Courant alternatif no 142 octobre 2004

SOMMAIRE
Edito p. 3
SOCIAL
Temps de travail, baisse des salaires :une attaque au niveau européen p. 4
La lutte des transports gratuits p. 7
LES NOUVELLES FORMES DU MARIAGE ECOLE- ENTREPRISE p. 9
Soutenir Roland Veuillet p.13
Corse : le conflit à la SNCM p. 13
Rubrique Flics et Militaires p. 14
Droit d’asile
Les coups bas de la préfecture de police de Paris p. 15
Affaire frammezelle/Lenoir : un verdict sur un dossier vide p. 16
Dans les prisons de France p. 16
Le procès de Kamel : les responsables sont ailleurs p. 18
Daniel Mermet patron de choc p. 21
International
A propos du filmd de Michael Moore p. 20
Mythes et réalités de la résistance irakienne p. 21


ÉDITO
Après l’attaque d’envergure sur les retraites en 2003, le gouvernement a pu imposer sa contre réforme sur l’assurance maladie masquant d’autres coups bas concernant ce secteur. La presse n’annonce-t-elle pas, suite au rapport de la cour des comptes un déficit record situé autour des 20 milliards d’euros ? Ce qui permet au bon docteur Douste- Blazy de nous concocter d’autres mesures anti-sociales dans ce domaine. La réduction massive des budgets sociaux plonge encore plus brutalement les familles dans la détresse et la misère. Dans le même temps, le gouvernement chouchoute les plus aisées par des exonérations fiscales : sur les droits de succession et d’héritage, sur les chèques emplois services, etc.
Ces attaques ne résultent pas d’une politique menée par la droite, il en sera de même demain si la gauche revenait aux affaires ! Elles sont la conséquence et le produit d’une exacerbation, d’une concurrence internationale qu’implique le capital dans sa course aux profits.
Il en est de même concernant les attaques portées dans les entreprises sur l’allongement du temps de travail sans compensation salariale. Cette politique, est introduite en Allemagne sous un gouvernement social démocrate. Pays qui pratique les 35 heures, voire les 32 heures chez Wolkwagen. En France, la loi Aubry, loin de créer des emplois pérennes dans le cadre de l’application des 35 heures, a introduit la déréglementation des conventions collectives du code du travail et la flexibilité a outrance. ce que l’ex-ministre, défendant son bilan face aux attaques du MEDEF et parlementaires de droite résumait : « Nos entreprises ont gagné de la flexibilité et augmenté leur productivité ». Aujourd’hui, le patronat a la voie libre pour s’engouffrer dans cette logique de profits, rallonger sans contrainte étatique la durée du temps de travail et augmenter encore plus la compétitivité des entreprises pour le profit de leurs actionnaires. Et, contre les salariés qui voudraient contrevenir a ses plans, il brandit la menace et le chantage des licenciements, de la fermeture de l’usine et de la délocalisation... Ce fut le scénario monté chez Mercedes, Daimler Chrisler, puis peu après en France : Bosch a Venissieux, Snappon a Chartres , Doux, le volailler, a Quimper, etc. Si, malgré cela, certains salariés en viennent a résister, la bourgeoisie veille a préserver ses intérêts. Comme ce fut le cas cet été a Rennes contre les personnels de S T microélectronique en lutte depuis un an pour empêcher le déménagement des équipements mais où, le 10 juin, les CRS et les gardes mobiles sont intervenus sans ménagement contre les grévistes. Ou encore chez Snappon a Chartres où le patron a pu déménager les presses et machines outils sous la protection de la justice qui ordonne aux salariés de lever leurs barrages au nom du « droit a la propriété privée » sous l’œil bienveillant de la police locale et des CRS qui permirent de vider les lieux des presses et machines, sous haute protection.
Ces attaques contre le monde du travail accompagnées de menaces et de chantage traduisent l’âpre concurrence a laquelle se livrent les bourgeoisies nationales qui, pour augmenter leur compétitivité et maintenir leur taux de profits doivent faire baisser partout le coût de la force de travail. Cela, tant dans l’entreprise avec l’intensification de l’exploitation, qu’a l’extérieur en supprimant et en rognant toutes formes d’aides sociales créant une insécurité sociale permanente et une désolidarité entre travailleurs.
« Nous avons besoin de la participation des syndicats. Il ne sert a rien de les critiquer en bloc. Nous avons du pain sur la planche car a l’heure actuelle, les syndicats oscillent entre le pragmatisme au sein des entreprises et la radicalisation au niveau politique ».(M Kanneglesser, président des patrons de la métallurgie allemande). Celui-ci, résume bien le dilemme posé aux confédérations syndicales. Intégrées au système, elles participent au niveau européen a l’élaboration des lois cadres fixant le démantèlement et l’ouverture a la concurrence des services publics fixés dans les résolutions de l’AGCS.(Accord Général du Commerce et des Services). Leur pragmatisme bienveillant accompagne les mesures anti-sociales qui frappent les salariés. Ce que confirme le rôle et le double langage tenu par la CGT durant les mouvements a EDF-GDF. Au congrès de Biarritz 2003 , B Thiebault affirmait devant les délégués que personne ne toucherait au statut des électriciens et des gaziers. Déclaration réitérée dans de nombreux média. Sur le terrain la bureaucratie fédérale se retrouvait main dans la main avec les autres centrales syndicales†: CFDT, FO, CFTC pour s’opposer a chaque fois aux velléités de durcissement et de continuité du mouvement de lutte engagé par les salariés en assemblées générales. Notons qu’EDF GDF est son pré carré puisqu’elle a contribué a sa création peu après la libération. C’est son bastion qui la nourrit avec plus de 1000 permanents syndicaux et détachés, et, est une manne financière pour le fonctionnement de la boutique. On comprend aussi le soutien nucléaucrate qu’elle peut apporter au gouvernement dans la continuité de la politique du tout nucléaire en France. Le double langage du patron de la CGT a permi d’anesthésier plus ou moins le mécontentement de sa base syndicale et a Sarkosy d’ouvrir voici peu le capital d’EDF GDF a la concurrence. Quant a la crainte de la radicalisation évoquée par le patron de la métallurgie allemande, elle traduit bien plus celle que des bureaucraties syndicales face a leurs bases et salariés excédés. Crainte de ne pouvoir maîtriser les réactions futures des travailleurs n’acceptant plus l’offensive anti sociale menée contre eux. A l’exemple des salariés de Daimler en Allemagne qui en réponse au chantage de délocalisation du patronat se mirent aussitôt en grêve et manifestèrent avec des solidarités venues de tous le pays. Le 16 Août 2004, 60 000 personnes défilaient dans la rue pour protester contre les réformes du droit du travail et les réductions des prestations sociales. C’était la plus grande manifestation qu’ait connue l’Allemagne depuis la chute du mur. Face a cette réaction, patrons et syndicats, se sont emprésseés de trouver un « accord satisfaisant pour tout le monde ».
On peut comprendre la crainte de la bourgeoisie d’une remonté des luttes sociales autonomes plus déterminées avec des extensions de solidarités autonomes contre les bureaucraties syndicales qui ont de moins en moins de miettes (concédées par leurs maîtres) a donner aux salariés pour les amadouer.
D’où le battage orchestré sur le retour de la gauche au pouvoir suprême. D’où la nécessité d’illusionner sur le renouveau de la gauche plurielle après deux victoires électorales. D’où la médiatisation pré-électorale du couple LO LCR qui plus que la gauche elle-même voulait incarner LE débouché politique aux luttes et mouvement social de ces derniers mois. Canaliser la contestation de terrain et la détourner vers les urnes. Faire oublier aux travailleurs leur entité collective de classe aux intérêts communs pour encore une fois les isoler les uns des autres pour n’être plus que des citoyens ayant un pouvoir démocratique par le bulletin de vote pour changer les choses. Il en est de même pour les alters mondialistes et leurs grand-messes médiatiques financées par la bourgeoisie qui n’avancent que des solutions gestionnaires, entretenant la mystification d’un état social qui assurerait le bien être des citoyens et garantirait les bienfaits des services publics. Alters mondialistes dont l’association ATTAC s’auto proclame représentante et « se découvre » enfin en offrant pour tout projet de transformation sociale que de voter pour ses propres listes lors de prochaines consultations électorales..
Militants révolutionnaires, notre projet de transformation sociale est anti-capitaliste et antiautoritaire. Le seul débouché politique souhaité, et a revendiquer pour les luttes est la victoire politique de ces transformations contre tous ceux qui les détourneraient vers un schéma institutionnel et citoyen perpétuant ainsi la domination du capital.
Nous devons contribuer, par des échanges, le débat et des pratiques communes a renforcer nos liens pour une meilleur intervention dans ces lieux et réseaux vers l’auto organisation sociale et politique
Seul le développement des luttes autonomes et une solidarité de classe permettront de répondre aux attaques de la bourgeoisie et préparer la défaite du capital.

Caen le 20.09.2004

Temps de travail, baisse des salaires : une attaque au niveau européen

"Saviez-vous que depuis 1970 les personnes travaillent 22 % d’heures en moins en France et 20 % de plus aux Etats-Unis ? Saviez-vous qu’il y a des cas où des lois strictes sur la protection de l’emploi rendent les travailleurs anxieux quant à leur emploi ? Saviez-vous que les salaires, pour la plupart des travailleurs, continuent d’être fixés par des négociations entre syndicats et employeurs dans un nombre important de pays, malgré le fait que le nombre de personnes syndiquées a eu tendance à diminuer ces dernières années ?"

Dans son rapport 2004 visant à "réévaluer les stratégies pour l’emploi", l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) prône le développement d’une "culture de l’allongement du temps de travail". Bien sur, le MEDEF saisit la balle au bond et demande à l'Etat d'assouplir la loi sur les 35 heures. Mais les attaques contre la durée du temps de travail n'ont pas lieu qu'en France, mais partout en Europe, surtout depuis l'arrivée de 10 nouveaux membres. Le but : diminuer le coût de travail.

