Courant alternatif no 143 novembre 2004

SOMMAIRE
Edito p. 3
SOCIAL
Le plan de cohésion sociale p. 4
Kamel Belkadi est innocent p. 7
Allemagne : mobilisation contre la régression sociale p.9
Immigration
Apprentissage du français : du bénévolat au contrôle p.10
Nantes : "SOS enfants en danger" p.14
Répression
Mais qui a piqué les disques durs d'Indymedia p.15
Rubrique Flics et Militaires p. 14
Aux portes du pénitencier
Le meilleur des mondes
Faucheurs volontaires ; action directe ou politicienne ? p. 18
Les vilaines histoires du plutonium p. 21
International Cote d'Ivoire : la crise couve toujours p. 23
Livres p.24

ÉDITO
Depuis le printemps 2003, il n'y a pas eu de grosses mobilisations sociales en France, et le gouvernement en a largement profité pour faire passer sa politique de répression et de contrôle accrus sur les couches sociales les plus défavorisées, en particulier sur les immigré-e-s et les chômeurs-ses. Les lois Perben, malgré l'hostilité de la magistrature et des syndicats d'avocats, viennent par exemple d'entrer en vigueur. D'autres réformes, telles que celles annoncées par Borloo (voir p. 4) avec son « plan de cohésion sociale », visent à remettre au travail à moindre coût les personnes sans emploi, à introduire toujours plus de flexibilité dans les contrats de travail et à réduire toujours davantage les rémunérations… Mais l'attaque gouvernementale s'effectue sur bien d'autres terrains que celui des entreprises, et de façon parfois beaucoup plus insidieuse que les grandes mesures sécuritaires, annoncées par d'importantes campagnes médiatiques. Ainsi les dispositions concernant les immigrants et l'apprentissage du français conduisent-elles à une mainmise étatique sur l'activité d'associations qui fonctionnent le plus souvent sous forme de bénévolat (voir p. 10). Au final, pas un secteur de la société n'échappera sans doute à cette accentuation du sécuritaire et du répressif, avec une criminalisation recherchée pour tout ce qui n'est pas aux normes du pouvoir actuel.
Face à cette offensive de choc, peu de réactions, donc. La contestation a du mal à dépasser certaines limites pour mettre vraiment à mal la politique menée par Raffarin et Sarkozy. On le voit particulièrement dans les luttes telles que celle contre les OGM : les opérations spectaculaires (voir p.18), avec distribution aux militant-e-s de consignes de non-violence et d'un mode d'emploi visant à empêcher tout débordement, ressemblent furieusement aux actions de lobby type Greenpeace — très balisées pour éviter toute initiative individuelle, et visant l'apparition médiatique plutôt que l'efficacité de l'action menée elle-même. Derrière de telles opérations, des organisations comme la LCR voient la possibilité de reconstituer une extrême gauche et y trouvent une raison d'y participer ; on y constate en revanche l'absence du PS (même dans la dernière opération fauchage qui s'est déroulée dans le Poitou, alors que ce parti s'est déclaré anti-OGM dans la région par la bouche de S. Royal).

De telles mobilisations cherchent juste à faire acte de « civisme » avec peu de monde. On voit en effet à quel point le contexte politique et social est différent d'il y a quelques années, où les scandales de la « vache folle » et d'autres types de « malbouffe » inquiétaient fortement les populations. Aujourd'hui, leurs esprits sont plutôt tournés vers les moyens de s'en sortir sur le plan économique, la vie devenant pour elles de plus en plus difficile du fait de la politique gouvernementale. De plus, un marché de produits biologiques s'est organisé depuis, et les consommateur-rice-s qui peuvent payer consomment désormais « bio ». Le discours prédominant chez ces anti-OGM contient quelques termes révélateurs des classes sociales auxquelles ils-elles appartiennent : il s'agit d'un point de vue de consommateur (à l'échelle d'un individu et/ou de sa famille), défendant ses droits de citoyen à nourrir sa personne et les siens convenablement, selon une certaine éthique… et la recette à la mode dans ces milieux est celle du « commerce équitable » ; finalement cela rejoint l’idéologie à la mode qui consiste à prôner des solutions individuelles à des problèmes sociaux : le malaise du travailleur dans l’entreprise ne serait finalement qu’une question de psychologie qui pourrait se résoudre par les conseils distillés à la télé par des cortèges de « spécialistes » ou, par des coaches pour les cadres... ; enfin, l'objectif à atteindre est celui d'un capitalisme soft, avec une défense de la démocratie parlementaire occidentale présentée comme le modèle indépassable. Au final, les acteurs et actrices de tels rassemblements présentent une grande ressemblance avec une partie de la clientèle des mobilisations altermondialistes dans les pays du Nord.

L’élection de Bush aux USA ne montre qu’une seule chose : que la majorité des votants n’a souhaité aucun changement vis-à-vis de l’idéologie impériale, guerrière et puritaine sur laquelle les Républicains ont surfés. Mais les supporter de Kerry s’illusionnaient grandement sur les capacités de leur champion à mener une autre politique !

