Courant alternatif no 120 – juin 2002

SOMMAIRE
Edito p. 3 et 4
Brève : mobilisation antinucléaire en Bretagne p. 4
Une histoire exemplaire du capitalisme p. 5 à 8
Oh ! mon drapeau oh oh oh. Aux voleurs de couleurs p. 8
Rubrique Flics et militaires... au service des citoyen-ne-s p. 9
L’opposition à Sangatte s’organise p. 10 et 11
Sangatte, l’Angleterre dans un environnement global p. 11 et 12
L’Europe de Schengen, nouvel « espace vital » p. 13
Rubrique Livres, revues & films p. 14
Les femmes, l’État et la famille [1re partie] p. 15 à 17
Rubrique Point de vue : Le grand camouflage p. 18
Chroniques palestiniennes : retour de Gaza p. 19 à 22
Rubrique L’Mouvement : Souscription pour le RIRe p. 22
Camping OCL 2002 p. 23 et 24

ÉDITO
Si les élections pouvaient vraiment changer la vie, elles seraient interdites depuis longtemps. En l’occurrence, un rapide tour d’horizon semble confirmer cette formule. Plus que jamais la logique économique actuelle annonce licenciements, restructurations, fermetures et concentrations d’entreprises dans les pays riches. Par exemple BNP Paribas prévoit des faillites comparables à celle d’Enron (importante compagnie américaine dont les retraités se retrouvent ruinés). De même, Francis Mer, ex-patron d’Usinor et nouveau ministre des finances, déclarait récemment à propos des grandes évolutions du monde que personne ne contrôlait grand-chose et que ça ne se terminerait probablement pas très bien... Enfin, une étude de la Caisse des dépôts (institution économique française) de juillet 2001, annonçait « une vague de délocalisations » dans l’automobile, l’informatique et la téléphonie vers l’Europe de l’Est et les pays émergeant d’Asie ; cette désindustrialisation croissante de l’Europe « pourrait bien faire des années 2000 des années de conflits sociaux violents comme les années 70 ». Le capitalisme à venir ne fera pas de quartier, ça va (continuer à) saigner ! L’attaque massive contre les conditions de vie des plus pauvres est donc promise à un bel avenir. Dans l’Hexagone, les conflits de classes, soulignés par la multiplication des luttes et des journées de grève depuis deux ans, vont s’aiguiser.
Bien sûr aux USA, avec un retour de l’intervention classique de l’État pour maintenir des pans entiers de l’économie nationale (transport aérien, sidérurgie, armement, recherche et développement, agro-business, …) le gouvernement américain du très « libéral » Bush semble faire une volte-face complète en matière d’action économique. Mais ceci n’est qu’une contradiction apparente et nullement un retour de l’État providence, les cadeaux vont aux riches, pas aux prolos. Classiquement les capitalistes privatisent les affaires juteuses, et délèguent à l’État les canards boiteux (cf. « Une histoire exemplaire du capitalisme » p. 5).

La montée progressive des populismes en Europe (Autriche, Italie, France, Pays-Bas, …) peut alors être interprétée raisonnablement comme une tentative du capitalisme européen d’installer un « pare-feu » pour se préserver de l’émergence possible de mouvements sociaux durs, ayant peu de points communs avec un ersatz comme ATTAC. Bien sûr, nous n’en sommes pas
encore là.
Mais le système de démocratie représentative semble discrédité et les partis de gauche gestionnaires souffrent d’une réelle perte de confiance. L’abstention massive et le vote d’extrême gauche du premier tour des présidentielles françaises de mai dernier l’indiquent. Au lieu de déléguer aux politiciens professionnels la défense de leurs intérêts, les pauvres pourraient bien s’en charger eux-mêmes. Bien sûr un obstacle majeur à la constitution d’un pôle combatif pourrait être la menace « du fascisme », agitée comme un épouvantail pour amener les mouvements sociaux à se montrer raisonnables et rester dans le giron de la légalité bourgeoise. Mais il semble qu’une réelle combativité existe qui puisse contourner cette impasse. Ainsi le 1er mai, à Paris, alors qu’une propagande inouïe et orwelienne des médias français en faveur du vote Chirac pour « sauver la Démocratie » entretenait un psychodrame collectif national qui jetait dans les rues plus d’un million de personnes, le cortège parisien organisé par la CNT réunissait plusieurs milliers de personnes sur des mots d’ordre de classe et d’abstention révolutionnaire. Cela peut paraître anodin, mais face à tous les faiseurs d’opinion, du MEDEF à l’église catholique, en passant par les intellectuels officiels, les artistes reconnus, la gauche, l’extrême gauche (à l’exception des trotskistes de Lutte ouvrière), il fallait sûrement l’envie d’en découdre pour oser prôner l’abstention en pleine hystérie électorale et fusionnelle.
Cet écueil que constituent l’« antifascisme » et la discipline républicaine pour l’émergence de mouvements sociaux autonomes pourrait bien être levé par des composantes de la droite qui n’hésiteront pas longtemps, si l’électorat frontiste se maintient ou en cas de résistance sociale conséquente, à passer alliance avec l’extrême droite à terme. Après tout, le très sécuritaire maire de Nice, ex FN et actuel RPR, prouve bien que les étiquettes politiciennes ne sont que des étiquettes. Et Chirac en 1995 avait déjà tenté un rapprochement en rencontrant à deux reprises Le Pen pour obtenir les voix du FN face à Jospin.

Pour les révolutionnaires, l’enjeu de l’existence de pôles autonomes d’action et de résistance, local, hexagonal ou international, va se reposer avec d’autant plus d’acuité dans une telle situation. Une tentative internationale concrète comme le SIL (Solidarité internationale libertaire, cf. le dernier CA) est une première réponse, même si elle est encore modeste. Certaines organisations comme Alternative libertaire ou la Fédération anarchiste viennent également d’appeler à la création d’un Front social de l’égalité et de la solidarité et d’un Front anticapitaliste, antifasciste et antipatriarcal. Même si pour nous, l’idée de front contient en soi l’idée d’alliance entre classes, partis ou composantes très différentes (alliance qui entraîne une révision des objectifs à la baisse plus souvent qu’à la hausse), il sera nécessaire d’y réfléchir en espérant que ces appels ne viennent pas seulement à point nommé pour capter les personnes politisées ces dernières semaines et en recherche d’organisation... Par contre, une autre proposition de regroupement, qui avait été lancée en 2001 – l’Unité des libertaires –, risque malheureusement de ne pas survivre aux tensions récentes de la période électorale. Les principaux initiateurs de cet Appel à l’unité ayant opté pour des mots d’ordre opposés : abstention ou vote Chirac au deuxième tour. Comme nous l’écrivions déjà dans un numéro spécial de Courant alternatif (n° 6, toujours disponible sur commande et consacré à cette question de l’Unité et à cet Appel), l’hétérogénéité de la mouvance libertaire s’est vérifiée ces dernières semaines, et en particulier sur un point pourtant central des théories anarchistes : la question électorale. Seules des pratiques communes effectives dans les luttes, plus que de ronflants appels et déclarations d’intentions, peuvent nous permettre de construire des pôles de résistance effective.

