Avez-vous vu sur le petit écran cette retraitée vivant dans un petit village de larrière pays niçois déclarant quelle avait voté pour Le Pen, comme 30 % de ses concitoyens, parce quelle ne se sentait pas en sécurité et nosait plus sortir le soir ? Alors, que dans son village, il ny a aucun problème de sécurité, qui lui a mis cette idée dans la tête ? Sans honte, les mêmes médias qui avaient agité, avant le premier tour, lépouvantail de linsécurité (issu du discours lepéniste, mais repris par la plupart des politiciens de droite et de gauche) sont prêts à nous démontrer quil ne sagit que dun fantasme. Ce sont pourtant ces discours qui ont fait augmenter (quoique de manière plus modeste que les pourcentages les laissent croire) les votes dextrême droite. Que les personnes ayant gobé ce discours aient préféré loriginal aux copies na rien détonnant.
La vraie insécurité, linsécurité sociale des sans-emplois, des sans-papiers, des sans-logement, il nen est toujours pas question. Pourtant ce sont bien les licenciements, les emplois précaires, les mesures libérales prises par la « gauche plurielle » qui sont la véritable cause du « séisme » politique. Malgré une « offre » de candidats plus large que dhabitude, 30 % des inscrits ont préféré sabstenir, ou voter blanc ou nul. Une bonne partie des électeurs de gauche se sont reportés sur lextrême gauche. Cest une sanction de la politique menée par le PS et ses alliés et elle ne peut que nous réjouir.
Par contre, nous ne nous faisons pas dillusions sur le sursaut que cela peut provoquer. Comme cela a toujours été le cas, ce sont les luttes qui apportent les grandes réformes sociales. Celles de 1936 nont pu être arrachées que grâce à la pression populaire. Aujourdhui, même sil peut y avoir de larges protestations contre lidéologie raciste et sécuritaire, il ny a aucune certitude que des manifestations de même ampleur se produisent si demain la droite ou la gauche se mettent à expulser des sans-papiers. Cest bien la gauche au pouvoir qui laisse ceux-ci dans lirrégularité et la précarité. Nous nous en souviendrons sils tentent de se refaire une virginité sur ce terrain.
De même, le libéralisme économique a tellement été encensé par les médias et présenté comme inéluctable par les politiciens de gauche comme de droite quil semble difficile de compter sur des réactions populaires massives aux prochaines mesures qui seront prises par le futur gouvernement (quel que soit son bord). Si certains de leurs électeurs se sont dessillés, les politiciens de la gauche plurielle vont tout faire pour se donner un vernis rebelle sans rien changer au fond de leur orientation. Ils sont même prêts à dénaturer toutes les initiatives pour une économie plus solidaire en sen servant pour organiser la précarité, contrôler les associations et ne favoriser que les activités les plus rentables soit en terme de marché, soit en terme de paix sociale.
Linsécurité ce sont aussi les conséquences humaines et écologiques du développement capitaliste, avec par exemple les risques que font courir aux populations les industries chimiques ou nucléaires. Nous savons que la gauche, même avec les Verts dans sa majorité, est restée aussi sourde que la droite aux inquiétudes et aux protestations des populations soumises à ces risques. Là encore, il ne sera pas question pour nous de loublier lorsque, par stratégie politicienne, ils tenteront de réapparaître dans les luttes de terrain.
Si de trop nombreux Français ont le sentiment de vivre dans linsécurité, comment réagiraient-ils sils vivaient en Palestine sous le feu des militaires israéliens ? Lorigine de cette insécurité est encore la même : lorganisation capitaliste de nos sociétés où lon est en droit décraser les autres pour accroître ses richesses. Quont fait les politiciens français pour lutter contre les crimes israéliens ? Quelques déclarations de principes qui nont aucun poids face au soutien fondamental que les USA continuent à apporter à cet État raciste.
