Courant alternatif no 116 février 2002 |
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SOMMAIRE |
Edito p. 3 Antinucléaire : quel rebond ? p. 4 La lutte anti-OGM à un tournant ? p. 5 La globalisation en douceur p. 7 et 8 Troisième aéroport : Chaulnes gagne le pompom p. 9 à 11 Rubrique Flics et militaires p. 12 Aux cars Suzanne, CGT et patron contre les travailleurs p. 13 et 14 En Argentine c'est le capitalisme qui a failli p. 15 à 18 Chroniques palestiniennes : la question de lenseignement p. 19 à 21 Un point de vue sur la question palestinienne p. 21 Sauver Léonard Peltier p. 22 Algérie: I'Europe au secours des généraux p. 23 Rubrique Livres & revues p. 24 |
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ÉDITO |
LEtat de Droit connaît actuellement des vicissitudes passagères qui ne peuvent que faire sourire ceux et celles qui ont, dans leur quotidien, affaire à la justice. Incroyable ! Un juge vient de prendre conscience que la justice fonctionnait à deux vitesses, que son milieu de la magistrature était petit, mesquin, jaloux, carriériste, que la classe politique avait les mêmes pratiques que nimporte quelle (autre) maffia. Le prix de la naïveté de la décennie sera donc décerné au juge Halphen qui sest mis en congé de sa fonction sociale de gardien de lordre établi ! A noter que quelques autres juges, ces dernières décennies, avaient jeté léponge ou sétaient fait démettre de leurs fonctions. La moralisation de la vie publique chère aux démocrates sincères en a pris un sérieux coup dans laile. Il faut tout de même noter quelle nest luvre que dune poignée de magistrats activistes très certainement animés dun réel idéal. En dautres temps, ces quelques trublions se seraient fait trouer la panse, mais actuellement, dans nos pays, sous nos latitudes, cela ferait désordre. Quoique... demain, peut-être... Que quelques politiciens aient eu leur carrière brisée, que quelques chefs dentreprise aient eu quelques millions deuros à débourser comme caution, le tout agrémenté de quelques séjours en prison (qui ont au moins eu le mérite de faire connaître les conditions de détention dans les prisons de la République à ceux qui lignoraient encore), cela ne constitue que quelques arbustes cachant la forêt. Déjà, ce qui est réprimandé, ce nest évidemment pas lexploitation de lhomme par lhomme, ni les jouissances tirées de la domination : Cela est tout à fait légal et entre dans la logique de lEtat de droit ! Ne sont condamnés que les excès de personnes trop pressées qui commettent quelques imprudences ou dautres crédules qui ne servent que de fusibles. Cette affaire, qui se soldera par un best-seller, intervient dans une période électorale propice à toutes les exploitations politiciennes. En effet, Halphen navait pas à soccuper ni de laffaire URBA, ni celle de la MNEF qui vient de se solder par un blanchiment général de politiciens bien sales. Mais les affaires, qui touchent tout de même 15% des députés et des sénateurs, nont quasiment pas dinfluence électorale notable ; lélecteur lambda a finalement intégré cet état de fait, cela ne donne que du grain à moudre aux guignols de linfo et à Charlie hebdo, les bouffons de la République. Et cest très bien ainsi. Dans les prochaines semaines, nous devrions avoir la confirmation dune double augmentation : celui du nombre des candidats sollicitant les suffrages des inscrits et celui de labstention. Paradoxe ? Non ! Il existe toujours une réserve importante délites de la nation qui pensent que leur heure est venue de représenter les déçus de la classe politique traditionnelle. Ces gourous sont bien souvent inoffensifs mais, par les temps qui courent, on peut toujours se demander sil ny a pas un espace pour que lun dentre eux ne réussisse un jour à mobiliser des foules. Par contre, on assiste à un élargissement de léventail politique présent dans ces spectacles électoraux. Après toutes les variantes du trotskisme et de lécologie politicienne, on va bientôt avoir droit à tous les déçus des luttes de terrain qui cherchent des débouchés. Les élections ne sont plus des pièges à cons mais, paraît-il, un moyen efficace de se faire entendre par le plus grand nombre, un moyen pour tenter de peser sur les futurs décisions des élus et aussi un moyen despérer obtenir des subsides de lEtat afin dassurer la permanence de sa structure. En fait cela traduit déjà un glissement