Durée du temps de travail en Europe
Règles communes
Une directive européenne adoptée en 1993 exige que :
- la durée maximale du temps de travail hebdomadaire soit de 48 heures ;
- les congés annuels payés soient au minimum de quatre semaines par an ;
- le travail de nuit se limite à 8 heures consécutives ;
- des périodes minimales obligatoires de repos soient aménagées : 11 heures consécutives chaque jour et 24 heures consécutives chaque semaine.
Temps de travail
Selon Eurostat, la durée effective atteignait 41,6 heures par semaine en moyenne en 2002 (chiffre le plus récent), chez les Vingt-Cinq, pour les personnes ayant un emploi à plein temps, et 41,4 dans l'Europe à Quinze. Dans cette dernière, précise l'office, "la durée moyenne du temps de travail a diminué d'une demi-heure depuis 1997, tandis qu'elle est restée inchangée pour les salariés à temps partiel, à 19,7 heures". En 2003, elle variait de 40,3 heures dans le royaume scandinave à 44,4 heures en Grèce dans l'ancienne Union. Chez les dix nouveaux Etats membres, elle allait de 39,4 heures en Lituanie à 43,8 heures en Lettonie. Les hommes travaillaient en moyenne deux à trois heures de plus que les femmes. Un tiers des travailleurs britanniques ont "accepté", dans leur contrat de travail, de travailler au-delà de la limite (48h).
C'est dans le secteur de la chimie que le temps de travail est le plus élevé, suivi de la vente au détail et de la fonction publique.
Comparaison avec les autres pays
C'est en Europe occidentale que le temps de travail est le plus court, un salarié consacrant à sa profession 1 750 heures par an en moyenne, soit une cinquantaine de jours de moins que son alter ego d'Asie (2 194). Entre ces deux extrêmes "s'échelonnent les régions du Proche-Orient (2 099 heures), d'Amérique du sud (2 048), d'Afrique (1 933), d'Océanie, d'Europe de l'Est et d'Amérique du Nord (près de 1 990 heures en moyenne)", écrivent les analystes de l'UBS (Union des Banques Suisses).

L'Allemagne, laboratoire social
Au printemps dernier, le chancelier Schröder avait mis le feu aux poudres en rêvant d'une entreprise modèle où il serait possible de passer de 30 à 40 heures selon les semaines et les besoins. Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy se prend à rêver tout haut d'une souplesse permettant aux salariés de travailler plus et/ou de gagner moins. De mauvais élève, accusé d'être de tirer vers le bas la croissance de la zone euro, l'Allemagne reprend des allures de laboratoire. Suivie à la loupe par ses partenaires, France en tête, où le débat sur les 35 heures est reparti de plus belle. Les coups de boutoir du patronat allemand vont-ils inverser une tendance à la baisse du temps de travail qui date de... vingt ans ? Le premier tournant date en effet de 1984, outre-Rhin, quand le puissant syndicat des métallos avait arraché, contre une modération des hausses de salaires, un accord ramenant à 38,5 heures la semaine de 40 heures. Trois ans plus tard, le même IG Metall négociait la semaine des 35 heures, entrée, par étapes, en application en 1995. C'est toujours le même syndicat qui acceptait de revenir, sans compensation salariale, à 40 heures chez Siemens qui annonÿait en mars 2004 sa volonté de délocaliser une partie de sa production en Hongrie, de fermer deux usines à Bocholt et Kamp-Lintfort et de supprimer à cette occasion au moins 2.000 emplois. Depuis lors, la surenchère n’a pas de limites : Bosch, Mercedes-Daimler-Chrysler, BMW, Thyssen, Opel, Continental, le voyagiste Thomas Cook, les chantiers navals HDW, les magasins Karstardt et d’autres se mettent au diapason, utilisent le passage aux 40, voire 42 heures, sans compensation salariale, pour faire baisser le "coût du travail". Volkswagen, par la voix de son chef du personnel Peter Hartz, qui n'est autre que l'instigateur de la réforme de l'assurance-chômage, vient d'annoncer son intention de geler pendant deux ans les salaires de ses 103.000 salariés. Pour ses cheminots, la Deutsche Bahn étudie l’augmentation du temps de travail à 42 heures. Le Land de Bavière a d’ores et déjà augmenté le temps de travail dans la fonction publique de 38 à 42 heures. Wolfgang Mayrhuber, patron de la compagnie aérienne Lufthansa (300 millions d’euros de "bénéfices opérationnels" cette année) vient de frapper un très grand coup dans l’indécence : à ses yeux, a-t-il expliqué dans une publication à l’adresse de ses salariés, l’allongement du temps de travail sans compensation salariale est la "meilleure solution pour sortir de la misère".
Cette brèche ouverte a offert une chance au patronat allemand de faire monter d'un cran la pression en proposant une variante, la réduction d'une semaine des congés payés qui atteignent 30 jours ouvrés en moyenne en Allemagne, contre 25 jours en France et... 12 jours aux Etats-Unis. Fini le culte du loisir. Celui du travail au nom de la compétitivité d'entreprises confrontées à une mondialisation sans merci a sonné.

Les autres pays européens suivent
Fin juin, Veit Sorger, à peine arrivé à la tête de la Fédération patronale de l’industrie autrichienne, a proposé de décliner le "modèle Siemens" pour tous les salariés autrichiens. Wolfgang Eder, dirigeant du premier groupe sidérurgique du pays, lui a immédiatement emboîté le pas en proposant de porter la durée légale du travail de 38,5 heures actuellement à 40 heures. "Sans compensation salariale. Sinon, ÿa ne servirait à rien." Claus Raidl, PDG d’un autre groupe du secteur et conseiller économique du Parti conservateur au pouvoir, en a remis une couche en réclamant, à l’instar de la proposition du gouvernement Raffarin censée financer la nouvelle caisse autonomie, la suppression de plusieurs jours fériés. "Cela permettrait de renforcer la compétitivité des entreprises qui gagneraient 80 heures de travail par employé et par an".
En Hollande, fin juillet, dans une "lettre sur la croissance", le ministre de l'économie Laurens Jan Brinkhorst a préconisé le retour aux 40 heures pour les fonctionnaires. Dans un pays pionnier de la réduction du temps de travail depuis le début des années quatre-vingt, le gouvernement entend refaire des 40 heures la norme. Du coup, les grands groupes comme Philips n’ont pas manqué de s’engouffrer dans cette brèche. Le jour de l’annonce d’un bénéfice net largement supérieur à toutes les attentes (987 millions d’euros pour le deuxième trimestre 2004), Rijkman Groenink, président de la première banque néerlandaise ABN-AMRO, a tenté de justifier la nécessité du passage aux 40 heures pour ses 20 000 salariés (aujourd’hui à 36 heures). Le 5 août, un fabricant de meubles qui avait imposé le passage à 40 heures a perdu en justice face aux syndicats qui avaient dénoncé une "violation" de la convention collective de branche.
En Suède, Sten Jakobson, le PDG d’ABB, et Leif Oestling, patron du constructeur Scania, ont été les premiers à monter au créneau. "Dans les nouveaux pays de l’Union européenne, on travaille souvent entre 45 et 50 heures par semaine. Là-bas, le travail est un produit de luxe, ici en Suède, c’est un droit.".
Au Danemark, ce n’est pas la durée du travail (37 heures par semaine) mais les salaires, qui font l’objet de chantage à la délocalisation. Normal : d’après Eurostat, le Danemark est avec la Belgique le pays où le temps de travail augmente "naturellement" depuis quelques années.
Le 19 août, à Sclessin, dans la banlieue de Liège, les 127 salariés de l’usine sidérurgique Marichal Ketin, propriété d’un groupe allemand, ont rejeté à l’unanimité la proposition de leur direction de faire passer le temps de travail de 36 à 40 heures. À la mi-juin, Pieter Timmermans, directeur général de la Fédération des entreprises de Belgique, avait sauté la vague à travers les colonnes du quotidien flamand De Morgen : "Les entreprises belges doivent faire face à un handicap salarial allant de 8 % à 10 % par rapport aux pays voisins" qui ont, eux-mêmes, des coûts salariaux plus élevés qu'en Europe centrale. "La Belgique ne pourra pas échapper à l’ouverture d’une discussion sur le temps de travail. Il existe chez les travailleurs un sentiment d’inquiétude par rapport à leur emploi. Dans le contexte actuel, bon nombre d’entre eux seraient prêts à travailler une heure ou deux de plus pour le consolider." Illico, la FGTB (socialiste) et la CSC (sociale-chrétienne) avaient adressé une fin de non-recevoir. À la veille des élections européennes, Guy Verhofstadt, Premier ministre belge (libéral flamand), avait relancé l’idée de la "semaine de quatre jours". Derrière le noble principe, les syndicats ont tôt fait d’apercevoir la gueule du loup quand Verhofstadt estime qu’il faut "en finir avec l’interdiction de "prester" plus de huit heures par jour" et que "l’interdiction de principe des heures supplémentaires est dépassée". Un autre modèle de flexibilité imposée se profile.

