Courant alternatif no 114 – décembre 2001

SOMMAIRE
Édito p. 3
Un mois de grève chez McDonald’s p. 4
Loi sur la sécurité quotidienne p. 5 à 7
Mobilisations antiguerre en Amérique du Nord p. 8
Une guerre qui n’en est qu’à ses débuts p. 9 et 10
Les réfugié-e-s de Sangatte dans le contexte de la guerre p. 11 et 12
Lutte pour le logement des sans papiers à Nantes p. 12 et 13
Rubrique Flics et militaires p. 13 et 14
Squatt à Reims : french army under attack ! p. 15
Chroniques palestiniennes : la question de l’eau p. 16 à 18
Les luttes pour l’eau ont commencé p. 19 et 20
Michelin, Clermont-Ferrand et l’Indochine p. 21 et 22
La Françafrique en actions p. 23
Rubrique Livres & revues p. 24

ÉDITO
Dans cette période de consensus sécuritaire et d’union sacrée, le flot d’informations déversées à jet continu sur nos têtes laisse entrevoir parfois des morceaux de choix, remarquables synthèses qui révèlent l’ambiguïté de la politique internationale actuelle. Confronté à la complexité du monde lointain – qui régit pourtant notre vie ici – on a alors envie de s’exclamer comme dans un vieux feuilleton : « Bon sang ! Mais c’est bien sûr !! », tout en se demandant pourquoi un organe de propagande comme la télé peut diffuser une telle peinture de l’immoralité du pouvoir.

Une émission, diffusée sur Arte courant novembre et intitulée La république atomique, rappelait tranquillement quelques « secrets » en singulière résonance avec la situation internationale. Passons sur le fait peu anodin de voir un ancien ministre britannique des années 60 affirmer benoîtement ce que le mouvement antinucléaire répète depuis un quart de siècle : « Le nucléaire, c’est cher, c’est dangereux, c’est forcément lié au militaire ». Le plat de résistance de La république atomique consistait à expliquer comment les USA, en pleine guerre froide avec l’URSS, ont diffusé de façon intéressée la technologie nucléaire et des matières fissiles dans le monde entier par l’intermédiaire de l’État français dés les années cinquante… La France, la Turquie et l’Iran étaient censés contenir l’avancée soviétique à l’ouest et au sud. La participation iranienne au capital de l’usine française d’enrichissement d’uranium Eurodif (seul équivalent dans le monde du modèle américain) devait fournir au chah le matériau pour la bombe et un statut de puissance nucléaire pour peser face à l’URSS. Malheureusement pour les USA, le chah n’a pas voulu rester à sa place. Persuadé du destin régional de l’Iran, il entendait influencer une zone allant du Pakistan à l’Arabie saoudite, avec les 2/3 des réserves énergétiques du Globe ; cette erreur impardonnable pour les 7 sœurs (les 7 grandes compagnies pétrolières américaines) devait lui valoir son trône.

Et c’est ainsi qu’en 1978 l’exécutif américain conseille au chef de l’armée iranienne de ne pas intervenir contre la rue en ébullition, alors qu’au même moment Carter assure le chah du soutien américain… Le chah en exil, les USA finalement perdent toute influence en Iran, avec l’épisode des otages, face à des mollahs intraitables. Les Soviétiques, qui interviennent alors chez le voisin afghan, déclenchent le soutien de la CIA aux moudjahidins et à un certain Ben Laden (cf. p. 9, l’article sur la politique afghane des USA).
Cette chère république atomique livre des technologies nucléaires à l’Irak, gouvernée par Saddam Hussein, ancien étudiant baassiste ayant fréquenté assidûment l’ambassade américaine au Caire dans sa jeunesse… Finalement, la bombe ne doit pas échoir à l’Irak, puissance arabe : l’usine nucléaire vendue par la France est bombardée par un raid israélien, grâce à un discret soutien français… Même si l’émission d’Arte s’arrête là, nous connaissons la suite ; Saddam, pas plus que Pahlévi, n’est suffisamment docile. Il s’intéresse de trop près aux champs pétrolifères koweiti, et c’est la guerre du Golfe en 91. Instruits par le précédent iranien, les USA lui permettent de rester au pouvoir, d’écraser les révoltes chiite et kurde sans pour autant que l’Irak, affaibli, puisse menacer la Pax Americana ; mais sa seule présence justifie le maintien de bases US dans le Golfe.