N’en déplaise aux tenants d’un capitalisme soft et humaniste qui dominent le mouvement altermondialiste, il ne peut y avoir fondamentalement qu’une seule politique en régime capitaliste, celle de la recherche du profit et de la croissance, celle donc de la destruction et de la guerre.
Les populations d’Afrique et d’Amérique latine sont bien placés pour en vérifier la réalité !

OCL Poitou


Plan de cohésion sociale

Selon Borloo, la France est terre de paradoxes : elle vit une crise de l’embauche, elle n’est pas préparée, du fait des départs en retraite à venir, à une pénurie de salariés d’environ un million d’ici à 2020, elle ne donne pas ses chances au marché des services aux particuliers, elle compte quatre millions de personnes sans emploi et, pourtant, certains estiment qu’une immigration massive lui sera nécessaire dans certains secteurs d’activité. Le texte sur la cohésion sociale se veut-il en rupture avec ce qui a été fait auparavant ou n'est-il qu'une autre façon de présenter la politique du gouvernement, en voulant lui donner un côté social ?

Retour aux valeurs de la République comme philosophie du Plan de cohésion sociale

"La France doit faire face à un chômage structurel et à l’exclusion qui l’accompagne, aux jeunes sans espoir et aux enfants défavorisés, aux logements insalubres, aux quartiers sans avenir, à une perte de sens de l’action collective et de la République, à l’intolérance et parfois au racisme. Nous devons répondre clairement, ouvertement à ceux qui se découragent : la République retrouvera l’égalité des chances ; elle ne transigera pas avec son ambition, elle ne jouera pas avec son avenir." [.] La République doit également se donner les moyens de relancer la mobilité, la libre circulation des talents. Une nouvelle impulsion doit être donnée dans les zones d’éducation prioritaire, les élèves en fragilité doivent être repérés et suivis aux premiers signes de décrochage, dès la maternelle. Le plan de cohésion sociale adopte une démarche inédite consistant à traiter ensemble les grands problèmes qui mettent en péril la cohésion de notre pays (chômage persistant de longue durée, chômage des jeunes, accroissement du nombre d’exclus, crise du logement, délitement des quartiers défavorisés, discrimination, crise du système éducatif à certains endroits, etc.). La réussite de la cohésion sociale sera celle de tous les acteurs – collectivités territoriales, entreprises, associations, services déconcentrés de l’Etat – qui œuvrent sur le terrain. [.] Il faut, par ailleurs, rétablir l’égalité effective des chances en attaquant à sa source l’inégalité : dans le logement, à l’école, dans les territoires aux charges socio-urbaines écrasantes et aux ressources insuffisantes". Tout est dit dans ces quelques phrases.

La remise au travail au moindre coût et avec plus de flexibilitÉ

Le marché du travail connaît, dans notre pays, d’importants dysfonctionnements engendrant une durée anormalement élevée du chômage, alors que le nombre d’emplois non pourvus s’accroît et dépasse 500 000. [.] Le chômage massif est devenu une donnée permanente, avec plus de 4 millions de personnes indemnisées ou allocataires de minima sociaux, et toutes les conséquences négatives qui en résultent pour la compétitivité de notre pays. Nous devons le maîtriser dans le cadre d’une perspective d’avenir : l’allocation chômage est une indemnité, il faut en faire un investissement, un instrument de retour à l’activité. La période de chômage était un moment d’effritement, il faut en faire une étape de reconstruction, au cours de laquelle le rôle éminent de la puissance publique est d’accompagner chacun de ceux qui en ont besoin, au nom de l’efficacité, mais aussi de la fraternité. Avec 10 000 emplois détruits et 10 000 emplois créés chaque jour ouvrable, le chômage frictionnel est inévitable. Ce qui n’est pas acceptable, c’est le chômage de longue durée, le chômage d’exclusion, le chômage durable des jeunes à la recherche de leur premier emploi". Cette situation serait due à quatre erreurs : non prévision et non organisation de l'offre et de la demande, avoir considéré l’emploi comme un stock donné à partager, avoir organisé le contingentement de la population active et la protection systématique de l’emploi existant, avoir fait du traitement social du chômage la réponse ultime au manque de travail. "Le retour à l’activité est une priorité absolue. C’est le meilleur rempart contre l’implosion sociale et la clé de la dignité individuelle. Le plan de cohésion sociale se présente donc d’abord comme un dispositif systématique de sortie d’une logique d’assistance : tous doivent pouvoir, sous des formes adaptées, retrouver le chemin de l’activité, aussi modeste soit-elle". Ceci doit se faire dans la continuité de "la politique de l'emploi" engagée par le gouvernement : la création d’entreprises, une valorisation du travail ("avec une hausse massive du pouvoir d’achat du SMIC horaire, une augmentation de la prime pour l’emploi et une réforme des retraites destinée à valoriser l’expérience et le travail des seniors"), assouplissement des 35 heures ("pour permettre à ceux qui le souhaitent de travailler plus pour gagner plus"), baisse des charges, contrat jeunes en entreprises (CIVIS), la mise en place d’un droit individuel à la formation, les partenaires sociaux ont jeté les bases d’une véritable assurance emploi. Pour ce faire, il faut s'inspirer du modèle des pays nordiques, de la Hollande et de l'Irlande. "Dans ces pays, afin de faciliter la réactivité des entreprises et de vaincre leur aversion à l’embauche, les contraintes ont été allégées, les statuts et la gamme des horaires de travail diversifiés. En contrepartie, les dépenses de la politique de l’emploi sont élevées ; les chômeurs bénéficient d’une indemnisation très protectrice et ceux qui peinent à se réinsérer sont rapidement soutenus".
Premier remède : créer des maisons de l'emploi qui seraient une instance chargée de recenser les ressources humaines et de prévoir les besoins locaux en emplois. Un lieu dédié au traitement particulier des chômeurs en difficulté, après orientation par les grands réseaux, notamment celui de l’ANPE ; un lieu regroupant tous les services susceptibles d’être offerts en matière d’aide à la création de leur propre emploi par les chômeurs, et qui associerait tous les partenaires de la politique de l’emploi et de la formation, fédérés au sein d’une structure juridique (groupement d’intérêt public). Sur la durée du plan, 300 maisons de l’emploi seront ainsi créées.