vers la Droite de tout léchiquier politique, y compris jusquà certains libertaires, où la démocratie participative semble encore avoir de lavenir. Toute cette militance ne voit plus dautres issues que de revendiquer une reconnaissance institutionnelle, daxer toute son intervention dans lobjectif de créer un lobby, davancer des revendications dénonçant seulement les aspects « libéraux » du capitalisme. Aux calendes grecques : La constitution dun rapport de force sur le terrain prenant en compte la lutte des classes ! Fini le discours sur la nécessité duvrer dans loptique dun changement réel de société ! Vive le spectacle de la contestation responsable, médiatique, encadrée, désaffectée de la présence des « casseurs », « des radicaux qui font le jeu de la réaction », Cette militance, très bien représentée aujourdhui par un groupe comme ATTAC, qui na, en réalité, jamais été révolutionnaire, réussit à donner un nouvel éclat à la citoyenneté, base idéologique de létatisme moderne. LEtat de Droit na jamais demandé autre chose que le respect par les pauvres des valeurs dites citoyennes... de la mobilisation générale pour les guerres jusquau contrôle social des classes dangereuses dans les quartiers. Laissons de côté ce spectacle qui empoisonne déjà assez notre existence par son matraquage publicitaire. Ce qui est tout de même révoltant et révélateur du niveau des luttes actuelles, quel que soit leur terrain (social, écologie, économique...), cest le fait que nous assistons à une flopée de comités, collectifs les plus divers qui vont demander à tous ces politiciens leurs promesses électorales sur tel ou tel sujet (nucléaire et politique énergétique, OGM, Culture, RTT, Haschich...). Ce nest pas que du temps et de lénergie perdue car cela traduit le rapport de force dégradé de la lutte des classes aujourdhui. Mais ce spectacle de gens anesthésiés par la proximité « dune échéance électorale » qui se prennent bien souvent pour « le mouvement social » (comme si celui-ci se résumait à des militants politiques/syndicaux/associatifs) apparaît de plus en plus comme étant coupé de la société réelle. En ce sens, tout peu un jour basculer. Aujourdhui nous navons pas dautres réponses que de continuer à lutter et nous battre afin que les luttes mais aussi la réflexion, la théorisation ne soient pas encadrées par des néo-citoyens responsables qui ne sont quune résurgence dun passé dont il va bien falloir un jour faire table rase. |
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LA LUTTE ANTI-OGM À UN TOURNANT ? |
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PRISON FERME AU PROCES EN APPEL DU SABOTAGE DU CIRAD Le verdict a été rendu dans le procés en appel du sabotage du Cirad (le premier dun établissement de recherche public) contre José Bové et Dominique Soullier de la Confédération paysanne, et René Riesel qui lavait quittée en mars 1999. La note est beaucoup plus lourde quen première instance : 6 mois fermes pour Riesel et Bové ; perdant le bénéfice du sursis pour leur condamnation dAgen en 98 (sabotage dune usine Novartis), ils totalisent 14 mois (plus 3 mois de McDonalds pour Bové). Soullier a du sursis. Les amendes sont confirmées, les dommages et intérêts portés à près de 240 000 francs. En octobre 2000, Riesel annonçait : La récréation est finie... (1) Il sétait démarqué de ses coprévenus en première instance en se livrant à des Aveux complets des véritables mobiles du crime commis au Cirad le 5 juin 1999 (2). Il y démontait lincohérence de ceux qui rêvent de voir les États, sous laction de groupes de pression non-gouvernementaux, imposer des règles ou des moratoires pour modérer les excès quils imputent aux seules entreprises multinationales privées, sen prenait au lien entre la science moderne, cette fille du laboratoire et de lindustrie et cette société de classes, affirmait que le temps perdu pour la recherche est à coup sûr du temps gagné pour la conscience, et retournait aux scientistes laccusation dobscurantisme quils adressent aux saboteurs dOGM. En appel, il refusa de participer au procès et quitta le tribunal en renvoyant dos à dos deux manières rivales daccepter la fatalité de notre soumission aux diktats de léconomie totalitaire : celle qui rêve dadapter les hommes à lenfer moderne en dénaturant les génomes et celle qui souhaite discuter démocratiquement des modalités de cette adaptation. Pourquoi