Les intérêts pétroliers et le contrôle de l’énergie par tous les moyens, nucléaires si besoin, révèlent la réalité du credo économique libéral, cher à Wall Street : « la main invisible du marché » a pour le moins une action très concrète et intéressée sur les peuples et les gouvernements de la planète.

Les attentats du 11 septembre 2001 apparaissent dès lors comme la conséquence vraiment tardive de décennies d’une politique du Moyen-Orient, digne d’un Dr Folamour. À l’est, un Pakistan armé – fort judicieusement – de la bombe peut faire face à l’Inde et à la Chine. À l’ouest, Israël sanctuarisé par sa bombe gèle opportunément tout le Proche Orient. Les vingt-trois années de guerre endurées par les populations afghanes ne reflètent que la situation peu enviable d’une pétaudière-tampon où l’Alliance du Nord semble prête à de nouvelles guerres intestines, entretenues par de puissants voisins via leurs ethnies. L’action autonome des populations semble irrémédiablement vouée à l’échec.

Les mesures antiterroristes prises dans les pays riches depuis cet automne apparaissent pour ce qu’elles sont en réalité (cf. article p. 5) car toute contestation de la finalité du capitalisme, la recherche de profit, affronte une répression vigilante. Quatre mois après les affrontements de Göteborg, la police suédoise continue d’arrêter des manifestants à partir de preuves vidéo. Un contestataire aussi « raisonnable » que Bové est promis à huit mois fermes sous les verrous pour sabotage de cultures transgéniques. Le sommet de Bruxelles, prévu mi-décembre, s’annonce d’ores et déjà comme un festival répressif sans précédent.

Pour les capitalistes, le cauchemar serait de voir converger ensemble les préoccupations des mouvances anti-globalisation présentes à Gênes et les nombreux conflits sociaux qui éclatent actuellement, sans souci d’union sacrée face au danger terroriste… Mais Bruxelles ne devrait pas voir une réédition de la convergence qui s’était déroulée à Seattle. Les confédérations syndicales veilleront au grain... pour qu’il ne se mélange pas à l’ivraie.

Nantes le 25/11/01


UNE GUERRE QUI N’EN EST QU’À SES DÉBUTS

La guerre que nous connaissons actuellement n’a rien à voir avec une simple opération de police. Elle n’est qu’un premier maillon du redéploiement US pour la domination de la planète et, à ce titre, il y a fort à parier, hélas, qu’elle durera longtemps, avec des théâtres d’opérations qui changeront de lieux ou s’enliseront en Afghanistan, mais qui marqueront les étapes du nouvel élan de mondialisation économique auquel nous assistons.

Pour les beaux yeux des Afghanes

Lançant une nouvelle campagne de justification de la guerre, un porte-parole de la Maison-Blanche déclarait le 17 novembre que les « femmes afghanes avaient la liberté, les talibans la leur ont enlevée ». Comme pour enfoncer le clou, Laura Bush ajoutait, quelques minutes plus tard, que « le combat contre le terrorisme est aussi un combat pour le droit et la dignité des femmes » et que « seuls les talibans ont interdit l’éducation des femmes...». Cela faisait un moment déjà, surtout en France, que la dénonciation du régime taliban était essentiellement axée sur la situation des femmes.
Pourtant, si l’on remonte un peu en arrière, il est facile de se rappeler que l’Alliance du Nord, lorsqu’elle régnait à Kaboul, fermait les écoles, lapidait les femmes jugées incorrectes, cautionnait massacres et viols collectifs. C’est bien le brave commandant Massoud, porté au pinacle par les Occidentaux à titre posthume après avoir été combattu de son vivant, qui, en 1994, a imposé la Charia islamiste. À l’époque, les talibans, le plus souvent nommés « étudiants en religion » (« étudiant », ça a un petit côté sympathique, par qui rien de mal ne peut vraiment arriver), étaient fréquemment présentés par la presse comme porteurs d’espérances, face à la dictature islamiste de Madani et Massoud. Espoirs qui concernaient évidemment plus les marchands de pétrole que les femmes !
En fait, le seul régime qui a tenté d’améliorer la condition féminine (suivant les critères occidentaux) fut celui stalinien (scolarisation des filles, port du voile non obligatoire, etc.) ... éliminé conjointement par la CIA et les islamistes, ces derniers reprochant, entre autres, aux communistes un libéralisme sexuel et culturel ! Un comble.

