Courant alternatif no 135 – janvier 2004 |
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SOMMAIRE |
Edito p. 3 IMMIGRATION La double peine reste d'actualité Asile et immigration, encore une louche de répression p. 4 à 9 Brèves NUCLÉAIRE Ni prolongation, ni relance, arrêt immédiat du nucléaire LIVRES Religions: fichu foulard! Rubrique Flics et militaires Point de vue: comment (se) manifester dans la rue p.20 INTERNATIONAL La situation aux Etats-Unis (1ère partie) Qui sommes-nous ? |
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ÉDITO |
On peut dire que le gouvernement réhabilite actuellement à sa manière les principes de la lutte des classes. Evidemment, cela ne se déroule pas dans le sens où nous le souhaiterions, puisque pour le moment nous nous trouvons plutôt dans la position du boxeur impuissant qui reçoit un déluge de coups. C’est en effet avec une hargne et une arrogance redoublées que la Raffarin corporation saccage en ce moment tout ce qui reste de protection sociale : RMA, réduction de l’allocation des chômeurs en fin de droit, dilapidation des services publiques (Privatisation d’EDF, de la poste). Tout cela en même temps qu’il n’hésite pas à sauver les économies personnelles d’un François Pinault qui a été un peu trop imprudent lors des tripatouillages financiers du Crédit Lyonnais au USA. C’est la razzia générale pour les patrons qui bénéficient de cadeaux somptueux. Tout ceci devrait pourtant sauter aux yeux de manière flagrante, si ce n’était le formidable écran de fumée créé par les interminables discussions sur le port du voile à l’école (cf. p17). Ainsi la situation de quelques dizaines d’adolescentes poserait donc des problèmes fondamentaux à la société française de ce début de xxie siècle. Disparus comme par miracle : la décentralisation de l’éducation nationale, le sort des hôpitaux, de la sécurité sociale, de la retraite. Dissipés, les licenciements économiques, la précarisation du travail, l’appauvrissement généralisé, les questions de renouvellement du parc nucléaire français (cf. p12), … On en viendrait même à oublier que la préoccupation, décrétée numéro un, des français est la sécurité. Heureusement, Sarkosy y pense pour nous et fourbit déjà les prochaines lois sécuritaires (cf. p19) à peine après avoir terminé la traditionnelle chasse à l’immigré (cf. p4). C’est que l’Etat doit préparer sa défense. Le renforcement de l’appareil policier n’est qu’une nouvelle forme du filet de protection sociale. En guise d’allocation chômage de remboursement des frais de santé un bon coup de matraque et un séjour en prison. Dans ce domaine mieux vaut prévenir que guérir, car le jour où ça pète vraiment, il est trop tard pour essayer d’éteindre l’incendie. Le processus de démantèlement de l’“ Etat social ”, d’appauvrissement d’une partie de la population et de régression du droit du travail, subit donc aujourd’hui un coup d’accélérateur en France. Mais comme bien souvent, nos dirigeants ne font qu’appliquer avec quelques années de retard, les méthodes américaines. En matière d’économie (cf. p22), comme d’innovations sociales et policières les USA sont décidément les plus imaginatifs. En ce sens, il est toujours important d’y suivre les évolutions de la société qui ne tardent jamais à être exportées sur le vieux continent. Commission journal de Paris, le 28 décembre 2003 |
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ASILE ET IMMIGRATION : ENCORE UNE LOUCHE DE REPRESSION |
Le gouvernement Raffarin reste fidèle aux traditions. Comme à chaque changement de majorité il n'a pas pu résister à la tentation d'adopter une nouvelle rafale de mesures contre les immigrés et les réfugiés. Les contours de la "politique migratoire" de la France se précisent de plus en plus. Précarisation et répression sont les lignes directrices de toutes les évolutions de la législation depuis au moins 15 ans, le tout enrobé de l'éternel discours sur l'intégration et la nécessaire fermeté vis à vis de l'immigration irrégulière.