Plus que jamais, il est nécessaire dapporter notre soutien au peuple palestinien, comme à tous les peuples luttant de part le monde pour se libérer du joug des exploiteurs, que ceux-ci soit étrangers ou de même nationalité. Mais, il ne suffit pas de produire des incantations pour exprimer ce soutien ; il ne suffit même pas de leur apporter des aides ponctuelles. La meilleure façon daider les autres à se libérer des capitalistes, des États et des politiciens, cest de lutter pour se libérer soi-même, ici et maintenant.
Limoges, le 28 avril 2002 |
Le résultat du premier tour des élections présidentielles a surpris beaucoup de monde.
Pour notre part, nous navons pas été étonné-e-s de la désaffection dune large partie des électeurs et électrices de gauche qui se sont abstenu-e-s ou tourné-e-s vers lextrême gauche.
Le gouvernement de Jospin les avait suffisamment déçus pour cela. Bien que le score de lextrême droite soit inquiétant, il ne doit pas nous faire perdre la tête et appeler à lunion sacrée derrière un président sortant corrompu et prêt à faire siennes certaines propositions du Font national.
Nous navons pas été en mesure de produire pour ce numéro une analyse collective, en tant quOrganisation communiste libertaire, des résultats électoraux et de la situation actuelle. Cependant les réflexions émises par JPD dans larticle ci-dessous, comme les divers tracts sortis « à chaud », reflètent la pensée de la plupart des militant-e-s de lOCL.
Limoges, le 30 avril 2002
La participation aux manifs anti Le Pen pose deux problèmes :
Le premier est que si manifester contre le fascisme avait une quelconque utilité, depuis le temps que nos antifascistes démocrates et/ou radicaux le font, le Pen naurait pas dû obtenir 17 ou 19 %.
Le second est que, derrière ces manifestations, cest bien autre chose qui se joue : une tentative de remettre de lordre dans ce qui fait désordre aux yeux des forces institutionnelles et qui devrait nous réjouir : le discrédit du système politique.
Il sagit de :
ramener au bercail une partie des abstentionnistes et des blancs/nuls, minimiser le sens des votes Besancenot et Laguiller en poussant ces derniers à faire partie de la famille démocratique (ce que le premier fera plus volontiers que la seconde) ;
réduire pour le futur le nombre des petites listes, source, soi-disant, de bien des maux (alors quen fait ils ont aussi servi à diminuer le taux dabstentions) ;
réhabiliter, en définitive, la démocratie parlementaire ;
et surtout... surtout... 0préparer une réponse, pour les années à venir, aux futures luttes sociales qui ne manqueront pas de se produire : « Nallez pas trop loin, arrêtez, sinon vous ferez ou vous faites le jeu de lextrême droite. » Ce qui se sème aujourdhui émotionnellement, ou plus rationnellement « parce quil faut y être », se paiera un jour ou lautre, et très rapidement. Cest la réponse aux luttes sociales et leur enfermement qui se construit aujourdhui dans ces manifestations, même si pour certains il y a autre chose que le strict antifascisme à exprimer.
Autre chose serait daxer la protestation uniquement sur les problèmes sociaux et de renvoyer dos à dos les deux candidats comme ayant à peu près les mêmes réponses sur les questions essentielles (car en fait Le Pen nest quun libéral sur le plan économique). Cela sera difficile au vu de labsurde émotion que tout ça suscite.
Ces manifs ne dureront pas et, quand Chirac sera élu royalement grâce à elles, nous risquons fort de nous retrouver à poil. Peut-on faire autre chose de ces manifs ? Possible, mais jen doute. Regardez ce qui va se passer le 1er mai : le contenu lutte de classe est en train de passer à la trappe, la résistance sociale se transforme en « Non au Front national », la gauche caviar descend dans la rue, les stals réapparaissent. Il y a peu, on lourdait les premiers à coups de pompes et on conspuait les seconds. Cela se fera-t-il dans les manifs du premier mai ? Oserons-nous écarter fermement les Verts des manifs antinucléaire comme auparavant ? Nous verrons mais jen doute : « Ca serait mal compris, camarade », « Ca fait le jeu de Le Pen »... Bref, malgré toutes les bonnes volontés cest lesprit unitaire qui lemporte... celui que nous appelons frontisme...