Mourir pour les industriels

Il faut plus que se méfier des visions policières qui expliquent l’Histoire par le machiavélisme de quelques-uns, la duplicité de quelques autres et la crédulité de tous. Une vision que certains adoptent en faisant leur la thèse selon laquelle les États-Unis auraient commandité l’attentat du 11 septembre pour mieux reprendre une situation qui risquait de leur échapper. Ce genre d’explication ne sert en général à rien, car elle est le plus souvent indémontrable, et fait une part trop belle aux hautes intelligences qui font l’Histoire et qui, finalement n’offrent comme possibilité aux grandes masses, à la base, que d’être manipulées. Cela dit, il est probablement vrai qu’il y eut, au sein de l’administration américaine, des faucons qui ne voyaient de solutions que dans la politique du pire. Et il est tout aussi vrai que, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, les États-Unis tentent de tirer le maximum d’avantages de cette situation. Pour eux, la guerre présente deux catégories d’intérêts. L’une, extérieure, concerne directement la perpétuation de la domination US sur la planète. L’autre, plus intérieure, permettra de ressouder un consensus national et occidental légèrement fissuré ces derniers temps, et de mettre sur pied des mesures totalitaires et répressives qui seraient difficilement passées avant le 11 septembre, et dont le but ultime sera la criminalisation de toute tentative sérieuse de remise en cause de l’ordre capitaliste mondial.

Objectifs extérieurs : contrôler les flux de gaz et de pétrole d’Asie centrale, et installer des bases militaires dans cette région jadis sous la coupe soviétique. On aura remarqué que les chemins permettant d’exporter les énormes réserves d’Asie centrale passent, vers l’ouest, par la Tchétchénie, la Géorgie, le Kurdistan, mais aussi par la Yougoslavie et la Macédoine, qui sont autant de lieux de guerre et d’ingérence américaine au cours de ces dernières années. Quant aux routes de l’Est, celles qui approvisionneront la Chine et le Japon, elles passent par le Xingjiang, où les USA soutiennent les milices islamistes ouïgours contre la Chine.
Vers le sud, l’Afghanistan est incontournable. En 1995, un accord est passé entre une compagnie pétrolière californienne, Unocal, et le Turkménistan, portant sur un gros contrat d’exportation de gaz et sur la construction d’un gazoduc à travers l’Afghanistan. Dès lors, le soutien à des forces jugées susceptibles d’instaurer un pouvoir stable dans un pays par trop agité depuis la chute des communistes devient une priorité. Le choix des talibans en lutte contre l’Alliance du Nord est fait. Le fric et les armes affluent tant et si bien que, le 27 septembre 1996, ces talibans entrent à Kaboul. Tout baigne. Pour un temps seulement, car ces alliés s’avèrent encombrants : ils abritent des forces par trop engagées contre les USA et leurs alliés sunnites, ils n’apportent au pays aucune façade libérale, et ne font que poursuivre (pour le moins) une politique répressive et obscurantiste, en particulier vis-à-vis des femmes. Des attentats anti-américains fleurissent au Moyen-Orient, des groupes féministes américains dénoncent Unocal pour son soutien apporté aux talibans. Il faut donc calmer le jeu et imposer à Kaboul un comportement plus conforme aux bonnes mœurs, afin que les affaires reprennent sans obstacles.

Laili Helms, une Américaine d’origine afghane, a récemment déclaré que par deux fois, en 1999 et en 2001, les talibans avaient proposé aux États-Unis de neutraliser Ben Laden, dans la mesure où celui-ci représentait un obstacle à la reconnaissance de leur régime par la « communauté internationale ». Qui est Laili Helms ? Une véritable lobbyiste de l’opposition anticommuniste afghane auprès du gouvernement américain – des moudjahidins d’abord dès 1986, des talibans ensuite, et depuis 1995, date à laquelle elle devient une de leurs représentantes officieuses au moment où ils s’apprêtent à prendre le pouvoir à Kaboul avec le soutien de l’Arabie Saoudite et du département d’État américain (1). C’est elle qui, au début de l’année 2001, est la véritable cheville ouvrière des rencontres entre des envoyés des talibans et de hauts responsables américains devant déboucher sur un accord passé avec le représentant officiel des talibans, Muttawakil. Selon cet accord, on aurait dû s’acheminer vers une reconnaissance progressive du régime de Kaboul, moyennant quoi ce dernier aurait cessé d’héberger Ben Laden et adopté un profil plus bas vis-à-vis des États-Unis en restant, grosso modo, sur la ligne des Émirats, de l’Arabie Saoudite et du Pakistan, pays à la fois sunnistes fondamentalistes et grands alliés des Américains. Accessoirement, Laila Helms est la nièce de l’ancien directeur de la CIA, le célèbre Richard Helms qui fut également ambassadeur en Iran (2).
Alors ? Que s’est-il passé ? Les USA ont-il refusé la proposition afghane, comme le suggère L. Helms ? Sont-ce les talibans qui ont refusé de se soumettre et qui ont mis en marche le processus aboutissant au 11 septembre ? Les USA avaient-ils besoin d’un prétexte pour déclencher cette guerre jugée indispensable ? Peu importe, le résultat est là : la plus grande puissance du monde a décidé de « tuer le plus de talibans possible », comme vient de le déclarer le secrétaire d’État à la Défense Ronald Rumsfeld (3).