Le 8 juillet 2003, au cours des débats à l'assemblée nationale, Sarkosy annonçait la couleur : "Je voudrais démontrer cette idée qui me tient très à cœur. Le volant d’immigration légale est entièrement alimenté par des flux que nous subissons, comme le regroupement familial et les demandeurs d’asile. C’est moins le cas s’il s’agit de raisons humanitaires que j’accepte bien volontiers. Mais en tout état de cause, ce n’est pas une immigration choisie, revendiquée, pensée. Moins d’un immigrant sur dix est choisi en fonction de critères qui correspondent soit aux besoins de notre économie soit à nos capacités d’intégration. Voilà le problème. Je ne propose en rien de revenir sur le regroupement familial, mais je constate que ce dernier relève de l’immigration subie, et non pas d’une immigration revendiquée, sollicitée, organisée, prévisible." Immigration choisie, contre immigration subie, cela a le mérite d'être clair et résume parfaitement l'idéologie des deux lois qui ont été adoptées par le parlement français : Loi du 26 novembre 2003, relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité et loi du 10 décembre 2003 relative au droit d'asile. Après le mythe des années 90 sur la fermeture des frontières, le gouvernement revient sur une position plus pragmatique et surtout plus conforme aux souhaits du patronat français. Le sens de la loi sur l'immigration, de la loi sur le droit d'asile, mais également des initiatives au sein de l'Union européenne, correspond à ce choix visant à utiliser l'immigration comme réserve de main d'œuvre précaire, flexible, soumise, et bon marché. Dans ce choix de société, le verni démocratique est parfois un peu encombrant c'est pourquoi des politiciens comme Sarkosy hésitent de moins en moins à dénoncer les principes "droitdelhommistes", comme le droit d'asile ou le droit de vivre en famille. Que les citoyens se rassurent, il n'est cependant pas question que la France se désengage des conventions internationales. La convention de Genève sur le statut des réfugiés ou la Convention européenne des droits de l'homme resteront toujours formellement en vigueur. Mais il est de plus en plus illusoire d'en réclamer l'application aux étrangers pour se défendre au quotidien contre les abus de l'administration. Manipulations En 1998, lors de la dernière modification législative, le gouvernement Jospin avait promis, juré, craché que ce serait la dernière fois que l'on toucherait aux lois sur les étrangers. C'est pour cette raison que la loi Chevènement était annoncée comme "équilibrée" afin de convenir également à la droite. Pour justifier la sortie de nouveaux textes sur l'immigration et le droit d'asile, le gouvernement Raffarin a donc dû se creuser les méninges pour trouver des prétextes et des arguments. Et c'est encore une fois, la bonne vieille recette du fraudeur qui a été retenue. Pour expliquer la nécessité des réformes urgentes quoi de mieux que de dénoncer à tout bout de champs les fraudes, les abus, les détournements de procédure utilisés par les étrangers pour se maintenir sur le territoire ? L'offensive commence en janvier 2002, lorsque le journal l'Express publie un rapport confidentiel qui aurait malencontreusement "fuité" en provenance du ministère des affaires étrangères. Dans ce rapport interne un haut fonctionnaire y dénonce la fraude généralisée de la part des "faux demandeurs d'asile". Selon ce fonctionnaire la procédure d'examen des demandes d'asile permet de transformer les frontières et les administrations françaises en véritables passoires à clandestins. La Commission des recours des réfugiés est même accusée de laxisme à l'égard des demandeurs d'asile ! La ficelle idéologique et stratégique du rapport était grossière, mais elle permit le lancement d'une grande opération d'audits et de missions d'inspection dans les ministères durant plusieurs mois afin de repérer les dysfonctionnements. Les conclusions de ces missions d'expertises ne furent jamais rendues publiques. Le gouvernement s'en est par contre largement revendiqué pour sortir de son chapeau les chiffres les plus extravagants sur : la fraude au mariage blanc, la fraude au certificat d'hébergement (pour l'obtention d'un visa), la fraude aux preuves de présence sur le territoire (pour une régularisation), la fraude aux certificats médicaux (pour obtenir une carte de séjour pour soins), la fraude à la demande d'asile, etc. Le gouverne-ment, n'a bien sûr jamais dit comment ont été réalisées les études et quels sont les outils statistiques permettant de détecter ces soit disant fraudeurs. Le comble de