Le 2ème remède serait un accompagnement durable et renforcé de 800 000 jeunes en difficulté vers l’emploi durable. 350 000 d’entre eux accéderaient à l’emploi par une formation en alternance (apprentissage et contrat de professionnalisation), dans le cadre du programme “500 000 apprentis, étudiants des métiers” ; 350 000 jeunes seraient conduits vers l’emploi marchand, avec un droit à formation, le cas échéant par le truchement d’un contrat aidé (contrat jeune en entreprise, CIE, CIVIS) ; 100 000 jeunes seraient, enfin, recrutés en alternance dans le secteur public. Pour faciliter la réussite de ce programme, le “contrat jeune sans charge en entreprise” sera amélioré : l'aide aux entreprises qui était uniforme serait modulée de 100 à 300 ¤ par mois et par jeune selon le niveau du jeune recruté (inférieur au bac) et du bassin d'emploi. Il s'agit en fait d'effet d'annonce : il s'agirait en fait d'augmenter d'ici 2009 de 40 % le nombre des apprentis, de faire accéder les jeunes des "quartiers sensibles" sans qualification, ni diplôme à la catégorie C de la fonction publique sans concours, mais seulement "si le jeune remplit son contrat de travail et de formation" (ce qui sous-entend que c'est dans les "quartiers sensibles" que l'on trouverait les sans qualifications, ce qui est faux : ceux-ci font surtout l'objet d'une discrimination à l'embauche). La rémunération se déclinera selon le même modèle qu’en matière d’apprentissage. Des exonérations de charges comparables à celles consenties aux entreprises inciteront les collectivités locales et les hôpitaux à recourir à "cette voie républicaine de recrutement en alternance qui rétablit l’égalité des chances".

Le 3ème remède serait l'assistance à l'emploi pour les RMIstes et les bénéficiaires de l'ASS. "Le RMI est devenu un état durable pour 1 100 000 allocataires, sans compter les 365 000 titulaires de l’ASS". A ces personnes seraient proposé un contrat d'activité : il prévoit un temps d’activité hebdomadaire compris entre 26 heures et 35 heures, réparti obligatoirement entre temps de travail et temps de formation, modulable selon les besoins des bénéficiaires ; le temps de travail est rémunéré au SMIC horaire, soit 3/4 de SMIC pour 26 heures par semaine de temps de travail (durée maximale) ; le contrat ouvre aux mêmes droits sociaux que le contrat emploi consolidé ; la durée du contrat est de deux ans, et peut être prolongée d’une année, la situation du bénéficiaire étant réexaminée tous les six mois. Le contrat n’est pas renouvelable. Il ouvre droit à une qualification, à une validation des acquis de l’expérience (VAE) ou à une attestation de compétences. Les communes (ou les établissements publics de coopération intercommunale) sont compétentes pour proposer ce contrat d’activité et pour veiller à son déroulement, en liaison avec les départements. Cette compétence peut être déléguée (associations, maisons de l’emploi, départements pour les petites communes, etc.). Le financement de la formation est de la compétence des régions (compétence de droit commun) et des départements (crédits d’insertion) ; l’employeur est une collectivité territoriale, une entreprise d’insertion, une association ou un délégataire de service public. Le département (pour le RMI) ou l’Etat (pour l’ASS) apporte le montant de cette allocation à l’employeur. Les majorations (couple, enfants) continuent d’être versées aux allocataires. L’employeur rémunère le bénéficiaire du contrat d’activité. Il supporte donc la différence entre le montant de cette rémunération et celui du RMI ou de l’ASS. Toutefois, il bénéficie d’une aide forfaitaire de l’Etat, calculée de manière à représenter 75 % de cette différence la première année du contrat, 50 % la deuxième, 25 % la troisième. Pour inciter fortement les employeurs et les communes à aider au retour à l’emploi, une prime forfaitaire de 1 500 euros est versée aux uns et aux autres pour chaque sortie vers l’emploi durable. Le plan étend les droits à protection sociale des bénéficiaires du RMA et réduit à six mois l’ancienneté dans le RMI requise pour en bénéficier, de manière à harmoniser les régimes du RMA et du contrat d’activité. On peut remarquer que le temps de formation n'est pas payé, que l'attestation de compétence va remplacer petit à petit le diplôme et que le rôle de contrôle social des collectivités territoriales est accentué (merci notre bon maître !).