Il y aurait une seule manière de participer, cest sur une position claire : ni Chirac ni Le Pen, abstention. Cest précisément dans ces circonstances-là... et qui sont rares, quun mot dordre abstentionniste a un sens. Êtes-vous certains que parmi les anars traditionnellement abstentionnistes certains niront pas voter Chirac ? Mais il y a pas mal de risques de se faire casser la figure en avançant, dans lhystérie irrationnelle actuelle, ces mots dordre. Irrationnelle, car rien ne la justifie.
Quel séisme ?
Sil y a eu un « séisme », il nest certainement pas là où le situent de nombreux commentateurs et, malheureusement aussi, des militants, cest-à-dire dans le score de lextrême droite. Certes, cette dernière a quelque peu augmenté le nombre de ses voix, mais pas de manière significative. Le Pen obtient 200 000 voix de plus quen 1995, ce qui, ajouté aux 660 000 de Mégret, nous donne une progression de 860 000 voix. Or, il faut tenir compte de labsence, cette année, de De Villiers, qui avait obtenu 1 400 000 voix en 1995, et dont une partie de lélectorat nest pas plus facho quand il se porte sur Le Pen ou sur Mégret, comme cette année, que lorsquil se portait sur le vicomte. Si les pourcentages ont augmenté plus que les votes, cest que les abstentions, elles aussi, ont progressé. Et, de toutes les manières, cela fait vingt ans que les sondages sous-estiment Le Pen de deux points à la veille de lélection. Rien de bien étonnant, donc. Il ny avait aucune raison de penser que lextrême droite à la française, xénophobe et raciste, nationaliste et guerrière, populiste et démagogue, qui est une constante dans la vie politique française, avait disparu. Lun dans lautre, ces 19,5 % nous rappellent que lextrême droite a toujours existé en France, quelle est même une tradition qui se pare dhabits souvent différents selon les circonstances.
Le séisme nest donc pas le vote Le Pen, dailleurs prévisible et prévu. Le séisme, cest quil arrive en seconde position et quil talonne Chirac. Et sil en est là, ce nest pas tant dû à son ascension quà leffondrement de ses concurrents. De la droite parlementaire, dabord (33 % des suffrages exprimés, toutes tendances confondues, 23 % des inscrits dont seulement un peu plus de 13 % pour Chirac lui-même). Autrement dit, nous allons nous trouver dans la situation dun Président le mieux élu au second tour de toute la ve république, mais pour qui seulement un Français sur huit a marqué sa préférence au premier ! Bref, une situation aux antipodes de la conception gaullienne de la ve République, qui voulait que lélection du Président au suffrage universel soit le témoignage dun rapport charismatique, quasi « amoureux », entre une majorité du peuple et lélu à la tête de lEtat. On en est vraiment très loin. La ve République est morte, et cela nest pas sans poser de nombreux problèmes, car on sent bien que nous entrons dans une période dincertitudes institutionnelles. Et cela fait peur même aux partis qui étaient théoriquement opposés à la ve mais qui sen accommodaient fort bien. Ce nest pas notre cas.
La gauche parlementaire, quant à elle, a perdu 1,5 million de voix. Moins, donc, que la droite, si bien quelle la talonne avec ses 9 millions de voix contre 9,2 pour la droite. Mais, on le voit, ces pertes cumulées des partis qui ont gouverné la France depuis dix ans et plus nont pratiquement pas profité à lextrême droite. Écurés par les écarts de richesse et de niveau de vie qui se sont creusés entre les nantis et les pauvres ; assistant impuissants à la flexibilité, à la rentabilité financière, à lintensification des rythmes de travail sous couvert des 35 heures ; licenciés ou menacés de lêtre ; assistant impuissants à la disparition des services publics au nom de la rentabilité et du libéralisme, les 5,5 millions de personnes qui ont lâché les partis parlementaires se sont reportés sur lextrême gauche, le vote nul, labstention... très peu sur Le Pen. Le PS a été sanctionné, mais aussi les composantes de la gauche plurielle : le PC en premier lieu, pour qui tout est fini, et les Verts qui espéraient beaucoup mieux et qui ne gagnent que 500 000 voix. Exit la gauche plurielle, revoilà qui nous arrive un vieux-nouveau concept : la gauche unie.