avoir fait appel ? Quel était lenjeu de ce procès ? Ce verdict va-t-il imposer un tournant aux luttes anti-OGM ? Nous reproduisons ici un document diffusé sur place et de rapides réponses de René Riesel à quelques questions que cela nous paraît poser. Notes (1) Il a en outre été condamné au civil, le 4 décembre à Toulouse, à 1 300 000 Francs de dommages et intérets au profit de Monsanto, in solidum avec la Confédération paysanne, pour une destruction de septembre 1998 et il est à nouveau poursuivi pénalement, avec 13 autres décontaminateurs pour une destruction chez Monsanto opérée en mai 2000 près de Namur en Belgique. (2). rééditée sous le même titre, accompagnée dun compte rendu critique du procès et dautres documents, par les Éditions de lEncyclopédie des nuisances ; celles-ci avaient déjà publié Déclarations sur lagriculture transgénique et ceux qui prétendent sy opposer de Riesel ; ainsi quun des meilleurs livres parus sur les manipulations génétiques : Remarques sur lagriculture génétiquement modifiée et la dégradation des espèces. |
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DÉCLARATION |
Considérant : - quil est parfaitement illusoire de prétendre lutter contre les OGM sans lutter contre les fondements du monde qui les produit, comme affecte de le faire un citoyennisme quémandeur, respectueux de lÉconomie et de lÉtat, - que le battage médiatique et la confusion sont jusquici parvenus, y compris lors du procès en première instance le 8 février, à empêcher que le refus radical du génie génétique en tant que tel puisse clairement apparaître comme la seule raison conséquente du sabotage commis au CIRAD et de ceux, connus ou dissimulés, qui lont suivi, la fonction, en tous points déterminante dans cette occultation, des citoyennistes, progressistes attardés qui rêvent de voir les États et la techno-science, globalement intégrée à larsenal et aux intérêts de la domination, continuer à veiller au grain, - quil nest nul besoin dattendre des conclusions dexperts doù quils viennent pour savoir de quels désastres sont grosses les innovations biotechnologiques quand, sous la forme de lempoisonnement chimico-nucléaire de la planète, les conséquences et résultats cumulatifs de technologies moins ambitieuses sont partout immaîtrisables, aujourdhui et pour les siècles à venir, - que la science produite par la société industrielle et marchande a déjà contribué à faire de la nature terrestre un chaos et à inadapter lhomme à son propre monde, - que ce qui se donne aujourdhui pour une activité scientifique présentable consiste seulement à étalonner des seuils de tolérance, à les reculer et à nous acclimater, mentalement et physiologiquement, à un monde rendu proprement invivable, en mobilisant toutes les ressources de lélectronique et de la chimie lourde avant même les promesses des chimères transgéniques, - que cette prétention scientiste au contrôle total de la nature, des hommes et de la société naboutit manifestement quà des mutilations supplémentaires et à des désastres aggravés, et que la fonction résiduelle de cette science mercenaire ne tend à rien dautre quà nous accoutumer à toutes les catastrophes à venir et à équiper les protecteurs de lordre social police, armée, cellules daccompagnement psychologique, etc. contre les individus ou les populations qui viendraient à sy montrer rétifs, que les catastrophes sont déjà là, en assez grand nombre et depuis assez longtemps pour quil soit clair quà défaut de lextension dune lucidité critique suffisante sur leurs causes profondes elles namèneront quun accroissement de la soumission et la perte des derniers lambeaux dautonomie, autrement dit le besoin et la demande de protection, dispensée par le seul pouvoir dÉtat ou à laide de ses supplétifs, lobbies citoyennistes et autres organisations non- gouvernementales, Considérant latavisme réductionniste de la science moderne, sa négligence méthodique des conséquences, et son mépris de toutes les connaissances non-scientifiques qui contribuèrent à lhumanisation sous toutes ses formes et sopposent encore comme elles peuvent à cet extrémisme artificialisateur, Considérant que linconscience scientifique spécialisée répond parfaitement à linconscience historique de lÉconomie politique, lautre composante déterminante de lidéologie dominante, Considérant en outre quau vu de la vulnérabilité intrinsèque