Courant alternatif no 121 – été 2002

SOMMAIRE
Edito p. 3 et 4
Après les élections, le danger fasciste écarté ?! p. 5 à 9
Rubrique Flics et militaires p. 10
Longwy, quels repères après la casse industrielle ? p. 11 et 12
Femmes, Etat et famille (2e partie) p. 13 à 15
Où en est la lutte à Itoiz ? p. 16
Index CA p. 17 et 18
Conflit Inde/Pakistan p. 19 et 20
Recomposition politique à l'OLP p. 21 à 24
De Kaboul à Bakou p. 25 à 27
Les camps palestiniens en Syrie et au Liban p. 28
Femmes en noir p. 29 à 31
Qui sommes-nous ? p. 32

ÉDITO
L’utilisation de Le Pen comme d’un épouvantail et l’appel fusionnel à faire barrage au FN après le premier tour des élections présidentielles ont eu évidemment pour effet de jeter les électeurs-trices dans les bras de Chirac, avec un suffrage digne d’une dictature, alors qu’il avait obtenu le plus mauvais score d’un président sortant. Ainsi, au cours d’un scénario burlesque prêtant au président sortant les rôles de rempart au fascisme et de sauveur suprême de la démocratie républicaine, les voix mêlées de la droite et de la gauche, d’une partie de l’extrême gauche et même de libertaires, ont servi sur un plateau tous les pouvoirs à Chirac et à ses hommes. Oubliées et effacées d’un seul coup les horreurs qu’ils incarnent et dont ils ont été coupables : l’ultralibéralisme, les crimes les plus récents de l’impérialisme français (dont les massacres au Congo Brazzaville), les déclarations racistes, les fausses factures, la corruption… Les partis de gauche et les gros syndicats, premiers responsables de la dépolitisation, de la paralysie des travailleurs-ses et de leur impuissance à se défendre de façon autonome, ont appelé, rejoints par de prétendus révolutionnaires, à s’en remettre à un politicien qui n’hésitera pas demain, comme il l’a fait hier, à utiliser toutes les formes de répression étatiques ou para-étatiques contre les mouvements sociaux. Après ce scénario pour les présidentielles, le boulevard était ouvert pour la droite: tout s’est organisé au nom de l’efficacité des institutions pour déboucher sur un panorama classique ordonné sur un face à face gauche-droite. Et c’est à la mesure de la débâcle du PS, et de l’effondrement du PC que le parti créé par Chirac a remporté une majorité des plus confortable aux élections législatives.
Il faut souligner le paradoxe : la «nation» semble s’être ressoudée autour d’un chef, donc autour de l’Etat , donnant une légitimité apparemment renforcée aux institutions ainsi qu’aux urnes présentées comme le seul moyen de changer les choses. Alors qu’en fait le système de la représentation politique est en crise et que l’establishment s’est révélé, et est, plus fragile que jamais.

Se voyant muni d’une majorité qui paraît claire et cohérente, le gouvernement pourrait être tenté de considérer qu’après ces quatre tours de scrutin le pays est rentré dans l’ordre. Et qu’il va pouvoir effectuer au grand jour et au pas de charge la «modernisation» accélérée du capitalisme français. Ce serait oublier la présence d’une composante très importante, qui se place délibérément en dehors des élections : les abstentionnistes (près de 40 %) dont le score n’a cessé d’enfler au cours des épisodes du feuilleton électoral, malgré une campagne massive et insistante pour faire preuve de civisme et inciter à voter, sans compter tous ceux-celles qui ne se sont pas inscrits sur les listes électorales (3,5 millions de personnes qui ont le droit de vote et autant de travailleurs-ses immigrés qui ne l’ont pas). Il s’agit d’une abstention en grande partie délibérée, politique, protestataire, qui touche en priorité les ouvrier-es, les employé-es et les jeunes, les moins intégré-es dans ce système institutionnel élaboré par la bourgeoisie pour prévenir ou détourner les affrontements sociaux. Cette perte d’adhésion pour le système électoral et pour les partis de gauche inquiète d’ailleurs plus les gestionnaires du système que le vote pour Le Pen, car elle représente une menace potentielle pour l’amortissement des contradictions sociales et cache un mécontentement profond et une révolte latente.

La droite succède donc à la gauche pour pratiquer, à des détails près, la même politique au service du capitalisme et avec des accents de plus en plus sécuritaires. Dès les premiers moments de l’exercice du pouvoir, elle a montré son véritable visage.
D’abord les mesures répressives à l’encontre des classes «dangereuses» et les promesses sécuritaires, dans la poursuite de celles du gouvernement précédent. Le slogan de Sarkozy digne de l’univers orwellien, - «La sécurité, première des libertés» qui passe par la «guerre contre la délinquance» et par des «policiers offensifs et pas seulement réactifs»- , trouve ses premières applications : entre autres, le verrouillage des postes-clés de la haute hiérarchie policière avec des hommes inféodés au nouveau pouvoir ; la promesse de moyens renforcés en matériel (flash-balls et autres armes de guerre) et en nombre de policiers ; la «culture du résultat» appliquée aux flics (chiens de garde mais aussi de chasse), avec des «objectifs quantifiés» récompensés en «espèces sonnantes et trébuchantes» ; le projet d’alléger la loi sur la présomption d’innocence (les droits des gardé-es à vue ayant été déjà largement allégés par la majorité socialiste) ; celui de réformer l’ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants ; d’instituer pour eux des établissements fermés ainsi que de construire de nouvelles prisons, etc.
Ensuite, le gouvernement s’est empressé de prendre des mesures anti-sociales, qui réjouissent les patrons, des petites, moyennes et grosses entreprises, à qui il promet en outre de continuer à baisser les charges. Des cadeaux sont accordés aux plus riches : baisse de 5 % de l’impôt sur le revenu qui ne favorise que les plus fortunés et qui ne concerne que 10 % de la population ; revalorisation des honoraires des médecins généralistes et des pédiatres ; déplafonnement de la prime agricole ; et, «au nom de la protection des entreprises», refus d’un coup de pouce politique au SMIC. Ces premières mesures sont elles aussi accompagnées de phrases qui traduisent sans équivoque les intérêts qu’elles servent : «Les Français vont devoir retrousser leurs manches», a averti Barrot ; «C’est l’économie qui décide» a déclaré Fillon, ministre des affaires sociales (!). D’autres mesures au profit des exploiteurs économiques et financiers se profilent : nouvelles privatisations d’entreprises publiques; suppression de postes dans la fonction publique (sauf dans les corps répressifs) ; assouplissement dans la mise en œuvre des 35h, avec plus de liberté pour les patrons dans l’utilisation des heures supplémentaires ; projet de création de contrats de travail réservés aux jeunes non qualifiés de 16 à 22 ans ; réforme des retraites, de la formation professionnelle, etc. Tout cela, bien entendu, dans un contexte de restructurations accrues où se multiplient les annonces de licenciements massifs.

Les attaques des entreprises et de l’Etat se poursuivent sans que se dessine encore l’émergence de mouvements sociaux d’envergure. La vague fusionnelle qui avait fait descendre des millions de manifestants dans la rue est retombée aussi vite qu’elle s’était enflée, peut-être parce que les gens ne savaient pas au juste ce qu’il fallait défendre.
Certes, le capitalisme apparaît de plus en plus clairement comme tout à fait opposé aux intérêts du plus grand nombre et perd de plus en plus sa légitimité : les promesses que ça ira mieux après s’être serré la ceinture ont mis en évidence que ça allait très bien pour les capitalistes et pour les plus riches mais sans redistribution à l’échelle d’un pays ou du monde ; que ceux qui appliquent docilement les réglementations dévastatrices du FMI sont ceux qui morflent le plus; que les services publics soumis à la loi du profit ne marchent pas ou a contrario de la satisfaction du plus grand nombre ; que la criminalité financière des technocraties industrielles est relayée par les Etats… Quel symbole que ces chefs des Etats les plus riches de la planète, retranchés militairement à Kananaskis au Canada, afin de planifier planétairement la préservation et le renforcement du système de domination et d’exploitation qu’ils servent!

