Courant alternatif no 143 novembre 2004 |
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SOMMAIRE |
Edito p. 3 SOCIAL Le plan de cohésion sociale p. 4 Kamel Belkadi est innocent p. 7 Allemagne : mobilisation contre la régression sociale p.9 Immigration Apprentissage du français : du bénévolat au contrôle p.10 Nantes : "SOS enfants en danger" p.14 Répression Mais qui a piqué les disques durs d'Indymedia p.15 Rubrique Flics et Militaires p. 14 Aux portes du pénitencier Le meilleur des mondes Faucheurs volontaires ; action directe ou politicienne ? p. 18 Les vilaines histoires du plutonium p. 21 International Cote d'Ivoire : la crise couve toujours p. 23 Livres p.24 |
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ÉDITO |
Depuis le printemps 2003, il n'y a pas eu de grosses mobilisations sociales en France, et le gouvernement en a largement profité pour faire passer sa politique de répression et de contrôle accrus sur les couches sociales les plus défavorisées, en particulier sur les immigré-e-s et les chômeurs-ses. Les lois Perben, malgré l'hostilité de la magistrature et des syndicats d'avocats, viennent par exemple d'entrer en vigueur. D'autres réformes, telles que celles annoncées par Borloo (voir p. 4) avec son « plan de cohésion sociale », visent à remettre au travail à moindre coût les personnes sans emploi, à introduire toujours plus de flexibilité dans les contrats de travail et à réduire toujours davantage les rémunérations
Mais l'attaque gouvernementale s'effectue sur bien d'autres terrains que celui des entreprises, et de façon parfois beaucoup plus insidieuse que les grandes mesures sécuritaires, annoncées par d'importantes campagnes médiatiques. Ainsi les dispositions concernant les immigrants et l'apprentissage du français conduisent-elles à une mainmise étatique sur l'activité d'associations qui fonctionnent le plus souvent sous forme de bénévolat (voir p. 10). Au final, pas un secteur de la société n'échappera sans doute à cette accentuation du sécuritaire et du répressif, avec une criminalisation recherchée pour tout ce qui n'est pas aux normes du pouvoir actuel. Face à cette offensive de choc, peu de réactions, donc. La contestation a du mal à dépasser certaines limites pour mettre vraiment à mal la politique menée par Raffarin et Sarkozy. On le voit particulièrement dans les luttes telles que celle contre les OGM : les opérations spectaculaires (voir p.18), avec distribution aux militant-e-s de consignes de non-violence et d'un mode d'emploi visant à empêcher tout débordement, ressemblent furieusement aux actions de lobby type Greenpeace très balisées pour éviter toute initiative individuelle, et visant l'apparition médiatique plutôt que l'efficacité de l'action menée elle-même. Derrière de telles opérations, des organisations comme la LCR voient la possibilité de reconstituer une extrême gauche et y trouvent une raison d'y participer ; on y constate en revanche l'absence du PS (même dans la dernière opération fauchage qui s'est déroulée dans le Poitou, alors que ce parti s'est déclaré anti-OGM dans la région par la bouche de S. Royal). De telles mobilisations cherchent juste à faire acte de « civisme » avec peu de monde. On voit en effet à quel point le contexte politique et social est différent d'il y a quelques années, où les scandales de la « vache folle » et d'autres types de « malbouffe » inquiétaient fortement les populations. Aujourd'hui, leurs esprits sont plutôt tournés vers les moyens de s'en sortir sur le plan économique, la vie devenant pour elles de plus en plus difficile du fait de la politique gouvernementale. De plus, un marché de produits biologiques s'est organisé depuis, et les consommateur-rice-s qui peuvent payer consomment désormais « bio ». Le discours prédominant chez ces anti-OGM contient quelques termes révélateurs des classes sociales auxquelles ils-elles appartiennent : il s'agit d'un point de vue de consommateur (à l'échelle d'un individu et/ou de sa famille), défendant ses droits de citoyen à nourrir sa personne et les siens convenablement, selon une certaine éthique et la recette à la mode dans ces milieux est celle du « commerce équitable » ; finalement cela rejoint lidéologie à la mode qui consiste à prôner des solutions individuelles à des