du système industriel, de la désintégration sociale planétaire quil a produite et du chaos qui en résulte, on doit sattendre à ce que les temps qui viennent soient ceux du terrorisme industriel et de la guerre permanente, sous légide du Ministère de la Peur, Considérant enfin que cest seulement à partir de lexercice collectif de la liberté de pensée et de critique que pourront se former des communautés aptes à sopposer pratiquement aux ravages matériels et intellectuels de cette société marchande et techno-industrielle, la Société contre lobscurantisme scientiste et le terrorisme industriel se donne pour but, sans négliger lexamen pratique des résultats de lactivité techno-scientifique, de passer immédiatement à la mise en cause de ses principes réducteurs, sans quil faille voir là une condamnation pure et simple de la science expérimentale occidentale. Mais dans la mesure où celle-ci en est venue à se constituer de faÿon absolue et exclusive comme le creuset de toute connaissance, sinterdisant et interdisant tout bilan, elle nen représente pas moins la forme dominante de lobscurantisme moderne. Cest au nom de la liberté de penser et de choisir sa vie contre la sursocialisation totalitaire qui se met en place que nous appelons à entamer la discussion publique de ces analyses, le jeudi 22 novembre 2001 à Montpellier. 15 novembre 2001 Société contre lobscurantisme scientiste et le terrorisme industriel |
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INTERVIEW DE RENÉ RIESEL |
Courant Alternatif: Le verdict dappel est sévère. Quelles conclusions en tires-tu ? René Riesel : Il est peu surprenant. La Cour dappel de Montpellier est réputée répressive et on ne devait pas attendre un verdict parodique au prétexte quelle se prêtait de nouveau à la scénographie publicitaire voulue par les autres prévenus. Latmosphère sest aussi un tant soit peu alourdie depuis septembre. On était prévenu : «En ce moment il y a Vigipirate... ... Il vaut mieux que les forces de lordre soient occupées à autre chose quà protéger chaque essai de maïs... ...On ne joue plus» (3). Enfin, la recrudescence et lapprofondissement qualitatif (4) des actions anti-Ogm ne pouvaient laisser rêver au moindre laxisme (je parle de celles qui voulaient atteindre leur objectif, pas des pique-niques où lon déjeune une fois les Crs installés). Ce que les magistrats ont réprimé pour de bon, une fois achevé le procès pour de rire, cest ce qui a été fait pour de bon au Cirad, quelque interprétation citoyenniste pour de rire quon essaye den proposer après coup. CA : Alors, pourquoi avoir fait appel et déposer encore un pourvoi en cassation ? RR : Mes co-prévenus avaient tout de suite fait appel, je navais pas le choix : laffaire allait être rejugée. Quant au pourvoi, il permet de gagner du temps. CA : Cest une divergence sur le système de défense ? RR : Ce verdict ridiculise les illusions judiciaristes des amis de lÉtat et du technocapitalisme régulé. On ne pourrait parler de divergences sur le système de défense que si nous défendions la même chose. On peut se demander, à propos de la base citoyenniste, ce qui lemporte, de la niaiserie ou de la schizophrénie. Mais pour ses leaders, dirigeants, experts et comités scientifiques, on ne les imagine pas convaincus quun sondage sur les préférences des consommateurs, un rapport de lAfssa et des gesticulations médiatiques impressionneraient un gouvernement ou des magistrats. Il y faudrait un rapport de forces minimum. CA : Comment construire un tel rapport de forces sur le front des Ogm ? RR : Il présupposerait lexistence dune force dopposition conséquente aux Ogm en tant que tels, cest à dire aux fondements de la société qui les veut. Ce nest pas donné. Le conflit na concerné directement quelques centaines dindividus en France. Parmi eux, les opposants citoyennistes traduisent linquiétude et la demande de protection généralisées, universellement produites par le Ministère de la peur, et répondent à ses attentes en exigeant précaution, sécurité, confinement. Ou le déménagement dAzf à la campagne. Ils sont contre les brouillons dOgm, les Ogm insuffisament expertisés, les Ogm productivistes, les Ogm qui ne répondent pas à la demande sociale. Ils espèrent les thérapies géniques, la médecine régénératrice ou la reproduction assistée, vont certainement discuter éthique à propos des cellules souches mais