La bourgeoisie a besoin d’organisations et de partis réformistes forts pour détourner les luttes inévitables et prévenir les explosions sociales. Un vide s’est créé dans le camp réformiste, qui n’attend qu’à se remplir ; il y a une place à prendre pour un réformisme de rechange, qui puisse continuer à faire croire que la démocratie parlementaire et l’Etat sont des biens communs à tous. Le social-libéralisme qui a été porté par la majorité précédente, aidée par les syndicats, et qui veut trouver et imposer une adaptation de l’économie française qui colle aux injonctions et aux nécessités actuelles du capitalisme, a encore de l’avenir. Son mot d’ordre est que tout le monde produise avec le maximum de rentabilité pour que tout le monde puisse être libre de consommer le maximum… De leur côté, des militant-es anti-mondialisation et de l’extrême-gauche cherchent aussi une recomposition rassemblant ceux qui surfent sur le capitalisme en entretenant l’illusion, dans le cadre du système, d’une démocratie rénovée, «participative», où ils pourraient exercer un peu de pouvoir; ils sont friands d’«initiatives citoyennes», parfaitement intégrables par le capitalisme, et qui non seulement ne le remettent pas en cause mais encore lui donnent un peu de respiration. Leur objectif est de tenter de rogner les excroissances perverses d’un socle capitaliste conservé en fabriquant ou en rafistolant les filets de sécurité minimaux face à l’élargissement et au renforcement de l’exploitation des ressources et des hommes. C’est dans cette logique que les vocables «marchandisation du monde» et «bien commun» en viennent à remplacer exploitation, oppression, domination et lutte de classes.
Dans le contexte actuel, on parle donc beaucoup d’urgence à se recomposer, voire à s’unifier. Nous ne sommes pas hostiles à travailler avec d’autres pour un autre futur, mais pas en allant jusqu’à prétendre, comme certain-es le font, qu’il n’y a pas de vraie séparation entre réforme et révolution, entre régulation/intégration et rupture radicale avec le système.

Pays Basque – Bordeaux
1° juillet 2002

APRÈS-ÉLECTIONS... ALORS ? LE « DANGER FASCISTE » A ÉTÉ ÉCARTÉ ?
Faut-il en rire ou se fâcher ? Cette interrogation pourrait résumer à elle seule notre ressenti face à un acte sans importance au regard de nos combats, un vote, mais qui a pris tout à coup des dimensions insoupçonnables. Il faut dire que leur démocratie est mal en point, et finalement la seule question qui doit se poser était, est et sera : va-t-on, au moindre prétexte, les aider à faire survivre leur système politique qui garantit l’exploitation capitaliste, ou allons-nous refuser toute collaboration ?

Manipulations médiatiques et politiciennes

Décidément, depuis ce 21 avril, nous en avons entendu et subi, des chiffres, des pseudo-analyses, des leçons de morale républicaine et citoyenne !
Nous avons assisté à l’une des plus belles tromperies médiatiques et politi-ciennes depuis des décennies. Le plus marrant, c’est qu’elle repose au départ sur une manipulation mathématique du niveau du collège : un raisonnement utilisant des pourcentages sans les mettre en rapport avec les chiffres réels eux-mêmes. Prenons un exemple : en Seine-Saint-Denis, Le Pen passe de 19 % en 1995 à 20,2 % en 2002 ! Le média “neutre” en déduit logiquement que l’extrême droite progresse dans le 93 ! Le crédule le croit ! Pourtant, en nombre de voix, Le Pen régresse : de 92 294 voix en 1995 à 80 005 voix en 2002 ! Eh oui, le nombre des votants étant plus faible, le pourcentage obtenu par un candidat peut augmenter tandis que les suffrages obtenus diminuent ! Si l’on veut mettre en valeur ce candidat (pour le soutenir, comme pour s’en servir en le diabolisant), il suffit d’utiliser la sacro-sainte mathématique du pourcentage, l’élément de base de la pensée moderniste, celle de la République des sondeurs. Elémentaire...

En fait, au plan national et en nombre de voix, l’extrême droite progresse de 800 000 voix environ par rapport à 1995, alors qu’un certain De Villiers, qui avait obtenu environ 1 400 000 voix en 1995 et qui marchait largement sur les plates-bandes de l’extrême droite, ne se représentait pas ; quant à Pasqua, qui recrute dans le même registre, la droite ne lui avait pas permis d’obtenir ses 500 signatures. De plus, il faut rappeler qu’il y avait, cette fois-ci, 1 200 000 inscrits supplémentaires.
Si l’on tient compte de ce qui précède, comment peut-on y voir une irrésistible montée du Front national le 21 avril (Il y en a même qui ont parlé de “déferlante fasciste” !) ?


Du premier...

Parmi ceux et celles qui ont appelé à voter Chirac au second tour, peu se sont pris la tête pour analyser géographiquement le vote extrême droite (Le Pen régresse en nombre de voix et parfois même aussi en pourcentage dans des villes ou des quartiers qui avaient fait ses “succès” dans les années 80, comme à Dreux et à Mantes-la-Jolie, alors qu’il progresse en zone rurale, dans l’Est et le Sud). Encore moins, évidemment, ont analysé les causes profondes qui ont conduit Le Pen au second tour !

Pourquoi toutes ces manipulations ? Il est évident qu’elles ont permis aux gestionnaires de gauche de camoufler la claque qu’ils avaient prise malgré leur “autobilan” positif. Elles ont permis à tous les défenseurs/promoteurs de la démocratie parlementaire de surfer sur l’idée de la “montée inexorable du fascisme en France” afin de faire revenir aux urnes les abstentionnistes et de culpabiliser celles et ceux qui s’étaient égarés en votant extrême gauche, blanc ou nul. En fait, cette manipulation devait servir avant tout à redorer le blason terni de toute la classe politique, des institutions de la démocratie représentative garantes de l’exploitation capitaliste.
Beaucoup de choses ont été dites sur les manifestations qui ont suivi l’annonce des résultats du premier tour. Un fait est certain : ce sont majoritairement des jeunes n’ayant pas encore l’âge de voter qui sont descendus spontanément dans la rue le lundi 22 avril, mais qui, dès le lendemain, étaient encadrés. En effet, la gauche et la gauche de la gauche (excepté LO) se réunissaient dans toutes les grandes villes, le 22 avril au soir, pour récupérer, d’une “manière citoyenne” bien sûr, ce sentiment de rejet de Le Pen exprimé par ces jeunes qui s’étaient retrouvés la veille devant la télé, chez leurs parents, et avaient pris pour argent comptant ce que les médias et les politiciens racontaient !
Certains sont même allés jusqu’à parler, à propos de ces manifestations, de la “naissance d’une nouvelle génération politique” ! L’illusion créée par quelques recrutements éphémères leur fait perdre la tête ! S’il devait naître une nouvelle génération de ces manifestations ça serait celle de l’union sacrée et du triomphe du capital. Heureusement l’événement important n’était pas là, mais dans l’explosion de l’abstention et peut-être surtout dans le refus des abstentionnistes et d’une bonne partie des votes d’extrême gauche de se reporter sur le PS ou sur les Verts. Si de cela devait naître une génération elle serait plus intéressante à nos yeux que la précédente !
Quant au 1er mai, n’en déplaise à certains, ce sont majoritairement les classes moyennes (en témoigne l’importance des cortèges de la FSU, syndicat corporatiste ultramajoritaire dans l’Education nationale) qui sont massivement descendues dans la rue où, rappelons-le, le drapeau tricolore côtoyait les drapeaux rouge et rouge et noir, où La Marseillaise rivalisait avec L’Internationale. Ce qui s’est exprimé, c’est la trouille des classes moyennes face à un pseudo-danger fasciste, confisquant le symbole de la lutte des classes et les revendications du prolétariat au profit d’un antifascisme électoral.