OCL Nantes le 25 mai 2002


UNE HISTOIRE EXEMPLAIRE DU CAPITALISME
Filiale de Ruwel à Bayonne : une histoire exemplaire du capitalisme ordinaire

350 salarié/es ont assisté à l’assèchement progressif et à la liquidation programmée de l’entreprise dans laquelle ils travaillaient, une filiale du groupe allemand Ruwel, installée à Bayonne à grands renforts d’aides publiques. Les ouvrier-es, tenus à l’écart des informations et inquiets pour leur emploi, sont restés longtemps dociles et passifs face à leur patron. Les voilà depuis un mois licenciés, touchant le maigre minimum légal et conventionnel. Mais à présent ils occupent l’usine et luttent sans répit pour tenter d’obtenir une compensation à leurs années d’intense exploitation.


De Sony à Ruwel

Au début des années 80, pour inciter l’entreprise japonaise Sony à s’installer à Bayonne, mairie, collectivités locales et régionales ainsi que pouvoirs publics s’étaient empressés de déployer grâces et faveurs. Des millions d’argent public avaient été versés dans la caisse des patrons Sony ; les subventions étaient si importantes qu’il avait fallu une dérogation du ministère des finances, les plafonds d’aides autorisées étant dépassées. Sony avait bénéficié en outre d’une exonération des charges et des taxes, ainsi que du don du terrain sur lequel l’usine a été construite. Les élus et autres démarcheurs s’en étaient alors trouvés tout auréolés de gloire et avaient trinqué à l’astucieux marché qu’ils venaient de conclure, en échange de la création de 600 emplois et de la promesse (jamais tenue) de 1 200 postes au bout de 6 ans. Une majorité d’ouvrières non qualifiées, corvéables à merci et chichement payées, avaient travaillé dans l’usine Sony Bayonne, particulièrement appréciées par une direction qui refusait tout syndicat et se réjouissait de « la capacité d’adaptation de la main d’œuvre féminine (…) au vu du faible environnement industriel local ».
Mais en 1997, le groupe Sony décidait qu’il avait fait son temps à Bayonne. Il avait spécialisé l’entreprise locale dans la production de cassettes ; or, le nouveau marché, c’étaient les CD. Pour ne pas ternir son image commerciale, Sony passait alors l’affaire à un de ses sous-traitants, le groupe Ruwel, qui reprenait une partie des bâtiments, le terrain – racheté 17 MF – et 310 salarié-es dont Sony n’avait pas ainsi à payer les indemnités de licenciement. Cette reprise par Ruwel fut elle aussi vécue par les élus et autres politiciens comme un grand coup à l’époque et Strauss-Kahn en personne était venu inaugurer la nouvelle entreprise.
Ruwel est un groupe allemand qui détient cinq entreprises en Allemagne et une au Danemark (1 850 salariés en tout). Il est leader européen dans la fabrication de circuits imprimés. Il fournit les marchés de l’automobile, de la téléphonie, de la production grand public de cartes d’ordinateur. Il a été racheté récemment par l’investisseur Sehner, son nouveau PDG.
Comme Sony, Ruwel a bénéficié, dès 1997, d’importantes aides publiques (12 MF), en sus d’exonération de taxes et d’impôts pendant 5 ans,… c’est-à-dire justement jusqu’à cette année 2002.


Pas à pas vers la faillite organisée

Ce qui s’est passé, c’est que Ruwel a travaillé à se défaire de son usine de Bayonne, en organisant bel et bien le dépôt de bilan de cette filiale. Un véritable sabordage qui s’est fait sur plusieurs mois, sans que personne alors ne réagisse.
D’une part, comme Sony avant lui, Ruwel avait assigné à la filiale de Bayonne le montage de pièces fabriquées par d’autres usines du groupe ; ainsi le site de Bayonne n’était qu’un simple atelier du groupe, « une usine tourne-vis » gérée par la maison-mère. Les produits finis étaient vendus à la société mère : acheteur et vendeur ne faisaient donc qu’un et l’usine de Bayonne ne disposait d’aucune structure de vente et n’avait aucune autonomie de gestion. Or, comme à une usine correspond un type de produit, quand le produit devient obsolète, on ferme l’usine.
D’autre part, des signes inquiétants pour l’avenir de l’entreprise bayonnaise étaient perceptibles depuis plus d’un an. Mais personne n’avait pu ou voulu les voir ni s’en inquiéter, malgré la présence de deux syndicats, CGT et CFDT, et six représentants CFDT au comité d’entreprise. L’expérience pourtant éloquente de Sony ne semblait pas avoir servi.
Pire, les salarié-es, pour la plupart payés entre 5 200 et 5 500 F, se montraient très dociles. Ils avaient accepté de « faire des efforts » et de figer leurs salaires pendant deux ans, en échange de l’application des 35h. Ils étaient conscients pourtant que la direction organisait volontairement la non qualité : elle demandait de produire beaucoup, vite et mal des produits sans qualité, dont beaucoup étaient refusés par les clients, et avec un gaspillage énorme de matière première : « On jetait de 4 à 5 MF de produits finis par mois, soit un taux moyen de rejets de plus de 20 % ».
Les signes les plus tangibles de la dégradation étaient apparus début août, à la veille de la fermeture estivale de la société, lorsqu’une quarantaine de postes d’intérimaires employés dans l’usine avaient été supprimés ; de plus, le directeur avait annoncé que la soixantaine de CDD arrivant à échéance à l’automne ne seraient pas renouvelés. Mais que les plus précaires fassent les frais d’une opération de « resserrement de personnel » est devenu chose si banale que peu d’ouvrier-es s’en étaient alors souciés.
Cela faisait un an que la direction avait commencé à distiller de vagues menaces de chômage. Et, l’été dernier, elle avait parlé de chômage partiel pour les premières semaines de 2002, sans en préciser la durée et tout en demandant d’améliorer la productivité. Elle prétextait une réduction significative du carnet de commandes sur le marché mondial de l’électronique et la nécessité d’ajuster les effectifs à cette chute de la demande. Les dirigeants Ruwel se posaient en victimes de la « crise » dans l’électronique, se disant contraints de naviguer à vue. Ils promettaient cependant un avenir meilleur et les ouvriers s’y sont laissés prendre.
Autre signe inquiétant. En octobre, 4 salariés étaient licenciés sous prétexte d’absence de contrôle de leur machine. Pas de réaction collective ; l’affaire était passée aux prud’hommes, sans aboutir évidemment à la réintégration des ouvriers virés.
D’autres signes forts se sont succédés. En novembre, une machine des plus performantes était transférée en catimini vers un des sites en Allemagne, et avec elle une partie de la production, celle qui correspondait à l’activité la plus importante de l’usine de Bayonne et qui avait la plus forte valeur ajoutée. Dans le même temps, un transfert de toutes les données informatiques de la clientèle ainsi que des commandes (près de 60 % de la production bayonnaise) se faisait de l’usine de Bayonne sur la maison-mère allemande.
En décembre, un nouveau directeur général était nommé ; or, il s’agissait du responsable aux affaires immobilières du groupe Ruwel : une nomination opportune quand on sait que les terrains et les bâtiments du site bayonnais étaient passés dans le giron de la holding allemande. Son but était de rassurer pour désamorcer toute rébellion éventuelle : « Ce que nous avons mis en place, ce n’est ni un désinvestissement ni un début de désengagement de Ruwel à Bayonne », mentait-il. Il se félicitait de « la manière admirable avec laquelle les gens (avaient) réagi ; il y a une réelle prise de conscience des enjeux qui se posent à l’entreprise. » Il disait s’être fixé pour objectif de parvenir à « une meilleure identification des salariés avec leur entreprise » : « Nous voulons leur redonner la fierté de travailler pour le leader européen du circuit imprimé ». On ne saurait pousser plus loin le cynisme…
Le 15 janvier, la rumeur qui courait depuis l’été se concrétisait : les ouvrier-es étaient mis au chômage partiel, jusqu’à la mi-mars seulement, leur promettait-on. Les mesures de chômage technique étaient validées par l’inspecteur du travail et le CE eux-mêmes. Le patron sollicitait, une fois de plus, l’argent public et était entendu : au cours des quatre dernières semaines, c’est le régime des Assedic qui prendrait la relève de l’entreprise et assumerait environ 75 % du montant des traitements ; au cours des quatre premières semaines, l’entreprise continuerait à payer les salaires, mais elle serait appuyée par des aides de l’État de l’ordre de 22,50 F par heure et par salarié-e. Alors même que des aides publiques étaient donc accordées pour le chômage partiel, la direction se permettait d’imposer des heures supplémentaires en grand nombre, et obligeait des salarié-es à revenir travailler pour faire des expéditions et du rangement ; elle persistait aussi à recourir au travail intérimaire. Sans réaction des salarié-es.
Jour après jour, on en apprenait plus sur la stratégie d’assèchement du site bayonnais, menée par le groupe allemand, ainsi que sur ses tripatouillages financiers.
Des factures disproportionnées au regard des prestations rendues étaient présentées par le groupe allemand à sa filiale. À l’inverse, de nombreux transferts de fonds étaient effectués au moyen de factures payées par l’usine de Bayonne à sa maison-mère pour des prestations inexistantes. Des subventions destinées à l’entreprise de Bayonne étaient également détournées vers la maison-mère. Une somme de 2,8 millions d’euros était transférée vers l’Allemagne juste avant le dépôt de bilan. Ruwel continuait à faire rapatrier des machines. Des stocks de produits finis étaient aussi déménagés et les salariés menacés : « Si vous touchez aux stocks, on ne pourra pas payer vos salaires de février ». Les salariés constataient que la matière première n’était plus livrée pour réaliser les futurs produits et que les fournisseurs n’étaient pas payés depuis septembre, la dette de Ruwel s’élevant à 46 MF. La direction de la filiale bayonnaise se permettait dans le même temps de contacter la mairie et les autorités publiques pour obtenir la prolongation d’un certain nombre d’exonérations (charges, taxe professionnelle) au-delà de l’échéance 2002.
Le syndicat allemand IG Metal informait dans le même temps que la société Ruwel s’apprêtait à inaugurer à Geldern, ville où est situé son siège, une unité flambant neuve et parfaitement automatisée. La « crise » de l’électronique avait bon dos !