Imaginez que Jospin est obtenu 200 000 voix de plus passant ainsi devant Le Pen. Tous les commentaires tourneraient autour du duel droite-gauche... et pourtant, le score de Le Pen aurait été identique. Lagitation anti-extrême-droite exercée par les politiciens, les médias, les intellectuels et autres artistes est donc purement artificielle et démagogique.
Un certain nombre de ceux qui manifestent affirmaient hier que « les idées de Le Pen étaient déjà au pouvoir ». De deux choses lune : ou bien ils se trompaient, et alors il faut le dire et affirmer quil ne sagissait que dun slogan propagandiste et réducteur. Ou bien ils ne se trompaient pas, et alors on ne voit pas bien ce quils foutent dans la rue.
Ceux qui se lamentent de ce que Jospin ne soit pas au second tour (car il sagit bien de cela, nest-ce pas ? On ne peut à la fois protester contre La seconde place de Le Pen et ne pas regretter que ce ne soit pas Jospin) et qui se sont abstenus, ont voté blanc, Laguiller, Mamère ou Besancenot, sont des autistes, des cocus, ou des imbéciles. Ils navaient quà voter Jospin au premier tour. Ils nont plus maintenant quà voter Chirac !
Heureusement, ceux qui manifestent aujourdhui essentiellement sur le thème « Le fascisme ne passera pas » sont loin dêtre majoritaires dans le camp de ceux qui ont lâché la gauche. Et de cela on devrait se réjouir, au lieu de surfer sur la vague antifasciste comme beaucoup croient bon de le faire.
La politique menée par Jospin nest donc pas la cause de la montée du fascisme ou de lextrême droite, elle est dabord la cause de leffondrement de... Jospin lui-même. La politique menée par Chirac et Juppé a été la cause de leffondrement de Chirac. On avait suffisamment remarqué quentre la gauche et la droite il ny avait pas lépaisseur dune feuille de papier à cigarette !
Pour tenter de masquer ces évidences, droite et gauche se servent encore une fois de Le Pen. Comme Mitterrand sen est déjà servi pour battre Chirac, comme la droite sen est servie pour dénoncer la gauche, comme les uns et les autres lont utilisé en reprenant les thèmes les plus immondes sur linsécurité et le terrorisme.
À gauche, certaines voix se font entendre pour reprocher à Jospin de navoir pas parlé des problèmes sociaux avec suffisamment de force dans les dernières semaines. Comme sil suffisait den parler ! Chirac avait, lui, nommé la « fracture sociale » en 1995. Simple argument de campagne, vite oublié. Pour une fois, plus de 5 millions de personnes, elles, nont pas oublié. Espérons quelles ne se laisseront pas paralyser par un démagogique front républicain antifasciste, avec des politiciens dont la seule stratégie est dutiliser Le Pen pour continuer à gouverner. Et quelles se retrouveront sur le seul terrain qui peut à la fois faire reculer le racisme et permettre la résistance collective de toutes celles et ceux qui subissent les affres du monde capitaliste : celui de la lutte dans les entreprises, dans les quartiers, dans la rue, pour enfin envisager la construction dune société débarrassée des exploiteurs, des supermenteurs et des fachos.
JPD |
Nous avons régulièrement évoqué dans Courant Alternatif le conflit israélo-palestinien. Cela sest fait essentiellement à partir de témoignages, de descriptions de la situation ou de prises de position ponctuelles (1). Le conflit atteint aujourdhui le niveau dune véritable guerre dun pays puissant contre une population presque désarmée. Nous avons éprouvé le besoin de préciser la position de lOCL sur ce conflit. Le texte qui suit est issu du débat que nous avons eu lors de nos rencontres nationales, fin mars.