...au second tour

La manipulation s’est poursuivie en parlant de “sursaut citoyen” après le second tour. Pour ce faire, il a fallu que les médias et les politiciens se réfèrent au premier tour, car si on compare ce second tour avec ceux des élections présidentielles précédentes, c’est à relativiser ! 20,29 % d’abstentions cette année, contre 20,34 % en 1995... et un peu moins de 16 % en 1988 ! Un million de votants en plus par rapport à 1995, pour 1,2 million d’inscrits supplémentaires (soit 200 000 abstentionnistes de plus). Comme renouveau des valeurs de la République, de la démocratie représentative, il y a mieux !
De plus, il ne faut pas oublier que, pendant ces deux semaines, on a assisté à la mobilisation de tous les médias (jusqu’au Canard enchaîné, ce qui est une première) pour relayer l’intoxication mise en place par toutes les forces “vives et citoyennes” de l’Etat français... du patronat jusqu’à la LCR, en passant par la CGT (et, de manière anecdotique et sans conséquences électorales, par certains libertaires), et pour mettre en place un système de pensée unique. Malgré cela, il y aura encore plus de 8,3 millions de personnes inscrites sur les listes électorales qui oseront ne pas aller aux urnes ce jour-là ! Il faut croire qu’il y a bien un malaise quelque part !

En fait, de quelque manière que l’on tourne le problème, compte tenu des abstentionnistes et des 15 % de personnes de nationalité française recensées qui ne sont pas inscrites sur les listes électorales, ce sont 11 % des Français de plus de 18 ans qui ont voté pour l’extrême droite au moment de son score le plus élevé... soit un Français sur dix ! Si vous tenez compte de la présence des immigrés qui, il faut le dire, ont peu de sympathie pour le Front national, vous croisez dans la rue en moyenne un électeur de Le Pen toutes les douze personnes. On est donc loin de la “déferlante fasciste”. Comme déferlante, il n’y a eu que l’abstention du premier tour de la présidentielle et des deux tours des législatives !


Les législatives

Pendant toute la période entre l’élection de Chirac et les législatives, tout et son contraire a été dit, mais avec un seul objectif, faire perdurer le “ sursaut républicain ” à coups d’“actes citoyens”. Seulement voilà, “citoyen” comme “républicain” ne sont que des formules entre les mains des manipulateurs.
Le Monde des dimanche 2 et lundi 3 juin, les différents journaux télévisés ou écrits, la classe politique clamaient haut et fort que la dispersion des candidatures favorisait la présence du FN au second tour des législatives. Affolement et mensonges propagandistes qui se multiplient : le FN serait présent dans plus de 300 circonscriptions au second tour et il y aurait plus de duels que de triangulaires dans la mesure où, à cause du nombre élevé de candidats, il sera plus difficile d’obtenir les 12,5 % des inscrits nécessaires au maintien au second tour. Haro sur les petits candidats ! Il faut changer la loi ! Quand la loi votée par les politiciens ne leur plaît plus il faut en changer, exactement comme ils aimeraient changer le peuple lorsque ce dernier ne leur plaît plus !
Mais ces 12,5 % fatidiques portent sur les inscrits. Par conséquent, plus il y a d’abstentions et plus ce seuil est difficile à atteindre. La conséquence logique pour les antifascistes eût été alors de favoriser l’abstention (tant il est vrai, et il faut le rappeler, que ce sont bien des électeurs qui donnent leur voix à Le Pen, pas des abstentionnistes !) afin que le FN n’atteigne pas ce seuil, ou rarement. Pour nos stratèges, il n’en était pas question : ils ont appelé à voter, à voter, à voter encore, risquant alors de faire monter les voix lepénistes. Las pour eux, ils n’ont pas été entendus, l’abstention a augmenté considérablement, si bien que le FN a été très peu présent au second tour et n’a obtenu aucun élu.
Le “sursaut républicain” du second tour de la présidentielle, loin de créer une dynamique, n’a finalement fait que rappeler qu’on ne berne pas forcément les gens deux fois de suite. Passé le pseudo-danger Le Pen, abstentionnistes et électeurs d’Arlette n’ont pas pour autant reporté leurs voix sur la gauche.

Ce que voudraient nos démocrates, c’est qu’il y ait à la fois peu d’abstentions et peu de candidats : en gros, que les voix se partagent entre deux partis, comme dans la “démocratie avancée” des Etats-Unis. En fait, il se met en place un totalitarisme insidieux, exercé sans violence apparente, mais avec les outils modernes de la propagande, c’est-à-dire par médias et “politiquement correct” interposés.

C’est là que l’on voit la stupidité stratégique de ceux qui, à l’extrême gauche et chez les libertaires, ont appelé à voter Chirac, alors que, pour une fois, l’abstention avait un sens et pouvait être revendiquée. Faire cet appel revenait à avaliser la véritable usine à décervelage qui se mettait en place et qui, entre autres, consistait à culpabiliser et à dénoncer abstentionnistes et extrême gauche. Cette propagande plus qu’insidieuse, cette pensée unique oppressive et oppressante, cette dénonciation a priori de toute prise de position ne se coulant pas dans le moule dominant sont bel et bien une illustration du totalitarisme qui se met en place en Occident (plus proche de celui décrit par Orwell que de la violence brute nazie), une sorte de fascisme post-moderne. Dans ce contexte, l’union sacrée contre Le Pen a plus servi à développer une forme moderne du fascisme qu’à le combattre. Il est vrai que l’objectif n’était pas là : il ne s’agissait pour chaque protagoniste que de s’absoudre des responsabilités de la défaite ou de la crise de la représentation parlementaire.


Le “danger fasciste”

Avant de parler de danger, il faut déjà définir ce qu’est le fascisme. C’est “une dictature qui s’appuie sur une doctrine de réconciliation des classes au service de la nation, articulant une organisation corporatiste et verticale des travailleurs à un Etat militarisé tout-puissant. Le fascisme est une forme particulière de l’Etat, un mode de gestion entre les citoyens de cet Etat qui peut, parfois mais ce n’est pas une obligation, s’appuyer sur une théorie des races comme fut le nazisme. Fondamentalement, il est l’une des formes possibles de totalitarisme adapté à un certain développement de l’économie. C’est ainsi qu’il est toujours parvenu au pouvoir avec l’aide et l’aval du grand capital et d’une grande partie de la bourgeoisie (1)”.

Si sa prise de pouvoir peut être tout à fait légale au sens où la démocratie l’entend, ses victoires électorales ont toujours été des conséquences inéluctables de son implantation populaire massive, mais aussi et surtout du fait d’avoir été la seule force capable de sauver le capitalisme dans une période où il est en crise et se sent menacé. Cela signifie donc que, non seulement la démocratie parlementaire n’est pas un rempart contre le fascisme, mais encore que ces deux formes de gestion de l’Etat qui se plaisent à s’opposer l’une à l’autre ont en commun le fait de servir le capital au mieux de ses intérêts. Dans nombre d’Etats, depuis la dernière guerre mondiale, on a pu voir des hauts dignitaires passer d’une dictature à une démocratie sans que cela ne pose de problèmes insurmontables, à quelques exceptions près.

Lorsqu’on adhère à ce type d’analyse, qui émane de la majeure partie des révolutionnaires qui ont subi et analysé le fascisme, le bulletin dans l’urne contre le fascisme ne peut que faire sourire, dans le meilleur des cas. Mais en fait ici, plus prosaïquement, il y avait deux questions incontournables à se poser :
1/ Le capitalisme a-t-il besoin de Le Pen ?
2/ Le Front national a-t-il les moyens d’imposer un certain type de fascisme ?

La Bourse, qui peut être sensible à une situation politique incertaine dans un Etat majeur pour le capitalisme, a totalement ignoré les élections françaises ! Même les “petits porteurs”, qui sont toujours prêts à s’affoler au moindre soubresaut, n’ont pas bronché. Ils ont tous, comme les “gros porteurs”, les yeux rivés sur les comptes de l’économie américaine qui, depuis le début de l’année, ne sont pas très bons dans un certain nombre de domaines et entraînent une baisse des indices boursiers. Quant au patronat français, il fut stupéfait en prenant connaissance des propositions de Le Pen dont la sortie de la France de la CEE et le retour à une économie privilégiant le repli protectionniste. Malgré cette opposition, personne au MEDEF ne s’est affolé en craignant que Le Pen puisse être en mesure de mettre en œuvre son programme... comme quoi le patronat est plus réaliste que d’autres...