Une prise de conscience et une action tardives

Fin février, les salariés se réveillent enfin. Les élus du CE, qui dénoncent ne pas avoir été informés en date et en heure de la situation catastrophique du groupe, déclenchent une procédure d’alerte : ils choisissent un cabinet pour expertiser les comptes de la société et déterminer quelle est la stratégie de Ruwel vis-à-vis du site de Bayonne.
Début mars, la Société finit par avouer qu’elle n’envisage aucun redémarrage de l’entreprise et le PDG allemand vient jusqu’à Bayonne pour confirmer la cessation de paiement du groupe, avec pour conséquence soit le redressement judiciaire soit la liquidation.
Le 11 mars, le tribunal de commerce de Bayonne place la Société Ruwel en redressement judiciaire, pour une période de 6 mois. Ce n’est pas le patron mais la collectivité qui devra honorer les salaires de Ruwel (6 MF). Pour les salarié-es qui échappent aux licenciements secs et immédiats, c’est un maigre répit et ils accueillent la décision avec scepticisme. Un administrateur est nommé par le tribunal pour dresser un état des lieux et demander au groupe de réintégrer à Bayonne toutes les commandes qui devaient lui revenir. Le PDG refuse, prétextant « douter de la motivation des salariés comme de leur capacité à fournir un travail de qualité » ! Finalement, un mois plus tard, face au refus de Ruwel de financer la matière première nécessaire au redémarrage du site, c’est la liquidation judiciaire de l’usine de Bayonne qui est décidée, ce qui se traduit par une procédure de licenciement collectif pour les 350 salariés.
Les salarié-es n’ont pris que peu à peu et tardivement conscience que les dirigeants de Ruwel les « ont progressivement plumés pour ne laisser ici qu’une coquille vide dont ils sont pressés aujourd’hui de se débarrasser ». Le groupe avait manifestement décidé de se séparer du site de Bayonne en vidant volontairement l’usine de toute sa substance afin de déboucher sur un dépôt de bilan : liquider et s’en aller, tout en échappant aux contraintes sociales légales. Ce qui intéressait donc Ruwel dans la reprise de Sony, ce n’était pas la production, mais le rachat de la clientèle, des parts de marché du groupe japonais.
Ils expliquent leur lenteur à réagir par le climat même dans lequel la direction les a tenus depuis un an : l’instillation lente des mauvaises nouvelles dosées insidieusement, qui décourage toute réaction, entretient une passivité mortelle : « Ce qui fait que petit à petit on s’habitue à cela, à cette incertitude, à cette peur. On vit avec. Moralement c’est très pénible. C’est comme du venin distillé à petites doses. »
D’autre part, le syndicat majoritaire (CFDT) a continué à faire miroiter, jusqu’à ce que la liquidation soit prononcée, la possibilité d’un redressement et « la chance de sauvegarder des emplois, grâce à une reprise partielle du personnel ». Beaucoup se sont laissés endormir.
Enfin, l’éloignement de la direction allemande, le silence des directeurs locaux se disant toujours hors piste et au courant de rien, l’absence d’informations fiables et les promesses fantaisistes, le manque de culture de lutte ont paralysé toute réaction collective et entretenu un climat de peur, d’incertitude contribuant à l’absence de réaction rapide et collective. « Nous avons été pris en otage par Ruwel qui a laissé l’usine sans matières premières, sans commandes. Nous aurions dû réagir avant », regrettent les salarié-es.
Début mars, pour dépasser la division syndicale, ils ont constitué un comité de coordination de 9 personnes (3 représentants de chaque syndicat CGT et CFDT, 3 non syndiqués) dans la perspective des actions à mener et pour défendre au mieux leurs intérêts au-delà de tout esprit de chapelle.
Ils formulent leurs revendications : ils ne se battent pas pour la sauvegarde de l’entreprise, mais pour en partir dans les meilleures conditions. Ils exigent une indemnité de licenciement à la hauteur du préjudice subi, qu’ils estiment à 3 ans de salaire. Ils se tournent vers les pouvoirs publics pour s’assurer que les aides publiques ne serviront plus à alimenter un groupe qui fait tout pour saborder sa filiale mais en priorité aux reclassements si possible locaux, et pour que l’État mette en place « un véritable groupe de travail permettant de trouver des conditions de reprise d’activité pour les 350 salariés ». Ils attendent des pouvoirs publics qu’ils se substituent au PDG quant aux garanties de respect de la loi de modernisation sociale et qu’ils se retournent contre le groupe Ruwel, qui peut et doit payer, pour l’obliger à amener des fonds afin de réindustrialiser le site.