problèmes sociaux : le malaise du travailleur dans lentreprise ne serait finalement quune question de psychologie qui pourrait se résoudre par les conseils distillés à la télé par des cortèges de « spécialistes » ou, par des coaches pour les cadres... ; enfin, l'objectif à atteindre est celui d'un capitalisme soft, avec une défense de la démocratie parlementaire occidentale présentée comme le modèle indépassable. Au final, les acteurs et actrices de tels rassemblements présentent une grande ressemblance avec une partie de la clientèle des mobilisations altermondialistes dans les pays du Nord. Lélection de Bush aux USA ne montre quune seule chose : que la majorité des votants na souhaité aucun changement vis-à-vis de lidéologie impériale, guerrière et puritaine sur laquelle les Républicains ont surfés. Mais les supporter de Kerry sillusionnaient grandement sur les capacités de leur champion à mener une autre politique ! Nen déplaise aux tenants dun capitalisme soft et humaniste qui dominent le mouvement altermondialiste, il ne peut y avoir fondamentalement quune seule politique en régime capitaliste, celle de la recherche du profit et de la croissance, celle donc de la destruction et de la guerre. Les populations dAfrique et dAmérique latine sont bien placés pour en vérifier la réalité ! OCL Poitou |
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Plan de cohésion sociale |
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Selon Borloo, la France est terre de paradoxes : elle vit une crise de lembauche, elle nest pas préparée, du fait des départs en retraite à venir, à une pénurie de salariés denviron un million dici à 2020, elle ne donne pas ses chances au marché des services aux particuliers, elle compte quatre millions de personnes sans emploi et, pourtant, certains estiment quune immigration massive lui sera nécessaire dans certains secteurs dactivité. Le texte sur la cohésion sociale se veut-il en rupture avec ce qui a été fait auparavant ou n'est-il qu'une autre façon de présenter la politique du gouvernement, en voulant lui donner un côté social ?
Retour aux valeurs de la République comme philosophie du Plan de cohésion sociale "La France doit faire face à un chômage structurel et à lexclusion qui laccompagne, aux jeunes sans espoir et aux enfants défavorisés, aux logements insalubres, aux quartiers sans avenir, à une perte de sens de laction collective et de la République, à lintolérance et parfois au racisme. Nous devons répondre clairement, ouvertement à ceux qui se découragent : la République retrouvera légalité des chances ; elle ne transigera pas avec son ambition, elle ne jouera pas avec son avenir." [.] La République doit également se donner les moyens de relancer la mobilité, la libre circulation des talents. Une nouvelle impulsion doit être donnée dans les zones déducation prioritaire, les élèves en fragilité doivent être repérés et suivis aux premiers signes de décrochage, dès la maternelle. Le plan de cohésion sociale adopte une démarche inédite consistant à traiter ensemble les grands problèmes qui mettent en péril la cohésion de notre pays (chômage persistant de longue durée, chômage des jeunes, accroissement du nombre dexclus, crise du logement, délitement des quartiers défavorisés, discrimination, crise du système éducatif à certains endroits, etc.). La réussite de la cohésion sociale sera celle de tous les acteurs collectivités territoriales, entreprises, associations, services déconcentrés de lEtat qui uvrent sur le terrain. [.] Il faut, par ailleurs, rétablir légalité effective des chances en attaquant à sa source linégalité : dans le logement, à lécole, dans les territoires aux charges socio-urbaines écrasantes et aux ressources insuffisantes". Tout est dit dans ces quelques phrases. La remise au travail au moindre coût et avec plus de flexibilitÉ Le marché du travail connaît, dans notre pays, dimportants dysfonctionnements engendrant une durée anormalement élevée du chômage, alors que le nombre demplois non pourvus saccroît et dépasse 500 000. [.] Le chômage massif est devenu une donnée permanente, avec plus de 4 millions de personnes indemnisées ou allocataires de minima sociaux, et toutes les conséquences négatives qui en résultent pour la compétitivité de notre