Dans la phase actuelle de développement des forces productives, avec l’accentuation et la généralisation de la mondialisation, tant au niveau de la production que des échanges et de la consommation, le capital a toujours besoin d’Etats favorisant sa reproduction. La gauche plurielle a fait largement l’affaire, et demain la droite poursuivra et amplifiera ses efforts. C’est une poursuite accélérée de la modernisation du capitalisme que va permettre cette union sacrée contre un épouvantail revêtu des habits bruns. On peut d’autant plus “barrer la route au fascisme” que ce dernier ne menace nullement, dans la mesure où la bourgeoisie n’en a pas besoin. Brandir un danger fictif aura permis que la France se débarrasse d’une cohabitation parfois encombrante au profit d’une alternance possible tous les cinq ans (ou moins) pour le plus grand bien du patronat.

Concernant le deuxième point, il fallait se poser la question de savoir si le FN avait une implantation suffisante lui permettant de mettre au travail forcé des millions de prolétaires derrière un drapeau (tricolore, bien sûr...), de reconduire à la frontière des centaines de milliers de travailleurs immigrés, de détruire physiquement, matériellement, psychologiquement toute résis-tance ! Comme l’un d’entre nous le disait à une militante de “Ras L’ Front” qui vend seule, chaque semaine, son journal dans le plus important marché de Reims : “S’il y avait vraiment un danger fasciste, il y a longtemps que tu te serais fait éliminer physiquement, et moi aussi d’ailleurs !” Bien sûr, il y a eu quelques violences commises par des groupes d’extrême droite, mais elles sont restées mineures et sans aucune comparaison avec ce qui peut se passer lorsqu’une dictature va s’instaurer. C’est ainsi que des jeunes ont pu manifester dans la rue quasiment tous les soirs dans des centaines de villes pendant deux semaines sans avoir besoin de protection particulière, sans subir une seule agression fasciste un temps soit peu organisée. Non, chers antifascistes de l’“entre-deux-tours”, les milices fascistes qui font régner l’ordre dans la rue n’existent pas ! Le FN ne possède pas une quelconque ébauche de structure comparable à celles de l’entre-deux-guerres en Italie, en Allemagne, mais aussi en France ! Pour s’en convaincre, il a suffi d’une seule manif nationale du FN à Paris, afin d’“honorer Jeanne”, qui n’a regroupé que quelques dizaines de milliers de manifestants pendant qu’un million et demi d’antifascistes défilaient ! Le Pen n’a même pas été capable de mobiliser pour son unique meeting avant le second tour de la présidentielle : une chaise sur deux était vide, dans l’un de ses fiefs, Marseille !
Tout cela n’est pas très sérieux ! Il n’y avait pas de danger fasciste.


Les prises de position des libertaires

Ce fut globalement tout et n’importe quoi, comme d’habitude !
Avant le premier tour de la présidentielle, Alternative libertaire s’est lancée dans une campagne pour l’abstention car, disait-elle, “il n’y a pas de danger fasciste” !
Au lendemain du premier tour, elle “revendique sans honte une participation active à la déroute de la gauche” et estime que ce n’est pas par le vote Chirac “que l’on peut briser les causes profondes de son ascension [celle de Le Pen]”. Pourtant, AL appellera finalement à voter Chirac... tout en dénonçant “le consensus totalitaire du front dit républicain”. Comme gymnastique et langue de bois, on ne fait pas mieux. Il y a là comme une volonté de ne pas aller au bout des choses, une perméabilité aux effets dominants, même éphémères, une volonté “de ne pas se couper”, de rester crédible... au prix des pires contradictions. Les groupes FA de Rennes et Toulouse qui avaient mené une campagne unitaire avec l’AL sur l’abstention se sont retrouvés eux aussi “le bec dans l’eau” pour le second tour... Mais au moins, dans les cas précités, il y avait conscience claire et exprimée d’un malaise, et une dénonciation des fronts antifascistes, même si l’analyse de base (le risque de fascisme) était, selon nous erronée.
Point de telles précautions chez les initiateurs de l’unité des libertaires (voir entre autres notre hors-série n° 6 sur L’Unité des libertaires), qui ont appelé à voter Chirac eux aussi, et plus nettement encore en considérant même que la victoire de Chirac était aussi... la leur ! Le fascisme étant à notre porte, la révolution n’étant pas à l’ordre du jour, sachons voter utile, ont-ils estimé. Dans leur cas, il n’y a rien d’étonnant à nos yeux, car tous les libertaires ne sont fondamentalement pas de la même famille politico-idéologique. Au-delà de certaines divergences, même importantes, il n’existe entre eux aucun fond, aucun tronc commun qui les distinguerait d’autres familles idéologiques, hormis quelques concepts idéalistes dont le sens s’estompe au fur et à mesure que des enjeux et des engagements concrets se présentent : la Liberté, l’Autogestion, la Démocratie, l’Egalité... Ces mots ne signifient rien dans l’absolu, ils n’ont de sens que dans des situations concrètes où il faut prendre des positions. Ce fonds supposé commun est la base du dernier appel à l’unité des libertaires (comme il fut la base de tous les essais historiques de synthèse des divers courants de l’anarchie), et il vole en éclats dès qu’il y a une prise de position claire à prendre sur un sujet capital de l’actualité.
En fait, cela fait bien longtemps qu’il aurait fallu débattre sur ce qu’est exactement le fascisme, et s’il existe présentement en France un réel danger fasciste ! Mais, même si nous avions débattu, nous ne devons pas nous faire d’illusions : il y aurait toujours ceux et celles qui pensent que Le Pen se combat aussi avec un bulletin de vote, que la (leur) démocratie doit être défendue coûte que coûte, et ceux et celles qui appellent toujours à l’abstention, par principe. Quant à nous, à l’OCL, c’est bien la première fois depuis longtemps que nous avons gueulé, en manif, notre abstention à une élection ; à noter tout de même que beaucoup d’entre nous ne sont pas ou plus inscrits sur les listes électorales car nous refusons et dénonçons ce type de citoyenneté. Là est un autre débat que nous aborderons dans un prochain hors série de CA.

Quel peut-être le contenu de l’unité entre des anarchistes membres d’une loge maçonnique et qui, par conséquent, ne peuvent que porter secours à l’actuelle démocratie dès que celle-ci est en difficulté, des anarchistes qui désirent et oeuvrent pour la révolution, des anarchistes qui sont institutionnalisés et dont certains se situent à la gauche de la gauche de la gauche en se prenant pour des représentants du mouvement social (?) et qui tiennent à rester crédibles.

Ce qui nous distingue réellement, et qui est beaucoup plus fondamental que le supposé fond commun issue d’une pensée totalement idéaliste (nous entendons ce terme comme opposé au matérialisme) c’est la question de la Révolution ainsi que les outils conceptuels pour analyser les réalités du monde : la lutte des classes.

Toute proportion gardée, l’appel à voter Chirac le 5 mai, puis le message de satisfecit suite au résultat que l’on sait, ressemble fort au ralliement à l’union sacrée en 1914 où la plupart des antimilitaristes de la veille partirent finalement la “fleur au fusil”. Le contexte est infiniment moins tragique, un bulletin de vote désuet a remplacé le fusil, mais le mécanisme est fondamentalement le même. L’opposition à cette union nationale réalisée entre les deux tours ne devait évidemment pas s’appuyer sur une quelconque orthodoxie abstentionniste anarchiste, mais sur une critique des arguments généralement avancés, sur une critique de la manipulation médiatique et politicienne que nous avons tous vécu.

La guerre du Golfe, la guerre dans l’ex-Yougoslavie, certaines prises de position refusant de clamer un antisionisme virulent, certaines réactions au lendemain du 11 septembre, nous ont montré que la tendance libérale, pro-occidentale et réformiste, dans les mouvances libertaires et révolutionnaire, même si elles ont toujours existé, sont visiblement en train de prendre de l’importance. Cela est finalement logique dans des milieux déboussolés par la soi-disante «disparition de la classe ouvrière» et la «fin de la lutte des classes». Ils ne reste alors plus que la culture, des sentiments démocratiques, l’aménagement de la vie quotidienne, comme seul horizon... et finalement l’idée morbide qu’il ne s’agit plus de vivre mieux mais le moins mal possible. Quelle tristesse !