Des tensions accumulées aux actions collectives déterminées

L’annonce de la liquidation, début avril, transforme les tensions accumulées en actions collectives.
La CFDT tente la voie judiciaire, en déposant le 5 avril une plainte au pénal contre le groupe Ruwel pour « détournement d’actifs, abus de biens sociaux et banqueroute frauduleuse » : il s’agit de prouver que le groupe a été amené à la déclaration de cessation de paiement en dehors de toute contrainte économique ou financière, qu’il a provoqué, de façon programmée et organisée, les difficultés de Ruwel Bayonne pour licencier les salarié-es. Ainsi, il serait démontré qu’ils sont victimes d’une décision arbitraire, le licenciement serait considéré comme abusif et ils pourraient réclamer des dommages et intérêts. Cependant, même si elle aboutissait, une telle plainte peut prendre deux ou trois ans de procédure, ce qui remet aux calendes grecques l’éventualité de l’extension de responsabilité de gestion de Ruwel Bayonne à l’entreprise-mère.
Les multiples rencontres avec les élus locaux et régionaux, avec les représentants du ministère de l’emploi, avec le préfet, avec les hommes politiques de tous bords qui, en période d’élections présidentielles, se sont pressés et empressés auprès des salariés, débouchent sur du bla-bla et du vent et révèlent l’impuissance ou le refus des autorités à agir.
Faute d’être entendus, les ouvrier-es durcissent leurs actions pour faire parler d’eux. Ils font face au triumvirat État, Ville, patronat. L’occupation des locaux de l’usine commence le 9 avril et dure encore à ce jour. Il s’agit d’empêcher le départ de nouvelles machines et de mettre les stocks de circuits imprimés « à l’abri, en lieu sûr », bien qu’ils ne constituent pas un véritable « trésor ».
Dans la rue, les ouvrier-es laissent éclater leur colère, en menant de nombreuses actions spectaculaires : ils brûlent leurs blouses de travail ou encore des pneus sur la chaussée, y répandent des centaines de circuits imprimés, bloquent le TGV, l’aéroport de Biarritz, font des opérations-escargot. Le PDG allemand, venu sur place, échappe de peu à une tentative de séquestration. Des manifestations ont lieu, avec le soutien de la population et d’autres salarié-es menacés de leur côté par des licenciements ou du chômage technique. Les élus s’exhibent emmaillotés de tricolore, mais nombreux sont ceux qui disent ouvertement qu’ils n’apprécient pas de voir les « vautours de la politique » fondre sur eux et capter l’attention médiatique.
Loin de jouer en leur faveur comme ils l’espéraient, la période électorale dessert les salarié-es. Les responsables gouvernementaux sollicités pour prendre des décisions à l’encontre des dirigeants de Ruwel se défilent et jouent les « interlocuteurs fantômes ». Les élus et les pouvoirs publics n’ont envie ni d’assumer la situation, ni de s’engager et il leur importe de gagner du temps, en comptant sur le découragement et la division. Ils disent aux licencié-es d’attendre la mise en place d’un nouveau gouvernement. De fait, après les élections présidentielles, les anciens interlocuteurs se volatilisent, et les nouveaux nommés invitent à reprendre contact après les législatives… Jusqu’au préfet des Pyrénées-Atlantiques qui avait été saisi du dossier, mais qui s’envole vers d’autres cieux pour de nouvelles fonctions. On parle aux ouvrier-es d’une ébauche de congé de conversion de 6 à 10 mois, rémunéré à 80 % du salaire net ; mais ce congé est incompatible avec la signature du PARE, à laquelle les convie la CFDT ; de plus, il s’avère être un mirage, puisque sa mise en place et son financement restent encore à ce jour nébuleux. Quant aux mesures de reclassement, tout reste flou. Et surtout, les deux principales revendications, une indemnité complémentaire de licenciement équivalant à 3 ans de salaire « pour le préjudice subi » et la mise en place d’une véritable cellule de reclassement, ne sont toujours pas satisfaites. Le liquidateur a juste émis le souhait que la cellule de reclassement puisse s’installer dans la partie de l’usine occupée par les salarié-es, ce que ceux-ci ont justement traduit par : « ls nous prennent vraiment pour des cons ». Dans ce contexte d’inertie et de mépris de la part des autorités, l’exaspération des ouvrier-es croît, mais aussi la détermination et la solidarité.
La tension monte. Pour faire réagir les pouvoirs publics, les ouvriers annoncent qu’ils emploieront, si nécessaire, des moyens illégaux. Ils brandissent en particulier la menace chimique. Des produits dangereux (acides, cyanure, eau oxygénée, soude, éthyl de glycol, etc.) sont entreposés, dans des conditions précaires d’ailleurs, sur le site industriel. Les autorités ont aussitôt brandi le bâton : « Toute utilisation des produits dangereux stockés au sein de l’entreprise à des fins de troubles graves à l’ordre public constituerait un délit, voire un crime ». Malgré ces paroles, le 29 avril, suite à une deuxième rencontre particulièrement décevante à la sous-préfecture, les ouvriers ont déversé des dizaines de litres d’acide chlorydrique devant le bâtiment ; ils ont renouvelé l’opération le 6 mai avec la même quantité d’ammoniaque. Leurs actions sont bien mal tolérées par les autres patrons : une simple distribution de tracts dans une grande surface leur a valu l’intervention musclée des flics. Et il leur a fallu envahir et occuper le bureau de la direction départementale pour arracher la promesse d’une aide de 230 à 300 euros pour chômage partiel.