la manipulation est atteint lorsque Sarkosy déclare de manière fracassante à l'assemblée nationale que "les premiers titres de séjour délivrés à des conjoints de Français ont augmenté de 470 % entre 1998 et 2002", sous-entendu qu'il s'agirait essentiellement de cartes délivrées à la suite de mariage de complaisance. Bien entendu personne ne relève qu'avant 1998, les conjoints de français n'avaient pas de droit automatique à une carte de séjour, d'où l'augmentation parfaitement logique après l'introduction dans la loi d'une disposition facilitant la délivrance de ce titre à des personnes qui auparavant devaient rester sans papiers. C'est ainsi que la manipulation et la propagande se sont mises en place pour trouver une justification à des lois aux contenus et aux objectifs beaucoup moins avouables. Précarisation du droit au séjour des étrangers Il y a 20 ans, en décembre 1983, la marche des beurs arrivait à Paris. Quelques mois plus tard, pour répondre aux revendications d'intégration de cette marche, le gouvernement décidait de créer, la carte de résident, valable dix ans et renouvelable de plein droit. Ce nouveau titre de séjour, beaucoup plus stable était donc conçu pour favoriser l'intégration des immigrés. Il permettait de placer sur un pied d'égalité sociale les immigrés et les Français. Aujourd'hui, la loi Sarkosy est en train de saper les derniers fondements de la carte de résident. En 1997, la loi Debré, puis en 1998 la loi Chevènement avaient déjà lancé la grande mode des cartes de séjour temporaire. A l'époque il s'agissait de régulariser des personnes ayant de toute façon vocation à rester sur le sol français de manière permanente (conjoint de français, parents d'enfants français, attaches familiales etc.). Les plus perspicaces avaient déjà décelé une volonté de remettre en cause la carte de résident et de précariser le droit au séjour des étrangers. Pourquoi en effet, délivrer dans un premier temps des cartes temporaires à des personnes qui, de toute façon, resteront en France et bénéficieront éventuellement plus tard de la carte de résident ? Le dispositif initié aujourd'hui par Sarkosy permet de connaître la réponse à cette interrogation. La carte de résident est désormais conçue comme une récompense – très incertaine - aux plus méritants des étrangers, au lieu d'un outil pour leur d'intégration. Un critère supplémentaire a donc été ajouté qui conditionne maintenant la délivrance de la carte de 10 ans à "l'intégration républicaine" de l'étranger. On retrouve derrière cette notion d'intégration républicaine le projet de contrat d'intégration du ministre des affaires sociales encore en phase d'expérimentation. La signature du contrat d'intégration, qui comprend l'obligation d'apprentissage du français, la connaissance et le respect des valeurs de la république, sera apprécié par les préfectures comme un des critères d'intégration républicaine. Mais on peut également imaginer que seront également examinés d'autres éléments tels que la nature du contrat de travail ou les conditions de logement, comme c'était déjà le cas dans certaines circonstances. Avant la loi Sarkosy un immigré titulaire d'une carte de séjour temporaire depuis 3 années, avait la faculté de demander une carte de résident sous condition de ses moyens d'existence et de sa volonté de s'établir durablement en France. Autant dire que cette possibilité laissant place à l'arbitraire préfectoral n'était quasiment jamais appliquée, mais la loi imposait par contre la délivrance automatique de la carte de résident après 5 années. Aujourd'hui, la loi Sarkosy conditionne la possibilité de délivrance de la carte de résident à partir de 5 années de séjour régulier. Mais, tant que la condition d'intégration républicaine n'est pas remplie, la délivrance peut être repoussée à l'infini, soit pendant, 6,7, 10 ans ou plus. L'effet parfaitement pervers et machiavélique de ces dispositions est d'exiger des étrangers des preuves d'intégration tout en leur rendant beaucoup plus difficile les conditions de cette intégration. Comment en effet, sortir de la précarité sociale lorsque l'on est titulaire d'un titre de séjour valable seulement une année, synonyme quotidiennement d'une foule d'obstacle pour mener une vie "normale" intégrée (comme un bon français ?) : difficulté de signer un contrat en CDI, difficulté de trouver un logement, difficulté d'ouvrir un compte bancaire, etc. ; sans compter la discrimination dans l'accès aux aides sociales (allocations familiales, RMI, etc.). Le machiavélisme est poussé à son comble lorsque le ministre de