Restons malgré tout optimistes

Il est impératif de dénoncer les structures politiques collectives, de la LCR à certains groupes libertaires, qui ont appelé à voter Chirac sur la base absolument nulle et non avenue “qu’il faut mieux un escroc qu’un facho”. D’autant qu’aucune de ces structures n’a admis s’être trompée dans son jugement portant sur la montée du fascisme. D’autant que cet appel n’était pas destiné à faire ce qu’il prétendait (barrer la route au fascisme) mais à ne pas se couper de la gauche pour en être l’aile marchande institutionnelle. Il s’agissait pour eux de surfer sur le sentiment de trouille inspiré par Le Pen, une trouille irrationnelle, mais bien entretenue par les appareils de pouvoir. Pourquoi fallait-il que des révolutionnaires en rajoutent une couche alors que leur boulot aurait dû être, au contraire, de démonter les mécanismes de la comédie qui se jouait vis-à-vis de ceux des électeurs qui étaient de bonne foi. D’ailleurs beaucoup d’entre ces derniers se sont bien jurés, le soir du second tour, qu’on ne les reprendrait pas une deuxième fois dans une telle galéjade. La preuve en fut donnée aux législatives comme nous l’avons dit plus haut.
Ce qui a frappé tout de même c’est que les rassemblements pour fêter la “victoire sur le fascisme” le soir du 5 mai 2002 n’avaient pas l’éclat, le rayonnement, l’ampleur des rassemblements le soir d’un certain 10 mai 1981 qui avaient suivi l’annonce de la victoire de Mitterrand.

L’adhésion à l’illusion d’une autre gestion de l’Etat plus favorable au prolétariat a fondu en 20 ans et ce n’est pas nous qui allons nous en plaindre. Bien sûr une partie du prolétariat vote extrême-droite mais pas plus qu’hier car cela n’est pas une nouveauté. Par contre, ce qui est nouveau c’est la quasi totale disparition du PC dans ces couches populaires qui ne se sentent massivement plus représentées par une quelconque force institutionnelle et c’est aussi et surtout la quasi totale disparition des trêves dans la lutte des classes qui avaient lieu au moment de chaque élection nationale. Depuis quelques années on constate une élévation du niveau de la lutte des classes qui ne se traduit pas encore par des mouvements d’ampleur nationale, mais dont l’existence même pourrait bien être à l’origine du formidable effort réalisé par la bourgeoisie pour construire l’union nationale.


Après les élections, bien des journalistes, des sociologues, des politiciens se sont répandus en constatant que prolétariat et classe ouvrière avaient été oubliés par la gauche. On feignait alors de s’apercevoir que le PS et les Verts c’était les classes moyennes, et que les classes prolétariennes n’avaient plus rien à voir avec cette gauche ! Ceux qui tenaient, et tiennent encore, ces propos, parfois censés et intéressants, sont souvent les mêmes, ou leurs cousins, qui nous serinaient depuis des années que la classe ouvrière n’existait quasiment plus, que la lutte des classes c’était ringard. Mais si ces braves gens redécouvraient “la face cachée de la lutte de classe”, c’était pour constater que prolétariat et classe ouvrière se comportaient mal, les vilains : abstention, Arlette, Besancenot et même Le Pen ! Ce qu’il faut, pensent-ils, c’est reconquérir ces couches, faire assaut d’explications, de pédagogie... bref encore un problème de communication : ne pas montrer qu’on les méprise, ne pas aller jusqu’à les laisser autonomes, mais se débrouiller pour les faire voter mieux tout en continuant à les exploiter jusqu’au trognon. Voilà, en résumé la trame du nouveau programme des gauches avec en plus, pour les Verts, des trottoirs sans crottes de chien à Paris.

Eh oui, le prolétariat existe bel et bien, mais ce qui est vrai c’est que, disloqué à la fois par la réalité des restructurations des forces productives et par l’unicité du discours proclamant sa disparition, il ne constitue pas une force réelle, relativement cohérente. Et plutôt que de se livrer à des calculs électoraux ou à faire de Le Pen un épouvantail, l’objectif stratégique numéro un que pourraient se fixer des révolutionnaires c’est d’aider à ce que le prolétariat se reconstitue réellement en classe pour peser comme tel sur la société, sur les rapports de force. Et pour participer à cette reconstitution, il faut qu’apparaissent des discours autonomes, critiques, non consensuels, provocateurs, pourfendeurs de pensée unique afin de ne pas tomber dans tous les pièges tendus par le système dit démocratique.

Denis et JPD


NOTE
(1). Extraits, dans le désordre, de notre brochure “ Positions et orientations ” qui date de 96 mais qui est en cours d’actualisation.

ENCART 1

Paris a bien voté !
Pensez donc ! 69 % de participation au second tour contre 64 % de moyenne nationale, 5 points de mieux. Une gauche qui fait mieux que résister et qui conquiert même des sièges, après s’être emparée de cet historique bastion de la chiraquie, la mairie de Paris. Le Marais et la Bastoche se sont même offert une Verte réputée «gauchiste» (le grand frisson pour les branchés). C’est que Paris est un résumé sociologique de ce qui reste à la gauche : les classes moyennes supérieures et plutôt intellectuelles, avec la plus forte concentration française de l’espèce «gauche caviar», c’est-à-dire bien peu de chose. Elles regardent ce qui se passe autour d’elles, mais pas plus loin. Elles ont assisté à la disparition de la classe ouvrière dans la capitale, ce qui en définitive les réjouit et leur permet d’en mieux goûter le folklore sous forme de musette, de balloche et de faux air canaille. Ne voyant plus d’ouvriers, elles en ont conclu qu’il n’y en avait plus. Le monde, pour elles, s’arrête au périph... et, une fois ou deux par an, en Guadeloupe, Tunisie ou à la Réunion (dans le cadre d’un tourisme intelligent, bien sûr ! “autre”... comme elles disent). C’est bel et bien ce milieu-là qui fournit les faiseurs d’opinion, ceux qui prophétisaient la fin de la lutte de classe.

ENCART 2

Faut-il interdire le Front national ?
Au moment où l’Europe affirmait vouloir durcir ses lois sur l’immigration, Mélanchon (gauche socialiste) expliquait dans Le Monde du 3 juin qu’il fallait interdire le Front national. Ses arguments ? Ceux qui votent Le Pen n’ont pas d’excuses, ils savent ce qu’ils font et sont “des ennemis de la République”. Cette analyse aurait dû, en principe, conduire à une attitude électorale refusant de faire les yeux doux aux électeurs du FN, considérés jusque-là comme des gens simplement inquiets du fait de l’insécurité mais, pour beaucoup, de braves gens qui se trompaient... Là encore, aucune cohérence : Mélanchon appuie la politique sécuritaire destinée à récupérer des électeurs du FN. Autre argument de Mélanchon : il faut en finir avec les débats portant sur l’explication du vote Le Pen, il faut maintenant des actions ! La seule action proposée est l’interdiction du FN ! Quelle action ! Mélanchon pense qu‘“il ne faut plus s’attaquer aux causes”, ce qui, pour un ex-gaucho se réclamant du marxisme, est assez croquignolet. En bref, pour lui, l’électeur du FN est réellement un fasciste. Mais comme Mélanchon omet de préciser ce qu’est pour lui le fascisme... on peut en déduire que les fascistes sont tous ceux qui, à terme, refusent le consensus républicain (rappelons-nous qu’Arlette fut, elle aussi, traitée de fascisante quand elle grimpait dans les sondages puis quand elle a refusé d’appeler à voter Chirac). Heureusement, cela n’arrivera pas aux anarchistes promoteurs de l’unité des libertaires, qui se sont rangés dans le consensus antifasciste, marquant ainsi leur appartenance au monde des “gens bien”, des “démocrates”. Quelle reconnaissance !