La République pétrolière

S’il est une tradition bien établie au sein de l’administration US, c’est l’influence pesante et constante qu’y exerce l’industrie pétrolière. Depuis la Seconde Guerre mondiale, seuls deux ministres des Affaires étrangères n’en furent pas issus... dont l’actuel, Colin Powell. Une exception purement formelle, puisque dans l’administration W. Bush, jamais les pétroliers ne furent aussi présents et puissants. À commencer par le Président lui-même, issu de l’une des grandes familles pétrolières du Texas, et qui fit son beurre dans le développement de sociétés de services à ce secteur. Le véritable chef de l’administration US, Dick Cheney, ensuite, qui fut, avant de devenir vice-président, à la tête de l’une des 400 plus importantes multinationales au monde, Halliburton, spécialisée, elle aussi, dans le service aux compagnies pétrolières ; un Dick Cheney qui n’hésitait alors pas à soutenir les dictatures nigériane et birmane pour le plus grand bien des profits de sa société. Condoleeza Rice, encore : directrice du Conseil national de sécurité
qui chapeaute toutes les agences de renseignement US, cette enseignante à Stanford, considérée comme « soviétologue », fut déjà conseillère à la sécurité sous Bush père et chargée alors des questions relatives à l’ex-Union soviétique. Mais surtout, elle fut, de 1991 à 2000, directrice du groupe Chevron, une des premières compagnies pétrolières du monde, en étant plus particulièrement chargée des implantations au Kazakhstan et en Afghanistan. Les secrétaires d’État au Commerce et à l’Énergie eux aussi, Donald Evans et Spencer Abraham, firent toute leur carrière dans le secteur pétrolier. Et puis Kathleen Cooper, sous-secrétaire au Commerce, fut la chef économiste de la société Exxon (qui vend en France sous le nom d’Esso) (4). Difficile de faire mieux !

Tout ce joli monde a décidé de reprendre les choses en main de manière plus vigoureuse que ne le faisait l’administration Clinton. Depuis plusieurs années, la Chine et la Russie négocient la construction de pipes destinés à acheminer les réserves pétrolières et gazeuses de la zone Caspienne. Les USA, eux, sont à la traîne : le pipe américain devant déboucher en Turquie est encore à l’état de projet. Aux pipes chinois ou russes, Washington préfère des pipes contrôlés par la Macédoine ou la Turquie, ses féaux.
Officiellement, lors de chaque conflit, il s’agit d’assurer « la sécurité des approvisionnements énergétiques ». Une explication qui laisserait entendre que l’avenir économique des États-Unis dépendrait de la possibilité d’acheminer ces ressources dans les meilleures conditions. Or, les réserves du sous-sol américain sont beaucoup plus importantes que celles de l’Asie centrale. C’est donc qu’il y a un autre enjeu, beaucoup moins explicité : contrôler l’approvisionnement énergétique des autres puissances, potentiellement ou réellement rivales, en l’occurrence la Russie, et peut-être surtout la Chine. Une Chine qui a besoin de plus en plus de pétrole pour assumer son formidable développement économique, et qui en manque cruellement. Contrôler les voies d’approvisionnement, c’est se réserver des possibilités de chantage en maintenant avec ces puissances des liens plus ou moins néocoloniaux.

Quelles oppositions possibles ?

