Courant alternatif no 139 – mai 2004

SOMMAIRE
Edito p. 3
Panique à l'UNEDIC p. 4 à 7
Formation des demandeurs d'emploi: des sous-formations qui rapportent p. 8, 9
Bilan d'une année de grève au Mac Do de Strasbourg St-Denis p. 10, 11
Point de vue: le bilan des élections régionales p. 12, 13
OCL: quelques réflexions sur l'actualité p.14, 15
Solidarité avec les prisonniers d'Action Directe p. 15
Loi sur le foulard: contre l'exclusion, pour les luttes p. 15
FILM: "Un racisme à peine voilé" p. 16
Répression à Calais p. 16
Rubrique Flics et militaires p. 17
International: Quest-ce que l'insécurité alimentaire p.18
FILM: Matrix, une critique du Système ? p. 20
LIVRE: Métaleurop, paroles ouvrières p. 21
Qui sommes nous ? p.23
Vite fait sur le zinc p. 24

ÉDITO
Après s’être fait élire en prétendant réduire la “ fracture sociale ”, Jacques Chirac prétend aujourd’hui avoir un “ plan de cohésion sociale ” dont il fait sa “ priorité absolue ”. Après la grande claque électorale reçue lors des élections régionales, il devenait urgent de remanier le gouvernement. Mais très vite on pouvait constater que ce changement n’était que de façade : même premier ministre, équipe en grande partie inchangée grâce au jeu des chaises musicales, et surtout mêmes orientations économiques et sociales. Si Jean-Louis Borloo ajoute à son titre de ministre du travail et de l’emploi celui de “ la cohésion sociale ”, il ne s’agit même pas d’un ravalement de façade, mais seulement de publicité mensongère.
Le principal ministre, Sarkozy en charge de l’économie, des finances et de l’industrie, même si des rivalités de personnes peuvent sembler l’opposer au président et au premier ministre, reste bien dans la ligne ultra libérale sur le plan économique du gouvernement précédent. Le seul credo de ce gouvernement “ Raffarin III ”, issu de pantalonnades électorales, c’est bien toujours de prendre aux pauvres pour donner aux riches. Pour raisons d’économies budgétaires, le gouvernement impose des coupes sombres dans tous les budgets, y compris dans celui de la “ cohésion sociale ” pour un montant de 650 millions d’euros.
Tous les électeurs qui ont voté il y a deux ans pour “ super menteur ” doivent être satisfaits : il tient ses promesses en continuant de leur mentir et de faire le contraire de ce qu’il prétend faire. Ce n’est pas pour autant qu’il faudrait faire confiance à la gauche et au PS en particulier. Il ne faut pas oublier que si Jospin a été battu en 2002, c’est bien parce que les électeurs de gauche s’en sont détournés puisque lui aussi allait de plus en plus dans le sens d’une politique économique et sociale soumise aux intérêts capitalistes. Les socialistes sont eux aussi des “ super menteurs ”.
On pourrait nous objecter que ce que fait actuellement l’équipe au pouvoir est pire que ce qu’ont fait les socialistes auparavant. C’est sûr qu’ils prennent moins de gants et accentuent la casse sociale préparée par les gouvernements qui les ont précédés, mais sans cette préparation du terrain par les socialistes ils ne seraient pas allés aussi loin. Et c’est valable aussi sur le plan sécuritaire où Sarkozy n’a fait que compléter le travail de Vaillant (même s’ils se lancent des piques pour amuser la galerie).

Il ne faut pas chercher la cohésion sociale du côté des partis politiques. Si nous-mêmes nous préférons l’abstention, le fait de donner une “ claque électorale ” aux sortants témoigne d’une assez bonne cohésion des électeurs et électrices qui en ont assez de se faire avoir. Malheureusement le jeu “ démocratique ” trompe tout le monde, car en croyant sanctionner les uns, on laisse les mains libres aux autres. Il est temps de chercher la cohésion sociale ailleurs que sur ce terrain. Il est nécessaire de réapprendre à s’organiser collectivement dans des luttes et des solidarités concrètes.
Au lendemain d’élections qui ont lourdement sanctionné la droite au pouvoir, les syndicats et les partis de gauche espéraient faire de ce 1er Mai une journée de mobilisation de grande ampleur. Cela n’a pas été le cas : même si les troupes étaient déterminées, elles étaient plutôt maigres. Est-ce que les gens n’ont plus envie de se battre à force d’être victimes tous les jours de nouvelles mesures de régression sociale ? Même si le découragement peut jouer, il nous semble surtout que personne n’a envie de perdre son temps en des manifestations symboliques qui ne servent qu’à valoriser les organisateurs.
Bien sûr, il y a encore des militants pour qui l’essentiel est de défendre sa boutique, et cela dans toutes les organisations, y compris anarchistes. Heureusement, cela marche de moins en moins bien et lorsque des personnes se mettent réellement à lutter collectivement, c’est parce qu’elles sentent qu’il est vital pour elles de se battre pour défendre un acquis menacé ou qu’elles pensent que collectivement elles auront la possibilité d’améliorer leur existence. Même en ces temps de déprime, on a pu voir des précaires s’organiser collectivement pour lutter dans la durée et gagner comme au McDo Strasbourg-Saint-Denis à Paris.
Ces formes de résistance peuvent aussi être très diverses et parfois faire appel à des moyens qui ne nous semblent pas favoriser l’auto-organisation. C’est le cas des procédures judiciaires entamées par les chômeurs “ recalculés ”. Pourtant dans ce cas, la ténacité et la préparation collective des arguments a permis une victoire qui, bien que partielle et locale, peut redonner espoir et relancer des luttes.
Ces derniers mois ont vu apparaître de nouvelles types de coordinations dépassant les clivages catégoriels ou organisationnels. C’est dans ces convergences de luttes de précaires et intermittents de tous types, dans ces luttes nouvelles sur le terrain du travail et de la précarité mais aussi sur celui de la vie quotidienne (environnement, antipub, squats…) que peut émerger une véritable cohésion sociale capable de s’opposer au capitalisme libéral.