l'intérieur justifie cette restriction à l'accès à la carte de résident pour les conjointes d'immigrés arrivant par regroupement familial afin de les inciter à s'intégrer pour pouvoir s'émanciper de leur mari ! On nage en plein délire. La délivrance de carte de séjour temporaire ne peut qu'avoir l'effet inverse puisque le renouvellement de cette carte est soumis à la poursuite de la vie commune. Le mari devient donc tout puissant dans le couple puisqu'il peut exercer le chantage à la rupture de la vie maritale tant que son épouse n'a pas obtenu de carte de résident. La philosophie générale de la loi est très claire : rejeter les immigrés légaux aux frontières de la clandestinité et les soumettre à l'arbitraire administratif et économique. Une autre disposition, illustrant également cette volonté de soumission, consiste à sanctionner par le retrait du titre de séjour et l'expulsion les étrangers en situation régulière qui seraient surpris à travailler au noir. Tous les titres de séjour ne sont pas forcément assortis d'une autorisation de travail. Tel est le cas des demandeurs d'asile, des étudiants, parfois des étrangers soignés en France. Cette initiative permet de placer au-dessus d'eux une épée de Damoclès permanente, très utile pour les employeurs qui pourront, par exemple, facilement passer un petit coup de fil à la préfecture si les exigences salariales de leurs employés ne leur conviennent pas. Le projet initial consistait même à faire payer une forte amende aux travailleurs irréguliers. Devant le tollé général, les inspecteurs du travail refusant notamment de se transformer en flics contre les salariés, le projet a été adoucit. En tout état de cause, ce n'est pas pour rien que Guillaume Sarkosy, le frère de Nicolas, est numéro 2 du MEDEF… Rétention, et poursuite du développement de l'arsenal policier Un élément très important de la loi sur l'immigration concerne la modification des conditions de mise en rétention des sans-papiers puisque désormais, l'administration dispose d'un délai maximum de 32 jours pour effectuer une expulsion contre 12 jours auparavant. Ici encore, pour justifier de cette prolongation inédite des délais de détention d'étrangers, Sarkosy est allé puiser dans sa réserve d'arguments de mauvaise fois. Personne n'a pu rester insensible au plaidoyer de ce frêle ministre de l'intérieur qui se désespérait, avec des trémolos dans la voix, que la France ait le temps de rétention administrative le plus court d'Europe. Comment l'Etat français peut-il faire face aux milliers de clandestins qui sont près à utiliser toutes les ficelles – y compris à dissimuler leur identité - pour faire échouer leur reconduite à la frontière ? Les chiffres les plus manipulés sont également appelés en renfort pour démontrer le prétendu laxisme de l'ancien dispositif. On annonce par exemple 40000 décisions d'expulsions prises par l'administration, mais seulement 7500 renvois effectués, en oubliant de préciser que la plupart des arrêtés de reconduite à la frontière sont envoyés par la poste au petit bonheur la chance sans qu'il n'y ait réellement – et heureusement ! - de mesure policière pour les exécuter. Cela pour démontrer que les préfectures seraient cruellement démunies pour effectuer le travail de reconduite qui échouerait en grande partie à cause du délai trop bref au cours duquel elles doivent organiser le départ. Tout ceci est faux. Les études statistiques réalisées par la Cimade depuis 10 ans dans les centres de rétention montrent que la grande majorité des renvois sont effectués les premiers jours du maintien en rétention (exactement entre le 3ème et le 6ème). La prolongation de cette détention ne changera rien à l'efficacité de la procédure de reconduite, puisque les conditions à l'origine de l'échec d'une expulsion sont connues dés le début lorsque le consulat du pays d'origine est saisi afin qu'il délivre un laissez-passer pour autoriser le retour d'un sans-papier. Si le consulat, sollicité dés les premiers jours de maintien, décide de ne pas délivrer ce laissez-passer – par exemple : parce qu'il doute de la nationalité supposée de la personne que lui présente la préfecture – le renvoi n'a pas plus de chance d'être réalisé plus tard, quelque soit le délai supplémentaire accordé à la préfecture. L'argument européen ne tient pas plus la route. Dans certains pays où le délai de rétention administrative est beaucoup plus élevé (plusieurs mois) le "taux d'efficacité" n'est pas meilleur qu'en France. Que ce soit en Belgique (6 mois), en Allemagne (18 mois), ou aux Pays Bas (15 mois), la proportion