ne doutent pas que leurs enfants apprendront à lire sur ordinateur, communiquent par téléphone cellulaire et croient quon fait passer des idées à la télévision. À lopposé, dingénieux saboteurs sont parvenus sur fond, il est vrai, de catastrophes industrielles, de frappes chirurgicales, de menace bioterroriste, de bronchiolite, dinnombrables actes meurtriers inexplicables etc. à semer quelque trouble dans la communauté scientifique et à ramener dans lépoque des doutes sur le développement technoscientifique refoulés depuis la défaite des luttes antinucléaires. La belle question de société ! On ne va pas essayer de calmer linquiétude, elle est devenue un moteur économique et social reconnu. On va semployer à évaluer la demande sociale de protection, à démontrer que le risque est la condition, sinon le sel, de la survie dans une société industrielle, la seule chose qui donne vraiment leur prix aux marchandises sécurisées. On écoutera les environnementalistes et le tiers-secteur, on tendra le micro aux épistémologues des experts après tout! , les docteurs en éthique pourront conclure en houspillant les adorateurs du Veau dor. La question des Ogm dévoile trop bien le fonctionnnement de cette organisation sociale pour laisser croire quelle pourrait être réglée indépendament de toutes les autres. CA : Il ny a aucun fond moral ou éthique derrière le refus des Ogm, pas de sacralisation du vivant, de peur dun saut évolutionel non maîtrisable ? RR : On en voit en effet de toutes les couleurs, jusquà des baskets éthiques. Je moquerai moins ce que tu appelles la peur dun saut évolutionnel non maîtrisable. Un peu de patience : ce quon appelle évolution ne recouvre pas encore les manipulations génétiques, même en prenant au mot les transgénistes quand ils disent quils ne veulent rien dautre que substituer la puissance de calcul dont ils disposent à la maladroite main invisible de la nature qui a toujours fait des Ogm mais par hasard. Dailleurs, si équipés quils soient, ils savent à peine ce quils font , et pas du tout ce que ÿa fait quand ÿa marche. Autrement dit, ils ne maîtrisent rien du tout. Mais je trouverais plus inquiétant encore que tout cela soit maîtrisable. Par qui, au fait ? CA : Tu parles dopposition aux fondements de la société qui veut les OGM. Le texte de la Société contre lobscurantisme scientiste et le terrorisme industriel parle de lutter contre les fondements du monde qui les produit. Mais on reste sur sa soif : quels sont ces fondements ? On a limpression que vous vous étendez davantage sur les conséquences que sur les causes. Et peux-tu dire ce quest-ce que cette Société ? RR : Dabord un rassemblement de circonstance pour les procès, entre des individus qui soutenaient le sens de ce qui a été fait au Cirad et dans la deuxième campagne, savaient quils navaient pas dépassé un certain nombre de divergences dans les analyses et les pratiques, mais se sont accordés sur lutilité de continuer à les confronter. Aucun nest primitiviste, ne veut un quelconque retour à la tradition, à la paysannerie et à lartisanat du XVIII° siècle ou au capitalisme préindustriel. Sauf erreur, ce qui les réunit cest toujours la vieille cause de la liberté. Mais quand son drapeau est tellement mité et ses partisans si rares, il faut bien commencer par mesurer comment on en est arrivé là, à quelle sorte dennemi on a affaire, dans quel monde on vit ; ce quest devenue la question sociale, en somme. Cest par quoi nous essayons de commencer. Est-il si déroutant dadmettre que des conséquences peuvent devenir des causes, que des représentations idéologiques, produites par des conditions matérielles, en produisent à leur tour ? On trouve le même réductionnisme scientiste, avide de causes premières et de sujets transhistoriques, des deux côtés des barricades dantan. Cest encore lui qui plastronne dans la rue piétonne quon a aménagée pour effacer leur souvenir. La résignation de lindividu sursocialisé et la confiance dans les capacités toujours intactes du sujet révolutionnaire, à surgir spontanément du sol de la société de masse, sont les deux pôles du même enfermement stérile. Sil nen reste bientôt plus que le fatalisme, le fanatisme du progrès nen est pas moins une des premières causes de léchec des tentatives passées de renversement de lordre dominant. Quoiquen pensent quelques dévots fossilisés, des stades antèrieurs des