Il nous faut dabord et plus que jamais affirmer notre soutien au peuple palestinien, devant laggravation de la colonisation et de la répression quil subit de la part de lÉtat israélien depuis des décennies. La violence du peuple palestinien se situe bien en deçà de la violence de lÉtat dIsraël, elle est légitime, et ce peuple na dautre issue possible que la lutte. Il ne possède ni force militaire ni force économique à opposer à la puissance militaire et économique israélienne. La politique menée par Sharon est de pure provocation : perçue comme telle partout dans le monde, elle traduit sa volonté daller de lavant dans les territoires occupés, en affichant son désir déliminer et déporter massivement la population palestinienne, pour lemporter sur elle démographiquement, à terme. Mais noublions pas que les prédécesseurs de Sharon ont obéi à la même logique expansionniste, et que Peres gouverne présentement à ses côtés : il ny a donc pas lieu de le diaboliser pour dédouaner lappareil dÉtat israélien par ce biais. Si aucune paix nest possible à lheure actuelle, cest bien parce quIsraël na jamais cessé de poursuivre un objectif militaire : à la suite de Ben Gourion, ses dirigeants ont mené une guerre tous les dix ans, contre lÉgypte, le Liban... afin de maintenir un semblant de cohésion dans une nation qui, loin dêtre un bloc monolithique, est traversée par les contradictions opposant ses classes sociales contradictions trop souvent masquées par les appartenances politiques, mais forgées pour une bonne part sur la base des pays démigration, les derniers arrivants des pays de lEst formant les couches les plus prolétarisées après les travailleurs et travailleuses arabes. Pour remédier à la fragilité de ses structures, lÉtat israélien est contraint de proposer sans cesse à sa population un scénario de citadelle assiégée et une confrontation permanente avec un ennemi forcément extérieur à elle.
Antisémitisme et antisionisme
Nous dénonçons lamalgame qui est fait par les sionistes entre antisémitisme et antisionisme ; et nous dénonçons tant lexistence et le développement des colonies que la stratégie de lÉtat israélien, qui vise à faire croire que quiconque est contre lui est antisémite, alors quil pratique lui-même une politique raciste et discriminatoire. Cest la distinction entre antisémitisme et antisionisme qui dicte notre position sur les répercussions du conflit en France : nous réprouvons les attentats contre les synagogues, non seulement et bien sûr en ce quils peuvent être des actes antisémites, mais aussi en ce quils font le jeu des extrémistes sionistes et celui de lÉtat israélien lui-même, toujours soucieux dattiser les tensions intercommunautaires : ces synagogues constituant des cibles moins claires sur le plan politique que les lieux de représentation officiels dIsraël, vouloir dénoncer ses exactions par de tels actes revient à tomber dans le piège de lantisémitisme. Nous ne sommes pas dupes, cependant, de lutilisation politique qui en est faite, dans la mesure où les lieux du culte juif, vécus par les deux camps comme une représentation dIsraël (voir les déclarations du chef du Conseil représentatif des institutions juives de France à ce sujet), sont des officines officieuses de cet État ; à ce titre, les synagogues ne peuvent être simplement considérées comme nimporte quel autre lieu de culte religieux à savoir, pour nous, comme des instruments daliénation à combattre dans leur ensemble.
Les origines particulières de lÉtat israélien
Il nous faut ensuite prendre en compte lhistoire du sionisme et dIsraël pour analyser la situation sur le terrain, et de ce fait considérer un certain nombre de facteurs à léchelle internationale, car les grandes puissances portent une large responsabilité dans linstallation définitive des Juifs en Palestine. Le sionisme ne suffit pas à tout expliquer : la création dIsraël correspond à une réalité coloniale qui sinscrit dans un cadre international ; elle est ainsi la marque de la bourgeoisie américaine, qui était désireuse de simplanter dans cette région, et reflète également les intérêts des États européens au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le fait colonial israélien est particulier, étant donné la politique dextermination qui a été menée à lencontre des Juifs sous le nazisme : Israël sest développé avec la bénédiction des alliés en sappuyant sur le sentiment de culpabilité qui régnait en Europe au lendemain de la guerre. Cest cette réalité qui nous empêche de dire que les tenants du colonialisme nont rien à faire sur cette terre, comme nous le disons pour toutes les autres terres colonisées et comme tous les mouvements anti-impérialistes le clamaient jusquen 1980. Pour autant, les massacres et autres sévices qua connus la communauté juive européenne ne justifient en rien la politique menée par lÉtat dIsraël en Palestine : le peuple palestinien na pas à payer pour ce qui sest passé en dautres lieux et dautres temps ; il na pas à porter le poids des responsabilités européennes dans le mauvais sort fait au peuple juif, et de lantisémitisme ayant sévi (et sévissant encore) dans une grande partie du monde tout au long des siècles.