pays. Nous devons le maîtriser dans le cadre dune perspective davenir : lallocation chômage est une indemnité, il faut en faire un investissement, un instrument de retour à lactivité. La période de chômage était un moment deffritement, il faut en faire une étape de reconstruction, au cours de laquelle le rôle éminent de la puissance publique est daccompagner chacun de ceux qui en ont besoin, au nom de lefficacité, mais aussi de la fraternité. Avec 10 000 emplois détruits et 10 000 emplois créés chaque jour ouvrable, le chômage frictionnel est inévitable. Ce qui nest pas acceptable, cest le chômage de longue durée, le chômage dexclusion, le chômage durable des jeunes à la recherche de leur premier emploi". Cette situation serait due à quatre erreurs : non prévision et non organisation de l'offre et de la demande, avoir considéré lemploi comme un stock donné à partager, avoir organisé le contingentement de la population active et la protection systématique de lemploi existant, avoir fait du traitement social du chômage la réponse ultime au manque de travail. "Le retour à lactivité est une priorité absolue. Cest le meilleur rempart contre limplosion sociale et la clé de la dignité individuelle. Le plan de cohésion sociale se présente donc dabord comme un dispositif systématique de sortie dune logique dassistance : tous doivent pouvoir, sous des formes adaptées, retrouver le chemin de lactivité, aussi modeste soit-elle". Ceci doit se faire dans la continuité de "la politique de l'emploi" engagée par le gouvernement : la création dentreprises, une valorisation du travail ("avec une hausse massive du pouvoir dachat du SMIC horaire, une augmentation de la prime pour lemploi et une réforme des retraites destinée à valoriser lexpérience et le travail des seniors"), assouplissement des 35 heures ("pour permettre à ceux qui le souhaitent de travailler plus pour gagner plus"), baisse des charges, contrat jeunes en entreprises (CIVIS), la mise en place dun droit individuel à la formation, les partenaires sociaux ont jeté les bases dune véritable assurance emploi. Pour ce faire, il faut s'inspirer du modèle des pays nordiques, de la Hollande et de l'Irlande. "Dans ces pays, afin de faciliter la réactivité des entreprises et de vaincre leur aversion à lembauche, les contraintes ont été allégées, les statuts et la gamme des horaires de travail diversifiés. En contrepartie, les dépenses de la politique de lemploi sont élevées ; les chômeurs bénéficient dune indemnisation très protectrice et ceux qui peinent à se réinsérer sont rapidement soutenus". Investir dans le logement ou faire du replâtrage ? "Il faut tout díabord investir dans le logement, qui connaÓt aujourdíhui une vÈritable crise. Les causes sont connues : retards accumulÈs dans le logement locatif social, dysfonctionnements du marchÈ locatif privÈ et nous devons les traiter". Le 1er objectif est de revenir ý la construction de 80 000 logements sociaux par an, voir 120 000 en 2009 (au lieu des 50 000 construits actuellement). Les organismes HLM síengageraient ý rÈaliser líobjectif de production prÈvu sur les cinq ans en donnant, pendant les deux premiËres annÈes, une prioritÈ au logement des familles nombreuses et ý la crÈation de maisons relais ; ils síengageraient aussi ý mettre ý niveau le parc existant en apportant les fonds propres nÈcessaires, ý respecter une charte de qualitÈ du service rendu ainsi quíý mutualiser leurs actions : au cas o˜ un organisme ne pourrait tenir son engagement, les autres líaideraient ou assumeraient la partie non rÈalisÈe. Le second objet concerne le parc privÈ. Líobjectif proposÈ pour les cinq prochaines annÈes, en associant líensemble des propriÈtaires de logements, est de porter ý 40 000 le nombre de logements ý loyers maÓtrisÈs produits avec les aides de líANAH (agence nationale pour l'amÈlioration de l'habitat). En contrepartie, une exonÈration pendant trois ans de la contribution sur les revenus locatifs sera mise en place ; la prime versÈe par líANAH sera portÈe ý 5 000 euros en zone tendue et ý 2 000 euros sur le reste du territoire ; elle sera cumulable avec líamortissement Robien. Afin de permettre un recouvrement plus rapide et plus sšr de la crÈance en cas díimpayÈ, la procÈdure díinjonction de payer serait amÈliorÈe ; une exÈcution par provision pourrait Ítre obtenue, indÈpendamment du jugement sur le fond síil y a litige. Cela devrait permettre la mise sur le marchÈ de 100 000 logements environ, ainsi que la rÈduction des cautions et avances de garanties. Le 3Ëme objectif est de renforcer l'accueil et l'hÈbergement d'urgence. En plus des 87 000 places actuelles ouvertes ý líannÈe, auxquelles il faut ajouter, chaque hiver, 6 000 places supplÈmentaires, seraient crÈÈes 4 000 places en maisons relais (forme díhabitat adaptÈ pour des personnes en grande exclusion dont la situation sociale rendrait difficile líaccËs ý un logement ordinaire), 7 000 places en centres díaide aux demandeurs díasile (CADA), 1 300 places de centre díhÈbergement et de rÈinsertion sociale (CHRS), ainsi que la transformation de 500 places díurgence en places de CHRS. L'ÉgalitÉ des chances, valeur de la RÉpublique ? Deux types de population visés : celle des quartiers défavorisés et les immigrés (souvent confondus). 750 équipes de réussite éducative seront créées, permettant daccompagner "les enfants en grande difficulté" au sein des 900 zones ou réseaux déducation prioritaire (soit 6 975 écoles primaires), dont la géographie recouvre pour lessentiel celle des zones urbaines sensibles. 150 "plates-formes de réussite éducative" sont créées, en lien avec la communauté éducative ; elles réunissent les services sociaux et sanitaires de léducation nationale, ceux de laide sociale à lenfance et les centres de pédopsychiatrie. Une trentaine "dinternats de réussite éducative" verront le jour : trois pour les régions Ile-de-France, Rhône-Alpes, PACA et Nord-Pas-de-Calais, un pour chaque autre région. A partir de lâge de quatorze ans, les adolescents pourront travailler en alternance ou effectuer des stages dobservation en entreprise ; à partir de quinze ans, ils pourront être en préapprentissage comme cela se pratique déjà dans le cadre des classes dinitiation préprofessionnelle en alternance et des classes de pré-apprentissage. Et vous appelez cela égalité des chances ? Ne serait-ce pas plutôt du déterminisme social ? Borloo s'aperçoit qu'il faut restaurer du lien social : il propose pour cela des chartes territoriales de cohésion sociale. De même, il propose de rénover l'accueil et l'intégration des populations immigrées, en créant une Agence nationale de l'accueil et de l'intégration (qui remplacera l'OMI) et en généralisant le contrat d'accueil et d'intégration en place depuis juillet 2003. Dans le même temps, on fermera une nouvelle fois le robinet de l'immigration ("La France est terre de paradoxes : [.] elle compte quatre millions de personnes sans emploi et, pourtant, certains estiment quune immigration massive lui sera nécessaire dans certains secteurs dactivité"). Et pour clore le tout, il faut lutter contre les discriminations en créant la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour légalité. Camille, OCL Reims, octobre 2004 |
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« S.O.S. Enfants en danger ! »
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Cest le titre du dernier tract du collectif «Enfants étrangers, citoyens solidaires» de Nantes qui sest constitué, en mai 2004, à linitiative de parents délèves et denseignants de certaines écoles nantaises. Des enfants qui y sont scolarisés (depuis plusieurs années pour certains) sont menacés dexpulsion, eux et leurs familles. La mobilisation se construit autour des écoles La menace dexpulsion des structures daccueil (CADA Centres Accueil Demandeurs dAsile, hôtels) envoyée aux familles concernées, déclenche les premières réactions de soutien. En effet du jour au lendemain, ces familles risquent de se retrouver à la rue. Des mobilisations sorganisent alors autour des écoles que fréquentent les enfants menacés dexpulsion afin de faire connaître ces situations. Les parents délèves distribuent des tracts et occupent les écoles, la presse est conviée et on relève à chaque fois une bonne couverture médiatique. La participation des parents est importante ainsi que celle des équipes enseignantes. Les occupations durent toute la matinée, parfois la journée et ne dérangent pas les cours : information aux familles des écoles, interpellation de léducation nationale, affichage sur les murs de lécole