sociétés humaines ont pu être moins éloignés que le nôtre de poursuivre le processus dhumanisation ; ou plus aptes, ce nest pas forcément la même chose, à faire le choix de lémancipation. CA : Le texte parle de prétention scientiste au contrôle total de la nature, des hommes et de la société. Nest-ce pas mettre sur le même plan des éléments qui ne sy trouvent pas ? La maîtrise de la nature nest-elle pas un des fondements de lactivité humaine, et la société la structure humaine qui gère ce travail de transformation de la nature ? Poser lexercice collectif de la liberté de pensée et de critique, en réponse à un système scientifique qui nest pas autonome mais lié à un système économique et social plus complexe, ne comporte-t-il pas un risque de constituer une avant-garde ? RR : Nous la constatons, cette prétention scientiste à mettre sur le même plan, à réifier égalitairement tout ce qui bouge. Nous remarquons quelle sexacerbe dautant plus quelle échoue régulièrement à tenir ses promesses mais laisse toujours miné le terrain de ses échecs. Que cest là le monde où nous survivons, suffisament dénaturé et rationnalisé pour que quelques lobotomisés y proclament la fin de lHistoire. Il est le cadre dune surenchère technique permanente où les dégats des innovations de la veille commandent automatiquement de provoquer ceux des innovations réparatrices du lendemain. Il ne paraît pas exagéré den conclure que si les techniques ont été le fruit de lactivité humaine, leur mouvement devenu autonome en vient à se perpétuer au moyen des hommes. Cela peut conduire à se demander si la compréhension de ce cauchemar ne serait pas améliorée en mettant enfin le mouvement dautonomisation technoscientifique sur le même plan que le mouvement dautonomisation de léconomie. Il y a loin de la maîtrise raisonnée de la nature humanisée, et même du projet cartésien, à la dévastation ininterrompue de ce qui reste de la nature, des hommes et de leurs sociétés. Ces idées sont plutôt simples par rapport aux constructions des agents de la domination, de leurs penseurs stipendiés et de leurs rivaux. Si des communautés et des groupes humains sen saisissent pour les développer et parviennent à engager, à leur échelle, les processus de réappropriation indispensables, ce sera dans une démarche de dissidence avec la société de masse et ses valeurs. Je souhaite alors bien du plaisir aux candidats avant-gardistes. Notes (3) Déclaration du ministre de lagriculture le 20 septembre 2001. (4) On trouve dans les bonnes librairies, la brochure Textes et documents choisis pour instruire le public et ceux qui font métier de linformer sur la deuxième campagne contre le génie génétique, août 1999-octobre 2001 (sans éditeur, Montpellier novembre 2001) qui semble assez exhaustive sur le sujet. |
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LA GLOBALISATION EN DOUCEUR |
Pour imposer la globalisation cest-à-dire des instances de décision supranationales ou transnationales au détriment des États-nations , les adeptes du global ne manquent pas de ressources. Le succès actuel de leur politique nest pas dû à une ligne politique unique, laquelle aurait été décidée au sommet (G8, FMI, OMC ou Conseil de sécurité par exemple), mais plutôt à une convergence de diverses lignes de force. Parmi ces tendances fortes qui participent à la globalisation, lune de celles qui émergent nettement est la dépolitisation, cest-à-dire le mécanisme qui vise avant tout à faire disparaître le politique de la sphère dintérêt de lhumanité. On en prendra ici deux exemples, lun qui montre comment la dépolitisation est à lúuvre dans la globalisation des problèmes humains, lautre qui illustre la dictature de la technique sur un processus que quelques-uns qualifient parfois de libertaire : lInternet. Les habits neufs de la Banque mondiale Dans les années 1980 et 1990, la Banque mondiale a été, avec le Fonds Monétaire International, linstrument efficace de la politique de démantèlement des politiques sociales que certains gouvernements de pays pauvres tentaient de mettre en place pour éviter quune part toujours plus importante de la population ne sombre dans la misère. La Banque mondiale faisait alors de la politique au sens fort : contre les États, elle agissait de tout son poids pour promouvoir les acteurs privés, à commencer par les entreprises transnationales, appliquant en cela le