En France
C'est au niveau politique que le débat a été relancé ces derniers mois. Nicolas Sarkozy estime que les entreprises doivent pouvoir accroître le temps de travail pour profiter pleinement du retour de la croissance. Le gouvernement continue d'affirmer qu'il faut "assouplir les trente-cinq heures". Si pour nos gouvernants, il s'agirait de permettre à ceux qui voudraient gagner plus de travailler plus, pour le patronat il s'agit de faire travailler plus pour le même salaire, voire pour un salaire moindre. Car le patronat ne demande nullement l'abolition de la loi des 35 heures, à laquelle l'ancienne ministre du Travail de Jospin, Martine Aubry, a donné son nom. Le patronat en a en effet retiré bien plus d'avantages que les salariés, à travers les clauses de modération salariale, d'annualisation du temps de travail, de flexibilité des horaires, prévues par la loi et présentes dans la plupart des accords signés entre les syndicats et les patrons. Il a eu l'argent du beurre, et maintenant il veut le beurre en plus.
"Les 35 heures aujourd'hui détruisent des emplois", affirme le président du MEDEF Ernest-Antoine Seillière, qui "souhaite" un débat sur la remise en cause de la réduction du temps de travail. "Il vaut mieux travailler plus et garder son emploi que sacraliser les 35 heures et risquer de le perdre". Pour lui, "l'acquis social doit céder devant la nécessité économique". Le président de la CGPME Jean-Franÿois Roubaud souhaite obtenir "plus de liberté en matière de durée du travail", et plaide pour que les entreprises de plus de 20 salariés puissent "négocier directement avec les salariés, sans nécessairement passer par les syndicats", reprenant à son compte des propositions de la mission Novelli.
Mais ce sont que des gesticulations, car le patronat se sert lui-même, sans même avoir besoin d'une révision de la loi. Car en remettant l'application concrète des 35 heures à des accords de branche, voire à des accords d'entreprise, la loi Aubry a contribué à émietter les forces du monde du travail. Et c'est suivant la même logique, entreprise par entreprise, qu'on voit le patronat entreprendre d'imposer l'allongement des horaires de travail, ou des baisses de salaires, ou les deux, en commenÿant par celles où il craint le moins les réactions des travailleurs, pour s'attaquer ensuite aux autres s'il parvient à ses fins.
Le cas de l'usine Bosch de Vénissieux - baisse de 12% "des coûts salariaux" sur 3 ans, le passage de la durée de travail de 35 heures à 36 heures sans augmentation de salaire, le gel des salaires sur trois ans, la suppression du lundi de Pentecôte et d'un jour de pont payé, la suspension de l'accord d'intéressement pour trois ans, la renégociation individuelle des contrats avec un avenant (les salariés ayant refusé l'avenant ont été licenciés avec des indemnités minimales),..., ceci en contrepartie d'un investissement de 12 millions d'euros évitant une délocalisation, mais pas les suppressions d'emplois (820 salariés actuellement, 464 prévus en 2008) - n'est pas resté isolé. La liste des entreprises qui ont recours au chantage à l'emploi pour tenter d'imposer à leurs salariés des concessions majeures ne cesse de s'allonger. Avec, par exemple, le cas de l'entreprise Ronzat, de Châlons-en-Champagne, qui demande à son personnel de choisir entre le retour aux 39 heures et le licenciement.
Ou celui de Sediver, à Saint-Yorre, dont le patron déclare que le maintien du site n'est "pas envisageable sans aides publiques et sans une réduction des coûts sociaux pour s'aligner sur la moyenne des salaires de la région", ceci pour imposer une baisse de 30% des salaires, accompagnée d'une réduction d'effectifs. Car, prévues dans le cadre de la loi de Finances pour 2005, les aides destinées à lutter contre les délocalisations sont déjà convoitées par certaines entreprises.
"Faire de l'industrie, c'est difficile ici en raison des charges sociales et du manque de flexibilité de la plupart des législations européennes. A terme, il y aura donc moins d'usines en Europe." déclare le PDG de Nexans, qui a engagé en 2002 un processus de réduction de ses effectifs européens. En France, ses 7 sites ont déjà perdu 280 emplois à fin 2003 et ce n'est pas fini. Il se dit prêt à négocier avec les syndicats une augmentation du temps de travail dans ses usines franÿaises. "Nous l'avons déjà fait depuis deux ans dans l'un de nos sites allemands. Les salariés ont accepté de travailler 39 heures payées 35 à la condition qu'une correction salariale soit possible à partir de 2005, ce qui sera bien le cas".
Le groupe franÿais Doux, numéro un européen de la volaille, avait dénoncé voici un an et demi un accord de 1999 sur les 35 heures, signé à l'époque par la seule CFDT. Les négociations entamées au printemps avec les partenaires sociaux n'ont pas abouti, d'où une application stricte de la loi à compter du 1er juillet dernier et la suppression des 23 jours de RTT accordés à ses salariés. Selon la CFDT, le groupe Doux a reÿu 50 millions d'euros des pouvoirs publics lors de la mise en place des 35 heures. Le groupe compte quelque 13.000 salariés, dont 3.500 dans une dizaine d'établissements de l'Ouest et 2.500 dans le Nord, et 7.000 à l'étranger. Il avait par ailleurs annoncé, fin juillet, un plan de suppression de quelque 300 emplois.
Il faut ajouter SEB dans les Vosges, Cattinair dans le Doubs qui remettent en cause les accords sur les 35 heures.

Pour les patrons, les droits des salariés doivent voler en éclats, ils veulent une société où les salariés travailleront de plus en plus, pour pas cher et sans avantages particuliers. En rognant sur les salaires, en diminuant les effectifs par des licenciements ou des suppressions de postes, en augmentant les cadences de travail, en allongeant dans bien des cas le temps de travail réel, le patronat s'efforce sans cesse d'augmenter ses profits. L'exploitation capitaliste n'appartient pas qu'au passé. Ce qu'un journaliste de La Tribune appelle le "grand soir" du patronat signifie pour les salariés une grande régression sociale, qu'il ne faut pas laisser passer. Aux attaques constantes menées avec l'appui des gouvernements, nous devrons répondre un jour, si nous ne voulons pas voir une partie d'entre nous jetés à un moment ou un autre à la rue, pendant que ceux qui garderont un emploi devront supporter des conditions de travail de plus en plus difficiles, pour un salaire de misère. Et les salariés ne doivent pas seulement se défendre quand ils sont directement menacés par des licenciements ou soumis à des chantages à la délocalisation, quand ils ont le dos au mur, mais solidairement, tous ensemble, pour pouvoir utiliser la force que leur donne leur nombre et leur place dans la production.
Camille, OCL Reims

Encart 1
En France, une histoire de 160 ans...
En 160 ans, la durée du temps de travail est passée de plus de 3.000 heures par an à quelque 1.600 actuellement pour les salariés à temps plein. Principales étapes :
1841. Travail des enfants de moins de douze ans limité à 8 heures par jour.
1848. Semaine de 84 heures (3.025 heures annuelles). Maximum de 12 heures par jour pour les ouvriers des usines et des ateliers mécanisés.
1900. Semaine de 70 heures et, dans l’industrie, journée de travail de 10 heures.
1906. Semaine de 60 heures et instauration d’un jour hebdomadaire de repos.
1919. Journée de 8 heures par jour, six jours sur sept, soit une semaine de 48 heures.
1936. Par la loi du 20 juin, deux semaines de congés payés et semaine de 40 heures sans perte de salaire instaurés par le Front populaire, mais de nombreuses dérogations sont accordées dès 1938.
1956. Par la loi du 27 mars, troisième semaine de congés payés.
1962. Le 29 décembre, accord chez Renault où est signé la 1ère convention collective comportant la quatrième semaine de congés payés.
1965. Le 20 mai, accord général étendant la quatrième semaine de congés payés à toutes les entreprises relevant d’une branche d’activités dont l’organisation professionnelle adhère au CNPF.
1968. Le 2 mai, généralisation par la loi de la quatrième semaine de congés payés.
1982. Par la loi, semaine légale de 39 heures et la cinquième semaine de congés payés.
1996. Loi Robien incitant financièrement les entreprises à réduire le temps de travail pour créer ou sauver des emplois.
1997. A l’issue, le 10 octobre, de la conférence sur l’emploi, le temps de travail et les salaires, Lionel Jospin déclare que le passage aux 35 heures se fera en l’an 2000.
1997. 10 décembre, le projet de loi Aubry sur les 35 heures est adopté en Conseil des ministres.
1998. 14 mai, vote définitif à l’Assemblée nationale du projet de loi Aubry.
2000. 19 janvier, 2ème loi sur les 35 heures.

Encart 2
Les neuf mesures proposées par la mission Novelli
Le rapport "invite les partenaires sociaux à engager une réflexion sur la définition du partage des compétences entre la loi et la négociation collective qui serait entérinée par le législateur avant la fin de la présente législature". Il précise aussi que "la mission considère que la question de la durée du travail doit relever de la compétence de la négociation collective, à l'exception de la définition des durées maximales du travail".
L'expérimentation de dérogations à la durée légale de 35 heures est la proposition la plus provocante, devant l'octroi d'une autonomie aux entreprises par rapport aux accords de branche préexistants.
Si l'on ne compte que les mesures proposées par le rapport qui ont un lien direct avec les 35 heures, les propositions de la mission d'évaluation de la législation sur le temps de travail sont au nombre de neuf, dont huit doivent être mises en úuvre rapidement :
2 mesures générales :
- "Instituer la possibilité pour les accords d'entreprise de déroger aux dispositions des accords de branche, même préexistants en matière de réglementation du temps de travail."
- "Ouvrir, à titre expérimental, une possibilité de dérogation, par la voie conventionnelle, à la durée légale du travail."
4 mesures ciblées sur les PME :
- "Mutualiser les heures supplémentaires dans les entreprises." Au lieu d'affecter un contingent d'heures supplémentaires à chaque salarié, le volume serait globalisé et son usage pourrait être concentré sur certains salariés.
- "Instaurer un dispositif d'exonération des cotisations sociales salariales pour les heures supplémentaires qui se substituerait à la majoration que doit actuellement verser l'entreprise au salarié" pour les employeurs de 20 salariés ou moins. Cela représenterait un complément horaire d'un peu plus de 20 % pour chaque heure supplémentaire. C'est deux fois plus que les 10 % de majoration actuels, mais c'est toujours inférieur à la majoration classique qui est de 25 %.
- "Favoriser la mutualisation des ressources des PME", notamment en matière de formation ou d'activités sociales, afin de renforcer leur attractivité.
- Réfléchir à un "code dédié aux PME permettant l'octroi à leurs salariés d'un certain nombre de garanties nouvelles."
2 mesures ciblées sur la fonction publique :
- "Généraliser le dispositif de compte épargne-temps" et permettre sa "monétisation" c'est-à-dire le paiement des jours de RTT.
- "Ouvrir des possibilités de modulation nouvelles." Il est proposé d'organiser le travail sur une base de 1.440 heures annuelles, soit une moyenne hebdomadaire de... 31 h 30, 160 heures supplémentaires en quelque sorte restant à la disposition des chefs de service.
A plus long terme, s'attaquer au tabou de la durée légale du travail