Un État théocratique, raciste et colonial
Si Sharon a été élu dans le cadre dun système parlementaire, lÉtat israélien nen demeure pas moins théocratique, raciste et inégalitaire : son acte fondateur fait référence à la terre sacrée, aux ancêtres, à la religiosité ; les Arabes israéliens nont pas les mêmes droits que les Juifs israéliens parce quils ou elles ne pratiquent pas la religion dÉtat. Ce qui se passe en Palestine est une situation doccupation : Palestiniens et Palestiniennes mènent une lutte de libération nationale dans laquelle se côtoient des sensibilités politiques très diverses et lÉtat dIsraël a largement sa responsabilité dans le développement de groupes palestiniens intégristes (quappuient également les dictatures arabes), alors que le mouvement palestinien sest construit pour une bonne part sur la laïcité.
Le fait colonial israélien est par ailleurs un peu différent de ce quil était en 1947, dans la mesure où lavancée dans les territoires occupés représente un bénéfice économique, mais aussi et surtout un moyen de défense pour Israël : le colonialisme se développe à la frontière même de cet État. Mais, pas plus que nous ne devons nous laisser piéger par lamalgame antisémitisme-antisionisme que recherchent les sionistes, nous ne devons nous leurrer sur les kibboutzim, vantés dans les années 70 comme autant de lieux communautaires et socialistes qui attiraient lextrême gauche : ces expériences de collectivisation ont servi de fer de lance à Israël, en favorisant son expansion géographique et son renforcement. Et, de même, nous devons rester lucides par rapport à lactuel mouvement des réservistes (2), intéressant dans la mesure où il crée des clivages dans la société israélienne, mais qui nen demeure pas moins le fait de militants sionistes se disant toujours préoccupés à la fois de la défense et du renforcement de lÉtat israélien, et ne remettant pas en cause les frontières actuelles de cet État (sil continue de sagrandir, ses frontières nouvelles seront-elles de même à « défendre et renforcer » ?). Dautres engagements de Juifs pro-Palestiniens nous paraissent plus intéressants notamment laction dune association telle que Taayush (3) ou le refus des insoumis ou des objecteurs non-sionistes de rejoindre les rangs de Tsahal -, et leur démarche mérite dêtre saluée et soutenue, dautant plus que leur position est particulièrement inconfortable.
La montée des intégristes
Il nous faut enfin rappeler que le mouvement palestinien a jusquà ces dernières années été contre la reconnaissance de lÉtat dIsraël, et quen renonçant à cette revendication lOrganisation de libération de la Palestine a favorisé le développement des intégristes du Hamas et du Jihad. Les accords dOslo signés en 1993 sont illusoires : ils préconisent une solution mitigée avec la mise en place de deux États, dont un complètement morcelé sur le territoire de la Palestine -, solution quIsraël na jamais respectée. Depuis, il y a eu dans le mouvement palestinien une modification du rapport de forces interne en faveur de ceux et celles qui nacceptaient pas le choix fait par lOLP au nom du réalisme. Aujourdhui, la stratégie guerrière de Sharon peut se révéler catastrophique pour les deux communautés : si Israël liquide Arafat comme il la fait dautres chefs palestiniens, quel sera son successeur ? La politique du pire fera peut-être préférer à Israël un chef palestinien défendant une ligne dure, pour pouvoir continuer son action répressive contre le peuple palestinien.