Des pouvoirs publics aux ordres des patrons

Les élus locaux sont directement impliqués dans la sinistre affaire Sony-Ruwel et leurs grandes déclarations de solidarité avec les salarié-es (campagne électorale oblige) ne trompent personne. Pendant des années, ils ont arrosé et arrosent encore d’argent public les entrepreneurs chasseurs de primes, sans aucune garantie et sans aucun contrôle, pour peu que le mot magique d’« emplois » soit prononcé. La firme japonaise était venue à Bayonne faire main basse sur une manne d’argent public et, après en avoir profité, avait revendu le filon à Ruwel, qui à son tour a sabordé sa filiale bayonnaise dans une pure logique financière... avant que ces groupes n’aillent piller ailleurs d’autres richesses. « Ce sont nos sous qu’ils nous piquent ; ils prennent l’argent public et après, quand ils se sont bien remplis les poches, ils se cassent. C’est un véritable hold-up, du truandage de haut niveau ». En effet, tout le monde a financé, y compris les salarié-es eux-mêmes, leur propre exploitation et leur licenciement.
Les élus locaux ont une telle confiance en ces exploiteurs et comptent tant tirer un bénéfice électoral de la création d’emplois à n’importe quel prix qu’ils avaient fait don du terrain bayonnais (10,8 hectares) à Sony qui en avait tiré un substantiel bénéfice en le revendant à Ruwel. Il y a deux ans, afin d’assainir des comptes qui déjà s’affichaient dans le rouge, Ruwel Bayonne avait décidé de la vente de l’ensemble de ses terrains et bâtiments à la holding du groupe allemand, et à son principal actionnaire, le financier Zevens, cinquième fortune en Allemagne grâce à un solide patrimoine foncier et immobilier. Visiblement, la spéculation foncière a été la principale activité de Sony et de Ruwel en s’installant à Bayonne, et peut-être même leur finalité première. Et les politiques les y ont aidés. À présent la municipalité a beau clamer bien fort qu’elle récupérera « ce site privilégié » pour d’éventuelles opportunités d’installation, elle a beau menacer Ruwel qui « devra payer ce qu’il a à payer », le terrain et les murs du bâtiment n’appartiennent plus à la Ville et le prix qu’en demandent Ruwel et ses actionnaires (148 MF) sont au-dessus de ses moyens. Ainsi, le groupe peut conserver son bien même après liquidation de son entreprise et des salariés. Le leader européen du circuit imprimé a ici toutes les cartes en main pour réussir à son profit de prochaines transactions avec un éventuel repreneur ou avec les collectivités locales.
L’escroquerie aux fonds publics n’est d’ailleurs pas terminée, car Ruwel, on l’a dit, a pris soin d’assécher les caisses de sa filiale, et même d’y laisser un compte négatif de 7 MF. Donc, non seulement les fonds publics ont été à nouveau sollicités à travers les Assedic pour payer les salariés mis en chômage partiel, mais encore ils seront sollicités pour payer les salaires, les préavis, les congés payés, les indemnités de licenciement…


Une cynique leçon de mondialisation appliquée

La lutte des ouvrier-es de Ruwel Bayonne continue à ce jour.
La situation qui leur est faite est exemplaire de la logique capitaliste : encore une fois, ce qui compte dans ce système, c’est la rentabilité maximale du capital, les dividendes versés aux actionnaires au détriment de ceux et celles qui produisent les richesses et qui sont eux-mêmes gérés et utilisés comme des marchandises, qu’on jette quand ils ne sont plus jugés rentables ou que les bénéfices sont plus importants ailleurs. Les salarié-es de Ruwel, après avoir servi Sony, en font la douloureuse expérience.
Tout est bon aux patrons pour engranger l’argent public, que les élus et autres décideurs leur offrent sur un plateau, puis pour se défaire du site lorsque la manne commence à se tarir.
Cette situation est aussi emblématique des répercussions que peut avoir la globalisation sur notre vie quotidienne. Le décalage est retentissant entre les centres de
décision économique, de plus en plus dissous dans le capitalisme globalisé et les centres de vie et de production. Ce qui explique que les ouvrier-es, face à un patron lointain et qui se dérobe, en appellent à
l’État et à ses relais afin qu’ils agissent en
leur faveur. Certes, ils veulent par là mettre les pouvoirs publics face à leurs responsabilités, puisque ceux-ci ont totalement œuvré pour les intérêts du groupe industriel, en contribuant à son enrichissement et à sa stratégie de délocalisation. Mais il ne faudrait pas tomber dans l’illusion de croire que l’État puisse servir autre chose que le capitalisme.

Christine, 16 mai 2002

GAZA : BIENVENUE DANS LA PLUS GRANDE PRISON DU MONDE !
Chroniques palestiniennes

Aller en Palestine, à Gaza précisément, permet de constater la réalité démocratique que l’État israélien réserve aux populations qui avaient le malheur d’habiter sur une « Terre promise » à d’autres. Paradoxalement, la bande de Gaza est une prison où les gardiens empêchent aussi les prisonniers de rentrer. C’est le premier d’une longue série de paradoxes auxquels on se confronte au quotidien. À Gaza, la domination israélienne, c’est celle de l’absurde et de l’irrationnel, de l’incompréhensible et de l’arbitraire (1) : Gaza ou la politique israélienne de la mort lente.


Une domination diffuse

On ne rencontre jamais un seul israélien, ni colon, ni militaire, à l’intérieur de la bande de Gaza. Yzhak Kappa, douanier israélien, debout derrière deux assistantes, sont les seuls Israéliens qu’il nous ait été donnés de rencontrer au poste frontière palestino-israélo-égyptien de Rafah — on imagine bien la difficulté à établir un dialogue. Une fois la barrière électrique franchie et refermée, on ne verra, qu’à de rares occasions les traces de la présence israélienne : des colonies au loin, des bunkers recouverts de filets de camouflage aux points de passage, des tanks et des jeeps soulevant des nuages de poussière ; on entendra certaines nuits des tirs et des explosions. Depuis les accords d’Oslo et la mise en place de l’Autorité palestinienne, en l’absence d’une occupation militaire directe, l’État israélien a mis en place un système de contrôle diffus de la société palestinienne, anonyme, pesant, contraignant, qui se manifeste autour des zones de rencontres potentielles. En multipliant les contraintes de déplacement, la domination israélienne reste toujours présente dans les esprits de 1,3 million de personnes. Israël a réussi à maintenir en état d’extrême dépendance la bande de Gaza en évitant tout contact visuel ou physique entre Israéliens et Palestiniens, en cloisonnant soigneusement les deux mondes : en plus d’être en grande partie inhabitées, les colonies entourées de murs en béton, surplombées de miradors et reliées à Israël par des routes fortifiées, cultivent leur isolement. Dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres, l’armée israélienne a rasé toute construction ou plantation (autant de territoires virtuellement dans les mains de l’Autorité palestinienne).