Encart 3
Marx et la réduction du temps de travail
"Vous connaissez tous la loi de 10 heures ou plus exactement de 10 heures 1/2, mise en vigueur en 1848. Ce fut un des plus grands changements économiques dont nous ayons été témoins. Ce fut une augmentation des salaires subite et imposée non point à quelques industries locales quelconques, mais aux branches industrielles maîtresses qui assurent la suprématie de l'Angleterre sur les marchés mondiaux. Ce fut une hausse des salaires en des circonstances singulièrement défavorables. (Ö) Tous les porte-parole officiels de l'économie de la bourgeoisie "prouvèrent" (Ö) qu'on sonnait ainsi le glas de l'industrie anglaise. Ils prouvèrent qu'il ne s'agissait pas d'une simple augmentation des salaires, mais bien d'une augmentation des salaires provoquée par une diminution de la quantité de travail employée et fondée sur cette diminution. Ils affirmèrent que la douzième heure que l'on voulait ravir aux capitalistes était précisément la seule heure dont ils tiraient leur profit. Ils annoncèrent la diminution de l'accumulation du capital, l'augmentation des prix, la perte des marchés, la réduction de la production, et, pour conséquence inévitable, la diminution des salaires et finalement la ruine. (Ö) Eh bien ! quel en fut le résultat ? Une hausse des salaires en argent des ouvriers d'usine malgré la diminution de la journée de travail, une augmentation importante du nombre des ouvriers occupés dans les usines, une baisse ininterrompue des prix de leurs produits, un développement merveilleux de la force productive de leur travail, une extension continuelle inouïe du marché pour leurs marchandises."
Salaire, prix, profit
Extrait du Capital


LES NOUVELLES FORMES DU MARIAGE ECOLE- ENTREPRISE

« L’entreprise est une école ; l’école est une entreprise » (Mme Gentzbittel, proviseure de lycée)

Cet article présente quelques-unes des mesures gouvernementales et patronales, déjà prises ou à venir, concernant l’école et la formation. Il tente d’en révéler la logique et les conséquences : une dégradation, sciemment provoquée et menée à un rythme forcé, des conditions d’éducation des classes populaires, étroitement liée à une généralisation de la précarité et de la flexibilité salariales et sociales.
L’article fait apparaître ces mesures dans des paragraphes juxtaposés, comme des pièces d’un puzzle qui dessinent des tendances prioritaires du projet capitaliste mondialisé en matière d’éducation et de société.

Le projet scolaire s’est progressivement imprégné du discours économique du capitalisme mondial, pudiquement rebaptisé « libéral », qui voit dans l’école un instrument de formation et de formatage à adapter aux nouveaux besoins des entreprises. L’ERT (European Round Table), club européen de réflexion patronal, ne s’en cache pas : « L’éducation doit être considérée comme un service rendu au monde économique » (Rapport, 1995).
Il s’agit de soumettre de plus en plus l’école à des finalités exclusivement économiques et d’insertion, au service des patrons, et de gérer au moindre coût pour les finances publiques ce service, public ou privé, d’éducation.

La future loi d’orientation sur l’éducation : des formes plus radicales de tri social
Le rapport de la commission Thélot doit servir de support au projet de loi d’orientation sur l’éducation. Ce projet devrait être présenté au conseil des ministres en décembre prochain, pour être examiné par le parlement début 2005 et entrer en application à la rentrée 2006.
Le rapport établit un SMIC culturel :
Pour tous, un « socle commun de l’indispensable », comprendrait « la langue » (le français), « les maths, l’éducation à la vie en commun, l’anglais de communication internationale et les technologies de l’information » (ordinateurs, multimédia, internet, logiciels éducatifs…) (1). On cherche à réduire l’enseignement à un formalisme de compétences hiérarchisées et fétichisées.
Il est à souligner que les « compétences de base » à acquérir préconisées dans le rapport Thélot sont les mêmes que celles qui sont recensées par la Commission européenne, dans son rapport sur les objectifs concrets futurs de formation (2001) : « techniques de l’info, langues étrangères, culture technologique, esprit d’entreprise, aptitudes sociales »… Dans ce « socle commun », aucune place n’est laissée à la culture générale, qui apparaît d’emblée comme superflue pour certains, puisque l’accès en serait refusé aux jeunes « en grande difficulté scolaire ».
Les disciplines citées sont, avec le volet idéologique de « l’esprit d’entreprise » et l’éducation à la « citoyenneté », les compétences de base qui constituent le « savoir » minimum pour être employable et le socle de la « formation tout au long de la vie »…
Il hiérarchise nettement les disciplines
Seraient obligatoires aussi des disciplines jugées « moins fondamentales » (sic!) : les sciences, le travail manuel, l’éducation physique et sportive, une seconde langue…
Il reconstitue des filières ségrégatives
Des options seraient prévues. Un élève pourrait être appelé à passer l’essentiel de son temps à l’apprentissage du « socle », pendant que ses camarades s’initieraient à d’autres matières.
L’obligation faite aux élèves de faire des choix de « diversification », donc d’orientation précoce, se ferait dès la 5°, à 12 ans. Les professeurs seraient de plus en plus mis à contribution pour ce tri précoce, auquel les parents concernés donneraient leur assentiment.
Dans cette même logique, la spécialisation des lycéens (en lycée général et technologique) se ferait dès la seconde, au lieu de la première.
La formation initiale apparaît ainsi réduite et devient minimaliste pour un grand nombre de jeunes. On veut mettre en place un système qui ouvre la voie à un tri précoce des enfants, au nom d’un « échec scolaire » dont on veut leur faire porter la responsabilité.

Dès aujourd’hui, des signes avant-coureurs existent.
Tout d’abord, au collège, la « nouvelle troisième », testée aujourd’hui à titre « expérimental ». Un arrêté ministériel de juillet stipule que l’expérimentation de cette « nouvelle troisième » va être généralisée en septembre 2005. La « nouveauté » consiste à définir un « socle » de 25h30 de cours pour dégager des options, pendant 3 et jusqu’à 6 heures par semaine : « Dans le cadre des enseignements facultatifs, les élèves peuvent suivre un enseignement soit de langue vivante étrangère ou régionale, soit de latin, soit de grec, soit de découverte professionnelle », considérée ouvrir l’élève à un futur métier. Bien que ces options soient hypocritement présentées comme « ouvertes à tous », il est évident que celle de « découverte professionnelle » aura un caractère socialement discriminant. Il ne s’agit plus seulement de créer, à côté du cursus dit « normal », des structures spécifiques, d’ailleurs fort contestables, pour les élèves dits « en difficulté », comme l’ont été les classes de 4° et 3° technologiques par alternance, qui étaient dérogatoires et expérimentales, ou les 3° d’insertion; il s’agit désormais d’institutionnaliser la fin d’une scolarité commune (commune ne veut pas dire uniforme) jusqu’à 16 ans, en créant des enseignements socialement différenciés au sein même du cursus dit « normal », avec amputation pure et simple de certaines matières : ainsi, selon les options « choisies », tous les élèves ne bénéficieront pas de l’apprentissage d’une seconde langue, ce qui ferme d’emblée à certains, et de façon irréversible, l’accès aux lycées généraux et technologiques et les oriente dès 14 ans vers la voie professionnelle courte ou l’apprentissage. De plus, que signifie cette « découverte professionnelle », sinon la préparation de la main d’œuvre des entreprises locales ?
Il s’agit bel et bien d’une orientation précoce et d’une orientation par l’échec.
L’objectif est de réduire la prolongation des études : des jeunes doivent se préparer à se faire virer bien avant 16 ans du collège (- des économies de plus pour le secteur public…).
Autre signe d’appauvrissement de la formation initiale, la réduction ou la suppression d’enseignements. Elle est à l’œuvre, dans les lycées, au travers de la suppression massive d’options ainsi que de matières, obligatoires mais laissées jusqu’ici au choix des élèves; au travers également de suppressions dans les disciplines technologiques et en langues vivantes, ainsi que dans les langues à « faible diffusion ». De plus, la suppression des classes de première d’adaptation dans les lycées technologiques remet en cause la possibilité pour des jeunes issus des lycées professionnels de poursuivre leurs études, après le BP (brevet professionnel), pour obtenir un baccalauréat.

Par ailleurs, l’offensive capitaliste se fait aussi sur le terrain idéologique.

Masquer les inégalités sociales, promouvoir le « mérite » et « l’esprit d’entreprendre »
Il s’agit « d’encourager les jeunes à prendre en main leur destin par l’initiative économique » (Ferry). Pour cela, les programmes des TPE (travaux personnels encadrés) en lycée, IDD (initiative de découverte) en collège, PPCP (projet pluridisciplinaire à caractère professionnel) en lycée professionnel intègrent ce thème, et l’opération « Envie d’agir », qui incite au bénévolat, doit valoriser ces projets. Dans ce dernier cas, on remplace la justice sociale et la solidarité par la charité (laïque…).
« La vie est dure. Le système éducatif se doit de préparer les jeunes à ce défi » a déclaré Fillon, en août dernier. Le défi, c’est de faire passer les inégalités sociales pour des inégalités de mérite purement individuel, de mettre en avant la responsabilité individuelle dans la vie de chacun et de renforcer l’esprit de concurrence et de compétition.