d'expulsions réalisées par rapport au nombre d'étrangers détenus est de l'ordre de 50-60%. Les raisons justifiant l'augmentation de cette détention pour étrangers sont donc bien différentes de celles invoquées par le gouvernement. Elles sont d'avantage à rechercher du côté du renforcement généralisé de l'appareil policier. Ce dispositif se justifie aussi par le discours et la médiatisation qui l'accompagne, même si dans la réalité son efficacité n'est pas prouvée, car aucun ministre de l'intérieur n'aura un jour l'audace d'avouer que malgré tous les efforts imaginables les frontières de la France et de l'Europe seront toujours poreuses. Il permet toujours de renforcer l'illusion de la lutte contre l'immigration clandestine et d'accentuer la pression et la crainte sur les populations étrangères. Droit d'asile : vers la précarisation Concernant le droit d'asile on peut s'interroger depuis plusieurs années sur le sens d'une procédure destinée, dit-on, à trier les vrais des faux réfugiés, qui "produit" de manière quasi constante, depuis le début des années 90, environ 80-85% de déboutés. C'est probablement ce doute qui est à l'origine de la loi qui a été élaborée par le ministère des affaires étrangères en même temps que le ministère de l'intérieur défendait sa loi sur l'immigration. Pour la petite histoire, la responsabilité de l'asile revient traditionnellement aux affaires étrangères car ce sont eux qui ont la tutelle de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), en charge de l’examen des demandes de statut de réfugié. Mais, c'est le ministère de l'intérieur qui dévoila le premier, en janvier 2003, le contenu du projet de loi sur l'asile. Tout au long du processus législatif, c'est Sarkosy qui a pris toutes les initiatives au détriment de De Villepin qui avait sans doute des chats plus intéressants à fouetter du côté de la scène internationale. Deux préoccupations principales ont animé la réforme du droit d'asile. La première consiste à saper une bonne fois pour toute, le statut accordé aux réfugiés en application de la convention de Genève du 28 juillet 1951. On retrouve ici la même logique que celle qui prévaut en matière d'immigration consistant à précariser et à fragiliser le plus possible la protection qui leur est offerte. Jusqu'à maintenant la demande d'asile reposait essentiellement sur le statut de réfugié qui permettait au 15% d'heureux bénéficiaires de disposer d'une carte de résident, renouvelable automatiquement (même en cas de désistement ultérieur du statut), d'un accès normal à tous les droits sociaux, d'une procédure de regroupement familial sans conditions de revenu et de logement, de facilités d'accès à la procédure de naturalisation, etc. Pour contourner, ce statut, le gouvernement a donc inventé la "protection subsidiaire". Il n'a pas eu à faire de gros effort d'imagination puisque cette notion est actuellement très en vogue à l'échelle européenne. Le gouvernement Jospin avait également mâché le travail en créant l'asile territorial. Cette forme d'asile s'est d'ailleurs révélée être une véritable usine à gaz, engorgeant de dossiers les préfectures et le ministère de l'intérieur - en charge de l'examen des dossiers - et rejetant environ 99% des demandes. L'asile territorial est donc abrogé et remplacé par la protection subsidiaire. Derrière cette formulation quelque peu technocratique se cache une nouvelle forme d'asile en substitution - d'où son nom – au statut accordé par la convention de Genève. Ce n'est pas tant les critères d'attribution qui distinguent la protection subsidiaire de la convention de Genève, dans ce domaine ont peut toujours faire confiance à l'OFPRA et à la Commission des recours des réfugiés pour écarter avec la plus grande rigueur les demandes jugées non crédibles. Se sont surtout les conditions de séjour et de renouvellement qui se trouvent bouleversés. La protection subsidiaire n'est ainsi valable qu'une année, l'OFPRA se chargeant de réexaminer à chaque fois si les conditions d'octroi sont toujours existantes. On peut imaginer qu'au moindre changement politique dans le pays d'origine, le renouvellement ne sera pas assuré. La carte de séjour accordée est donc temporaire, avec les difficultés sociales que l'on connaît. Cette nouvelle disposition transforme ainsi le droit d'asile en une protection extrêmement précaire et fragile qui peut être remise en cause à tout moment. Le scénario le plus probable est que les autorités ne délivreront pas plus l'asile qu'auparavant. En revanche la protection précaire risque de grignoter progressivement le statut