bréviaire du néolibéralisme. Tout change aujourdhui, et ce serait une erreur de croire que la Banque mondiale est encore le grand Satan quelle a été durant son premier demi-siècle dexistence. Désormais, la Banque plaide pour un retour de lÉtat à son rôle de protecteur des plus pauvres. Dans son rapport 2001 intitulé Combattre la pauvreté, la Banque reconnaît par exemple que les plans dajustement structurel ont parfois détruit les systèmes denseignement et de santé de certains pays. Elle nest plus du tout certaine que les OGM puissent éloigner le spectre de la famine moyennant quoi elle prend le contre-pied du Programme des Nations unies pour le développement, le PNUD, qui est pour sa part passé de la critique des OGM à leur défense. La Banque, qui a été dans les années 1960-1970 la propagatrice de la désastreuse révolution verte en Inde, recommande de nos jours la protection de la biodiversité soit le contraire de la révolution verte ! , et elle prône un assouplissement de la position des pays riches dans la question cruciale des droits de propriété intellectuelle appliqués au vivant (Si ces droits sont reconnus, les populations locales seront de fait dépossédées de tout droit sur leur propre milieu naturel.) Encore plus étonnant : les experts de la Banque affirment que les flux de capitaux privés à destination des pays pauvres ont certes été associés à une accélération de la croissance dans certains pays, mais ils ont également été corrélés à une plus forte incidence des crises : la croissance na été effective que dans une dizaine de pays du Sud, reconnaît la Banque ! Mais ne rêvons pas : la solution proposée par la Banque mondiale nest pas une solution politique. Bien au contraire : il faut, selon elle, prendre les problèmes un par un. Cette stratégie nest pas dépourvue darrière-pensées, puisquelle permet desquiver purement et simplement les problèmes globaux, et notamment la dette du tiers-monde. La Banque se contente dune liste quasi infinie dinitiatives locales, qui toutes font limpasse sur la question fondamentale : pourquoi ces initiatives devraient-elles toujours être financées par une aide extérieure qui maintient la plupart des pays dans la dépendance et la domination absolues des pays riches, alors que leur dette globale, qui est de plus de 2500 milliards de dollars contre 1000 au milieu des années 1980 est la cause première, et de très loin, de leur pauvreté ? La réponse est simple : toute négociation sur la dette serait politique, tandis que les initiatives locales ne sont affaire que de bon sens, dhumanitarisme, dopportunisme. La dépolitisation est ainsi, pour la Banque mondiale, la solution en cette période de transition post guerre froide. Ne pas parler de la dette revient à accepter lidée que, en effet, il y a bel et bien une dette. Ne pas parler du fond des choses revient à accepter létat du monde. Chacun pourra appliquer cette grille de lecture et mesurer à quel point la dépolitisation, qui gagne tous les secteurs de la pensée et de laction politique, est une stratégie de pouvoir ô combien efficace. Internet ou la dictature de la technique Autre exemple des transformations actuelles du pouvoir : Internet. Deux exemples serviront à illustrer le propos. Dabord le passage de lIPv4 à lIPv6. De quoi sagit-il ? LIP Internet Protocole , cest-à-dire ladresse qui permet didentifier chaque ordinateur connecté au réseau Internet fonctionne actuellement sur la base dun système (IPv4) qui ne permettait que quelques quatre milliards dadresses et qui est aujourdhui au bord de la saturation. Le nouveau système, lIPv6, permettra de multiplier par 340 x 1036 le nombre dadresses Internet et il offrira aussi dautres avantages techniques, mais peu importe ici. (On peut, à titre dillustration, simplement préciser que cette multiplication du nombre dadresses par 340 sextillions cest comme ça que sappelle ce chiffre fabuleux correspond à une densité dadresses possibles sur la planète égale à 666 quadrillions (1024) dadresses par... mm2 de terre émergée ! ou le délire du Progrès...) Le problème technique est que lIPv4 nest pas compatible avec lIPv6. Or, il ny a aucune autre solution, et il va donc falloir passer de façon graduelle dun standard à lautre, ce que tout le monde devra accepter parce que tout le monde a intérêt à ce que lInternet continue de fonctionner. Cest du moins ce quaffirme la fondation