Des établissements scolaires gérés comme des entreprises et mis en concurrence
« Les établissements doivent être gérés comme des unités de production autonomes. On ne doit pas dire : l’élève est au centre du système éducatif, mais : le client est au centre du marché. Les enseignants qui ne s’adapteront pas seront hors jeu » (Boisivon, responsable de la commission éducative de l’Institut de l’entreprise, lié au Medef).
Au nom des économies budgétaires, on organise la pénurie des moyens.
D’où, avec la LOLF (loi de finances), une enveloppe globale ridiculement faible qui est attribuée à chaque établissement et que son chef gère en fonction de ses priorités (une manière de faire disparaître des crédits pédagogiques et donc de raboter tout ce qui offrait des marges de manœuvre et d’innovation) ; d’où des suppressions drastiques de postes (en 3 ans, près de 70 000 postes ont été supprimés, dont 50 000 aides-éducateurs, 2 500 personnels administratifs. D’ici 2006, quelque 20 000 postes seront supprimés dans les établissements) et la fermeture des concours de recrutement ; d’où les statuts précaires qui s’empilent et empirent d’année en année (des vacataires sont recrutés à la place des contractuels, parce que plus précaires encore); d’où, pour mettre tout le monde au pas, le renforcement de la hiérarchie des établissements ainsi que des pouvoirs locaux et régionaux.

La loi d’orientation qui se prépare confirme une évolution profonde vers un système éducatif plus dual : au sommet, un enseignement supérieur et technique hautement performant mais doublement contrôlé par le patronat : au titre de futur employeur et au titre d’investisseur dans les services éducatifs marchands. En dessous, un enseignement de base pour tous, qui restera largement public, mais dont la mission première ne sera plus d’apporter aux jeunes un bagage commun de connaissances et de culture, mais bien de leur faire acquérir les compétences de base nécessaires à l’exercice d’un emploi peu qualifié ou à un recyclage permanent. Le tout saupoudré d’une « éducation citoyenne » qui, mise en contexte, fait furieusement penser à l’instruction civique des ouvriers du XIX° siècle.

Un mythe qui a la vie dure : le chômage serait dû aux défauts de la formation.
Or, c’est la politique économique, industrielle et sociale du système capitaliste qui est cause du chômage.
Si des patrons se plaignent de difficultés de recrutement, celles-ci tiennent à des causes structurelles : le manque d’attractivité de certains métiers et entreprises en termes de conditions de travail, de salaires (bâtiment, restauration)
Il n’y a aucun lien de causalité entre le niveau de la formation de la force de travail et le niveau de chômage. Certes, sur le plan individuel, le risque de chômage est étroitement corrélé au niveau de qualification, mais le marché du travail fonctionnant selon la logique de la file d’attente, le mieux doté l’emporte sur le moins bien formé. Mais cela ne change rien au nombre d’emplois disponibles : la qualification ne crée pas d’emplois supplémentaires.
Le nombre de postes où les employeurs ne trouvent pas la qualification nécessaire correspond à peine à 10% du nombre des chômeurs. Le phénomène est marginal.
Mais aujourd’hui les patrons ont les moyens de demander des jeunes « avec expérience », qu’ils demandent à l’école de produire ; ce que, par définition, elle ne peut pas faire, sauf à tuer sa fonction spécifique d’éducation.
Le credo patronal de l’alternance
L’ERT a déclaré: « Il est indispensable que les jeunes acquièrent une année d’expérience pratique en entreprise. Ces stages leur permettront d’intégrer l’esprit d’entreprise et les « savoir-être » qui font les bons travailleurs. La modification des attitudes et le renforcement de la motivation impliquent qu’on prenne davantage conscience que l’individu a l’obligation de faire preuve de souplesse. »
On assiste à une généralisation des stages « découverte dans les entreprises », dès le collège, pendant et hors vacances scolaires. Une ordonnance, en 2003, modifie un article du code du travail pour que les entreprises puissent accueillir des élèves de plus en plus jeunes, sous forme de stages d’application, de visites d’information, de séquences d’observation, de stages d’initiation et/ou de périodes de formation . La même année, par décret, le gouvernement permet à des élèves de moins de 16 ans en stage en entreprise d’utiliser des machines, des appareils ou des produits dont l’usage était proscrit aux mineurs par le code du travail.
Les stages de 12 à 24 semaines deviennent systématiques pour les élèves des lycées professionnels.
Des stages gratuits se développent dans de nombreuses formations universitaires. L’Association française des banques a déclaré: « (Les jeunes) qui sont fournis par la formation en alternance connaissent nos métiers, nos produits, nos clients et sont donc plus rapidement opérationnels quand on les embauche. »
La loi sur la formation professionnelle de 2003 crée des contrats de professionnalisation en alternance. Le contrat de professionnalisation remplace les trois autres contrats : de qualification, d’adaptation, et d’orientation. Ces trois contrats, accessibles de 16ans à 18, 22 ou 26 ans, duraient de 6 mois à 2 ans et variaient de 30% à 80% du SMIC.
Le contrat de professionnalisation concerne des jeunes avec ou sans qualification, des chômeur-ses sans critère d’âge et des « seniors ». Sa durée est de 6 mois à 1 an, 2 ans dans certains cas. La part de formation est moins importante : le contrat de professionnalisation ne prévoit que 15% de temps de formation (au lieu de 25% en contrat de qualification), le reste du temps étant consacré au travail en entreprise. La « rémunération » pour les jeunes est légèrement augmentée, mais celle des adultes diminue : pour les moins de 21 ans, la rémunération est à 55% du Smic, plus 10 points si titulaires d’un bac professionnel ou équivalent ; pour les 21 à 26 ans, on passe à 70% du Smic ; pour les plus de 26 ans, à 85% du RMA de la convention collective de branche.
C’est un contrat de paupérisation du monde du travail et un renforcement de l’exploitation sur toute la ligne, un contrat d’insécurité sociale pour construire l’employabilité des « accidentés » du collège, et les insérer dans un emploi plus ou moins subventionné.

Tout pour l’apprentissage
L’apprentissage est présenté aux jeunes en difficulté comme la panacée quand, dans le même temps, la voie scolaire professionnelle est menacée.
L’objectif gouvernemental (plan de cohésion social de Borloo) est de « faire passer le nombre d’apprentis de 365 000 en 2003 à 500 000 en 2007, en augmentant les entrées annuelles de 5 à 10%, soit 20 000 à 30 000 contrats de plus ». Avec à la clé une incitation fiscale accordée aux entreprises : pour les appâter, il est envisagé d’instituer un nouveau crédit d’impôt par apprenti (1600 euros par apprenti et par an)
Apprentissage et formation en lycées professionnels sont mis de plus en plus en concurrence. Déjà on assiste à une disqualification des CAP, BP (brevets professionnels), face aux dispositifs de contrats-jeunes plus rentables pour les patrons : salaire inférieur au Smic, réduction des charges sociales, exonérations fiscales…
L’apprentissage n’offre qu’un choix limité à des métiers manuels, pénibles, peu rémunérés et socialement dépréciés. Les apprentis touchent de 25 à 78% du Smic en fonction de leur âge et de leurs qualifications ; ils ont des horaires très souvent démentiels (jusqu’à 60h par semaine dans la restauration) et le gouvernement a fixé à 8h au lieu de 7 la durée journalière de travail pour les moins de 18 ans. Pour qu’ils se sentent revalorisés, les apprentis seraient appelés des « étudiants des métiers » !

Partenariats et servitudes : Education nationale - Medef
En 2002, a été signé un contrat de collaboration Medef Poitou-Charentes et rectorat de l’académie de Poitiers pour cinq ans, reconductible. Il s’agit de mettre au travail les élèves en assurant la formation et l’insertion professionnelle des jeunes du collège au lycée. Cette charte prépare l’adaptation des formations au bassin d’emploi et limite l’offre de formation dans la région (des jeunes partiront). Elle impose au rectorat de soumettre au Medef toute proposition de modification des structures pédagogiques des lycées. Le patronat exerce une tutelle de fait sur l’offre de formation. Les co-signataires élaborent les documents et méthodes pédagogiques des enseignants ; le patronat s’immisce ainsi dans les programmes scolaires. Ce n’est pas seulement l’enseignement professionnel qui est mouliné par la pédagogie des entreprises : le haro est lancé sur les collèges, les lycées technologiques et généraux, car le Medef « place les problèmes d’éducation, de formation et d’orientation au centre de ses préoccupations ». Pour cela enseignants, parents et élèves sont mis sous la tutelle de l’organisme patronal.
Autre exemple : une brochure « Ecole-entreprise », véritable panégyrique du Medef, a été coproduite par le rectorat et le Medef Languedoc-Roussillon. L’éditorial est éloquent : « Ecole-entreprise : un mariage de raison ». Une Convention de partenariat lie le Medef et l’Académie de Montpellier, organisant entre autres la concertation à propos de la carte des spécialités professionnelles.