de réfugié en raison de la souplesse qu'elle confère aux gestionnaires des flux migratoires. L'exemple des pays européens ayant déjà introduit dans leur législation depuis plusieurs années des formes d'asile précaires montre effectivement que la proportion de statut selon la convention de Genève est tombée à des chiffres totalement dérisoires . Pour parachever la marginalisation du statut de réfugié, le gouvernement a pensé à tout en introduisant la possibilité de rejeter une demande si le requérant a la possibilité de trouver refuge face aux persécutions, sur une autre partie du territoire de son pays d'origine. C'est ce qu'on appelle l'"asile interne". Procédures expéditives Le second aspect de la réforme en cours consiste à améliorer de la chaîne de transformation des demandeurs d'asile en sans papier. Il faut reconnaître que le nombre de demande d'asile a significativement augmenté depuis 1997 , et que les administrations en charge de la procédure de "tri" entre les "vrais" et les "faux" réfugiés (préfectures, OFPRA, Commission des recours des réfugiés) se sont trouvées fortement embouteillées depuis quelques années. Les dispositions de la nouvelle loi donnent des moyens supplémentaires pour multiplier les procédures d'examen expéditives, tout cela bien sûr au nom de la sauvegarde du droit d'asile qui serait largement détourné par les "faux réfugiés". C'est ainsi qu'une liste de pays considérés comme sûr sera créée (elle existait déjà grâce à Chevènement, mais elle sera considérablement allongée) pour lesquels les demandes seront traitées en urgence : cela se concrétise par une décision de rejet de l'OFPRA en 15 jours maximum, l'absence d'autorisation provisoire de séjour, l'absence de prise en charge sociale, et l'absence de recours suspensif. De même, les délais légaux pour déposer le dossier à l'OFPRA seront probablement raccourcis à 3 semaines, ainsi que le délai pour effectuer le recours en cas de rejet, de sorte que les requérants n'auront quasiment pas le temps de trouver association ou traducteur pour rédiger en français leur demande – la langue de Molière étant obligatoire sous peine d'irrecevabilité. D'ailleurs, pour éjecter encore plus rapidement les dossiers, l'OFPRA et la Commission des recours auront également la possibilité de les rejeter sans effectuer d'entretiens préalable sur la simple estimation que la demande écrite n'est pas suffisamment argumentée. La boucle est bouclée. Ceux qui ne maîtriseront pas le français et les subtilités juridiques de la jurisprudence française en matière de droit d'asile ont bien peu de chance de s'en sortir. Enfin, pour ces déboutés, le ministère de l'intérieur se réserve le droit de fouiller dans les dossiers de l'OFPRA pour y déceler les informations susceptibles de faciliter leur expulsion. Toutes ces mesures servent à entretenir l'illusion que la procédure de tri des demandes d'asile est fiable et nécessaire à la préservation du droit d'asile. Mais, en réalité les strates de procédures administratives, qui ont été ajoutées gouvernement après gouvernement, ne font en réalité que renforcer l'arbitraire et ne correspondent en rien au but prétendu à savoir la protection mythique des "vrais réfugiés politiques". Il est évident que l'instruction des demandes d'asile correspond à une machinerie de plus en plus complexe qui s'apparente plus à une loterie, produisant chaque année une proportion à peu prés fixe de 15 % d'heureux gagnants, plutôt qu'à un examen objectif des craintes de persécution. Mais ce processus à un prix. Les sénateurs qui se sont penchés sur le projet de loi ont ainsi évalué le coût pour l'Etat de l'examen de l'ensemble des demandes d'asile en 2002 à environ 1,6 milliards d'euros, prenant en compte, la rémunération des fonctionnaires (OFPRA, Commission des recours, préfectures, etc.), le versement de l'aide sociale, la prise en charge dans les foyers ou les hôtels (dans des conditions misérables), etc. Si l'on divise ce chiffre par le nombre des seuls réfugiés reconnus, ayant passé avec succès toutes les épreuves, soit environ 8000 pour l'année 2002, on en arrive à un montant de 200000 euros dépensés par réfugiés ! Ce strict point de vue comptable dévoile une interrogation cruciale : pourquoi l'Etat français est-il prêt à dépenser autant d'argent dans un processus qui n'aboutit au final que pour une poignée de réfugiés ? Il est difficile de croire à l'argument de la générosité. Les réponses seraient plutôt à rechercher du côté des institutions policières dont le développement est justifié par le gouvernement en raison de l'arrivée de quelques milliers d'exilés. La procédure d'examen des demandes d'asile serait plutôt un alibi au renforcement de l'appareil de contrôle. Pour en avoir une idée plus précise, il n'y a qu'à observer la multiplication des fichiers informatiques centralisés dont les demandeurs d'asile sont en général les premiers cobayes. Les récentes lois sur l'asile et sur l'immigration correspondent ainsi totalement à cette logique. Tonio 26/12/2003 |