OCL Limoges, le 30/04/04
[Sommaire de ce numéro]

PANIQUE À L'UNEDIC
La convention UNEDIC de décembre 2002 avait décidé d'éjecter rétroactivement des centaines de milliers de chômeurs. Retour de flamme, ceux-ci sont peut-être bien en train de mettre en crise cette institution née en 1958, dans une période où le chômage n'était pas encore massif et l'emploi à "temps plein", une norme.

Le 15 avril dernier, le tribunal de grande instance (TGI) de Marseille a condamné l’ASSEDIC Alpes-Provence et l’UNEDIC à maintenir le paiement des indemnisations de 35 chômeurs. Ceux-ci avaient saisi cette juridiction, s’estimant victimes d’une rupture unilatérale de contrat après leur radiation du système d’assurance-chômage, le 1er janvier dernier. Pour rappel, à cette date, 265 000 personnes ont cessé de percevoir leurs allocations chômage, en vertu de l’additif à la convention de l’UNEDIC signée en décembre 2002 par les trois syndicats patronaux (MEDEF, CGPME et UPA) et trois syndicats de salariés (CFDT, CFTC et CGC), les deux autres (CGT et FO) ne l’ayant pas signée. Cette convention a ensuite été ratifiée par l’État, en la personne de F. Fillon, alors ministre du Travail. Elle s’applique de manière rétroactive. Elle réduit la durée d’indemnisation de 30 à 23 mois, dans la majorité des cas. D’ici la fin de l’année, elle devrait toucher plus de 800 000 personnes. Depuis l’automne dernier, les mouvements de chômeurs et précaires ont battu régulièrement le pavé pour mobiliser les intéressés.
Contrat ou pas contrat ?
Depuis le début de cette année, la CGT est entrée dans la bataille. Cette entrée en scène coïncide avec les premières charrettes de “ recalculés ” mais aussi avec le changement de présidence de l’UNEDIC qui est passée de la CFDT au MEDEF. Depuis plusieurs mois, la campagne contre cette convention qui jette et va jeter sur le carreau des centaines de milliers de personnes, est entrée sur le terrain judiciaire. Avant le jugement de Marseille, les associations de chômeurs avaient recensé près de 2000 plaintes contre les ASSEDIC, auprès de 76 tribunaux. Il est toutefois difficile d’en apprécier le nombre puisque chaque plainte est individuelle. Mais les associations essaient de les regrouper et d’en faire un support de mobilisation collective. Depuis le jugement, les plaintes affluent.
Le TGI de Marseille considère que l’ASSEDIC Alpes-Provence n’a pas respecté son engagement contractuel, celui stipulé par le PARE (Plan d’aide au retour à l’emploi). Il ordonne également l’exécution provisoire du jugement dans les vingt jours suivant sa notification, avec une notification éventuelle de 500 euros par jour pour chaque demandeur. Il ordonne le maintien des paiements des indemnisations et condamne l’ASSEDIC à verser 1000 euros à chacun, “ en réparation du préjudice moral ”. Deux autres plaignants ont été déboutés, leur entrée dans le système d'indemnisation s'étant fait après le 1er janvier 2003.
Annulation de la convention
Ce jugement pourrait faire jurisprudence. Les 11 et 25 mai prochain, les TGI de Paris et de Créteil rendront les leurs pour des affaires similaires. L’ASSEDIC Alpes-Provence et l’UNEDIC ont fait appel. Un malheur n’arrivant jamais seul, l’UNEDIC a de quoi paniquer, avec un probable arrêt du Conseil d’État qui pourrait être rendu vers le 17 mai et qui pourrait annuler la convention de l’UNEDIC en vigueur, pour de simples vices de forme. En effet, l’année dernière, trois mouvements de chômeurs et précaires (AC !, APEIS et MNCP) ont saisi le Conseil d’État pour obtenir l’annulation de cette convention en s’appuyant sur deux vices de forme. D’une part, un décret du gouvernement doit fixer par avance la durée minimale d’indemnisation. Le gouvernement l’a bien publié mais trois jours après l’agrément qu’il avait donné à cette convention. D’autre part, le code du Travail exige que le ministre prenne l’avis de la commission permanente du Comité supérieur de l’emploi. Fillon l’a bien fait mais le comité en question n’a pas été renouvelé depuis 15 ans. La composition de cette instance serait ainsi irrégulière, donc également l’avis qu’elle a rendu. En s’appuyant sur cette argumentation, lors de l’audience du 7 mai prochain, le Commissaire du gouvernement pourrait bien demander l’annulation de la convention. Cette hypothèse est d’autant plus envisageable qu’avant les élections régionales, le Conseil d’État a demandé au ministère du Travail et à l’UNEDIC de l’éclairer sur les conséquences qu’aurait une annulation. C’est un fait assez inhabituel.
Si le jugement de Marseille fait jurisprudence, les ASSEDIC devront rembourser à chaque plaignant l’ensemble des indemnités n’ayant pas été versées, avec des dommages et intérêts en plus. Mais si la convention de 2001 et son avenant de décembre 2002 était annulé par le Conseil d’État, c’est à l’ensemble des personnes concernées que les ASSEDIC devront rembourser les indemnités “ recalculées ”. Or l’UNEDIC dit qu’elle est en déficit. C’est la raison du “ recalcul ” des indemnités instauré par l’avenant du 20 décembre 2002. Le coût provoqué par ces décisions de justice serait de 1,5 milliard d’euros, d’après Gautier-Sauvagnac (MEDEF), l’actuel président de l’UNEDIC. Peut-être exagère-t-il un peu la somme mais il nous livre par là-même une estimation sur le montant du vol. Or le TGI de Marseille s’est prononcé sur le déficit : “ Ce n’est qu’à la suite d’une réduction volontaire de cotisations patronales et salariales constituant ses recettes, intervenue postérieurement, que le régime d’assurance-chômage est devenu déficitaire et ce fait à l’origine du déficit du régime, en raison de son caractère volontaire, ne peut être qualifié d’évènement imprévisible. ” Autrement dit, le déficit a été organisé par l’organisme. A cela s’est combinée une augmentation du chômage. C’est là que l’affaire des “ recalculés ” trouve son origine.
La carotte et le bâton