Le 4ème remède est de favoriser le retour à l'emploi des chômeurs de longue durée de plus de 26 ans. Seules deux catégories de contrats aidés subsisteront, l’une dans le secteur marchand, l’autre dans le secteur non marchand. Dans l’un et l’autre cas, il y aura exonération totale ou partielle de charges sociales et prime à l’employeur abaissant le coût du travail. Les crédits afférents aux différents contrats aidés (CES, CEC, CIE, SIFE, SAE) seront fondus dans une enveloppe unique, gérée au niveau régional par le préfet et les services de l’emploi. Il sera proposé à la négociation avec les partenaires sociaux d’étudier l’embauche dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée ou d’un contrat de travail temporaire des chômeurs de très longue durée afin de faciliter leur retour sur le marché du travail.

Le 5ème remède serait un "nouveau pacte pour l'emploi" : nouvelles règles concernant la gestion sociale des restructurations, les moyens de favoriser le développement de l'emploi des seniors, la clarification du statut du contrat de travail, la limitation des délais de recours contentieux, le développement des nouvelles formes d’emploi en direction de publics spécifiques, l’évolution de la législation sur la durée du travail. Tout ceci en donnant aux "partenaires les moyens, notamment humains et financiers, de remplir leur mission. C’est la condition d’un dialogue social constructif".

Le 6ème remède serait de développer les services, en particulier à la personne. 250 000 emplois pourraient être créés en 5 ans. Il est proposé une simplification des procédures d’agrément des entreprises de services aux personnes, une rénovation des règles de qualité relatives à la fourniture de services aux particuliers, un développement des contrats multi-employeurs, un abaissement du coût du travail dans le secteur de la restauration.

Enfin, le must : encourager la création de leur propre emploi par les chômeurs et les personnes en situation précaire, l’objectif du plan de cohésion sociale étant d’atteindre 100 000 créations d’emplois par des chômeurs entrepreneurs sur cinq ans. Un fonds garanti par l’Etat pourra garantir les prêts consentis par les guichets bancaires à vocation sociale à des personnes physiques (chômeurs, Rmistes, travailleurs en reconversion) ou morales (associations, TPE, structures d’insertion, etc.), ainsi que l’apport en fonds propres pour les créateurs d’entreprise. L’exonération totale ou partielle de cotisations sociales du revenu du créateur d’entreprise travailleur indépendant sera portée à trois ans lorsque ce revenu est inférieur au SMIC. Cette extension ne concernera que les personnes ayant opté pour le statut de micro entreprise. Tous ces remèdes devraient s'accompagner d'une égalité professionnelle entre les hommes et les femmes

Investir dans le logement ou faire du replâtrage ?


"Il faut tout díabord investir dans le logement, qui connaÓt aujourdíhui une vÈritable crise. Les causes sont connues : retards accumulÈs dans le logement locatif social, dysfonctionnements du marchÈ locatif privÈ et nous devons les traiter". Le 1er objectif est de revenir ý la construction de 80 000 logements sociaux par an, voir 120 000 en 2009 (au lieu des 50 000 construits actuellement). Les organismes HLM síengageraient ý rÈaliser líobjectif de production prÈvu sur les cinq ans en donnant, pendant les deux premiËres annÈes, une prioritÈ au logement des familles nombreuses et ý la crÈation de maisons relais ; ils síengageraient aussi ý mettre ý niveau le parc existant en apportant les fonds propres nÈcessaires, ý respecter une charte de qualitÈ du service rendu ainsi quíý mutualiser leurs actions : au cas o˜ un organisme ne pourrait tenir son engagement, les autres líaideraient ou assumeraient la partie non rÈalisÈe. Le second objet concerne le parc privÈ. Líobjectif proposÈ pour les cinq prochaines annÈes, en associant líensemble des propriÈtaires de logements, est de porter ý 40 000 le nombre de logements ý loyers maÓtrisÈs produits avec les aides de líANAH (agence nationale pour l'amÈlioration de l'habitat). En contrepartie, une exonÈration pendant trois ans de la contribution sur les revenus locatifs sera mise en place ; la prime versÈe par líANAH sera portÈe ý 5 000 euros en zone tendue et ý 2 000 euros sur le reste du territoire ; elle sera cumulable avec líamortissement Robien. Afin de permettre un recouvrement plus rapide et plus sšr de la crÈance en cas díimpayÈ, la procÈdure díinjonction de payer serait amÈliorÈe ; une exÈcution par provision pourrait Ítre obtenue, indÈpendamment du jugement sur le fond síil y a litige. Cela devrait permettre la mise sur le marchÈ de 100 000 logements environ, ainsi que la rÈduction des cautions et avances de garanties. Le 3Ëme objectif est de renforcer l'accueil et l'hÈbergement d'urgence. En plus des 87 000 places actuelles ouvertes ý líannÈe, auxquelles il faut ajouter, chaque hiver, 6 000 places supplÈmentaires, seraient crÈÈes 4 000 places en maisons relais (forme díhabitat adaptÈ pour des personnes en grande exclusion dont la situation sociale rendrait difficile líaccËs ý un logement ordinaire), 7 000 places en centres díaide aux demandeurs díasile (CADA), 1 300 places de centre díhÈbergement et de rÈinsertion sociale (CHRS), ainsi que la transformation de 500 places díurgence en places de CHRS.