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POINT DE VUE: COMMENT (SE) MANIFESTER DANS LA RUE ? |
Lors de la manifestation du FSE, le 15 novembre dernier, le cortège libertaire s'est trouvé bloqué, dès son arrivée place de la République, derrière une délégation PS composée de nervis et de quelques apparatchiks de second rang. Le face-à-cul a duré plusieurs heures, avant que le cortège s'ébranle et jusqu'à la disparition du PS dans la toute dernière portion du parcours. Des manifestants ont d'abord lancé des fruits, des yaourts et quelques pétards-fusées, ce qui tenait plus du monôme que de l'intifada. Puis, en chemin, ce sont des canettes qui ont volé. Environ deux cent personnes, dont certaines avaient été expulsées par le service d'ordre du cortège libertaire, et dont la plupart n'avaient ni les moyens ni peut-être l'envie d'un affrontement, ont ensuite défilé entre le cortège libertaire et le groupe PS. Ce dernier a pu charger à plusieurs reprises et blesser impunément au moins une demi douzaine de jeunes manifestants, dont l'un sérieusement (fractures multiples). Il me paraît indispensable de revenir sur ces événements pour tenter d'en tirer quelques leçons politiques et tactiques. Le communiqué publié le lendemain par la CNT (Vignoles), seul texte d'organisation à ma connaissance , exprimait à trois reprises le regret que le cortège libertaire ait dû défiler coupé du reste de la manifestation. Il me semble que c'était plutôt le fait d'être coincés derrière le PS qui était dommageable, et j'ajouterai honteux. Or, il est bon de rappeler, pour les absent(e)s, que nous étions au moins trois fois plus nombreux que les "manifestants" PS ! Je ne veux pas dire par là qu'un affrontement physique aurait tourné à notre avantage ; cela n'est pas certain. D'ailleurs, même jeune et en bonne santé, je n'ai jamais partagé le fétichisme de la "baston" que l'on trouvait chez beaucoup d’“ autonomes ” de la fin des années 70 ; j'en ai au contraire dénoncé les impasses . Cependant, ce 15 novembre, notre supériorité numérique ouvrait la possibilité de partir, par les trottoirs, vers un autre point du cortège général, quitte à s'y insérer sans autorisation. Cette démarche, d'une non-violence active aurait eu l'avantage de créer une dynamique collective. On peut penser qu'elle aurait entraîné la plus grande partie de ceux et celles qui ont finalement défilé devant lui (libre aux autres de rester en arrière pour harceler le PS). Parler, comme le fait le communiqué CNT, de “ manifestants masqués ” donne une image incomplète de la situation. Bien peu de gens l'étaient. Je donne cette précision non pour stigmatiser le port d'un foulard (je remonte le mien devant les caméras et en cas de gazage) mais pour indiquer la nature de la population libertaire hors-cortège, parmi laquelle on trouvait, outre l'auteur de ces lignes et un raton laveur, divers encartés énervés, des militants étrangers, et beaucoup de jeunes qui, peut-être faut-il le préciser, n'étaient pas nés à l'époque de 1’“ autonomie ”. La CNT assure “ pouvoir comprendre ” l'hostilité dont ces manifestants faisaient montre à l'égard du PS. C'est le moins ! Si l'on se situe, comme elle tient à le rappeler justement, sur le terrain de la lutte de classes, alors les partis qui ont participé ou participent à la gestion et à la modernisation capitaliste sont évidemment des ennemis qu'il est légitime de combattre, y compris en les chassant des cortèges. Lorsque c'est impossible, du fait d'un rapport de force défavorable, il faut au moins éviter de paraître, en les suivant, admettre la légitimité de leur présence. Voilà qui me semblerait politiquement “ contre-productif ”. Or, c'est le qualificatif que retient la CNT à propos des incidents qui ont émaillé la manifestation. Nous voilà d'accord sur un terme, mais qu'en est-il de son contenu ? Que cherche-t-on à produire en manifestant ? Pour ce qui concerne ce que la presse bourgeoise a retenu des incident - critère d'appréciation dont la valeur reste à débattre - je me reporte au titre du Monde (18 nov. 03) : “ La délégation du PS a défilé Sous une pluie de canettes de bière et