Cette affaire arrive sur le devant de la scène au mauvais moment pour le gouvernement, après sa défaite aux élections régionales. D'autant plus qu'il avait fait voter, à la fin de l'année dernière un texte qui réformait l'Allocation de Solidarité spécifique (ASS), concernant les chômeurs longue durée en fin de droit et qui en réduisait la durée. Cette mesure était liée à celle de l'UNEDIC, le gouvernement voyant arriver potentiellement des centaines de milliers d'allocataires nouveaux dans le régime de l'ASS, financé par l'État. Dans le même temps, le gouvernement avait fait voter une réforme d'un autre revenu, le RMI, en y introduisant le RMA (Revenu Minimum d'Activité), version française du workfare anglo-saxon. Toutes ces mesures pouvant être interprétées comme une offensive du patronat et du gouvernement faisant des cadeaux supplémentaires à une de ses bases sociales, les patrons des petites et moyennes entreprises, notamment dans le bâtiment et qui ont du mal à trouver de la main-d'œuvre parce qu'ils veulent continuer à la payer au lance pierre. Ces trois mesures faisaient suite au PARE (Plan d'Aide et de Retour à l'Emploi), la convention UNEDIC impulsée par le MEDEF et son allié, la CFDT, avec la bienveillance du gouvernement socialiste. Le PARE s'est révélé être surtout une formidable machine à radier les chômeurs. Pour justifier la mise en place de ce bâton, la CFDT avait mis en avant une carotte, la non-dégressivité des allocations. Et comme le régime d'assurance chômage (le RAC!) était excédentaire, on en avait profité pour baisser les cotisations. On aurait pu redistribuer cet excédent aux intéressés mais il ne faut tout de même pas encourager l'oisiveté. Par contre, deux ans plus tard, quand le régime est devenu déficitaire on n'oublie pas de faire porter le sacrifice sur le dos des intéressés, ce sont les recalculés de l'UNEDIC. Privatisations des bénéfices, socialisation des pertes. Le scénario est connu. "Avec le PARE, écrit la Coordination des Intermittents et Précaires d'Ile de France (CIP-IDF) , on a voulu imposer une violente restriction des droits collectifs pour leur substituer l'imposition d'un "contrat" individualisant. Dans ce scénario, la raison comptable se conjugue avec une "gouvernance par l'individualisation" et le contrôle qui engendre son lot d'économies monétaires, des droits à l'allocation en baisse dans leur montant et leur durée, et "symbolique" : l'explosion du nombre de radiations de chômeurs enjolive le paysage social tout en imposant une ambiance de culpabilité et de stigmatisation des demandeurs de revenu".
Un curieux retour de l'Histoire
Curieux retour de l'Histoire : c'est en s'appuyant sur le PARE que les chômeurs de Marseille ont gagné leur procès contre l'UNEDIC. D'ailleurs, celle-ci n'a pas hésité à soutenir devant les juges que le PARE n'était pas un contrat, alors que c'est au nom de celui-ci que des chômeurs ont été rayés des listes pour non respect de ce type d'autorité. Ca serait amusant que tous les radiés du PARE aillent voir les ASSEDIC et disent : "ah bon, ça n'est pas un contrat, alors il faut nous réintégrer".
Cette affaire arrive au mauvais moment pour la CFDT. Sa posture de syndicat jaune lui joue de mauvais tours. Depuis le mouvement sur les retraites du printemps 2003, elle aurait perdu 20.000 adhérents. 33 syndicats sur les 1356 qu'elle compte se sont désaffiliés. A cela s'ajoute des scores jugés catastrophiques aux dernières élections professionnelles, dans le secteur public, notamment à la SNCF. Elle se sent prise en tenaille. En cas d'obligation de renégocier une convention UNEDIC, elle ne peut accepter le retour de la dégressivité que souhaite le MEDEF, puisqu'elle défend sa position de rempart contre le pire. Par ailleurs, il semblerait qu'elle ne signera plus sans FO ou la CGT pour ne pas apparaître seule avec les syndicats de patrons.
Déficits publics
Le MEDEF souhaite réintroduire la dégressivité. Il voit bien que la CFDT, son principal partenaire, est en difficulté. Aussi il n'est pas pressé de signer une nouvelle convention. Très pragmatique, il attend les autres jugements, les appels, les cassations, etc. Mais l'arrêt éventuel du Conseil d'État pourrait accélérer les choses. Dans tous les cas, il refuse une augmentation,
même minime, des cotisations. Dans ces conditions, cela rend très difficile de trouver un accord. Aussi, en cas d'annulation de la convention par le Conseil d'État, le gouvernement risque très vite d'hériter du bébé. Cela s'est déjà produit. Le précédent remonte à 1982 quand les "partenaires" sociaux n'était pas parvenus à s'entendre sur le redressement des comptes de l'UNEDIC. Le patronat avait décidé de dénoncer la convention de 1979 et le socialiste Bérégovoy, alors ministre des affaires sociales, avait décidé de relever arbitrairement les cotisations et pris des mesures d'économie qui avaient éjectées 230.000 chômeurs de l'indemnisation, sans le filet du RMI ou de l'ASS, à l'époque inexistants. C'est ce qu'on a appelé, à ce moment-là, "les nouveaux pauvres". Dans la foulée, en 1984, le gouvernement a du créer l'ASS, une allocation chômage financée par l'État, pour les "fin de droit".
Présentement, le gouvernement Raffarin se passerait bien de ce cadeau, après la "réforme" des retraites et avant celle de la Sécu qui se profile. Il y aurait bien une solution provisoire : recourir à l'emprunt pour combler le déficit et parer au plus pressé. Mais le déficit de l'UNEDIC est intégré dans le calcul des déficits publics, au même titre que la Sécurité Sociale et l'État. Dans ce cas-là, la France perd tout espoir de tenir les 3,6% du PIB qu'elle s'est engagée à respecter auprès de Bruxelles. Alors, augmenter les prélèvements ? Voilà de quoi contrarier le MEDEF, dont Sarkozy, le n°2, est le frère du n°2 du gouvernement. Réduire les droits de l'ensemble des chômeurs ? Même si l'envie ne lui en manque pas, ce cas de figure pourrait être difficile à assumer, surtout après que Chirac ait reconnu que sa "réforme" de l'ASS était arrivé au mauvais moment et que le TGI de Marseille ait, par son jugement, reconnu l'injustice profonde de cette situation en établissant la responsabilité de l'UNEDIC et de sa gestion comme cause principale du déficit.