Yzhak Kappa, douanier ordinaire

Derrière son bureau Yzhak Kappa procède aux formalités administratives avec toutes les apparences de la normalité occidentale. Dehors, le soleil brille, la pelouse est arrosée, coupée, les haies sont taillées, le bleu et le blanc des bâtiments éclatent sous un ciel tout aussi bleu. Dans le hall, il fait agréablement frais, on retrouve les mêmes portiques et les mêmes scanners que dans n’importe quelle douane européenne. Au mur, des affiches légèrement racornies et jaunies, nous invitent à nous rendre à la plage et, étendus sur des chaises longues, à siroter un whisky. Nous voilà propulsés entre Saint-Tropez et Torremolinos : corps féminin et alcool nous souhaitent la bienvenue en Israël loin des véhicules militaires, des lignes de barbelés et des fossés que nous venons de franchir en quittant l’Égypte et tout aussi loin des casemates et des palissades en béton israéliennes qui nous séparent encore de la bande de Gaza. Dans ce hall entouré de verdure édénique, Yzhak Kappa fait simplement son boulot de douanier et s’attache à donner à cette parenthèse l’apparence (ou l’illusion) de la réalité. Yzhak Kappa est préposé au contrôle des VIP, en clair, de toute personne détentrice d’un passeport, des ressortissants de n’importe quel État. Les Palestiniens ne sont pas des VIP, c’est évident : ils ne disposent pas d’État, ils n’ont pas de passeport mais des documents délivrés par l’Autorité palestinienne ou l’office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens. Les Palestiniens suivent un autre itinéraire et passent à part. C’est curieux de réserver un traitement « à part » à 99 % des personnes désirant se rendre dans la bande de Gaza, surtout lorsque ces personnes sont les habitants de Gaza.
Mais ce n’est pas le problème d’Yzhak Kappa. Pour lui, rien de plus normal que de vérifier et de tamponner un passeport, de remplir quelque formulaire énigmatique, de taper sur un clavier d’ordinateur, ou de se montrer légèrement tatillon. Yzhak Kappa fonctionnaire dévoué, posté dans un hall désert, est là, spécialement pour viser d’éventuels passeports, trois ou quatre sans doute au cours des bonnes semaines (fait-il des encoches sur la porte de son casier en acier ?). Lorsqu’une personne se présente, il faut en profiter, voilà une occasion d’occuper sa journée et autant de choses à raconter le soir à table en rentrant du boulot. Pour le reste, ce n’est pas le problème d’Yzhak Kappa de savoir pourquoi tel ou tel Palestinien est autorisé à rentrer chez lui ou est refoulé en Égypte. Ce n’est pas son problème si 50 % des Palestiniens ne remontent pas dans le bus au moment de quitter la douane une fois les contrôles effectués, si la frontière avec l’Égypte est fermée un jour sur deux ou trois ou quatre, si elle n’est ouverte qu’une ou deux ou trois heures par jour.
Yzhak Kappa n’est jamais qu’un des pions de cette machine à écraser, à déshumaniser une société entière : son domaine, c’est son bureau. En dehors ce ne sont plus ses affaires. Chacun ici est responsable d’une petite tâche parcellisée : ouvrir la première puis la deuxième puis la troisième barrière ou les maintenir fermées plusieurs heures et laisser le bus mariner au soleil — plus ou moins coincé entre les valises ou entassé sur les banquettes, tordu dans tous les sens chacun observe la couleur du feu chargé de régler la circulation du seul véhicule de la journée ; lorsqu’il passe au vert, la barrière se lève, les conversations cessent, changement de décor : sous les palmiers plantureux, des gentils jardiniers arrosent des jolies pelouses... En d’autres temps et d’autres lieux, Eichmann ne s’occupait que de la ponctualité des trains. Je ne crois pas qu’Yzhak Kappa ait été muté à Rafah à la suite d’une mesure disciplinaire, ou d’un mauvais rapport. Le zèle dont il fait preuve ne découle pas d’une sanction et son imbécillité apparente est certainement appréciée de ses supérieurs qui ont réussi à faire de la frontière le lieu de l’arbitraire par excellence.


Rafah, journée ordinaire

Deux heures après notre entrée dans la zone douanière égyptienne, le téléphone sonne, on nous informe que la frontière devrait ouvrir dans trente minutes. Un premier bus est déjà parti. Deux heures plus tard, après avoir roulé soixante mètres et attendu l’autorisation des Israéliens en vain, il revient, les Palestiniens descendent. Aujourd’hui ils ne sont pas passés. Mais on ne sait jamais. Personne ne sait de toute façon. La frontière peut s’ouvrir cet après-midi : tout le monde s’installe pour plusieurs heures. Nous rencontrons Mohammed, champion athlétique junior palestinien, il nous montre fièrement une coupe remportée au Koweït ou au Katar. Il a eu l’occasion d’aller en Hongrie grâce à son visa marocain. Et puis il y a aussi une mère avec son fils blessé au visage. Ils reviennent d’Espagne, des Asturies. Elle nous tend les coupures de presse en espagnol. Ils étaient deux à aller en Espagne pour être soignés. L’autre est déjà rentré. Un autre gamin a un pansement sur l’œil gauche. Et puis il y a ceux qui sont refoulés pour la deuxième ou troisième fois. Les téléphones portables sonnent, chacun échange des nouvelles sur la situation, que se passe-t-il côté palestinien ? Il y aurait des tirs. L’ignorance cultivée par l’armée israélienne laisse à chacun le soin d’échafauder toutes les suppositions et les interprétations possibles des discours et des actes de l’État hébreu et transforme Rafah (2), l’unique poste frontière entre l’Égypte et Gaza, en royaume de la rumeur. De chaque côté de la ligne de partage, les réfugiés palestiniens se sont organisés contre la présence israélienne, ils contrôlent les trafics et le commerce entre les deux territoires et dépendent économiquement de ce passage.
À 14 heures, il est évident que la frontière restera fermée aujourd’hui. Les autorités égyptiennes nous « invitent » à nous replier. L’arbitraire nous fait avancer ou reculer, en attendant, les Israéliens rejettent les contraintes de leur système sur les autorités égyptiennes qui se voient dans l’obligation de gérer une population flottante à sa frontière. Non seulement Israël contrôle scrupuleusement les entrées et les sorties de la bande de Gaza mais en plus elle s’est gardée le droit d’en réguler le débit jusqu’au tarissement, la décision d’ouvrir ou de fermer est de son seul ressort, elle n’a aucune obligation vis-à-vis des autorités égyptienne ou palestinienne, celles-ci sont réduites au rang de simples auxiliaires. Dans le hangar des douanes égyptiennes, tout le monde s’installe, sort les tapis, s’allonge, fait ses courses à l’épicerie, commence à manger. Les Égyptiens louent des couvertures. Sur le dos des Palestiniens, la frontière nourrit les familles égyptiennes.
Le lendemain, comme la veille, le bus démarre, roule soixante mètres et se range sous des arbres, un ultime militaire ou douanier ou policier égyptien se charge d’un dernier contrôle des passeports. Il a bien des difficultés à passer dans la rangée centrale du bus archi-bondé, dégueulant de bagages.
Le bus dépasse les arbres, traverse une dernière route égyptienne longeant la frontière, rentre dans le no man’s land ; à droite et à gauche, il n’y a plus rien, juste des alignements de barbelés et de fossés. Cent mètres plus loin, deuxième arrêt devant une première barrière israélienne, une ambulance nous rejoint. Deux bus beaucoup moins bondés arrivent en sens inverse. À chaque fois la barrière se lève pour les laisser passer. Finalement après l’ambulance, nous aussi nous franchirons ce premier barrage. Vingt mètres plus loin une autre barrière nous attend. Par les fenêtres, nous apercevons le poste israélien. De ce côté-ci aussi une route longe la frontière. Nous voyons régulièrement passer des véhicules militaires. Le feu passe au vert : « Bienvenue dans la plus grande prison du monde ! »
En laissant Yzhak Kappa moisir derrière son bureau, il nous reste encore trois barrières à franchir, de plus en plus militarisées. Enfin, le bus dépasse la dernière, encore quelques mètres, il entame un demi-tour et s’arrête sur le bas côté gauche de la route entre la douane israélienne et le poste palestinien. Tout le monde descend. Interdiction d’aller sur la route. Le bus retourne dans la zone israélienne, quelques minutes encore et les Israéliens donnent l’autorisation aux Palestiniens d’ouvrir leur grille. Les taxis accompagnés d’une armée de porteurs à pied déboulent sur les rescapés. C’est une ruche rythmée par les négociations. Chacun se fait embarquer jusqu’à la grille palestinienne. Ça y est nous sommes en Palestine.