De plus, à mesure que lAutorité palestinienne baisse sa garde étant donné le rapport des forces en présence, Israël en profite pour simplanter davantage dans les territoires occupés... afin de créer des sortes de bantoustans avec des dirigeants palestiniens à sa botte, pour pratiquer un apartheid comme en a connu lAfrique du Sud ? Dans un tel contexte, on ne peut défendre la seule position de « la paix maintenant », comme le préconisent le parti communiste et une partie de lextrême gauche en France : la paix seule veut dire tout et rien, et aujourdhui elle nest pas possible vu le découpage de la Palestine, lasphyxie économique et la répression que subit le peuple palestinien. Mais sil est difficile, en nétant pas sur place, de nous positionner davantage quen soutien à sa lutte, il est encore plus difficile pour nous davancer une solution précise au conflit entre lÉtat israélien et lui, car de quel droit le ferions-nous ?
Nous constatons, dune part, quaucune des mesures proposées par les diverses instances au niveau international pour régler ce conflit ne convient, car dans tous les cas de figure Israël a la part belle (4) ; dautre part, que la guerre a pour fonction de ressouder lunion nationale dans un pays où se multiplient les mouvements sociaux. Dans une optique internationaliste, nous ne pouvons rêver que dun avenir : lunion des classes exploitées israélienne et palestinienne contre leurs propres bourgeoisies, pour la création en Palestine dune même entité, dans laquelle se mêleraient les deux communautés sans discrimination ni rapport hiérarchique lié à une quelconque appartenance ethnique, religieuse ou autre. Toutefois, pas plus que nous navons à gérer les conséquences des politiques menées par les États, notamment en matière de colonialisme, nous navons, en tant quEuropéens et Européennes, à apporter de « remède » à tout sur la planète : seules les communautés concernées peuvent ensemble réussir à forger leur avenir de façon équitable. Mais à nous, militants et militantes révolutionnaires, de favoriser, dans la mesure de nos moyens, létablissement dun rapport de forces permettant dy parvenir, par un travail dinformation et notre soutien à ceux et celles qui, dans un camp comme dans lautre, uvrent sur des bases de classe et contre tous les intégrismes et totalitarismes en ce sens.
Organisation communiste libertaire
NOTES
(1). Parmi les plus récents : Soutien aux objecteurs israéliens (octobre 2001), Chroniques palestiniennes (novembre 2001), La question de leau (décembre 2001), La question de lenseignement (février 2002), Femmes en noir (avril 2002).
(2). Ces réservistes déclarent notamment : « Nous, officiers et soldats réservistes membres dunités combattantes des Forces de défense dIsraël, élevés selon les principes du sionisme, du sacrifice et du dévouement pour le peuple et lÉtat dIsraël, qui avons toujours servi sur les lignes de front et été les premiers à assumer toute mission, dure comme facile, pour défendre lÉtat dIsraël et le renforcer. [...] Nous déclarons que nous continuerons à servir dans Tsahal et à remplir toute mission qui servira la défense de lÉtat dIsraël. »
(3). Né après lIntifada dal-Aqsa, Taayush a mobilisé de jeunes militants et militantes menant leurs activités, en Israël ou dans les territoires occupés, sur les bases dune action combative judéo-arabe qui défie la politique raciste et ségrégationniste dIsraël. Elle mène des opérations de masse non violentes, sur une base locale et des problèmes concrets, afin de créer une pratique politique alternative judéo-arabe et une solidarité directe (www.Taayush.tripod.com). Elle a organisé jusquici huit convois pour apporter des vivres aux villages palestiniens assiégés ; elle a participé à lorganisation dun camp de travail bénévole judéo-arabe dans le village arabe israélien de Dar al-Hanoun, lété dernier, afin daménager une route et de construire un terrain de jeux pour les enfants.
(4). Le découpage géographique de l« État » proposé en 1967 au peuple palestinien nest pas plus acceptable ni plus viable pour lui que celui de 1993, cet État nétant un rempart ni contre la déportation ni contre linstallation des colonies, et nayant pour autre finalité que de fournir à Israël, avec la bénédiction de la bourgeoisie palestinienne, une main-duvre à surexploiter. |