Un système pas adapté à la situation existante
Les syndicats non signataires, FO et la CGT, boivent du petit lait. Leur position est plus confortable. FO demande le rétablissement du niveau de cotisation antérieures à l'additif de la convention de 2002 et la taxation du travail précaire. La CGT est pour une refonte du système dont le financement "prendrait en compte la création de richesses, favorisant le plein emploi, pénalisant l'utilisation abusive de la précarité et de la sous-traitance", le principe des éco-taxes appliquées au social.
Du côté des associations de chômeurs et précaires (AC!, MNCP et APEIS), il y a au moins une unité de façade, pour la constitution du rapport de force. Elles demandent une refonte du système. Ce qui n'est pas nouveau. En effet, 60% des chômeurs ne sont pas indemnisés, ce qui est bien la preuve que ce système (si tant est que sa finalité est d'indemniser les chômeurs) n'est plus adapté à la situation existante. Elles demandent un système quadripartite où elles siègeraient avec les trois autres composantes (État, patronat, syndicats de salariés). C'est ce qu'elles appellent un "Grenelle de l'UNEDIC", avec la mise en place d'un système d'indemnisation qui permette d'indemniser toutes les formes de chômage, à un niveau au moins égal au SMIC. Ce nouveau régime de l'assurance chômage serait une nouvelle branche de la Sécurité sociale. Ces revendications s'appuient sur la proposition d'un "nouveau modèle" élaboré par la coordination des intermittents et aussi sur les propositions issues du groupe de travail de la fondation Copernic. Mais cette revendication actuelle ne fait pas l'unanimité, notamment au sein d'AC! ou deux positions sont en débat : une "démocratisation" d'un système paritaire qui n'en porte que le nom (d'où l'idée d'un système quadripartite) et une qu'on pourrait résumer par "que le MEDEF s'en aille et que les usagers directs (les chômeurs) ou indirects (les salariés) s'occupent de ce qui les regarde (l'indemnisation de tous les chômage).
Depuis 1958 le patronat impose sa loi à l'UNEDIC
"La demande d'un "Grenelle de l'UNEDIC" en particulier fut unanimement combattue lors d'une coordination pour plusieurs raisons : d'abord, revendiquer des négociations avant d'instaurer un rapport de force conséquent revient à aller au casse-pipe avec des fusils en bois. Ensuite, la référence aux accords de Grenelle est fâcheuse car ceux-ci, négociés en pleine effervescence et grève générale de mai 68, avaient pour objectif de casser le mouvement et la contestation. D'autre part, la proposition de gestion quadripartite (État - MEDEF - élu-e-s des syndicats, élu-e-s des associations de chômeurs) contenue dans ces propositions est des plus farces qui soient. On pourrait avoir un représentant de Sarkozy Nicolas, ministre des fiances, en représentant du gouvernement, un représentant de Sarkozy Guillaume, vice-président du MEDEF, en représentant du patronat. Ajoutons une pincée d'élu-e-s de la CFDT, de la CGC et de la CFTC (il y en aurait forcément). En quoi ce fonctionnement serait-il plus équitable que le système paritaire actuel?"explique Monique, une militante d'AC! Pour elle, il y aurait une alliance de fait entre l'État, le patronat et les syndicats collabos. Et en plus les associations de chômeurs se retrouveraient mouillées de fait dans les sales coups.
Depuis la création de l'UNEDIC en 1958, le patronat y impose sa loi en faisant alliance avec des syndicats de salariés. Elle se demande de quel droit le patronat cogère-t-il un régime de chômage? "Aurait-on l'idée de réclamer la collaboration des assassins à l'élaboration du code pénal?".
Les cotisations (qu'elles soient nommées improprement salariales ou patronales) sont le produit de la richesse créée par les salariés, uniquement par les salariés. Aussi elles doivent retourner intégralement aux salariés et être gérées par les représentants élus des salariés et des chômeurs.
"J'aimerais qu'on m'explique, ajoute-t-elle, la légitimité de syndicats de patrons à gérer des cotisations sociales qui ne leur sont pas destinées."
La CGT chômeurs joue aussi l'unité. Les autres associations ont, dans un premier temps, choisi le recours au Conseil d'État. La CGT chômeurs, avec les moyens des Unions départementales s'est engouffrée sur le terrain juridique en saisissant les TGI. Et depuis plusieurs mois les associations de chômeurs et précaires aident à la constitution de dossiers. Le jeu de la CGT chômeurs n'est pas très net. Unité devant et division dans de nombreux endroits, sur le terrain où elle veut faire cavalier seul, et ne veut pas de l'unité d'action comme à Clermont-Ferrand, Montluçon, Limoges et sans doute dans d'autres villes.
L'UNEDIC subventionne le travail précaire
Mais du côté de la classe dirigeante, on dresse aussi le constat que ce système d'indemnisation est épuisé. Par exemple, pour le consultant Bernard Bruhnes, ancien conseiller de Pierre Mauroy, le système d'indemnisation n'est plus adapté. Il est resté tel qu'à sa naissance, époque où l'on dénombrait 300.000 chômeurs.
Actuellement le taux de chômage (officiellement) avoisine les 10 % et le travail intermittent est de plus en plus important. Bruhnes estime qu’il faut en appeler à la solidarité et notamment faire cotiser les fonctionnaires, en vertu de ce principe. Autre constat qu'on voit dressé tant au niveau des associations que des syndicats : l’UNEDIC subventionne le travail précaire. En effet, personne n’accepterait un contrat à durée déterminé ou une mission d’intérim s’il n’y avait pas la perspective d’être indemnisé par les ASSEDIC entre deux contrats. Malgré tout, avec le durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation, de plus en plus de travailleurs intermittents en sont exclus et sont alors pris en charge soit par leur famille, leur conjoint-e, le RMI, ou l’ASS.