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Faucheurs volontaires : Action directe ou opération politicienne ? |
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Le 25 septembre dernier les « faucheurs volontaires » ont mené une nouvelle action nationale contre des parcelles expérimentales dOGM. Partis de la Puye, dans la Vienne, le cortège automobile devait rallier, quelques kilomètres plus loin, une parcelle à Valdivienne, commune située, clin dil de la société industrielle aux mécréants du progrès que nous sommes, au pied de la centrale nucléaire de Civaux. Lopération se solda, comme lors des précédentes, par quelques violences policières qui entraînèrent des protestations dautant plus véhémentes de la part des organisateurs quelles leur permirent de masquer ce qui ne fut, en fait, quune opération inscrite dans les grandes manuvres de recomposition de la gauche de la gauche. Une occasion de faire le point sur les enjeux de ces nouveaux mouvements qui se réclament à tort dune orientation libertaire. Alors que laction était sensée se préparer plus ou moins discrètement, à labri en tout cas du regard médiatique, sinon policier, nous fûmes surpris de constater, quelques jours avant le jour J, du nombre de gens au courant. Qui plus est, la presse elle-même annonçait à grands renforts de gros titres la venue certaine du pape Bové dans nos villages ! Cest que, une fois de plus, les leaders de la Confédération paysanne, cheville ouvrière de ces opérations avec la complicité active dATTAC et des Verts, ont préféré lefficacité douteuse des feux de la rampe à la réalité tangible de la destruction dOGM. Cest ainsi quau départ du cortège nous eûmes droit à la présence très médiatisée de José Bové, bien sûr, mais aussi de Noël Mamère, dAlain Lipietz, de Marie-Christine Blandin et de Besancenot. Radios et télés sintéressaient davantage à ces têtes daffiche quaux quelques centaines de manifestants venus de toute la France et aux motifs même du rassemblement. Après quelques discours convenus sur la mondialisation, ces braves gens nous expliquèrent quil fallait, pendant cette action, respecter la discipline, refuser la violence (cest-à-dire non seulement ne pas la provoquer, mais encore ne pas riposter aux flics), et sen remettre aux porteurs de brassards dont les différentes couleurs indiquaient la nature de leur compétence (parcours, décisions de replis, blessures, etc.) Une fois parvenus à Valdivienne nos bureaucrates et leurs petits soldats embrassardés ne purent évidemment rien faire face aux forces de lordre, malgré des négociations menées en sous-mains avec les autorités et le haut niveau dencadrement des manifestants venus là, tout de même, pour faucher un champs de maïs, faut-il le rappeler ! Mais cet objectif concret nétait pas partagé, semble-t-il, par nos organisateurs davantage soucieux dassurer un succès médiatique que de laisser se dérouler une action directe menée par la base. Les faucheurs volontaires On entendit parler des premiers mouvement anti-OGM lorsque, aux Indes, des paysans se sont soulevés contre la firme qui leur avait promis de meilleurs rendements s'ils cultivaient du coton transgénique, ce qui fut très loin d 'être le cas ! Cest aussi dans ce pays que des groupes sélevèrent contre une entreprise américaine qui voulait faire breveter une molécule provenant d'un arbre du pays et utilisée depuis fort longtemps dans le traitement de certains maux. On se souvient également quaux USA quelques agriculteurs menèrent une résistance spectaculaire contre les OGM et les firmes qui les imposaient, et furent victimes dune répression exemplaire sur le plan juridique. En France, entre la première action anti-OGM resensée revendiquée comme fait syndical (1997, fauchage dans l'Isère, trois paysans condamnés le 21 mai 2004 à 600 euros damende et 400 euros de dommages et intérêts à la société Monsanto, puis amnistiés) et le lancement en août 2003 des "faucheurs volontaires" lors du rassemblement du Larzac, les actions menées furent le fait d'initiatives très diversifiées. Des destructions de maïs et de colza de Monsanto, en 1998 qui entraînèrent des poursuites contre Riésel, à celle du riz trangénique au CIRAD l'année suivante en présence de la caravane intercontinentale des