Seules deux forces semblent en mesure de s’opposer à cette guerre et à celles qui vont suivre : les révoltes dans les pays dits du tiers monde et les mouvements autoproclamés « anti-mondialisation ». Pour les premières, nous assistons à un lent réveil de leur caractère progressiste, en particulier en Amérique latine, mais tout peut très vite s’accélérer tant la révolte contre l’ordre mondial couve dans les pays pauvres. Quant aux mouvements antimondialisation qui indiquent, dans les pays développés, une faille dans le consensus tant loué par les idéologues modernistes, il leur faudra, pour jouer un rôle quelconque, se débarrasser de l’hégémonie des forces qui, en leur sein, ont comme objectif de convaincre les décideurs, au lieu de s’orienter vers l’affirmation d’un mouvement autonome. La question centrale sera alors : faut-il participer au système et le changer de l’intérieur ou bien s’y opposer frontalement ? C’est de la réponse à cette question que dépendra la capacité de l’une comme de l’autre à résister à l’énorme machine de criminalisation qui va se mettre en marche contre les mouvements de révolte, armés ou non, qui naîtront dans les pays pauvres, et contre la radicalisation qui émerge dans les pays développés.

JPD

Notes
(1). Voir Brisard et Dasqué, Ben Laden, La Vérité interdite, Denoël, 2001.
(2). À propos de l’omniprésence de la CIA, rappelons que George Bush père fut, lui aussi, directeur de la CIA avant de devenir vice-président de Reagan, puis président des États-Unis.
(3). On reste pantois devant une telle déclaration, qui ne manquera pas d’être reproduite sur tous les médias du monde, en particulier dans les pays musulmans. Et qui ne peut que déchaîner encore plus de haine contre l’oncle Sam et susciter encore de nouvelles vocations kamikazes. Maladresse d’un crétin ? On peut quand même en douter. Après tout, ces vocations peuvent être utiles.
(4). La Vérité interdite, op. cit.


UN MOIS DE GRÈVE CHEZ MCDONALD’S
Depuis plus d’un mois, les salarié-e-s d’un McDo parisien sont en grève contre des licenciements. Les grèves dans ce secteur symbole de la précarité sont très rares. Celle-ci mérite donc d’autant plus d’être relatée qu’elle s’est installée dans la durée, que les directions syndicales la soutiennent du bout des pieds (comme d’hab), que les contacts avec d’autres boites et les initiatives de solidarité se multiplient.

Quand la résistance à la macdomination part de l’intérieur

Depuis le 24 octobre dernier, les salariés du McDo de Strasbourg Saint-Denis à Paris sont en grève illimitée pour obtenir la réintégration de cinq de leurs collègues licenciés pour fait syndical : deux étaient syndiqués, dont l’un avait fait l’objet d’une tentative de licenciement en septembre, les trois autres devaient se présenter aux élections de délégués du personnel prévues quinze jours plus tard. Pour donner sans doute plus de poids à cette décision, la direction les accuse (comme par hasard tous les cinq !) de malversations pour un montant d’un million de francs (!). Cette grève est menée par l’ensemble des salarié-e-s, des managers/euses aux équipier-e-s en passant par les échelons intermédiaires ce qui fait que certain-e-s refusent de soutenir cette lutte arguant qu’ils/elles ne défendent pas les mêmes intérêts.
Après une tentative de médiation de l’inspection du travail, la situation est bloquée. Le franchisé, et en fait McDo, refusent en bloc les revendications. Le climat est devenu si détestable que les grévistes exigent en plus de la réintégration des cinq licenciés, le départ pur et simple du gérant.
Ces pratiques ne sont pas nouvelles chez McDonald’s France qui applique les méthodes managériales de ses homologues étasuniens et s’oppose par tous les moyens à l’émergence de syndicats dans ses filiales ou chez ses franchisés. Développer le système des franchises est d’ailleurs une stratégie pour contourner les obligations légales concernant les syndicats et s’affranchir du coût de la gestion directe des « ressources humaines ». Les niveaux de rémunération et les conditions de travail chez McDonald’s sont telles – salaires au SMIC pour les équipiers et très bas pour tou-te-s, temps partiels systématiques, cadences infernales, pressions permanentes générant un fort taux de turn over, heures supplémentaires rarement payées, non respect des règles d’hygiène et de sécurité, pas de prime d’ancienneté – que les salarié-e-s n’en pouvant plus cherchent à s’organiser pour améliorer leur sort. C’est alors que la répression antisyndicale s’abat sur eux : avertissements, harcèlements, procès, et aujourd’hui licenciements. La situation est d’ailleurs comparable dans les autres chaînes de la restauration rapide, Pizza Hut (mise à pied puis licenciement d’un délégué CGT), Quick (mise à pied d’une déléguée pour avoir participé à une émission de Ruquier), EuroDisneyland, (où des salarié-e-s qui contestent sont trâiné-e-s devant les tribunaux), etc.
Ainsi une première grève de quinze jours a-t-elle éclatée au McDo du Boulevard Saint-Germain à Paris en décembre 2000 pour exiger des augmentations de salaires et des primes de fin d’année, grève qui a abouti à quelques avancées et fut une première.
En février 2001, c’était au tour de Pizza Hut Opéra de faire 32 jours de grève pour obtenir des relèvements de salaires et des primes de fin d’année, le paiement des heures de nuit et une amélioration des conditions de sécurité. Là encore, la lutte a payé et une (légère) augmentation a été obtenue ainsi des primes.
À l’issue de cette grève s’est constitué un Collectif CGT de la restauration rapide (la plupart des syndiqué-e-s de ces enseignes étant à ce syndicat) qui s’est depuis étendu aux salarié-e-s des grandes surfaces de ventes de livres et de vêtements. S’est aussi constitué le réseau Stop-Précarité qui a vocation à regrouper des syndicats, des associations de chômeurs et précaires et des chercheurs pour dénoncer et combattre l’extension de la précarité dans le monde du travail.
Depuis plus de trois semaines, les grévistes du McDo de Strasbourg Saint-Denis sont installés devant le restaurant (fermé et occupé par des vigiles) où ils se relaient autour de pétitions, d’une caisse de solidarité, de tracts et surtout de leur ténacité. Malgré la fatigue et le froid, ils ne veulent pas céder et sont décidés à faire plier McDo qui a clairement choisi la carte du pourrissement.