Le MEDEF ne voit pas l’urgence de renégocier une nouvelle convention. Pragmatique, il attend les jugements définitifs. Il refuse toute idée de taxation de l’emploi précaire au nom de la nécessaire flexibilité des besoins en main-d’œuvre. Il refuse toute augmentation de la part patronale des cotisations. Il estime qu’il faut faire appel aux contribuables pour financer les allocations au-delà d’une certaine durée et il aimerait bien voire réintroduite la dégressivité.
Un ultimatum au MEDEF
Face à cette intransigeance qui les prend en tenaille, la CFDT, la CFTC et la CGC ont lancé un ultimatum au MEDEF, véritable révolte des larbins déboussolés par l’accélération des événements. Ces trois syndicats demandent l’ouverture de négociations pour augmenter les cotisations pour faire face à la situation actuelle. En cas de refus, ils annoncent qu’ils seraient dans l’obligation de s’adresser aux pouvoirs public afin que ces derniers “ prennent les mesures qui s’imposent ”, c’est-à-dire un décret fixant le niveau des cotisations et des prestations. Soutenus pour l'occasion par la CGT et FO, ils revendiquent une augmentation temporaire des cotisations de 0,2 % et s’opposent au rétablissement de la dégressivité.
Le même jour, le Bureau national de la CFDT a publié une déclaration pour le moins surprenante, au regard de son histoire récente et des déclarations de ses dirigeants seulement quelques jours auparavant. En effet, juste après l’énoncé du jugement de Marseille, Chérèque, le secrétaire général et Jalmain, le vice président de l’UNEDIC (CFDT), ne cessaient de répéter que ce jugement était une catastrophe pour les chômeurs, que c’était une fausse victoire. C’était alors une position très proche de celle du MEDEF. Une position de bon gestionnaire d’un système. Mais là, le 29 avril, c’est un virage à 180°. En effet, ce syndicat estime que depuis la signature de la convention de 2001 (celle qui a instauré le PARE) la situation a changé. L’emploi s’est dégradé, dégradant en retour la situation financière de l’assurance chômage. Il désigne les responsables de cette situation : l’État et le MEDEF - l’État du fait de son absence de politique en matière d’emploi - le patronat du fait des licenciements et de la flexibilité.
Le symptôme d'une crise profonde
Pour la CFDT, le jugement du TGI de Marseille en liaison avec la dégradation de la situation de l’emploi, nécessite une adaptation urgente de la convention UNEDIC. Aussi la CFDT demande le rétablissement immédiat dans leurs droits de tous les “ recalculés ” et la suspension par l’UNEDIC des appels en cours. Elle attend à présent garantir la pérennité d’un système de solidarité auquel les salariés et les chômeurs ont droit. Elle demande qu’il soit procédé à un audit du PARE afin d’en “ apprécier les forces et les faiblesses ” et d’y apporter des améliorations. En ce qui concerne les intermittents du spectacle, elle propose la création d’une caisse complémentaire financée par les employeurs de la profession, l’État (au titre de l’aide à la culture), les collectivités locales et les publics concernés . La CFDT rejoint le MEDEF sur le fait que c’est à l’État de prendre en charge les chômeurs de longue durée. Mais elle propose également un rétablissement et une amélioration du régime de l’ASS. Elle estime que les employeurs ne doivent plus utiliser l’UNEDIC comme moyen de financement de leur gestion de l’emploi. Elle demande l’ouverture de nouvelles négociations afin de reposer les rôles respectifs de l'UNEDIC et de l’État dans la couverture du risque chômage. Ce communiqué surprenant est sans doute le symptôme d’une crise profonde. Dans un premier temps, il est clair que la CFDT et ses complices (CFTC et CGC) voient se profiler avec horreur tous les procès dont bon nombre risquent d'être perdus. Les décisions qu'elle a prise et assumée en décembre 2002 apparaissent au grand jour. Dans un premier temps, réintégrer les recalculés mais maintenir la convention actuelle pour les autres permet d'arrêter ces procédures ravageuses. On essaye de gagner du temps. Mais dans le cadre de ce système-là, elle ne sait plus comment faire. A moyen terme, c'est sans doute une impasse. Du coup elle se tourne vers les autres syndicats et dénonce l'attitude du gouvernement et du MEDEF (on en est là à ce jour, 30 avril 2004). Et Seillière du MEDEF n'a pas envie de négocier dans ces conditions. Interrogé vendredi 30 avril sur LCI il a estimé que "renégocier si c'est pour constater qu'on n'est pas d'accord, ça n'a franchement aucune espèce d'intérêt". Il en a appelé au gouvernement pour aider les partenaires sociaux à trouver une solution. En attendant, les antennes ASSEDIC mettent des bâtons dans les roues à ceux qui veulent constituer leur dossier afin de porter plainte. Consigne est donné de ne pas transmettre les pièces manquantes et d'informer immédiatement la direction. L'affaire semble prise très au sérieux. La décision du Conseil d'État pourrait être rendue aux alentours du 17 mai. En cas d'annulation, le gouvernement prendra un décret pour éviter un vide juridique et des négociations devront alors s'ouvrier pour une nouvelle convention, y compris pour le dossier des intermittents du spectacle.
Convergence de luttes ?
Voilà de quoi favoriser une convergence de plusieurs luttes. C'est cette perspective qui se profile à travers la déclaration de la Coordination des Intermittents et Précaires d'Ile de France, paru dans l'Interluttants n°12 et qui réagit au jugement de Marseille :
"Ce jugement peut être contredit par celui d'un autre TGI. L'UNEDIC a interjeté appel et l'affaire finira sans doute en cassation pour faire jurisprudence. A moins qu'en mai le Conseil d'État invalide le PARE ; à moins que la convergence des luttes connaisse une accélération décisive. Dans cette optique reste hors de question de se limiter à une rhétorique de "défense des avantages acquis" ou au rôle de victimes exigeant leur dû. Aucun statu quo, aucune réparation ne nous suffiront. Pas réconciliés malgré les "concertations", nous luttons contre la précarisation et pour de nouveaux droits. Chacun le sait, c'est avec tous et pour tous que cette lutte a déjà tracé et tracera encore, une nécessaire liberté".
Christophe, Limoges, le 30 avril 2004.
[Sommaire de ce numéro]