Indiens du Karnataka (poursuites contre René Riesel, José Bové et Dominique Soulier), des actions revendiquées ensuite par la confédération paysanne, aux multiples interventions des "enragés en campagne" (Péré, 17), des "chercheurs dans la nuit" à Toulouse', des Obscurs anti-scientistes dans le Tarn et Garonne, aux " mal-confinés en Ile et Vilaine, pour nen citer que quelques unes, les intitiatives étaient diverses et variées, réclamant des mesures institutionnelles pour les unes, ou s'attaquant globalement aux causes pour les autres, risquées pour leurs auteurs dans certains cas, ou plus cool dans dautres, elles offraient l'image d'un mouvement naissant, vivant, aux mille facettes. Un seul principe de précaution, la destruction On constatait aisément que les actions anti-OGM partaient dans deux directions distinctes : dun côté celles qui attaquaient de front le capitalisme et critiquaient la société industrielle dans sa globalité et qui navaient que faire des pressions institutionnelles (les réalistes), et de lautre celles qui se plaçaient sur léchiquier politique comme demandeuse de strapontins au sein des institutions pour obtenir un capitalisme à visage humain, citoyen, propre et sans dette pour les pays du Sud (les utopistes illusionnistes). Cette diversité ne pouvait pas plaire à tout le monde et ne devait évidemment pas durer. Pour contrôler puis éradiquer l'incontrôlable, pour orienter le mouvement dans la bonne direction des négociations avec le pouvoir, il fallait structurer tout ça. Ce qui fut fait avec la création des "faucheurs volontaires" en août 2003, lors du rassemblement au Larzac, et qui fut, en quelque sorte, lacte fondateur de la récupération et de linstitutionnalisation dun mouvement qui fut autrement plus radical et autonome quil ne lest à présent. Cette institutionnalisation des fauchages et des arrachages a eu comme effet d'accompagner le ralentissement du nombre des opérations menées (dû à la répression promise et mise en place par le pouvoir) plutôt que de le combattre. A partir de ce moment, les « officiels » qui se sont appropriés le mouvement vont commencer à dénoncer les actions des « incontrôlables » et des « irresponsables ».. Deux exemples pour illustrer ces propos. Le 20 octobre 2000, la Confédération paysanne et Attac, dans un communiqué de presse affirme non seulement n'être pour rien dans la destruction d'une parcelle à Longué (Maine et Loire) revendiquée par "quelques ennemis de la transgenèse et de son monde", mais encore que "cette destruction non revendiquée gêne leur démarche qui vise essentiellement à établir la transparence et à modifier la réglementation". Le Porte parole de la Conf' du Maine et Loire avait même, le 11 septembre précédent espéré que "la gendarmerie va pouvoir identifier rapidement les auteurs". D'ailleurs, c'est à cette même période que la direction nationale de la Confédération paysanne avait interdit à ses sections locales la moindre initiative sans son accord. Le 16 juillet 2001, à Guyancourt (78) le groupe des "Ravageur" détruit une parcelle de 300 m2 d'un maïs transgénique insectiside expérimenté par le Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES). l'action est immédiatement condamnée par les associations écologistes et environnementalistes du département des Yvelines "opposés à toute action violente" (Terre et environnement) et "condamnant ce type d'actions clandestines" (mouvement écologiste indépendant). (huit jours plus tard la confédération paysanne mènera pourtant au même endroit une action du même type, très médiatisée, qui entraînera la poursuite contre 9 de ses militants). En fait donc, la création des faucheurs volontaires fut un outil de vérouillage et de contrôle de tout ce qui pouvait sorganiser sans en référer à quiconque et qui risquait ainsi déchapper aux visées stratégiques politiciennes que les chefs des nouvelles gauches entendaient mettre sur pieds. Une nouvelle forme de militantisme : le lobbying Pourtant, les récupérations ne se font plus comme jadis à coup de discours à la serpe et de termes issus en droite ligne du vocabulaire et de références léninistes. On fait référence aux « copains » plutôt quaux « camarades », on fait volontiers appel à un supposé « esprit libertaire » qui teinterait ces mouvements, on