Bertelsmann le plus important éditeur allemand et le deuxième européen dans un rapport davril 2001 intitulé Qui contrôle lInternet ? Ce tout le monde correspond à un vaste ensemble hétérogène qui va des gouvernements aux usagers, en passant par les fabricants de logiciels, les fabricants dordinateurs, les fournisseurs daccès, les sociétés de télécommunications câbles, lignes, satellites... , les organismes privés et publics qui se servent du réseau, les entreprises qui font du commerce électronique, etc. Pour cela, une discussion politique va-t-elle avoir lieu ? Surtout pas ! Les penseurs du web, comme la fondation Bertelsmann, expliquent que la technique impose delle-même cette corégulation entre tous les acteurs. Exit toute discussion politique, y compris, cest essentiel, avec les États. Bertelsmann demande même aux gouvernements de faire preuve de modération, de bien considérer que cet outil, transnational, les dépasse tout à fait et que, sils sen mêlent cest-à-dire sils ont lidée dintroduire quelques règles nationales , ils ne vont faire que diminuer sa vigueur puisque toute règle nationale ne peut être quune contrainte dans un environnement global. La logique est imparable ! Quant à une discussion de fond sur le progrès que représente lInternet, ses conséquences diverses, et sur le Progrès en général, cela nest évoqué nulle part... Le consensus est global ! Autre exemple : les fameux forums du web il y en a au moins vingt mille aujourdhui dans le monde, et sans doute beaucoup plus demain ! présentent lintéressante caractéristique de nêtre que des lieux de discussion. Lidée même daction non virtuelle par exemple aller détruire un champ dOGM à la suite dun forum sur le transgénique en est toujours absente ça fait même partie de la netiquette que de ne pas lancer ce genre didées. Les forums peuvent ainsi fonctionner en toute liberté puisquà aucun moment il ne peut être question de remettre en cause le système. LInternet est une part aujourdhui essentielle du système global lui-même, et il est un outil intelligent qui héberge sa propre critique, mais celle-ci reste toujours virtuelle. On na le droit de tout dire sur le réseau que parce que la critique ne peut jamais y être dangereuse. Elle reste sur le terrain de la discussion, jamais du vécu. Et beaucoup dinternautes se satisfont de ce non-agir... La fin du politique ? À la fin des années 1990, Hans Tietmeyer, le président de la Bundesbank, déclara aux membres du G7 réunis à Davos : Les hommes politiques doivent comprendre quils sont sous le contrôle des marchés, et non plus seulement des débats nationaux. Lavertissement était clair. Les États ne sont cependant pas les seuls perdants au jeu de la globalisation puisque cest lensemble des formes politiques anciennes dont lÉtat-nation nétait quun aspect qui devrait disparaître. Y compris la contestation concrète, ainsi quon le voit avec les forums du web. Un cercle se boucle : nous devrions abandonner le politique au moment où nous en avons le plus besoin. Le politique est désormais synonyme de corruption, de mensonge ou de verbiage internétisé. En réalité, la corruption et le mensonge nont pas envahi le politique : elles se sont substituées à lui comme le pouvoir des circonstances (par exemple les circonstances techniques) ou la puissance des marchés financiers se sont substitués au piètre pouvoir organisé par des élections dites démocratiques... Le débat est dépolitisé, ainsi que lillustrent les forums de lInternet. Le politique demeure caché, lointain, derrière tout le tohu-bohu médiatique, derrière la dictature des marchés financiers, derrière les circonstances mondiales, derrière la dépolitisation du monde, derrière lacceptation du Progrès technique notamment comme seule voie viable pour lhumanité. Le processus en cours, qui semble avancer à grands pas, signifie pour les tenants de lémancipation un nécessaire repenser et un agir sans doute différent de ce que nous avons pratiqué jusque-là. Contre les dérives totalitaires de tous ordres, nous affirmons que seul lêtre humain concret et non virtuel peut être au centre de toute politique révolutionnaire. Cest sans doute même le propre dune politique révolutionnaire que de mettre lêtre humain, et lui seul, au centre. Et de recommencer à réfléchir aux moyens dabattre le Progrès ! Philippe Godard |
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