GAZA : BIENVENUE DANS LA PLUS GRANDE PRISON DU MONDE !
La dernière offensive majeure d’Israël, au delà des destructions de tous ordres, aura été l’occasion d’une accélération de la recomposition politique de la centrale palestinienne. Celle-ci était déjà dans l’air, à travers la question de la relève future et apparemment bien problématique d’Arafat. L’indéniable défaite militaire se traduisant par la quasi-destruction de l’appareil étatique de L’OLP a posé en évidence l’absence de perspectives politiques crédibles pour le peuple palestinien.


Cette absence d’horizon a laissé la place à la logique de la terreur des attentats kamikazes du Hamas et du Djihad islamique. De nombreuses voix, pas toujours dénuées d’intentions partisanes, se sont élevées de la part de nombreux intellectuels palestiniens et membres de la société civile, qui sans franchement demander le départ du raïs palestinien, ont commencé à poser non seulement l’idée d‘une refonte majeure des structures de l’Autorité palestinienne, mais aussi la nécessité d’une nouvelle stratégie pour les années à venir.


Un constat d’échec pour l’Autorité Palestinienne

Plusieurs raisons justifient ce constat.
La première est le simple fait que le gouvernement Sharon ne désire pas faire la paix, dans des termes qui respecteraient les droits fondamentaux des Palestiniens. Les objectifs de ce gouvernement paraissent être : la défaite militaire des Palestiniens; le démantèlement de l'Autorité palestinienne et la perte de légitimité de sa direction; la fin du processus d'Oslo et une "paix" imposée aux conditions d'Israël.
Deuxièmement, il est clair que, compte tenu de la réalité politique prévalant aux Etats-Unis, l'administration Bush n'interviendra pas pour contenir le comportement agressif et surtout expansionniste d'Israël. Les actions israéliennes ne lui font certes pas plaisir, et elle aimerait voir une solution négociée du conflit, dans les termes précisés dans le discours de Colin Powell à Louisville et auparavant dans celui de Georges Tenet, directeur de la CIA. Mais elle n'exercera aucune pression sur Israël, ni publiquement, ni de manière décisive. En conséquence, en dépit des espoirs chimériques d'un certain nombre d'Arabes et d’Européens progressistes mais hélas naïfs, il n'y a aura aucune opération américaine, ni même aucune force de protection ou d'interposition soutenue pas les Etats-Unis dans les territoires occupés.
En fait, il n'y aura même pas de résolution de l'ONU déterminante soutenue par les Etats-Unis, appelant à l'une des actions mentionnées ci-dessus.
Troisièmement, les Palestiniens ne perdent pas seulement la bataille sur le terrain, ils sont en train de la perdre également sur le front de l'information aux Etats-Unis, là où se décide vraiment les choses. Il n'existe aucun effort palestinien organisé sur le plan de l'information aux Etats-Unis.
A l’inverse, Israël et ses partisans bénéficient donc d'un climat favorable permanent, sur lequel ils poussent leur avantage. Ils ont réussi a fixé les termes du débat, en diabolisant l'Autorité palestinienne et son Président, Yasser Arafat, et arrivent a se présenter comme les victimes, alors que les Palestiniens seraient les agresseurs.
A défaut d’avoir fait passer Arafat pour un complice objectif de Ben Laden, ils ont au moins réussi à le faire passer pour un incapable limite malade mental, dont il est urgent de se débarrasser.
Quatrièmement, il n'y aura aucun secours venu d'Europe. L'Union Européenne, comme les autres acteurs de la scène internationale (Russie, Chine, non-alignes, etc.) exprimeront leur préoccupation ou leur condamnation, et feront passer a l'occasion une résolution, mais ils n'agiront pas. Ils n'ont aucun poids, et même, aucun intérêt a utilisé le peu de poids qu'ils ont, au risque de provoquer une confrontation avec les Etats-Unis. La dénonciation des accords cadre Union européenne Israël n’est pas pour demain.
Cinquièmement, même les Etats arabes et surtout leurs opinions publiques, bien que profondément bouleversés et même furieux de la détérioration de la situation, ne pourront pas constituer une force extérieure capable de sauver la situation.
Enfin, pour en revenir au contexte israélien, il est important de reconnaître que l'effondrement du processus de paix et la reprise des violences ont durci l'opinion israélienne de manière durable. Cela s’est traduit par un renforcement de la position de Sharon, et en l'affaiblissement, pour ne pas dire l'effondrement, du Parti Travailliste. Seule la frange radicale du mouvement de la paix pourra peut être à terme inverser cette tendance à la condition de pouvoir créer un rapport de force significatif dans la société israélienne. Ce qui hélas est loin d’être le cas pour l’instant.


Des affrontements à venir entre factions rivales

Différents groupes au sein de l'AP (Autorité palestinienne) espèrent maintenant éliminer certaines organisations de sécurité de l'AP, après que les récentes opérations de Tsahal eut montré que ces organisations n'étaient pas capables de défendre les populations civiles palestiniennes.
Cette douzaine de services de sécurité aux effectifs pléthoriques, entretenant le plus souvent des rivalités stériles entre eux, ont été les grands bénéficiaires des fonds de l’AP.
D’autres groupes appartenant à l'opposition palestinienne laïque espèrent que le choc social et politique causé par l’invasion israélienne, et la critique de ce que cette opposition considère comme un laxisme de la part de l'AP dans la conception d'une stratégie pendant toute l'année écoulée, permettront l'application de reformes au niveau du gouvernement. Un forum de militants s'est réuni à Gaza pour ébaucher un "Pacte National", et pour promouvoir leur exigence d'un gouvernement de salut public. Des "comites populaires" se sont réunis également, pour exiger des changements. Cette opposition laïque espère que certains groupes du Fatah, qui eux aussi demandent des changements internes à leur mouvement comme au niveau de la structure de l'AP, se joindront à leur initiative. De fait, un tract distribue par le Fatah a Jénine début mai accusait Mohammed Rashid, conseiller économique d'Arafat, et Mohammed Dahlan (1), chef des Forces de Sécurité Préventive a Gaza, d'avoir conspire avec Israël pour remplacer Arafat et faire annuler la mission de l'ONU chargée d'établir les faits sur Jénine (mort-née depuis et pour d’autres raisons). La direction du Fatah a Jénine a appelé Arafat à se débarrasser de ses adjoints.
Un autre tract, distribue dans les rues de Ramallah fin avril par les Martyrs d'El Aqsa, attaquait lui aussi Rashid (2), l'accusant d'être a la tête d'une "bande de collaborateurs corrompus qui veulent vendre nos rêves pour pas grand chose". Mustapha Barghouti, à ne pas confondre avec son frère Marwan (3), ex responsable de Fatah pour toute la Cisjordanie, arrêté depuis par Tsahal), l'un des militants les plus en vue à Ramallah, et directeur de l'agence non-gouvernementale d'aide humanitaire la plus importante en Palestine, a dit : "Le peuple doit maintenant avoir son mot a dire en politique. Il doit y avoir un système judiciaire indépendant. Nous devons avoir des élections. A partir d'aujourd'hui, il doit y avoir de sérieuse reformes". Selon la loi de l'AP, Arafat est tenu d'organiser des élections tous les trois ans. Mais depuis 1996, il répond que l'occupation israélienne des territoires palestiniens, et, plus récemment, les 19 mois de conflit, ont rendu un vote impossible. Barghouti rejette cet argument : "Tout négociateur doit avoir un mandat", dit-il, un vote étant nécessaire avant qu'Arafat signe quelque accord de paix que ce soit avec Israël.