ne demande plus dobéir mais de respecter les consignes, ces dernières nétant plus issues dune analyse politique ou scientifique mais du simple « bon sens ». Nous sommes en présence de formes de militantisme et dorganisations qui sont très à la mode depuis quelques années : le lobbying comme méthode assortie de la médiatisation comme objectif immédiat ; un centralisme plus ou moins rigoureux et en tout cas des décisions toujours prises par le haut ; un recrutement sélectif de gens pas trop enclins à agir ou à décider par eux-mêmes mais désireux tout de même de « faire quelque chose ». Prenons lexemple de Greenpeace. Adhérer ce nest ni participer à la vie de lorganisation ni participer à ses actions, cest juste accepter un virement mensuel témoin dune certaine bonne conscience. A lopposé de cette large base mondialement représentée, quelques dirigeants salariés qui siègent à Amsterdam en liaison directe avec leurs antennes nationales. Ce sont eux qui décident de tout : des campagnes, des actions, de lemploi des fonds reçus. Et entre les deux des petits soldats, très spécialisés, aguerris, entraînés, triés sur le volet, qui mènent les actions, celles dont on parle à la télé, celles qui attirent la sympathie de qui partage plus ou moins des sentiments écologistes et qui prennent, de toutes les façons, fait et cause pour David contre Goliath. Quand aux comités locaux il nont ni le droit de prendre des initiatives locales en tant que tel, ni celui dapposer leur signature aux côtés dautres forces sans laval de la direction nationale. Ils ont, en revanche lautorisation de recruter des donateurs et des membres. Autre exemple, celui dATTAC : la majorité du conseil dadministration est composée de membres fondateurs qui se cooptent entre eux. Les comités locaux nengagent jamais leur direction nationale et leurs délégués qui composent la conférence nationale des comités sont sans pouvoir et ne peut quenregistrer des décisions prises ailleurs. Ce qui faisait dire à un groupe dissident : « le fonctionnement dAttac manifste la croyance que la démocratie est pesante et quil faut sen remettre au pouvoir et à la clairvoyance dun seul ou dun groupe dirigeant auto institué ». Cette peur de la démocratie (la vraie ! Pas son ersatz parlementaire ou représentative) on la retrouvé au récent Forum social européen qui sest tenu à Londres lorsque Bernard Cassen, ex-président dattac et manitou des forums sociaux, a proposé que ces derniers se réunissent moins souvent (ce qui, en effet, laisserait les coudées plus franches aux représentants autoproclamés qui se partagent pouvoirs et décisions). On se souvient également quà Porto Alègre, Attac, de connivence avec le PT de Lula voulait empêcher les Forum sociaux de prendre des initiatives internationales... initiatives qui devraient être, selon eux, réservées à ces mêmes élites (non élues et souvent occultes) qui président à ces mouvement et sont seules à même de bien comprendre les situations et les enjeux et qui, de ce fait, voient toujours dun mauvais il les initiatives de la base, comme par exemple cette « assemblée des mouvements sociaux » à Londres, appelant malgré tout à des mobilisations anti-guerre pour le 20 mars 2005. Cest que pour eux, il sagit avant tout déviter que ces mouvements séloignent des social-démocratie : lors du FSE à Londres les slogans anti-Bush semblaient remplir tout lespace politique, comme si lanti-impérialisme devait se résumer à lanti-USA. Rien ou presque contre Blair... Cest quil fallait ménager le maire « rouge » (gauche du parti travailliste) de Londres, ce dernier devant ménager Blair, le chef du parti. Même chose en France où lobjectif est de constituer une force suffisamment crédible pour jouer dans la cour du PS mais en partenaire réel, pas en tant que pion. Exercice déquilibriste qui oblige à critiquer un peu mais pas trop les alliés de lex-gauche plurielle quils rêvent de reconstituer (1) En fait, sous des oripeaux vaguement « modernistes » et « libertaires », on retrouve les mêmes mécanismes animant jadis un certain « centralisme démocratique » : des citisants, des distributeurs de tracts, des manifestants dun côté, et de lautre des décideurs organisés de manière pyramidale. La différence, et elle est de taille, cest quil ny a plus, comme