Lycée des métiers : une plate forme de formation en flux tendu pour répondre au « bassin d’emploi »
Y sont accueillis tous les types de publics possibles, en formation initiale ou continue (de l’apprentissage aux formations professionnelles supérieures).
C’est la voie royale pour créer d’étroites relations entre lycée-entreprises locales, pour mettre l’enseignement professionnel et technologique sous la tutelle et au service exclusif des bassins industriels locaux : mise à disposition des locaux, du matériel et des personnels pour les entreprises locales (il s’agit d’optimiser les investissements des régions dans l’apprentissage et les lycées professionnels) ; formation à flux tendu et flexible en fonction des besoins immédiats des patrons (le lycée devient « le supermarché de l’entreprise »); formations- maison commandées par le patronat local. Les enseignements généraux sont réduits ou disparaissent, au profit de la validation de compétences utiles aux besoins des entreprises.
Le futur salarié ne sera jamais totalement formé, ce qui justifie « la formation tout au long de la vie » et son va-et-vient entre école et emploi au gré des besoins des entreprises

La « formation tout au long de la vie » ou la promesse de n’être jamais considéré comme formé ou qualifié
La formation du XXI° siècle apparaît comme un instrument ayant pour fonction de maintenir le coût du travail dans une fourchette raisonnable. Elle doit prévenir le risque de déficit démographique (départ en retraite, baisse de la population active…) qui pourrait voir s’envoler les salaires et donc le coût du travail. D’où la réforme de la formation permanente, qui veut « rendre chacun acteur de son évolution professionnelle et coresponsable de sa qualification ». Pour cela, rien n’est plus efficace que le volontariat contraint, pour une formation hors temps de travail (= co-investissement !)
Le salarié doit être un collaborateur de l’entreprise et se doit de se former du berceau au tombeau pour assurer son « employabilité » (c’est à dire rester compétitif sur le marché du travail). La formation n’est plus principalement un critère de promotion dans l’entreprise, ni de progression salariale ; elle devient la condition du maintien dans l’emploi.
La formation tout au long de la vie a des conséquences sur la formation initiale donnée par l’enseignement primaire et secondaire: cette dernière peut être revue à la baisse et réduite au strict minimum (cf. le recentrage sur les « socles » : français, maths, anglais comme code international, utilisation de l’informatique, esprit d’entreprise) et l’accent est mis sur la professionnalisation précoce des apprentissages scolaires. Tout se tient.
D’autres modes d’apprentissage, - « l’éducation non formelle » (hors établissements de formation, sur le lieu de travail ou dans des activités associatives) et « informelle » (activités de la vie quotidienne) - sont mis sur le même plan que l’éducation « formelle » donnée dans les écoles. Selon le rapport de l’OCDE (1998), la mondialisation économique, politique, culturelle rend obsolète l’école et, en même temps qu’elle, l’enseignant. Ainsi, plus besoin des enseignants ; des professionnels rémunérés ou des bénévoles feront l’affaire. Le secteur privé se voit confier le soin de définir des formes innovantes d’évaluation et de reconnaissance des savoirs. Ainsi, le système éducatif est dépossédé du monopole de validation des connaissances acquises et de délivrance des diplômes.
L’entreprise s’impose comme un lieu de l’acquisition des compétences. Rôle qui justifie, selon le Medef, son droit de regard dans les procédures de validation, jusque-là du seul domaine du système éducatif.

La compétence plutôt que le savoir
Il faut « accorder la priorité au développement des compétences professionnelles pour une meilleure adaptation des travailleurs aux évolutions du marché du travail » (Conseil européen, 1997)
Les savoirs transmis par l’école sont jugés inutiles, trop vite obsolètes. Les patrons privilégient l’acquisition de compétences qui peuvent être mises en œuvre de manière plus souple.
« La compétence est la mise en œuvre des ressources d’un individu associé à des moyens fournis par l’entreprise, dans une situation de travail donnée » (Alain Dumont, Medef). « L’enseignement doit apporter des compétences plus que des savoirs. Chacun doit apprendre à être entrepreneur de soi-même » (M. Bengtsson, directeur du CERI-OCDE). Le mot compétence est toujours lié à celui d’employabilité. Dans ce contexte, la hiérarchie, le chef sont importants: « Il n’y a pas de compétence collective. Il y a un homme qui a été capable de coordonner et d’animer les ressources d’une équipe pour aboutir à un résultat » : un langage dans la pure veine militaro-sportive. Ce qui compte donc, ce ne sont pas les acquis, qui renvoient à des droits sur un poste de travail, c’est la compétence. Le diplôme n’est et ne sera reconnu qu’en fonction de ce critère, en fonction de l’initiative et surtout des fonctions (tâches) qui y correspondent.

Remise en cause des diplômes et de leur reconnaissance nationale.
Seillère (Medef) déclare en 2002 : « Il nous faut faire en sorte de tout faire (sic) enfin pour que la rigidité du système des diplômes et des qualifications soit atténuée par une meilleure prise en compte des compétences de chacun dans son travail quotidien ».
On passe d’une logique de qualification à une logique de compétence (salaire en fonction de l’évaluation des compétences individuelles).
Les formations nationales doivent s’estomper au profit de compétences spécifiques aux besoins du bassin d’emploi. En concurrence avec les formations nationales, il existe des certifications (CQP=certification de qualification professionnelle) : les branches professionnelles ont le pouvoir de définir des objectifs de qualification (qui évacuent toute culture générale), leurs principes et modalités de validation. La tendance est à la disparition des grilles conventionnelles de classification professionnelle (qui assuraient égalité et reconnaissance nationale des types de postes et des diplômes) et à leur remplacement par un système de classement par fonctions, « activités » et « missions », codifié dans les nouvelles conventions collectives. La formation n’est plus définie en terme d’émancipation mais en terme d’emploi. Le diplôme est réduit à sa fonction d’accès à l’emploi.

Validation des acquis de l’expérience (VAE) : à charge de l’individu
La loi de janvier 2002 reconnaît l’expérience professionnelle et individuelle en équivalence du diplôme moyennant l’obtention d’une certification.
Les VAE sont limités à des compétences. Les travailleurs sont renvoyés à leur responsabilité individuelle. Au salarié de se débrouiller pour financer sa VAE ; avec quels moyens pour les organismes, quelles aptitudes des personnels, pour quels choix ? Des entreprises trouvent leur intérêt : elles vont envoyer des personnels en VAE pour fidéliser les salariés, développer leur employabilité, favoriser la mobilité professionnelle. Pour elles, la VAE est un outil de gestion des ressources humaines (pour rationaliser les coûts de formation, anticiper reclassements et licenciements, individualiser le salaire). Elles font des économies en temps et coût de formation, qui est à la charge de l’individu.

Les îlots de formation technique individualisée, un type de formation flexible, adaptable et « sur mesure »pour les patrons
Mis en place depuis quelques années, les IFTI sont une émanation de la très puissante UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie). Objectif : réussir, et en particulier avec l’aide des outils technologiques de l’informatique (enseignement à distance et « autonome », sur le temps libre des salariés et à leurs frais, ce qui permet de réduire les coûts) à organiser de la formation « en juste à temps » (flux tendu), au plus près des besoins des entreprises, et ce de manière individualisée. Cela accompagne et renforce la perte des références collectives : il s’agit de « rendre à l’individu la responsabilité de son parcours ».

Le passeport formation ou le retour du livret ouvrier (2)
Pour entrer dans une autre entreprise, il faudra un passeport sur lequel figureront les diplômes obtenus ou autres, les actions de formation suivies, les emplois tenus dans une même entreprise, les décisions en matière de formation, prises en entretien ou lors d’un bilan de compétences. Il s’agit de se former …tout en étant contrôlé tout au long de sa vie.


La présence de plus en plus envahissante de l’entreprise capitaliste et de ses modèles idéologiques dans l’éducation est une des manifestations de sa marchandisation en cours. Celle-ci est multiforme et emprunte bien des chemins, y compris sous la tutelle de l’Etat, celui-ci assurant le rôle de régulateur des flux de main d’œuvre et mettant sa machine bureaucratique au service d’une adaptation de l’école aux besoins du marché.
Contre la main mise capitaliste sur l’éducation et la formation, qui fait de la formation une marchandise au service des intérêts patronaux, il faut réaffirmer que l’éducation doit être prise en considération comme un bien exemplaire, commun et destiné à tous-tes, irréductible à toute marchandisation. La lutte contre la marchandisation de l’éducation et de la formation passe donc par une réflexion sur le rôle de celles-ci dans la société ainsi que sur la société elle-même, et par des luttes contre l’injustice sociale et ses causes.

Notes :
(1) : Les technologies de l’information occupent une place de plus en plus grande. C’est qu’il s’agit de préparer les jeunes au télé-enseignement : « Il faudra que tous les individus qui apprennent s’équipent d’outils pédagogiques de base, tout comme ils ont acquis une télévision » (Table ronde européenne). Il faut aussi doter les futurs travailleurs des compétences requises par le nouvel environnement technologique, donc qu’ils sachent manipuler une souris et répondre aux injonctions d’un écran. Et puis, l’informatique scolaire constitue un formidable moyen de stimuler le marché des technologies de l’information et des communications.
(2) : Le livret ouvrier a sévi de 1803 à 1890 ; c’était un document obligatoire où étaient inscrits les noms des employeurs, les dates d’emploi du travailleur et les acomptes qui lui étaient versés ; il était visé » par la police ou le maire ; le patron devait en prendre connaissance au moment de l’embauche.
Christine-septembre 2004

Mythes et réalités de la résistance irakienne

La résistance irakienne suscite de nombreuses interrogations. La prise en otages des deux journalistes Christian Chesnot et Gorges Malbrunot a suscité une certaine émotion dans l'opinion publique en France. Mais la complexité du conflit et des acteurs impliqués laisse le plus souvent une impression d'impuissance, qui joue pour beaucoup dans l'inaptitude du mouvement contre l'occupation à se développer. Dans les pays qui ont envoyé des armées, ce mouvement prend appui sur la revendication, simple et évidente, du retour des troupes. Ailleurs, il butte sur la difficulté à analyser le conflit et à trouver une approche adaptée. L'attitude de la résistance irakienne y joue un rôle important. Ce qu'on appelle « résistance » est composé de plus de quatre-vingt groupes ou appellations différentes, recouvrant des réalités matérielles et politiques variées. Il ne semble exister ni de commandement unifié, ni de véritable programme, en dehors du refus de l'occupation coalisée. A plusieurs reprises, des appels à l'unification ont été lancés, sans grand succès. Pour comprendre cet échec, il faut analyser les composantes de cette résistance et la façon dont elle s'est formée.


a) La persistance du Baasisme

Il est évident que la rapidité avec laquelle la guérilla urbaine a débuté dans les grandes villes irakiennes, de même que l'importance des moyens militaires utilisés, n'est pas anodine. Quand on songe qu'Ernesto Che Guevarra suggère, dans ses écrits militaires , de commencer la lutte armée avec une vingtaine d'individus et à peu près autant d'armes de poing, tout en évoquant la longue période de préparation nécessaire, il est évident que dès l'entrée en Irak des troupes coalisées, la résistance était opérationnelle. On parle de 6 millions d'armes, mises en circulation par le régime baasiste de Saddam Hussein avant sa chute - pour une population de 25 400 000 personnes - pour mettre en place des « milices populaires ». Autrement dit, certain d'être incapable de vaincre l'armée américaine et ses alliés, le pouvoir a préparé le passage à la guérilla, seul terrain sur lequel il est en mesure de gagner. L'encadrement d'une partie des groupes résistants serait assuré par l'ancienne Garde républicaine, troupe d'élite de l'armée baasiste, officiellement démobilisée, soit 25 mille hommes et femmes - rappelons que la démobilisation de l'armée irakienne a mis 400 000 personnes au chômage. Ce sont les seuls régiments qui inquiétaient réellement l'armée américaine, qui tenait les milices populaires et l'armée régulière pour militairement négligeable.