Des alliances de circonstances

Au sein même de l'AP, selon une analyse de Yedioth Aharonoth (journal de centre droit israélien), il semble que certains reconnaissent le besoin de changement. Ces derniers jours, une alliance est en train de prendre forme, entre Mohammed Dahlan, Abou Mazen (4) et Mohammed Rashid. Ils se tiennent dans les starting blocks, et se préparent pour le jour d'après Arafat. Cette alliance est d'ailleurs soutenue par Arafat lui-même, préférant prendre les devants de sa prochaine succession. Hassan Asfour se trouve dans la même position, tandis que Nabil Shaath (5) a été mis sur la touche. Hadj Ismaël, commandant des forces de sécurité en Cisjordanie, a été accusé d'avoir donne l'ordre a ses hommes de ne pas participer aux combats, et a été relégué dans un placard. Djibril Radjoub (6) est dans une position d'attente inconfortable, ayant été accusé d'avoir vendu aux Israéliens ceux des hommes recherchés qu'il détenait, ainsi que son QG, malgré les ordres d'Arafat de se battre jusqu'a la dernière balle. Ce charmant personnage s’est permis le luxe, même pendant les moments les plus durs de l’intifada de ne jamais faire participer aux affrontements avec Tsahal les forces armées dont il disposait, jouant ainsi la carte éventuelle de l’homme providentielle pour Israël pour l’après Arafat. Mauvais calcul, Tsahal est déterminé à le liquider au plus vite.
Les Tanzim (branche politico militaire du Fatah) ont reçu des coups très durs. Ceux des Tanzim qui n'ont pas été emprisonnés n'ont pas une position claire au sein de l'AP, certains auraient rejoints le Hamas. La majorité est contrainte de s’enrôler dans les services de sécurité de Jibril Rajoub.
Pendant les 18 mois d'intifada qui ont précédé l'Opération Rempart, les Tanzim ont représente une véritable force politique, et tous ceux qui pensaient pouvoir un jour remplacer Arafat ont cherche a se rapproché d'eux. Apres le siège, la roue a tourne, et les Tanzim ont été marginalisés, le leadership de Tunis, Arafat, ayant repris les rênes. Dans une interview au journal Al Hayat (journal palestinien paraissant à Londres, assez critique en générale vis à vis de l’AP), Dahlan a dit que l'intifada avait montré le besoin de réformes internes au sein de l'AP, ajoutant qu'Arafat était conscient de ce besoin de changement. "Il y a eu un grand débat chez les Palestiniens a ce propos", dit-il. "Le président est conscient que ces changements sont une nécessite, et que l'AP ne peut pas continuer à fonctionner comme avant. Face à ces évènements très importants, une reforme fondamentale, complète et sérieuse, doit intervenir".


A la recherche de réformes improbables

Le premier signe de critique de Yasser Arafat par des officiels de haut rang a été la démission de Nabil Amr, ministre palestinien des relations avec le parlement. Au cours de la réunion du cabinet palestinien a Ramallah peu de temps après, Amr a exige (avant de remettre sa démission) qu'un nouveau cabinet soit constitue. Amr exigeait que ce nouveau cabinet"s'appuie sur le Conseil Législatif Palestinien (CLP) et soit sous son contrôle, comme dans tout pays démocratique". Au cours de cette réunion, une majorité de ministres s'est prononcée en faveur de reformes. La réponse d'Arafat a été de constituer une commission chargée de discuter des reformes nécessaires. "Je ne crois pas que cette commission soit capable d'introduire des changements", a dit Amr a Yedioth Aharonoth, "et c'est la raison pour laquelle j'ai décide de démissionner»
Selon Amr, la reforme ne viendra pas de commissions, mais d'un nouveau cabinet soumis au CLP. Dans une interview au quotidien italien La Républica, Nabil Amr s'est montré encore plus direct, disant : "Toute la direction palestinienne actuelle doit s'en aller". Amr a déclare que la direction palestinienne avait cause de graves dommages ont la lutte des Palestiniens pour leur indépendance. Amr a également indique que des reformes a l'intérieur du leadership palestinien ne seraient pas suffisantes, et a appelé à reformer les forces de sécurité palestiniennes. Amr pense que le nombre de services de sécurité doit être restreint, et qu'ils doivent tous dépendre d'un seul quartier général pour que leur travail soit efficace. Dans le même ordre d'idées, des cadres du Fatah dans les territoires occupés appellent a une assemblée générale du mouvement, la première depuis 13 ans, et proposent de reformer la structure et la stratégie du Fatah. Ils demandent eux aussi des élections pour tous les postes de direction, sauf pour celle d'Arafat. Selon les partisans du changement, tous les membres du cabinet palestinien doivent être remplaces par des professionnels. Des changements immédiats doivent également intervenir dans les appareils de sécurité, et une organisation parapluie doit être constituée, a laquelle toutes les forces doivent être soumises.


Les pressions internationales sur Arafat

Les agitations en coulisses de Moubarak
Celui ci n’a que moyennement apprécié la proposition du plan de paix saoudien. Il a craint un moment perdre le leadership dans la région, et donc le rôle d’interlocuteur privilégié des américains. Il a donc dû en rajouter dans la surenchère opportuniste en disqualifiant encore un peu plus Arafat aux yeux des pays arabes.
Un article de Haaretz (journal de centre gauche israélien) du 9 mai dernier reprend une interview de Moubarak où celui déclare : « tant que le conflit était entre les mains de Yasser Arafat et d'Ariel Sharon, il était difficile d'imaginer une solution sans l'intervention active des Etats-Unis, ajoutant qu'il était possible qu'Arafat se nomme lui-même président symbolique, environ un an après qu'un Etat palestinien soit déclaré » Eventualité totalement inacceptable pour le chef d’état égyptien. Moubarak n'a pas la réputation de mâcher ses mots, et par le passé, il s'est montré encore plus brutal vis-à-vis d'autres dirigeants arabes, comme Saddam Hussein, Kadhafi et le président du Soudan.
Mais il ne s'était jamais exprime aussi clairement, en public, à propos d'Arafat. Ces derniers jours, Arafat a provoque la colère de Moubarak, sur deux sujets importants : la remise à plus tard des réformes de l'appareil de sécurité palestinien, on a vu depuis qu’Arafat n’a plus eu d’autres choix que de s’exécuter sous la pression américaine,
Du rapport que lui a fait son chef des services de renseignements, Omar Souleiman, qui a rendu visite a Arafat peu de temps après, et a propose un plan égyptien détaillé de réformes, Moubarak a compris qu'Arafat n'avait pas l'intention ou la volonté, au moins a ce stade, d'adopter la proposition égyptienne dans sa totalité. Selon une source égyptienne, "l'impression qui prévaut est qu'Arafat est prêt a des changements peu significatifs et est s'en servir comme conditions d'un changement de politique par Israël".
Le deuxième sujet est encore plus grave, aux yeux de Moubarak : au moment même ou l'Egypte et l'Arabie Saoudite tentent de convaincre l'administration américaine de faire la distinction entre l'Autorité palestinienne et les groupes terroristes, rendant ainsi possible une nouvelle distinction entre résistance légitime à l'occupation et attentats terroristes illégitimes, Arafat leur coupe l'herbe sous le pied en menant une idylle politique avec les groupes terroristes en proposant au Hamas et au Djihad d’entrer dans son futur gouvernement. Idylle qui, soit dit en passant, a déjà échoué, les deux groupes ayant déclarés qu'ils ne se joindraient pas au cabinet d'Arafat.
Par ses déclarations, Moubarak vient d'instituer de nouveaux paramètres au discours politique, qui seront acceptables aux yeux du monde arabe.
Ces paramètres s'accordent avec ce que le porte-parole de la Maison Blanche a dit, quand il a parle de l'intention de l'administration Bush d'établir des contacts intensifs avec des Palestiniens mais surtout pas Arafat.

La déclaration de Bush
Apparemment tout le monde s’y retrouve dans cette déclaration, même Arafat dans un premier temps, à condition de se livrer qu’à une lecture partielle, bien sur. Le leader palestinien n’a voulu y voir que l’évocation par Bush de la notion d’état palestinien, même provisoire. Israël parle d’un ’immense triomphe à travers l’aboutissement de ses thèses sur le caractère nuisible et dangereux d’Arafat. Et donc de son éviction nécessaire pour la résolution de ce conflit.
Les principales capitales arabes les plus proches, Amman et Le Caire, laissent entrevoir une attitude plutôt bienveillante, ayant tout bénéfice à la liquidation politique du leader palestinien, sans toutefois officiellement se prononcer sur son départ. Damas et Ryad sont pour l’instant restées muettes. La presse de ces pays, souvent la voix officieuse de leurs dirigeants, souligne néanmoins, mais sans trop de virulence, le manque de concertation au niveau international.
En revanche, pour les prétendants au changement au sein de l’AP, les choses se compliquent. Ils se retrouvent coincés, ils n’ont pas d’autres choix que taire leurs divergences et leurs querelles internes et montrer une solidarité de façade en soutien au vieux chef encore charismatique
En appelant presque ouvertement au renversement d’Arafat, Bush condamne au silence tous les opposants qui craignent de passer pour des traîtres.