Rencontres nationales de l'OCL: quelques réflexions sur l'actualité et la période en France
Lors de nos rencontres nationales qui se sont tenues à Reims les 10, 11 et 12 avril, nous avons abordé la période actuelle au niveau international : la guerre en Irak, où se jouent une évolution de l’ordre mondial et une redistribution des cartes aux mains de l’impérialisme ; la situation en Amérique latine, dont les Etats-Unis n’ont quasiment plus aujourd’hui à se préoccuper, les gauches “ acceptables ” (comme Lula au Brésil) étant là pour pacifier cette partie du monde ; la question des matières premières, avec l’eau qui devient, après le pétrole, un enjeu mondial... Ces réflexions et ces positions se retrouveront dans de futurs articles que CA publiera dans les numéros futurs.
Mais nous avons aussi discuté de la situation politique et sociale en France, au lendemain des élections régionales. Nous présentons ici quelques remarques émises à propos des dernières élections et sur le mouvement des chercheurs qui les a précédées. Egalement deux “motions” concernant d’une part l’“affaire du voile” et, de l’autre, la libération des militants et militantes d’Action directe incarcérés.

Les élections,un indicateur parmi d’autres

Plus de 50 % des électeurs ont donc zappé la droite au pouvoir depuis deux ans comme ils avaient zappé Jospin en 2002. Il est certain que les électeurs n’ont pas voté pour un programme, car la gauche n’en avait pas - même si, régionalement, elle avait des propositions concrètes (telles que des livres scolaires gratuits) qui pouvaient aller jusqu’à des propositions démagogiques. Ainsi, en Champagne-Ardenne, les lycéens et lycéennes entrant en classe de seconde devraient, si les promesses sont tenues, recevoir à la prochaine rentrée scolaire… un ordinateur portable gratuit ! Dans cette région, pendant six ans, 95 % des décisions ont été prises à l'unisson par la gauche et la droite, et dans cette gestion/distribution du fric disponible les lycéens et lycéennes entrant en seconde ont déjà pu bénéficier de dons de dictionnaires, calculatrices, bleu de travail. Alors il fallait, pour la gauche, proposer plus… Le plus drôle, c’est qu’aujourd’hui la droite battue demande, non sans ironie, la concrétisation de cette proposition délirante, qui ferait les beaux jours de nombreux fabricants et distributeurs de matériel informatique. (A noter, pour la petite histoire, que le conseil régional a toujours imposé que cette manne financière aille aux commerçants de la région et non à “ Gilbert Jeune ” de Paris, qui casse les prix !)
De fait, les électeurs aux régionales n’ont pas voté à gauche pour une meilleure gestion “ des gommes et des crayons ”. Ce vote a été une sanction de la politique gouvernementale, mais il a des significations différentes suivant les classes sociales. A remarquer que le taux d’abstention a essentiellement baissé dans les villes petites et moyennes, là où les classes moyennes emménagent et se développent. Dans ces milieux, sensibles à l’épouvantail “ Le Pen ”, il s’est agi d’un vote d’adhésion : il fallait revoter pour le PS, après la “ claque ” de l'élection présidentielle de 2002. La gauche s’en tire donc bien, d’autant plus qu’elle a adopté la tactique de Le Pen pour cette présidentielle : ne pas parler trop, pas de triomphalisme après le premier tour. A présent, dans l’électorat traditionnel de gauche, la mémoire de ce qu’a fait la gauche plurielle quand elle était au pouvoir va très vite disparaître.
Néanmoins, le taux d’abstention est resté élevé, et ce phénomène tient sans doute au nombre grandissant de personnes qui sont exclues de ce que les républicains (toutes tendances confondues) appellent la citoyenneté. Une partie d’entre eux a dû vouloir ici battre la droite comme les Espagnols l’avaient fait quelques jours auparavant dans leur pays, même si le lien qu'on peut faire entre ces deux événements électoraux reste de l'ordre de l'intuition plus que de la certitude.
Une question se pose : les élections, que nous rejetons, sont-elles des indicateurs de ce qui se passe dans la société française ? En partie, oui, sûrement. Ce vote a traduit l'incapacité actuelle des mouvements sociaux de gagner ; il est un aveu d'impuissance : un nombre significatif de gens ont émis un vote sanction par rapport au pouvoir en place en désespoir de cause. On est donc loin de la renaissance de l'“ attitude citoyenne ” que prêchent tous les partisans de la démocratie parlementaire.
Ces élections auront aussi été, une fois de plus, l’occasion de montrer le bel unanimisme qui règne dans la classe politique quant à la nécessité de réformes. Ces idées de “ réformes nécessaires ” avaient déjà été exprimées lors du mouvement du printemps 2003 ; elles sont en train de se concrétiser, progressivement, insidieusement, et elles sont accompagnées par tous les syndicats dits représentatifs, de la CFDT à la CGT.