Initiatives de solidarité

Petit à petit des militant-e-s sont intervenu-e-s, souvent à titre individuel, pour les aider à organiser la solidarité (financière, logistique...) et l’information sur la lutte. Le collectif de solidarité avec les salarié-e-s de McDo en lutte qui s’est constitué le 14 novembre et les grévistes multiplient les rassemblements, les blocages de McDo et les discussions avec les client-e-s et les salarié-e-s des autres McDo.
Le samedi 17 novembre, les salarié-e-s d’un second McDo (Rivoli) se sont mis en grève en solidarité avec ceux et celles de Saint-Denis mais aussi par rapport à leur propre situation. Le 24 novembre lors d’une manif itinérante entre différents McDo, de nouveaux contacts ont été pris malgré menaces et intimidations de la direction des établissements visités. Le 25 novembre la compagnie Jolie môme organisait « Mc Grève » un cabaret de solidarité avec les grévistes. En outre plusieurs projections/débats ont eu lieu.
Et puis des liens se tissent avec des salarié-e-s travaillant dans la restauration, le commerce ou les services dans d’autres villes et qui subissent eux/elles aussi harcèlement, répression syndicale et salaires de misère. Ainsi le vendredi 23 novembre des salariées de Kiabi à Béziers, elles-mêmes en grève depuis le 29 septembre contre un « licenciement pour motif disciplinaire » sont allées distribuer des tracts au McDo de cette ville ! À Rennes le mouvement des chômeurs/euses et précaires en lutte est allé distribuer au McDo un appel à boycott.
Des initiatives que les grévistes et le collectif de solidarité invitent à multiplier partout où c’est possible. Plus largement il s’agit d’une lutte frontale de précaires et de jeunes salarié-e-s/étudiant-e-s contre une précarité qui ne cesse de s’étendre au point d’être vécue comme « normale ». Être traité-e-s comme des chiens, c’est normal ?

Gile, le 25 novembre avec le Collectif de solidarité

Contacts
– collectif de solidarité : Abdel 06 09 53 68 08, Bernard 06 19 72 88 89
– messages et correspondance : cgt.pizzahut@libertysurf.fr • soutien_macdo@yahoo.fr
– soutien financier aux grévistes et correspondance écrite : UL CGT « Grévistes Mc Do bld St Denis »
39, rue Deguinguand 92300 Levallois Perret
– info-grève : dépèches, chronologie sur la lutte et matériel disponible à : soutien_macdo@yahoo.fr
– sites internet qui relaient l’information : http://france.indymedia.org • http://www.ainfos.ca/fr

Pour en savoir plus sur la macdomination à travers tous ses aspects, cf. CA n°82, octobre 1998


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