L'ÉgalitÉ des chances, valeur de la RÉpublique ?

Deux types de population visés : celle des quartiers défavorisés et les immigrés (souvent confondus). 750 équipes de réussite éducative seront créées, permettant d’accompagner "les enfants en grande difficulté" au sein des 900 zones ou réseaux d’éducation prioritaire (soit 6 975 écoles primaires), dont la géographie recouvre pour l’essentiel celle des zones urbaines sensibles. 150 "plates-formes de réussite éducative" sont créées, en lien avec la communauté éducative ; elles réunissent les services sociaux et sanitaires de l’éducation nationale, ceux de l’aide sociale à l’enfance et les centres de pédopsychiatrie. Une trentaine "d’internats de réussite éducative" verront le jour : trois pour les régions Ile-de-France, Rhône-Alpes, PACA et Nord-Pas-de-Calais, un pour chaque autre région. A partir de l’âge de quatorze ans, les adolescents pourront travailler en alternance ou effectuer des stages d’observation en entreprise ; à partir de quinze ans, ils pourront être en préapprentissage comme cela se pratique déjà dans le cadre des classes d’initiation préprofessionnelle en alternance et des classes de pré-apprentissage. Et vous appelez cela égalité des chances ? Ne serait-ce pas plutôt du déterminisme social ? Borloo s'aperçoit qu'il faut restaurer du lien social : il propose pour cela des chartes territoriales de cohésion sociale. De même, il propose de rénover l'accueil et l'intégration des populations immigrées, en créant une Agence nationale de l'accueil et de l'intégration (qui remplacera l'OMI) et en généralisant le contrat d'accueil et d'intégration en place depuis juillet 2003. Dans le même temps, on fermera une nouvelle fois le robinet de l'immigration ("La France est terre de paradoxes : [.] elle compte quatre millions de personnes sans emploi et, pourtant, certains estiment qu’une immigration massive lui sera nécessaire dans certains secteurs d’activité"). Et pour clore le tout, il faut lutter contre les discriminations en créant la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.
Borloo n'a fait qu'un catalogue de toutes les mesures et mesurettes en cours et à venir (en matière sociale, de logement, d'éducation, d'immigration et d'asile) en voulant lui donner un côté social. Mais il ne leurre personne. Comme vous avez pu le voir, c'est un condensé d’attaques contre les chômeurs et l’ensemble du monde du travail. Derrière la mise en scène de l’affrontement entre le "gentil" Borloo défendant le social face au "méchant" Sarkozy, se cache toujours la même recette double face : contrôle accru des chômeurs et contrats bidons. En matière de logement, comment croire Borloo, quand le maigre budget consacré au logement ne cesse de baisser, quand il coupe radicalement dans les allocations logement, quand il privatise le parc de logements sociaux qui lui appartenait ? Sans parler des déconventionnements que le gouvernement accepte et qui permettent de faire passer de nombreux logements du social au marché libre, avec le relèvement des loyers que cela implique.

Camille, OCL Reims, octobre 2004


« S.O.S. Enfants en danger ! »…


C’est le titre du dernier tract du collectif «Enfants étrangers, citoyens solidaires» de Nantes qui s’est constitué, en mai 2004, à l’initiative de parents d’élèves et d’enseignants de certaines écoles nantaises. Des enfants qui y sont scolarisés (depuis plusieurs années pour certains) sont menacés d’expulsion, eux et leurs familles.