Une autre fraction de l'ancienne armée, les Feyadeen Saddam (« ceux qui sont prêt à mourir pour Saddam ») ont frappé l'imagination en raison de leurs costumes de ninjas . Estimés entre 20 000 et 60 000 avant l'occupation, ils ont été formés en 1994 sous l'impulsion de Uday, le fils aîné de Saddam, pour servir de contrepoids à son frère cadet Qusay, lequel contrôlait notamment la Garde républicaine. Entraînées à la dissimulation et au combat urbain, ces unités d'élite forment également un terrain favorable au développement de la guérilla. Les deux frères ont été tués par un assaut américain le 2 juillet 2003 à Mossoul. Même si leur mort a sans doute porté un coup dur à cette fraction de la résistance, elle ne l'a pas arrêtée. Il semble notamment qu'à Damas, l'autre capitale du Baasisme - quoique rivale de l'Irak, la Syrie est toujours dirigée par le « Parti de la renaissance socialiste arabe » ou Baas - s'activent de nombreux officiers démobilisés qui ont reconstitué leur réseau, tandis qu'en Irak même, l'ancien parti au pouvoir se reconstitue progressivement.

Pour comprendre cette persistance du parti Baas, il faut partir de l'emprise qu'il a exercée sur la société irakienne pendant plus de quarante ans et de son insertion dans l'économie irakienne. Authentique organisation totalitaire, le Baas s'est développé à tous les niveaux de la société comme un appareil de contrôle idéologique et politique, un encadrement total de la société, flicage et mouchardage étant organisé par le Parti au pouvoir dans les quartiers comme dans les entreprises, tandis que l'ensemble de l'administration et de l'économie était sous contrôle des membres du Parti. Il a donc développé un appareil tentaculaire, présent à tous les niveaux de la société, avec environ un million de membres, soit un habitant sur vingt-cinq. Si l'adhésion contrainte au Parti, sous peine de vexations ou d'emprisonnement, était monnaie courante, c'est que celle-ci permettait de renforcer le contrôle social. Un tel système génère toute une couche sociale qui, à des degrés divers profite de la position de pouvoir que confère l'appartenance à l'appareil du Parti, à la fois protection et source de revenus complémentaire par la corruption . En outre, à cette organisation politique vient s'ajouter une fonction publique omniprésente - l'économie étant pour l'essentiel étatisée - et une armée dont l'importance allait croissante, avec l'un des budgets militaires les plus élevés du monde dès la guerre Iran-Irak. Celui-ci était alimenté par la rente pétrolière , manne supposée intarissable pour l'un des premiers producteurs du monde, qui lui permet de pourvoir à a survie de cette couche sociale bureaucratique et militaire, sans se soucier trop de son efficacité réelle. Autrement dit, l'effondrement du pouvoir Baas, c'est aussi celui de toute une couche sociale qui n'a pas d'autre choix que de rechercher à tout prix son retour au pouvoir, que ce soit par la lutte armée ou par l'intégration au nouveau régime.

Or, l'administration américaine a opéré un curieux retournement à l'approche du retour à la « souveraineté » de l'Irak. Quelques mois auparavant, elle prônait la débaasisation. Déjà, la vague de grèves ouvrières de l'hiver 2003 avait pour objectif outre la hausse des salaires de s'opposer violemment au maintien des directeurs d'usine liés au parti Baas, soupçonnés de corruption et de prévarication. Mais la nécessité, pour les USA, de mettre rapidement sur pied l'économie et de reprendre contrôle de la société, les a poussés à remettre en selle de nombreux dignitaires baasistes, dont le nouveau Premier ministre Ilyad Alawi, dissident baasiste et affidé notoire de la CIA, en est le symbole même. L'arrestation de Saddam Hussein lâché par les baasistes eux-mêmes, qui semble n'avoir jamais réussi à jouer un rôle de rassembleur de la Résistance, l'absence de programme social clair, le ralliement d'une partie d'entre eux à l'administration américaine et les difficultés à financer les opérations militaires, ont favorisé l'émergence d'un pôle dominant dans la résistance, l'Islam politique.


b) L'émergence de l'Islam politique

Contrairement à l'idée reçue, l'Irak n'est pas une société plus religieuse qu'une autre. Se définir comme Sunnite, Chiite, Mazdéen, Chaldéen, ou l'une des nombreuses religions minoritaires qui y coexistent, n'a de sens que pour les pratiquant-es. En dehors de ceux-là, ce n'est pas une caractéristique essentielle dans une société fortement laïcisée - et cela même avant l'arrivée au pouvoir du baasisme. Au contraire, le pouvoir Baas a largement contribué à renforcer les « identités » religieuses, en persécutant les Chiites - relégué aux rang de Perses, c'est-à-dire d'Iraniens - et les juifs - l'antisémitisme d'état ayant contraint au départ vers Israël (opération « tapis volant ») l'une des plus anciennes communautés juives du monde. La vision communautariste du Baasisme, contrairement à son image relativement moderne, a beaucoup contribué à enfermer la population dans une identité ethnico-religieuse, en revitalisant des systèmes sociaux moribonds. Ainsi, il a attribué, dès 1992, un rôle aux tribus, dont l'évocation suscite le plus souvent l'hilarité de la majorité des irakien-nes, cette population à 70 % urbaine considérant les institutions tribales comme un archaïsme. « On a dit de l'Irak qu'il était un pays ‘laïque’ en ‘voie de modernisation accélérée’. Et, tout à coup, on le décrit comme une société tribale, segmentée, incapable de former un État parlant au nom de tous les Irakiens dans leur diversité » s'étonne l'anthropologue d'origine irakienne Hosham Dawod, qui reconnaît que le chaos actuel favorise un processus de retribalisation sous une forme moderne . Les Américain-es vont se lancer eux aussi, avec de nombreux déboires et mystifications, dans l'exploitation des relations tribales et des cheikhs réels ou supposés .
Avec la guerre de 1991, Saddam Hussein a tenté de s'imposer, au-delà de son image de leader arabe, comme un religieux fervent. A défaut de lui attirer la grâce divine, cela lui a permis d'accueillir de nombreuses organisations islamistes, qui ont pu bénéficier en Irak d'un vaste terrain d'entraînement, avant d'en faire un véritable champ de bataille. En effet, les mouvements islamistes, qui agissent à l'échelle internationale, ont besoin en permanence de théâtres d'opération. Les contrées d'origine des combattants de l'Islam sont le plus souvent trop heureux de voir ces tumultueux jeunes gens quitter le pays natal pour aller se battre en Afghanistan, en Bosnie, en Tchétchénie, en Somalie ou en Irak. Financer l'islamisme à l'extérieur, comme le fait l'Arabie Saoudite, est une bonne manière de le combattre à l'intérieur. « D'après certaines estimations, au cours des deux dernières décennies, les Saoudiens auraient dépensé 100 milliards de dollars pour promouvoir diverses formes d'islamisme à l'étranger. Une partie de ces fonds provenait des collectes d'argent dans les mosquées, les bazars, les écoles, les hôpitaux et d'autres lieux publics à travers le Royaume. Mais les plus gros financements furent directement assurés par l'Etat » explique le politologue Amir Taheri . C'est ainsi que de nombreux jeunes algériens, palestiniens, jordaniens, syriens, saoudiens, etc., sont venus combattre en Irak. Démobilisés en même temps que l'armée, ils n'ont pas beaucoups d'autres alternatives que de faire ce qu'ils savent faire le mieux : la lutte armée. Ces mercenaires ont amené dans leurs bagages de nouvelles formes d'Islam, comme le wahhabisme ou le salafisme, qui comptent parmi les plus intransigeantes et les plus réactionnaires. C'est ainsi que certains experts soulignent les convergences évidentes de style entre les communiqués de l'Armée islamique en Irak et ceux du Groupe islamique armé (GIA) en Algérie . Bien sûr, ces islamistes internationaux sont une minorité en Irak, mais leur entraînement, leur volontarisme et leurs réseaux logistiques leur donnent une capacité d'action importante.

On trouve également des islamistes irakiens ayant opéré à l'étranger, tel Abou Rachid, du mouvement wahhabite Tawid wal Djihad (Unité et Guerre sainte), qui se vante d'avoir personnellement décapité l'américain Nick Berg. Ancien membre de la garde Saddam, expulsé pour son appartenance à un mouvement islamiste, il a tenté de rejoindre l'Afghanistan pour apporter son soutien aux Taliban . Arrivé trop tard, lors du débarquement coalisé en Afghanistan, il est aujourd'hui l'un des « émirs » de Falluja. La mouvance talibane est représentée en Irak par l'Armée des compagnons du Prophète, qui s'est notamment fait connaître par ses menaces de mort à l'encontre de la dirigeante féministe Yannar Mohammed, en raison de son opposition publique à la charia. On ne peut évidemment pas oublier l'organisation du Jordanien Abou Moussab Zarkaoui, considéré comme l'homme al-Qaeda (La Base) en Irak, et auteur de nombreux attentats visant notamment les chrétiens d'Irak. Ce mouvement, incontestablement le plus médiatique et le plus hi-tech à l'échelle internationale, se singularise par sa totale adaptation aux spécificités du capitalisme global et son discours transnational, hostile aux nationalismes arabes et favorable à la constitution d'une vaste umma (communauté) musulmane fondée à la fois sur la charia et le capitalisme le plus avancé. Al-Qaeda est un pur produit de la globalisation capitaliste .