jadis, un modèle pour servir de référence et que, par conséquent, les leaders sont beaucoup plus fragiles et doivent se servir de méthodes de manipulation plus sophistiqués qui peuvent paraître plus démocratiques, moins « autoritaires » (utilisation des medias, de la dynamique de groupe, etc.). Mais le résultat est identique. Ces caractéristiques on peut les repérer facilement dans le mouvement des faucheurs volontaires. Lors des rassemblements anti OGM... annonce est faite pour que s'inscrivent de nouveaux « volontaires » à entrer dans la grande famille des « faucheurs ». Noms, adresse, et vous serez convoqués pour les prochaines actions... mais pas pour en discuter. Vous ferez 500 bornes en voiture pour vous voir offrir un brassard d'encadrement de telle ou telle couleur si vous êtes repréré comme élément sûr (c'est-à-dire proche ou membre d'attac, de la conf' ou des Verts, ou plus certainement pour suivre les consignes données au micro, puis vous faire taper sur la gueule, sans avoir le droit de riposter, par les forces de lordre (mais là je crois qu'il ne faut pas rêver, la grande majorité des volontaires au fauchage sont d'accord avec cette stratégie plus ou moins non violente, et sont des admirateurs inconditionnels de "José"). Là comme à ATTAC ou à Greenpeace, les décisions se prennent en haut. Ainsi, a-t-on entendu Bové, après laction de Valdivienne, annoncer à la presse que, sans doute, ce type daction serait la dernière car « on ne pouvait pas continuer à envoyer des gens se faire casser la figure et quon en reviendrait certainement à des opérations plus discrètes ». Très bien, mais qui les y a envoyé jusquà présent? Et pour quels objectifs ? Pourquoi laspect médiatique fut-il privilégié ? Et cette décision soudaine de changer de manière, qui en a décidé? Le staff, les dirigeants des trois compères Attac, la Conf et les Verts... A un degré moindre, la Réseau « Sortir du nucléaire » obéit aux mêmes principes. Certes les groupes de base y sont plus autonomes quà Greenpeace. Pourtant le lobbying y est largement utilisé au détriment dactions plus offensives et concrète. Témoin le récent Tour de France antinucléaire dont le seul objectif fut de mobiliser la presse (ce fut un échec de ce côté-là) par des jeûnes, des actions symboliques et des contacts avec les élus. Choisissant délibérément des rassemblements en semaines et dans la journée, cela ne pouvait concerner quune infime partie des antinucléaires (ceux qui sont les plus « dans la ligne » du Réseau) et surtout faire apparaître une sur-représentation des élus Verts ou autres alternatifs. ATTAC, Greenpeace, les « faucheurs volontaires », le Réseau pour un avenir sans nucléaire sinscrivent donc, à des degrés divers et chacun dans leur domaine, dans cette logique qualifiée souvent abusivement de libertaire mais qui, surtout, sappuie sur un fondement politique bien précis : une vision de la société où la « citoyenneté » remplace la lutte des classes, où l« opinion publique » (dont nul ne sait ce quelle est, mais dont nous savons à quoi elle sert) devient la forteresse à conquérir, où la revendication étatique est omniprésente au détriment de l« autogestion ». Chacune des revendications de ces courants (transparence, modification des réglements, débat national sur telle ou telle question, etc.) se traduit, dans le cadre de leur lutte dite antilibérale, par davantage dEtat... Un Etat au dessus des intérêts particuliers, bien sûr, et au service des citoyens. Et comme bien sûr, aucun débouché réel et tangible nest promis en tant que tel à ce genre dengagement, il faudra bien un jour que se concrétise très vite un débouché plus politique, entendez électoral cest-à-dire tout aussi illusoire, mais visible et tangible. Les Verts, comme la LCR lont bien compris qui accompagnent ces mouvements et comptent bien en faire leur base électorale. 1. Par exemple on ne dit pas un mot de la duplicité du PS qui, comme Segolène Royal en Poitou Charentes, soutient les maires refusant des expérimlentations d'OGM sur leur commune mais qui, lorsqu'il étaient au pouvoir qualifiait d'illégal (Jospin le 28 août 2001) les actions anti-OGM et affirmait qu'il ne les laissera pas faire (Glavany, ministre de l'agriculture). |
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