La mobilisation se construit autour des écoles

La menace d’expulsion des structures d’accueil (CADA –Centres Accueil Demandeurs d’Asile, hôtels) envoyée aux familles concernées, déclenche les premières réactions de soutien. En effet du jour au lendemain, ces familles risquent de se retrouver à la rue. Des mobilisations s’organisent alors autour des écoles que fréquentent les enfants menacés d’expulsion afin de faire connaître ces situations. Les parents d’élèves distribuent des tracts et occupent les écoles, la presse est conviée et on relève à chaque fois une bonne couverture médiatique. La participation des parents est importante ainsi que celle des équipes enseignantes. Les occupations durent toute la matinée, parfois la journée et ne dérangent pas les cours : information aux familles des écoles, interpellation de l’éducation nationale, affichage sur les murs de l’école…
Un collectif se crée à partir des personnes mobilisées autour des écoles où se sont fait connaître les familles déboutées du droit d’asile. Le collectif s’organise et se renforce de militants associatifs investis de longue date dans la défense du droit d’asile ou des demandeurs et demandeuses d’asile. Ce sont environ 80 familles et 130 enfants scolarisés dans les écoles de l’agglomération nantaise qui sont concernées par les mesures d’expulsion.
Le 14 juin une famille avec 3 enfants en bas âge, dont la mère est sur le point d’accoucher se retrouve à la rue. Le collectif décide d’occuper un local municipal afin de lui procurer un toit. Après quelques jours d’occupation une solution provisoire est proposée par les pouvoirs locaux (municipalité, conseil général).

De l’activisme à l’impasse des solutions

La mobilisation se poursuit pendant l’été. On ne déplore aucune expulsion du territoire des familles connues. Des apparitions du collectif ont lieu régulièrement dans toutes les manifestations politiques et culturelles, les élus sont interpelés et amenés à donner leur position. Des milliers de signatures sont recueillies par le biais de pétitions. Rassemblements, entrevues avec le cabinet du préfet et conférences de presse se succèdent.
La position de l’administration préfectorale et des pouvoirs publics ne change pas : la loi sera appliquée. Les arrêtés de reconduite à la frontière commencent à arriver et les recours faits au tribunal administratif sont déboutés malgré toutes ces actions. Et pourtant la famille pour laquelle le collectif avait occupé le local municipal avait été régularisée dès le début juillet.
De nombreuses familles prennent contact avec le collectif et viennent exprimer la souffrance due à leur situation.
En septembre de nouvelles familles sont à la rue et un local est négocié avec l’évêché. Actuellement trois familles y sont hébergées. Cette situation est précaire car l’évêché tient à récupérer son local pour ses activités. De plus, soutenues par le collectif, un certain nombre de familles logées en CADA (Centre d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile) ont refusé de quitter leur logement. Du coup ces familles ont été convoquées au Tribunal de Grande Instance le 21 octobre. En effet l’association gestionnaire avait déposé une plainte : la place manque pour les nouveaux demandeurs et demandeuses d’asile dont les dossiers sont en cours d’instruction. L’avocat justifiait la plainte en prétextant que l’association risquait de perdre ses subventions publiques en hébergeant des déboutés au lieu de demandeurs… Quand l’associatif humaniste devient ubuesque ! L’avocate des familles a demandé le report du procès pour complément de pièces à porter au dossier, ce qui a été accepté. La date retenue étant le 25 novembre le collectif a obtenu que les familles puissent continuer à être hébergée jusque là.

Un soutien sur quelle base?

Les parents d’élèves impliqués dans ce collectif se sont d’abord solidarisés avec les enfants dans la même classe, ou école, que le leur. Le collectif base son soutien notamment en référence à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, qui affirme que «dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou organes législatifs, l‘intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale». C’est à partir de la défense de l’intérêt de l’enfant que le collectif nantais demande la régularisation des familles…
Mais même si les parents d’élèves se sentent plus motivés pour se battre pour certaines familles (celles de leur quartier), pour autant personne ne tombe dans la revendication du cas par cas et c’est bien la régularisation de toutes les familles qui est demandée. Les débats sont nombreux aux réunions du collectif car la rencontre entre des parents d’élèves, enseignants et militants associatifs et syndicaux investis de longue date ne se fait pas toujours très facilement.
Bien sûr, les militant-e-s d’associations de solidarité avec les immigré-e-s (GASPROM, LDH, MRAP, CIMADE et Collectif de Soutien aux sans papier de Nantes), de par leur vécu de lutte accumulé depuis quinze ans contre les expulsions incessantes de demandeurs d’asile, ont les arguments de l’expérience. Mais il est aussi logique que les personnes investies dans ce collectif n’acceptent pas d’être à la remorque des associations ou des syndicats. Car si ces associations/syndicats ont l’expérience, la force du collectif consiste bien dans le fait que des personnes silencieuses jusqu’ici se soient mises en mouvement, collectivement, contre une injustice qui nous concerne toutes et tous. C’est parce que ce sont des parents d’élèves et des enseignants que ce collectif parvient à avoir l’attention des pouvoirs locaux et des médias.
On peut d’ailleurs constater que des aides (prêts de salle, etc) sont obtenues de la majorité municipale à un moment où elle est en situation de reconquête de son électorat (après 2002). Voulant continuer à incarner l’opposition au gouvernement actuel, elle ne tient pas à se mettre à dos le mouvement de solidarité…Mais des déclarations de sympathie de Ayrault, des salles gratuites,… sont somme toute bien peu de choses par rapport aux mesures nécessaires à une solidarité effective avec des familles expulsables.