A propos du mouvement des chercheurs

Comme nous l’avons dit dans notre dernier numéro, depuis une quinzaine d’années déjà les forces politiques ne sont plus en mesure d’imposer une quelconque trêve sociale durant les campagnes électorales. En 2004, beaucoup de luttes dans les entreprises, qu’elles soient défensives (concernant l’emploi) ou même offensives (portant sur les conditions de travail et salaires), se sont déroulées. Elles n'ont cependant pas eu de retentissement national, exception faite du mouvement des chercheurs, qui a été très médiatisé. Ce mouvement a d’ailleurs eu des effets électoralistes dans les classes moyennes et supérieures. Pensez donc, la droite faisait “ la guerre à l’intelligence ” ! Ce qui nous interroge, sur ce mouvement comme sur d’autres, c’est le fait que les personnes qui l'ont soutenu aient pris en compte la lutte menée bien plus que son contenu. Même dans le milieu anar, nous n'avons relevé qu'un article (paru dans le Combat syndicaliste de la CNT/AIT) qui abordait ce problème de fond : qu’est-ce que la recherche et les chercheurs ? Des mandarins font une grève administrative, des “ cerveaux ” bien de chez nous partent à l’étranger, et alors ? Au fait, par qui sont-ils financés ? Pour quoi ? Pour qui ? Quelle est la nature de leurs recherches ?
Nous sommes dans une société où il faut tout mesurer, tout comparer : c’est la base de la compétitivité, de la hiérarchie. Son modèle mathématique est la “ relation d’ordre ”, dont le nom dit bien ce qu’elle signifie profondément. Et c’est le modèle dominant, beaucoup d’ailleurs croient ou font croire que c’est le seul modèle ; et pourtant, à ce niveau conceptuel, il en existe un autre : la “ relation d’équivalence ”, dont l’égalité est l’exemple certainement le plus concret et le plus parlant…
S'il y a bien des organismes de recherche plus libres que d’autres par rapport aux gouvernants, là comme ailleurs il s'est agi et il s'agit encore pour ceux-ci d’éliminer les derniers trublions, de rentabiliser toutes les recherches dans le cadre du capitalisme. On sait bien que les sciences et les techniques qui en découlent ne peuvent être neutres, qu’elles ne peuvent pas servir globalement pour le bien de tous et toutes puisqu’elles sont ancrées, naissent et évoluent dans un système de domination, d’exploitation. La science est, certes, critiquée depuis Hiroshima, mais les pouvoirs économiques et politiques s’appuient sur le scientisme pour nous imposer par exemple l’industrie nucléaire. Le problème qui se pose aujourd’hui, pour les personnes désireuses non d'aménager la société, mais de la changer radicalement, c’est la prise en compte des conséquences inéluctables des choix faits par le capitalisme. La transformation de la société oblige à répondre aux mutations fondamentales qu’on connaît, suite par exemple aux marées noires et au développement des OGM.
[Sommaire de ce numéro]

Solidarité avec les prisonniers d'Action Directe (Position de l’OCL)
L’acharnement de l’Etat contre les prisonniers de l’ex-groupe Action Directe a plusieurs sens.
Il y a, bien sûr, les haines individuelles des magistrats, des policiers et des politiciens à leur encontre.
Il y a certainement la volonté de montrer à celles et ceux qui seraient, à l’avenir, tentés par ce genre de lutte qu’“ on ne s’en tire pas facilement ” (pourtant, quand on a 20 ou 30 ans et qu’on se lance dans ce genre d’aventure, on ne mesure pas à ce point le risque encouru).
Mais là n’est pas l’essentiel. Cet acharnement mortifère indique d’abord où se situe actuellement la force, et que, pour exercer son pouvoir et accomplir sa besogne, la bourgeoisie, avec ses appareils de domination, a moins besoin aujourd’hui qu’hier de se plier à des simulacres de justification ou de comportement humanitaires. C’est elle qui est à l’offensive dans la lutte des classes, la loi du plus fort règne sans partage. Vengeance perpétuelle contre ses ennemis, reconnaissance éternelle vis-à-vis de ses serviteurs (Lefloc'h Prigeant, Papon) s’expriment clairement sans fard “ démocratique ”.
Cet acharnement s’inscrit aussi dans un processus d’éradication des années 65-75, celles où la contestation tenait le haut du pavé, et où les classes dominantes étaient sur la défensive et devaient lâcher quelques concessions. “ Années horribles ”, aurait-on dit à la cour d’Angleterre. Or le groupe AD fut bel et bien issu de ces années-là, comme le sont également les militants italiens, toutes tendances confondues, contre lesquels on s’acharne actuellement. Et, par-dessus tout, ce qui rend les prisonniers de l’ex-AD encore plus haïssables aux yeux des bien-pensants, c’est que ce ne sont pas des repentis !
Nous sommes d’autant plus à l’aise pour lutter à leurs côtés maintenant que nombre de ceux qui, à l’époque, encourageaient ou participaient à ces mouvements de lutte armée se sont repentis jusqu’à devenir des auxiliaires de la police ou se sont recyclés dans les allées de tous les pouvoirs, alors que nous-mêmes en faisions une critique claire (1).
Peu importent donc la ligne politique et les divergences que nous avions à l’époque avec eux. Ce qui est visé à travers eux, c’est aussi nous : notre histoire dont ils font aussi partie, notre présent dans les luttes dont nous voulons qu’ils fassent partie. Est visé tout ce qui remet en cause la toute-puissance de la bourgeoisie et de l’Etat ; cela ne se rattache ni à une période historique ni à un parcours individuel particulier car cette volonté d’en finir avec le système social qui organise le monde actuellement sera présente en tous lieux jusqu’à sa disparition.

