologique ; d’autonomiser les manifestants (par la diffusion de pratiques de “protections” collectives) ; d’exprimer notre solidarité avec les personnes “réprimées” (par la mise en place d’un réseau d’avocats par exemple).

Aussi, dans la perspective de la participation à d’autres échéances, il nous semble nécessaire de nous préparer en répondant à ces manques et en utilisant l’expérience des Groupes Anti-G7 dont nous faisons par ailleurs un bilan positif et constructif, puisqu’ils sont parvenus à coordonner l’action d’une dizaine de groupes locaux lors du sommet de Lyon en 1995.

En outre, comme depuis quelques temps, plusieurs appels à l’unité des libertaires circulent, et comme il nous semble que les contre-sommets permettent une réelle coordination d’actions dépassant le cadre des organisations actuelles, nous appelons à la création d’un réseau de groupes locaux fédérant leur action en vue des prochains sommets et étant le reflet des luttes locales et sur des bases anti-capitalistes et anti-étatistes.

L’existence d’un réseau devrait permettre de répondre aux carences organisationnelles constatées à Nice ; d’instaurer une meilleur protection contre la répression (avant, pendant et après les manifestations) ; de coupler, comme cela nous semble nécessaire, manisfestation et débats, en organisant, sur place, un forum (“L’Europe forteresse et la libre circulation des personnes” pourrait être le thème de celui de la prochaine échéance) ; d’assurer plus efficacement la diffusion, la visibilité de nos actions et nos rapports avec la presse.

Afin d’envisager l’avenir de ce réseau, nous ferons, fin septembre, un bilan des réponses reçues qui pourra être suivi par des réunions décentralisées le week-end du 27-28 octobre.

Cet appel a été envoyé à l’ensemble de la presse libertaire et aux contacts des anciens GAG (anti-G7 de Lyon) ainsi qu’à l’ensemble des contacts et réseaux connus par les personnes participantes à l’initiative de cet appel.

Aymeric (Ariège), Jérôme (Strasbourg), Olivier (Saint-Nazaire), Scylla (Lyon), août 2001

Contacts
- Strasbourg : Festival Permanent contre les lois racistes BP 73 67061 Strasbourg Cedex
- Cité : BP 131 - 44403 Rézé Cedex
- Solidarité/HM : Illas 09200 Riverenert.


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