Quel espoir pour une victoire

On peut espérer à terme une issue favorable pour les familles menacées si d’autres villes connaissent les mêmes mobilisations, avec la création d’autres comités similaires, c’est à dire avec une montée en puissance du rapport de force. C’est dans ce sens que la tentative de coordination hexagonale qui s’est créé en juin sous le nom de « Education sans frontière » devrait prendre sa place.
De la même façon, il est important aussi que les personnes mobilisées affichent une solidarité avec tous les demandeurs d’asile, enfants, parents, célibataires,…
Enfin les nouvelles personnes investies dans la lutte devraient perdre leurs illusions sur la gauche plurielle, recours hypothétique et imaginaire face à la gestion gouvernementale actuelle qui n’est que la continuité de la ligne menée par la gauche plurielle avant 2002. Mais ce sera ardu ; les personnes nouvelles, qui se mobilisent comme à Nantes pour les familles des copains de leurs enfants, viennent pour la plupart de classes moyennes constituant justement la clientèle électorale de la gauche plurielle.

En tout cas l’administration finit quand même par lâcher du lest devant les mobilisations puisque l’arrêté de reconduite à la frontière pour une famille d’origine bosniaque a été annulé en recours au tribunal administratif ce 21 octobre. Il faut noter que ces déboutés demandent l’asile politique pour fuir des représailles d’islamistes intégristes, suite à la fuite de la femme qui a refusé un mariage arrangé par sa famille. Le collectif de soutien, mobilisé, peut se réjouir de cette issue, mais évidemment continuera à refuser le « cas par cas », et à revendiquer l’application du droit d’asile pour tou-te-s les demandeurs.


Dominique. Nantes le 24/10/04



Faucheurs volontaires :
Action directe ou opération politicienne ?




Le 25 septembre dernier les « faucheurs volontaires » ont mené une nouvelle action nationale contre des parcelles expérimentales d’OGM. Partis de la Puye, dans la Vienne, le cortège automobile devait rallier, quelques kilomètres plus loin, une parcelle à Valdivienne, commune située, clin d’œil de la société industrielle aux mécréants du progrès que nous sommes, au pied de la centrale nucléaire de Civaux. L’opération se solda, comme lors des précédentes, par quelques violences policières qui entraînèrent des protestations d’autant plus véhémentes de la part des organisateurs qu’elles leur permirent de masquer ce qui ne fut, en fait, qu’une opération inscrite dans les grandes manœuvres de recomposition de la gauche de la gauche. Une occasion de faire le point sur les enjeux de ces nouveaux mouvements qui se réclament à tort d’une orientation libertaire.



Alors que l’action était sensée se préparer plus ou moins discrètement, à l’abri en tout cas du regard médiatique, sinon policier, nous fûmes surpris de constater, quelques jours avant le jour J, du nombre de gens au courant. Qui plus est, la presse elle-même annonçait à grands renforts de gros titres la venue certaine du pape Bové dans nos villages ! C’est que, une fois de plus, les leaders de la Confédération paysanne, cheville ouvrière de ces opérations avec la complicité active d’ATTAC et des Verts, ont préféré l’efficacité douteuse des feux de la rampe à la réalité tangible de la destruction d’OGM.

C’est ainsi qu’au départ du cortège nous eûmes droit à la présence très médiatisée de José Bové, bien sûr, mais aussi de Noël Mamère, d’Alain Lipietz, de Marie-Christine Blandin et de Besancenot. Radios et télés s’intéressaient davantage à ces têtes d’affiche qu’aux quelques centaines de manifestants venus de toute la France et aux motifs même du rassemblement.

Après quelques discours convenus sur la mondialisation, ces braves gens nous expliquèrent qu’il fallait, pendant cette action, respecter la discipline, refuser la violence (c’est-à-dire non seulement ne pas la provoquer, mais encore ne pas riposter aux flics), et s’en remettre aux porteurs de brassards dont les différentes couleurs indiquaient la nature de leur compétence (parcours, décisions de replis, blessures, etc.)
Une fois parvenus à Valdivienne nos bureaucrates et leurs petits soldats embrassardés ne purent évidemment rien faire face aux forces de l’ordre, malgré des négociations menées en sous-mains avec les autorités et le haut niveau d’encadrement des manifestants venus là, tout de même, pour faucher un champs de maïs, faut-il le rappeler ! Mais cet objectif concret n’était pas partagé, semble-t-il, par nos organisateurs davantage soucieux d’assurer un succès médiatique que de laisser se dérouler une action directe menée par la base.


Les faucheurs volontaires

On entendit parler des premiers mouvement anti-OGM lorsque, aux Indes, des paysans se sont soulevés contre la firme qui leur avait promis de meilleurs rendements s'ils cultivaient du coton transgénique, ce qui fut très loin d 'être le cas ! C’est aussi dans ce pays que des groupes s’élevèrent contre une entreprise américaine qui voulait faire breveter une molécule provenant d'un arbre du pays et utilisée depuis fort longtemps dans le traitement de certains maux. On se souvient également qu’aux USA quelques agriculteurs menèrent une résistance spectaculaire contre les OGM et les firmes qui les imposaient, et furent victimes d’une répression exemplaire sur le plan juridique.