Surtout ne plus chercher à comprendre

De Rafah, nous remontons sur Gaza-ville, une quarantaine de kilomètres au nord, deux villes reliées par une route nationale, du moins sur la carte. Il est huit heures, le taxi nous attend, nous quittons le camp de réfugiés de Rafah pour entamer notre remontée vers Gaza-ville. Après avoir parcouru quinze kilomètres et dépassé Khan Younis, le taxi ralentit plusieurs dizaines de voitures et de camions sont à l’arrêt et s’étalent sur un immense terrain vague, pare-chocs contre pare-chocs, les vieux Mercedes jaunes multiplient les files convergeant vers le point de contrôle israélien chargé de surveiller et de régler la circulation entre une route israélienne coupant la bande de Gaza pour rejoindre une colonie installée sur le bord de la Méditerranée et la route palestinienne. Chaque chauffeur a sa tactique pour se placer au mieux dans ce goulet d’étranglement parsemé de blocs de béton. Il s’agit d’arriver devant la barrière avant qu’elle ne se referme définitivement jusqu’au lendemain. Évidemment, comme toujours la route israélienne, au nom de la sécurité des Israéliens, est prioritaire : un colon n’a pas à s’arrêter. Quatre ou cinq mille colons emmerdent et pourrissent la vie de plusieurs centaines de milliers de personnes, entravent leur déplacement, réduisent leurs déplacements quotidiens en fonction de leur volonté : chaque jour la domination israélienne par le simple jeu d’un feu rouge protégé par quelques bunkers s’impose. L’armée israélienne toujours invisible ouvre la barrière parcimonieusement, quelques heures par jour. Le plus souvent le matin et le soir. Mais, comme d’habitude on ne sait pas combien de temps ni à quelle heure. Le passage peut aussi rester interdit toute la journée.
Chaque matin on se lève dans l’incertitude la plus absolue : pourra-t-on passer ? Pourra-t-on revenir le soir ? Pourtant tous les matins on se lève. La résistance passe aussi par le maintien d’une normalité : aller au travail, à l’université. À ce rythme, toute la vie économique et sociale de la bande de Gaza est suspendue à une décision israélienne, elle est complètement désarticulée. Les voyageurs descendent des taxis et des camions, étudiants, familles, ouvriers auxquels se mêlent les vendeurs d’eau, de thé ou de café, de Coca ou de graines en tout genre qui se faufilent entre les véhicules. Les discussions s’engagent, les rumeurs se multiplient, un étudiant nous accoste, nous montre son crayon : « C’est mon arme ! Tous les jours je me lèverai pour passer. » Les femmes restent dans les véhicules avec les enfants les plus jeunes. De l’autre côté du point de contrôle, la même chose, le long de la route, à quelques dizaines de mètres du poste israélien, des auvents en toile abritent des étals de glaces, boissons fraîches
... Rapidement, on nous apprend la règle d’or : il est interdit de passer seul dans sa voiture. Les Israéliens tirent pour la faire respecter. Une semaine plus tard, au retour, un chauffeur isolé négociera la venue de l’un d’entre nous avec lui. Normalement des enfants se font payer pour assurer le passage des solitaires.
En attendant, à Gaza, les entreprises et les administrations fonctionnent et établissent des programmes comme si la situation était normale, comme si tout le monde arrivait à l’heure et venait tous les jours. Les bureaux de Palestinian Airways ouvrent tous les matins à neuf heures, pour faire quoi ? L’aéroport a été labouré deux fois par l’armée israélienne et il est fermé. Il paraît qu’il reste une ligne entre Le Caire et Amman. Chacun se projette dans le futur. Dans un institut de formation d’animateurs on nous explique qu’« On travaille comme normal. S’il manque une journée pour finir une formation en cours parce que la frontière est fermée, on la replacera ailleurs. En mars on a continué de travailler lorsque l’aviation israélienne bombardait. Il y avait des manifestations tous les jours, les gens étaient nerveux avec le bruit des avions, certains parents refusaient que leurs enfants viennent de Rafah à Gaza. » Aucun programme ne s’est déroulé comme prévu à l’origine, le planning est rayé de grandes lignes rouges signalant chaque annulation.
Les klaxons des camions retentissent et scandent le signal du départ, des dizaines de moteurs démarrent, les groupes se disloquent, chacun reprend son taxi, les portières claquent, centimètre par centimètre chacun essaye de progresser, le nombre de files diminue au fur et à mesure de cette laborieuse progression, on s’engueule peu. Les premiers véhicules viennent d’en face. Un par un. Le feu rythme le passage. Rouge vert, rouge, vert... En venant de Gaza, il est installé avant un virage, de l’autre côté de la route, le bunker fait face au conducteur, comme d’habitude on ne voit pas les soldats. Une des deux ampoules est grillée : la verte ou la rouge ? Il n’y pas intérêt de se tromper.
Le taxi est passé, direction Nouseyrat, un autre camp de réfugiés. Le taxi quitte la route principale. Il y a un autre point de passage plus loin, peu de personnes cherchent à l’emprunter. Tout le monde préfère passer par le bord de mer. La route s’arrête face à une dune provoquant un bouchon sur plusieurs centaines de mètres, le taxi s’en rapproche au maximum, slalome entre les voitures, les charrettes et les camionnettes qui avancent encore, elles aussi ou font déjà demi-tour. Ici, la normalité c’est que le taxi fonce comme un dingue, double les files de charrettes tirées par des ânes, klaxonne, double les camions, force le passage et s’arrête face à un mur de sable barrant la route. La normalité c’est que chacun descende, récupère ses bagages et s’engage à pied sur la dune, reprend la route cinq mètres plus loin et la longe sur plusieurs centaines de mètres sous le regard lointain de la colonie israélienne de Netzarim avant d’enjamber une nouvelle dune gardée par des miliciens palestiniens. De l’autre côté les taxis s’entassent de nouveau et attendent leurs clients. Entre les deux tas de sable, dans un creux, une tente et quatre hommes en armes, en face, dans la colonie, des tanks, dans le ciel des drones et des F16... Tout ça c’est la normalité. Pourquoi la route est coupée ?
De temps à autre, un char sort, surtout aux heures de pointe, les gens se mettent à courir, il peut tirer, s’approcher et interdire tout passage, comme d’habitude personne n’en connaît ni la raison ni la durée. Dans ce rectangle de quarante kilomètres sur dix, le passage est la principale occupation des gazaouites, passera, passera pas. Les portables s’inquiètent sans arrêt de la situation des « voyageurs ». Nous sommes encore là, nous passons, nous atteignons Nouseyrat... L’étranglement des déplacements, c’est aussi celui de l’économie mais lorsque les intérêts israéliens sont directement concernés, on s’arrange. Les fleurs cultivées à Rafah et exportées vers Israël par Erez au nord, les camions qui les transportent remontent sans difficulté la bande de Gaza, les militaires israéliens sont prévenus pour les laisser passer.