OCL

(1) “ Le recours aux actions de lutte armée ne peut se poser que dans et par une collectivité précise, en rapport avec sa dynamique et sa stratégie. Plus les collectivités s’érigent en forces sociales, mieux elles s’avèrent capables de trouver leur propre chemin, plus il peut y avoir relation immédiate et complice, influences réciproques entre ces collectivités concrètes et ceux qui font les actions violentes. (...) Or AD n’a jamais eu de lien réel et durable avec un mouvement : son rapport avec la société réelle passait par les médias, ce qui explique que chaque action ne se déterminait que par rapport à eux. De plus, AD a glissé d’une idéologie plus ou moins libertaire vers une conception avant-gardiste. ” (Organisation communiste libertaire, Etat des lieux, et la politique bordel!, éd. Acratie, 1986)

[Sommaire de ce numéro]

Loi sur le foulard: contre l'exclusion, pour les luttes (Position de l’OCL)
Après le mouvement de mai-juin dernier sur les retraites, le gouvernement Raffarin a utilisé le port du foulard à l’école comme une diversion face aux problèmes sociaux actuels. Si cette diversion a si bien fonctionné et est parvenue à occuper le terrain politique en France, c’est que l’utilisation des mentalités issues du rapport colonial est une vieille rengaine républicaine destinée à susciter l’unité nationale au détriment des luttes, et notamment des luttes de classes. Une manipulation qui s’appuie sur une réalité toujours bien présente, le rapport colonial : le déferlement de critiques, voire de haine, qui a visé les filles musulmanes en est un legs. La “ loi pour la laïcité ” est en fait une loi contre l’islam qui cache mal. un racisme visant la communauté musulmane ; un racisme plus ou moins conscient, régulièrement affiché dans la société française, et issu, entre autres, de l’histoire coloniale.
Certes, nous nous battons contre toutes les religions, mais là il ne s’agit que d’un dressage qui utilise l’aspect religieux comme au temps où la République française évoquait les “ indigènes musulmans ”. En s’attaquant à l’islam, une bonne partie des laïcard-e-s d’aujourd’hui cherchent à minimiser l’importance de la religion catholique chez les élites et dans la culture et les institutions européennes. Parler de cette manière de “ défense de la laïcité ” dans une société française imbibée de christianisme relève d’une réelle hypocrisie.
Nous sommes pour un féminisme qui lutte, entre autres, contre l’exclusion des femmes, notamment dans les sphères publiques. Nous nous démarquons donc clairement des intellectuel-le-s, des politiques de droite comme de gauche, des militant-e-s associatifs, des enseignant-e-s qui, au nom du combat antipatriarcal, acceptent et soutiennent la logique d’exclusion et de punition introduite par cette loi. Nous nous étonnons que des féministes, ne voyant dans le port du foulard que victimisation et soumission, s’en prennent si facilement à ces mêmes “ victimes ” au lieu de s’attaquer aux causes globales de cette oppression. En ce qui nous concerne, nous ne pensons pas que les filles et les femmes qui portent le foulard soient toutes et obligatoirement des victimes. Certes, une partie d’entre elles y sont obligées par une pression familiale qui doit être combattue ; mais de nombreuses autres visées par cette loi estiment le faire librement et parfois avec une volonté de revendication d’identité de femme issue des migrations, et un refus exprimé de l’intégration au modèle unique, républicain et occidental. Mais qui sommes-nous donc pour oser donner des leçons de “ bien penser ” et de “ bien lutter ” par lois étatiques interposées !
Nous nous étonnons que bon nombre de “ révolutionnaires revendiqués ” trouvent si commode une loi excluant des filles au détriment d’une réelle militance de terrain. Car une chose est certaine, c’est qu’une critique, pour être efficace, ne peut venir que de l’intérieur de la communauté visée, avec laquelle nous pouvons lutter. Apportée de l’extérieur, surtout de la part d’une entité dominante (le monde chrétien occidental), cette critique non seulement tombe sous le signe de la énième domination impérialiste avec son cortège de paternalisme et de pseudo-universalisme, mais encore est totalement inefficace si elle s’exerce au nom de la loi. Une critique légiférée et portée par le dominant sur des aspects de la culture du dominé ne fera qu’en renforcer les aspects de la culture les plus clos, frileux ou agressifs.
Nous participerons, là où nous le pourrons, sur ces bases, aux luttes contre l’exclusion des scolarisé-e-s de l’école républicaine, même si nous pensons que l’école buissonnière peut, bien des fois, être tout aussi émancipatrice !
OCL


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