Contrairement aux baasistes, qui n'ont pour eux qu'un immense stock d'armes, mais apparemment de faibles ressources extérieures, les islamistes disposent d'une véritable manne, fournie par les réseaux financiers de l'Islamisme, alliant organisations non-gouvernementales et banques islamiques . Les états islamiques, que ce soit la pétromonarchie saoudienne - qui n'a pas la moindre intention de laisser revenir l'Irak sur la scène internationale du pétrole - ou l'Iran, qui contrairement à l'idée reçue ne finance pas que les mouvements chiites, font partie des généreux mécènes de la résistance. Certains mouvements disposent également de bases arrière en Iran, simple monnaie de la pièce puisque la quasi-totalité des organisations de l'opposition iranienne disposent de camps en Irak. C'est notamment le cas de l'une des plus importantes, le Suprême conseil de la révolution islamique en Irak, qui fait partie du gouvernement provisoire et vient d'intégrer sa milice de plusieurs milliers d'hommes à l'armée régulière de l'Irak.

En effet, tout comme les baasistes, les islamistes n'ont pas mis tous leurs œufs dans le même panier. Certains partis ont choisi la voie gouvernementale, comme d'autres ont opté pour la résistance. Même Moqtada al-Sadr', qui est présenté comme le leader de la résistance chiite - il est l'héritier d'une longue lignée de religieux célèbres - se sert de son mouvement armé essentiellement comme d'un marchepied vers le pouvoir politique, puisqu'il a annoncé à plusieurs reprises la transformation de son Armée du Mahdi en parti politique et sa participation aux élections organisées en 2005. Cela ne doit pas suspendre, dans une région où les partis politiques disposent tous d'organisations militaires. Quelle que soit la méthode qu'ils ont choisie, les mouvements liés à l'Islam politique partagent un programme commun, à quelques nuances près : la mise de place d'un régime fondé sur l'Islam, régi par la charia et instituant l'apartheid sexuel. En outre, ils partagent la même aversion pour les athées et les laïques, les croyants d'autres religions, les féministes, les syndicalistes et les communistes, qu'ils vouent aux gémonies à longueur de colonnes dans leurs journaux. Au mois de juillet, le poète Mohammad Abdul Rahim, qui avait rejoint les rangs du Parti communiste-ouvrier et militait ouvertement contre l'islam politique dans ville de Kut, a été assassiné. Son corps a été retrouvé près de la frontière iranienne, sur la piste empruntée par les troupes du Suprême conseil de la révolution islamique. Ce parti gouvernemental, dont les militants avaient menacé de mort le poète, dénie toute implication.

La meilleure façon d'évaluer la résistance irakienne étant sa pratique, il est intéressant de constater son action, notamment dans les zones passées sous son contrôle. A Cité Sadr, la ville qui porte le nom de famille de Moqtada al-Sadr', les habitants ont fait part des méthodes de terreur employées par les 1500 miliciens de l'armée du Mahdi à l'égard de la population locale . Il faut noter qu'à Nassiriyah, ce sont les ouvriers de l'usine d'aluminium qui ont chassé les troupes de Moqtada al-Sadr' qui tentaient d'occuper l'entreprise pour la transformer en bastion militaire, comme l'a signalé la Fédération des conseils ouvriers et syndicats en Irak . A Bassorah, les différents partis islamistes, qu'ils soient dans la résistance ou au gouvernement, ont instauré un « émirat » dans lequel on ne rencontre presque plus de femmes dans les rues, ou la vente d'alcool et les boîtes de nuits sont prohibées - ailleurs, ils ont été jusqu'à interdire les pique-nique. A Mossoul, ce sont les femmes travaillant dans le milieu médical ou universitaire, qui sont victimes d'assassinats par balles, éventuellement assorties de décapitations. La montée en puissance de la résistance s'est traduite immédiatement par l'instauration de fait d'un apartheid sexuel et a rendu la vie des femmes irakiennes plus dangereuse, plus insupportable encore.

c) A gauche de la résistance ?

On pourrait volontiers imaginer que la résistance irakienne ne soit pas composée exclusivement de baasistes et d'islamistes, et même y rechercher une fraction de gauche, progressiste et laïque. Il est possible que celle-ci existe, mais dans ce cas, elle ne brille pas par son sens de la communication. L'une des nombreuses singularités de la situation irakienne tient dans la participation du Parti communiste d'Irak au gouvernement, avec l'aval des forces occupantes et aux côtés des partis religieux. Il y incarne même, d'une certaine manière, la caution démocratique et joue un rôle non négligeable dans la réorganisation de l'industrie, puisqu'il contrôle une puissante centrale syndicale, la Fédération irakienne des syndicats (IFTU). La tutelle d'un parti gouvernemental n'est d'ailleurs pas toujours bien ressentie par la base syndicale. Cette collaboration a produit une scission nommée Parti communiste d'Irak (cadres), se positionnant fermement comme le flanc gauche de la résistance. S'il critique le rôle des dirigeants religieux, auxquels il reproche de chercher simplement le maintien de leur pouvoir, il n'en prône pas moins l'unité de la résistance, c'est-à-dire l'alliance avec les islamistes et les baasistes, sur fond commun de patriotisme . La question du programme social de la résistance est éludée au profit de la lutte contre l'impérialisme américain.

Le Parti communiste lui-même, jadis le plus puissant du Moyen-Orient, a perdu une partie de ses membres au profit du Parti communiste-ouvrier, dont la double opposition à l'occupation et à l'islamisme, attire un nombre croissant de militant-es. Ce dernier ne participe pas, pour l'instant, à la résistance et dénonce son caractère nationaliste et religieux. Toutefois, il organise, dans les quartiers où il est implanté - principalement des camps de réfugiés et des immeubles squattés - des groupes armés chargés de protéger la population contre le gangstérisme et l'islamisme. L'un de ses dirigeants, Khasro Saya, déclare : « Notre conception de la résistance armée est totalement différente de celles des islamistes et des baasistes qui opèrent actuellement en Irak. Nous nous considérons d'ores et déjà comme un parti armé et, en même temps que d'autres formes de lutte, nous développons nos capacités militaires et nous essayons d'armer les masses et leurs organisations selon une stratégie militaire. Nous luttons de manière à inverser la balance du pouvoir militaire, afin d'expulser les troupes d'occupation, diminuer l'influence de l'Islam politique sur la vie des gens, développer le pouvoir des masses et leur permettre, avec leurs représentant-es, de contrôler leurs propres affaires, aussi bien au niveau des quartiers, des villes, des régions, que du pays entier » . Partisan de l'armement du prolétariat, ce parti refuse énergiquement le recours au terrorisme, dont il dénonce régulièrement le caractère barbare
.
Comment se fait-il que la résistance irakienne soit globalement située à l'extrême-droite, au point de satelliser certaines fractions de la gauche (et de fasciner une frange de l'extrême-gauche) ? On peut apporter de nombreuses réponses, non-exclusives, à cette question. Il faut tout d'abord remarquer que l'entrée en Irak des troupes coalisées a suscité une réaction mitigée de la part de la population irakienne, plutôt favorable au Kurdistan - autonome depuis 1991 sous la tutelle de partis nationalistes proaméricains - et méfiante dans le reste du pays, où l'horreur des années d'embargo entrait en balance avec le renversement du régime fasciste. Le déclenchement quasi-immédiat de la lutte armée est donc plus le fait d'un volontarisme que d'un véritable ancrage dans la société irakienne - même s'il est indéniable que les mouvements de résistance disposent d'une certaine assise sociale, y compris parmi les plus pauvres. C'est le comportement odieux de l'armée d'occupation, en même temps que la généralisation du chômage, qui a progressivement remplacé cette méfiance par de l'hostilité. Les contrôles systématiques, les violences et les vexations, les attaques injustifiées, les bombardements, sont évidemment ressenties comme des agressions. Les révélations sur les détentions arbitraires et les tortures dans la prison d'Abu-Ghraib ont joué un effet important. Mais leur médiatisation a passé sous silence le pire : certaines femmes violées en prison ont ensuite été assassinées par leurs proches pour « laver l'honneur de la famille », ainsi que l'a révélé l'Organisation pour la liberté des femmes en Irak, qui accueille dans des foyers semi-clandestins des femmes menacées de cette peine .

Les islamistes, avec leurs réseaux internationaux, ont su prendre le leadership de la résistance. Le revirement religieux de Saddam Hussein depuis 1991, a favorisé leur implantation et surtout, le rapprochement avec les combattants d'élite issus du démantèlement de l'armée et du parti Baas. Cette position leur permet de satelliser progressivement tout mouvement qui s'engage dans la lutte armée sans véritable programme social. Leur programme ultraréactionnaire en matière sociale, leur ferme volonté d'instaurer l'apartheid sexuel et la charia, sont associées à une pratique libérale - exprimée par leurs réseaux financiers internationaux - qui leur tient lieu de seule pensée économique et qui révèle clairement leur nature sociale capitaliste, sous les apparences les plus archaïques - selon un modèle expérimenté en Iran.

Le mouvement ouvrier, le mouvement des femmes, ne bénéficie pas des largesses d'établissements financiers et d'états, ni d'envois d'armes et de combattant-es. Il ne peut compter que sur lui-même, et sur la solidarité internationale, pour se développer, s'organiser à la base, sous la forme des conseils ouvriers et de conseils de quartier, contre l'occupation et contre la réaction. La résistance, dans l'état actuel des choses, ne lui propose rien d'autre qu'un régime islamique, éventuellement mâtiné de baasisme, dont les actuels « émirats », avec la pratique de la charia, les violences exercées contre les femmes, les exécutions sommaires et le racisme donnent déjà un aperçu de ce que pourrait devenir l'Irak demain. Après avoir massivement dit non à la guerre en Irak, nous ne pouvons laisser ce sinistre scénario s'installer sans chercher, par notre solidarité internationaliste, à soutenir les forces sociales et féministes qui s'y opposent sur le terrain.

Nicolas DESSAUX

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