En attendant la guerre

À Gaza-ville, comme dans le camp de Jabalya plus au nord, les Palestiniens s’attendent à l’arrivée des chars israéliens. Chacun nous prévient de leur itinéraire en ville, ils (les chars) arriveront sans doute par là, par ce grand boulevard ou peut-être par le bord de mer en provenance de Jabalya… Pour empêcher leur progression, des murs de sable ont été élevés dans les principales artères et dans les ruelles entravant encore davantage la circulation, obligeant les voitures à s’arrêter et à emprunter des passages en chicane, un par un. Même en son absence, la simple menace de l’armée israélienne emmerde les Palestiniens. En plus, ces tas de sable paraissent totalement dérisoires (même si la rumeur veut qu’ils soient minés), à leur sommet des miliciens, toujours leur kalachnikov à la main, trônent sur leur barricade, plus loin on les rencontre assis sur des chaises de jardin, à leur pied un poste diffuse de la musique, deux gamines voilées passent devant eux et s’enfilent des glaces à l’eau. Depuis que les Israéliens ont bombardé tous les commissariats de Gaza, les flics sont hébergés chez des particuliers, dans des garages ou dans des tentes installées sur les trottoirs. Ils veillent toute la nuit, invitant les passants à venir siroter un café. « Alors, qu’est-ce qu’on fait si demain les Israéliens arrivent ? On continue ou on arrête de travailler. Dans cette situation, on n’a pas de tête. Déjà tout le monde fait des réserves d’eau et de farine. »
Pour plusieurs milliers de Palestiniens, l’arrivée des Israéliens cache beaucoup plus d’angoisses et de peurs. Ahmed est né en Algérie où sa famille s’est réfugiée lorsque l’OLP a dû quitter Beyrouth en 1982, face à l’offensive israélienne au Liban. Ce n’était jamais que le troisième exil après celui de 1948, vers la bande de Gaza, alors sous l’autorité égyptienne. En 1964, ses parents émigrent en Arabie Saoudite ; après la guerre de 1967, ils ne pourront jamais revenir à Gaza désormais occupée par l’armée israélienne : direction le Liban donc, jusqu’en 1982. Lors des négociations des accords d’Oslo, une clause permettait le retour des réfugiés du Maghreb dont des membres de la famille travaillaient pour l’Autorité palestinienne. En 1995, Ahmed est rentré avec un laissez-passer pour touriste de trois mois, son frère faisait partie de la police palestinienne. Finalement les Israéliens ont refusé de régulariser la situation de ces familles jugées trop nombreuses. Elles sont apatrides, ne disposent d’aucun titre de séjour autorisé, même pas de la carte de réfugié des Nations unies. Ce soir, un débat sur Kamal Nasser, un poète palestinien assassiné à Beyrouth, se déroule quelque part à Gaza, la semaine dernière on y parlait du terrorisme. En attendant, à Jabalya on s’attend à un bombardement d’un moment à l’autre, les F16 tournent autour du camp. L’information a été donnée par des soldats postés dans la rue. Pour autant l’animation ne faiblit pas, les rues défoncées donnent toujours le même spectacle rythmé par les klaxons des taxis et des camions, croisant les charrettes, les gamins rentrent de l’école, les bulldozers aidés par les gamins remplissant des brouettes, continuent d’édifier des tas de sable, les panneaux accrochés à chaque poteau électrique, dans chaque vitrine, célèbrent la gloire des martyrs, les haut-parleurs installés sur le toit d’une camionnette annoncent une manifestation après la prière du soir après la mort d’un militant du Jihad à Jenine. En attendant la guerre, en attendant son tour, toute la bande de Gaza assiste impuissante, par postes de télé interposés, aux massacres de l’armée israélienne en Cisjordanie.


Partir

Pour le retour, je me suis longtemps posé la question de savoir comment on franchissait le no man’s land séparant les grilles palestinienne et israélienne. Il faut arriver tôt à la grille palestinienne, négocier avec un chauffeur de taxi agréé par l’armée israélienne pour faire la navette. Comme d’habitude, les conditions sont dictées par l’occupant. La contrainte ici comme ailleurs est toujours rejetée sur les autorités palestiniennes obligées de collaborer au rituel d’ouverture de la frontière en position soumise. Tous les gestes sont dictés par l’armée israélienne. Les autorités palestiniennes ne font que relayer ses décisions. Personne ne sait combien de taxis passeront dans la journée (peut-être zéro) ni à quelle heure. Pour s’assurer éventuellement un passage (il y a des précautions de langage à adopter) il faut être le premier. Pour être le premier, il faut payer. La multiplication des décisions arbitraires provoque l’irruption de la corruption et du bakchich.
Les taxis attendent l’ordre de passer. Ils passent un par un la grille palestinienne. Attendent de nouveau dans le no man’s land l’autorisation d’avancer jusqu’à la barrière israélienne. Puis roulent au pas, coffre ouvert, la main par la fenêtre pour montrer une carte plastique.
La grille s’ouvre. Le taxi la franchit et s’arrête. Un bus attend. Surtout ne pas descendre. Un employé palestinien vient prendre les passeports des passagers pour les donner au militaire israélien de service. Alors on donnera l’ordre de descendre. Ne pas prendre ses sacs, il faut tout laisser dans le taxi. Le même employé palestinien transférera tous les bagages dans le car. Entre temps, il faut passer sous un détecteur de métaux et attendre l’appel effectué par l’officier israélien à l’abri, vingt mètres plus loin. Aucun contact, toujours maintenir une distance de sécurité. À ton nom, tu avances. Avec son M16, un deuxième militaire te tient en joue. Tu payes ta place et montes dans le bus en attendant qu’il se remplisse. Un deuxième taxi arrive... Lorsque les Israéliens estimeront que le bus est suffisamment plein, ils fermeront la frontière. Un taxi repart avec ses occupants. Ils sont refoulés. Pour quelles raisons ? Le bus démarre. Barrière. Première attente avant le hall de la douane. Alors, il faut descendre cinq par cinq, la veste sur le bras droit, les mains à moitié en l’air, passer de nouveau sous un portique à rayon X. Puis, comme à l’aller, les Palestiniens et les Européens sont séparés.
Finalement, je me demande ce que vise la politique israélienne en pourrissant la vie des Palestiniens. La mort lente, c’est sûr ; la reproduction inconsciente d’une logique de ghetto ? Ça ne mange pas d’pain de le dire. L’adoption résolue d’une politique d’apartheid ? On peut comparer les territoires autonomes aux bantoustans d’Afrique du Sud mais, à la différence des bantoustans, la bande de Gaza ne sert même plus de réserve de main-d’œuvre. Depuis le début de l’intifada, plus aucun Palestinien ne va travailler en Israël, la situation sociale des camps situés près de la frontière nord, comme Jabalya, s’est complètement dégradée. Les Israéliens ont pris soin de remplacer la main-d’œuvre palestinienne en recourant à l’immigration en provenance d’Asie orientale. Alors ? Pourquoi ? À terme c’est la déportation massive des Palestiniens qui est recherchée par la politique israélienne.

Olivier, mai 2002

Notes
(1). En avril dernier, pendant deux semaines, sept nantais-es et nazairien-nes se sont rendus dans la bande de Gaza en dehors du cadre des missions civiles de protection du peuple palestinien. Cet article essaye de retracer la première impression d’un des participants.
(2). À cheval sur l’Égypte et la bande de Gaza, la ville de Rafah a été coupée en deux après le retour du Sinaï dans le giron égyptien en 1982.

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