d'insultes ”. Un autre article du même numéro souligne que le PS peine à imposer sa légitimité dans les mouvements sociaux. Que les anarchistes - en tant que “ révélateurs ” - soient associés à ces conclusions me convient parfaitement. Par contre, il serait navrant de laisser s'installer dans la tête de jeunes militant(e)s l'idée que construire une organisation et plus généralement un mouvement libertaire entraîne mécaniquement certains renoncements, voire la nécessité d'assumer des tâches de maintien de l'ordre, comme l'on constamment fait les diverses organisations marxistes-léninistes dans les années 70. Les militants de la LCR qui protégeaient, encore récemment, ici une banque, là une caserne, ne se transformaient pas par magie noire en amis des banquiers ou en supporters de l'armée. Cependant, et quelles qu'aient été leurs motivations, ils se mettaient dans la situation concrète de jouer les flics, y compris en jouant très classiquement de la matraque, contre des manifestants attaquant des cibles légitimes. On m'objectera que nous n'en sommes pas là. C'est vrai et c'est tant mieux, mais il est préférable, je pense, de prévenir les problèmes par la réflexion et la confrontation théorique plutôt que d'attendre qu'un incident grave les rende impossibles à poser. Il ne manque d'ailleurs pas de signes annonciateurs fâcheux. J'ai moi-même vu, lors d'une manifestation du printemps dernier, des militants CNT mettre entre la manifestation et le Mac'do du carrefour des Gobelins une rangée de SO, d'ailleurs toute symbolique (personne n'ayant eu l'idée de démonter ce Mac'do à ce moment). La police s'était, semble-t-il, mise en tête que les anarchistes s'en prendraient à la chaîne de “ restaurants ”. Il avait donc été jugé pertinent d'afficher la détermination inverse. On voit que l'attitude prise dans la rue recoupe des questions politiques dont on ne peut faire l'économie, en se jugeant par essence (libertaire) à l'abri des dérives autoritaires et des bavures. Ce ne sont pas les idées qui déterminent les réactions individuelles dans les situations de tension, ce sont les situations concrètes elles-mêmes . Mieux vaut donc éviter de se mettre dans certaines situations, dans certains rôles, dont il sera peut-être impossible de se tirer honorablement. Démocratie directe et travaux pratiques À plusieurs reprises, des membres différents du SO libertaire ont justifié leur attitude en recourant au même vocabulaire politique. “ Nous, on n'est pas un groupuscule, on pratique la démocratie directe ” dit l'un à un manifestant qu'il expulse du cortège. “ J'ai un mandat impératif ”, dit un autre qui veut pousser un de mes amis sur le trottoir. Ces références aux modalités de la démocratie directe laissent songeurs. D'abord parce que dans le cas d'espèce, si démocratie il y a eu, elle n'a concerné que les militants des organisations, et certainement quelques militants de chacune d'elles. S'il est normal qu'une organisation détermine sa propre position, la prétention à l'imposer à tous ceux/celles qui rejoignent les cortèges libertaires par sympathie politique est exorbitante (non, avoir déposé à la préfecture la demande d'autorisation d'une manifestation ne me paraît pas un argument pour imposer tel comportement à tous les libertaires présents). Lorsque des décisions sont à prendre dans la rue, pourquoi ne pas considérer l'ensemble des manifestants comme une assemblée générale souveraine ? La question devrait plutôt être posée ainsi : comment peut-on faire autrement, quand on prétend adopter la démocratie directe comme principe d'organisation ? Il me semble que nous gagnerions à considérer les manifestations, non pas comme des mises en scène stéréotypées (plus ou moins formatées pour TF 1, incarnation supposée de 1’“ opinion ”), mais comme des ateliers de travaux pratiques. Ceux-ci pourraient avoir pour thèmes quelques principes dynamiques : démocratie directe de masse, et non de chapelle ; non-violence active et collective, chaque fois qu'elle est réalisable ; n'oublions pas non plus que l'on peut ridiculiser un adversaire sans violence physique (la liste demeure ouverte aux suggestions). Et puis manifestons-nous sans complexe, et lorsque nous sommes les plus nombreux - ce qui n'est pas rare désormais - prenons toute notre place, surtout si c'est la première ! Je serais fâché que nous paraissions donner raison à ce manifestant, plus désabusé qu'agressif, qui disait le 15 novembre : “ Maintenant les anars, c'est gros bras devant et moutons derrière ” ! Claude Guillon |
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