Conclusion

Arafat doit gérer des courants antagoniques au sein de L’OLP. Un courant radical clairement installé à gauche autour des frères Barghouti, qui souhaite des réformes en profondeur qui mettraient fin à la corruption, à la bureaucratie au caractère autocrate d’Arafat Ce courant espérait beaucoup des accords d’Oslo, tout en sachant que ceux ci étaient loin d’être parfaits Au moment du retour de Tunis d’Arafat et de ses proches, beaucoup de palestiniens qui avaient vécu la première intifada et pour certains la clandestinité ou les prisons israéliennes attendaient la mise en place dans l’amorce de paix qui s’ébauchait, de structures démocratiques, gérées par des gens capables et responsables Cela n’a pas été le cas et les désillusions ont été profondes. Nombre d’individus issus de ce courant tirent le bilan de cette période. Un fonctionnaire de l’AP n’hésite pas à dire : « Notre grosse erreur fut de croire que les intérêts de la lutte nationale passaient avant la lutte pour la démocratie. Les vieux chefs nous ont fait gober ces fadaises, car ils craignaient qu’on les questionne sur leur façon de diriger. En fait la bataille pour la démocratie ne peut être séparée de celle pour la création de l’état. Voilà ce que nous avons compris au cours de cette Intifada. Le manque de démocratie affaiblit la résistance.»
Un deuxième courant gravitant autour de Dalhan, non négligeable et le plus compromis dans la corruption, apparaît plus enclin à composer avec Israël et dont les membres paraissent crédibles aux yeux des Etats Unis pour constituer la future équipe dirigeante. Cette équipe sera sans aucun doute prête à tous les compromis, quitte à brader et à ignorer toutes les exigences du peuple palestinien, pour peu qu’on leur laisse quelques miettes de pouvoir. Un troisième courant dont il est difficile de mesurer l’impact politique réel est le courant islamiste en particulier le Hamas, basé majoritairement dans la bande de Gaza. Ce courant, longtemps favorisé par Israël en vue de déstabiliser l’OLP, maintient son emprise sur les populations les plus déshéritées et gagne une influence politique au sein de celles ci.
Mais le temps presse et la fin est proche. Arafat aura beau chercher à donner des gages de bonne volonté aux USA, en remaniant son gouvernement, en prévoyant pour 2003 des élections, la partie est quasiment perdue.
Les soutiens internationaux réellement affichés se font plus rares ou plus critiques ou n’émanent que de pays pas très fréquentables comme l’Irak, l’Iran ou la Syrie. Les revers tant politiques que militaires ont mis à jour des contradictions latentes qui ne pouvaient pas apparaître au grand jour, au nom de l’unité à tout prix contre Israël. Même si Arafat bénéficie encore d’un soutien populaire non négligeable, un peu moins dans la bande de Gaza, fief du Hamas, l’heure de la relève a sonné, simplement parce qu’Arafat ne sert plus à personne au niveau international, L’affrontement Est Ouest est terminé. Il devient même gênant à partir du moment où le peuple palestinien et son devenir n’est plus un enjeu dans le nouvel ordre mondial. Malgré leur opposition, populaire ou et islamiste, la majorité des pays arabes de la région font allégeance de près ou de loin aux Etats Unis. Dans cette configuration, Arafat fait office de troubles fête dans la construction de ce nouvel ordre mondial, pire, il est assimilé au terrorisme et aux forces du mal. Il peut encore servir quelques temps de repoussoir ou de prétexte à un durcissement de la répression du peuple palestinien par Israël, mais pas trop sinon il passerait pour un martyr, et de cela Israël ne le veut à aucun prix. Il dérange surtout les pays arabes proches comme l’Egypte et la Jordanie.
Ces deux pays, pour des raisons qui leur sont propres, sont particulièrement instables : l’Egypte avec une montée du mécontentement social aiguillonné par le mouvement des Frères Musulmans, la Jordanie dont la population est constitué par trois cinquième de palestiniens exilés et qui sont solidaires de ceux qui vivent à l’ouest du Jourdain
Les dirigeants de ces deux pays sont conscients du charisme qu’exerce Arafat.
Ils craignent une certaine contagion subversive vers des populations qui ont toujours manifesté leur solidarité avec le peuple palestinien et souhaiteraient à l’occasion se débarrasser de ses dirigeants.
Les chances de survie politique sont minces pour Arafat. Derrière sa survie c’est celle du peuple palestinien tout entier qui est en jeu. Si l’on n'y prend pas garde, c’est la disparition pure et simple de ce peuple en tant que tel qui est programmée, privé qu’il sera de toute identité tant politique que symbolique avec la complicité objective de toute la communauté internationale.

Patrick OCL - Caen
Juin 2002


NOTES
(
1). Etait jusqu’il y a peu le chef de la sécurité préventive à Gaza. Interlocuteur privilégié des services de sécurité israéliens et de la CIA avant le début de la 2e intifada. Né en 1961 dans le camp de réfugiés de Khan Younès , il a été au sein du mouvement de jeunesse du Fatah à Gaza, l’un des principaux militants de la première intifada. Après son expulsion en 1987, il a assuré la liaison depuis Tunis avec les militants sur le terrain. Depuis la reprise des affrontements, il est considéré par Sharon comme l’un des responsables des attentats anti israélien. Néanmoins Ben Eliezer, ministre de la défense travailliste dans le gouvernement de Sharon, lui a proposé de prendre le contrôle de la bande de Gaza, au cas où Arafat quitterait la scène politique.
(2). L’un des plus proches fidèles d’Arafat chargé des fonds secrets, non pas ceux qui viennent de l’Union Européenne, mais provenant de certaines capitales arabes qui n’ont aucun intérêt à la résolution du conflit. Fait l’objet d’accusations de plus en plus précises de corruption.
(3). L’un des successeurs possibles d’Arafat, recherché activement par les Israéliens. Il était le seul à pouvoir se targuer d’un véritable soutien populaire. Il a permis à Arafat de reprendre le contrôle des événements lors de la première intifada. Secrétaire du Fatah pour la Cisjordanie et chef des milices armées Tanzim, il était devenu un véritable héros dans la deuxième intifada, car contrairement à la plupart des notables de l’AP, il ne s’est jamais coupé de sa base militante. Son passage à la clandestinité ne l’a pas empêché d’être arrêté et d’être mis au secret.
(4). Considéré comme l’homme de confiance d’Arafat avec lequel il a créé le Fatah en 1959. il a partagé tous les exils successifs et est devenu l’émissaire de l’OLP dans plusieurs capitales dont Moscou. Il a été le pionnier du dialogue avec les Israéliens. Elu en 72 au conseil central de l’OLP, il est à la fin des années 80 l’un de ceux qui réclament la réforme de la Charte palestinienne et la reconnaissance d’Israël. C’est lui qui signera en 93 à Washington avec Shimon Perez la « Déclaration de principe sur les arrangements intérimaires d’autonomie»
(5). Cet homme d’affaire prospère établi à Beyrouth, occupe le poste de ministre du plan et de la coopération au sein de l’autorité palestinien. Il appartient au Fatah depuis 1968et est l’un des principaux conseillers d’Arafat et l’un des artisans du processus de paix initié à Oslo.
(6). L’un des durs de l’AP. Il a été chargé par Arafat de liquider les militants des groupes islamistes avant le début de 2e intifada. Originaire d’Hébron, il a passé près de 15 ans dans les prisons israéliennes. Expulsé en 1988, il rejoindra Arafat à Tunis et deviendra par la suite chef de la sécurité préventive pour la Cisjordanie. Au lendemain des accords d’Oslo, sa parfaite connaissance de l’hébreu et de la mentalité israélienne en fera l’un des principaux interlocuteurs des services de sécurité israéliens et de la CIA.

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