En France, entre la première action anti-OGM resensée —  revendiquée comme fait syndical —  (1997, fauchage dans l'Isère, trois paysans condamnés le 21 mai 2004 à 600 euros d’amende et 400 euros de dommages et intérêts à la société Monsanto, puis amnistiés) et le lancement en août 2003 des "faucheurs volontaires" lors du rassemblement du Larzac, les actions menées furent le fait d'initiatives très diversifiées.

Des destructions de maïs et de colza de Monsanto, en 1998 qui entraînèrent des poursuites contre Riésel, à celle du riz trangénique au CIRAD l'année suivante en présence de la caravane intercontinentale des Indiens du Karnataka (poursuites contre René Riesel, José Bové et Dominique Soulier), des actions revendiquées ensuite par la confédération paysanne, aux multiples interventions des "enragés en campagne" (Péré, 17), des "chercheurs dans la nuit" à Toulouse', des Obscurs anti-scientistes dans le Tarn et Garonne, aux " mal-confinés en Ile et Vilaine, pour n’en citer que quelques unes, les intitiatives étaient diverses et variées, réclamant des mesures institutionnelles pour les unes, ou s'attaquant globalement aux causes pour les autres, risquées pour leurs auteurs dans certains cas, ou plus cool dans d’autres, elles offraient l'image d'un mouvement naissant, vivant, aux mille facettes.

Un seul principe de précaution, la destruction

On constatait aisément que les actions anti-OGM partaient dans deux directions distinctes : d’un côté celles qui attaquaient de front le capitalisme et critiquaient la société industrielle dans sa globalité et qui n’avaient que faire des pressions institutionnelles (les réalistes), et de l’autre celles qui se plaçaient sur l’échiquier politique comme demandeuse de strapontins au sein des institutions pour obtenir un capitalisme à visage humain, citoyen, propre et sans dette pour les pays du Sud (les utopistes illusionnistes).

Cette diversité ne pouvait pas plaire à tout le monde et ne devait évidemment pas durer. Pour contrôler puis éradiquer l'incontrôlable, pour orienter le mouvement dans la bonne direction des négociations avec le pouvoir, il fallait structurer tout ça. Ce qui fut fait avec la création des "faucheurs volontaires" en août 2003, lors du rassemblement au Larzac, et qui fut, en quelque sorte, l’acte fondateur de la récupération et de l’institutionnalisation d’un mouvement qui fut autrement plus radical et autonome qu’il ne l’est à présent.

Cette institutionnalisation des fauchages et des arrachages a eu comme effet d'accompagner le ralentissement du nombre des opérations menées (dû à la répression promise et mise en place par le pouvoir) plutôt que de le combattre.

A partir de ce moment, les « officiels » qui se sont appropriés le mouvement vont commencer à dénoncer les actions des « incontrôlables » et des « irresponsables »..
Deux exemples pour illustrer ces propos.
Le 20 octobre 2000, la Confédération paysanne et Attac, dans un communiqué de presse affirme non seulement n'être pour rien dans la destruction d'une parcelle à Longué (Maine et Loire) revendiquée par "quelques ennemis de la transgenèse et de son monde", mais encore que "cette destruction non revendiquée gêne leur démarche qui vise essentiellement à établir la transparence et à modifier la réglementation". Le Porte parole de la Conf' du Maine et Loire avait même, le 11 septembre précédent espéré que "la gendarmerie va pouvoir identifier rapidement les auteurs". D'ailleurs, c'est à cette même période que la direction nationale de la Confédération paysanne avait interdit à ses sections locales la moindre initiative sans son accord.

Le 16 juillet 2001, à Guyancourt (78) le groupe des "Ravageur" détruit une parcelle de 300 m2 d'un maïs transgénique insectiside expérimenté par le Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES). l'action est immédiatement condamnée par les associations écologistes et environnementalistes du département des Yvelines "opposés à toute action violente" (Terre et environnement) et "condamnant ce type d'actions clandestines" (mouvement écologiste indépendant). (huit jours plus tard la confédération paysanne mènera pourtant au même endroit une action du même type, très médiatisée, qui entraînera la poursuite contre 9 de ses militants).

En fait donc, la création des faucheurs volontaires fut un outil de vérouillage et de contrôle de tout ce qui pouvait s’organiser sans en référer à quiconque et qui risquait ainsi d’échapper aux visées stratégiques politiciennes que les chefs des nouvelles gauches entendaient mettre sur pieds.


Une nouvelle forme de militantisme : le lobbying

Pourtant, les récupérations ne se font plus comme jadis à coup de discours à la serpe et de termes issus en droite ligne du vocabulaire et de références léninistes. On fait référence aux « copains » plutôt qu’aux « camarades », on fait volontiers appel à un supposé « esprit libertaire » qui teinterait ces mouvements, on ne demande plus d’obéir mais de respecter les consignes, ces dernières n’étant plus issues d’une analyse politique ou scientifique mais du simple « bon sens ».

Nous sommes en présence de formes de militantisme et d’organisations qui sont très à la mode depuis quelques années : le lobbying comme méthode assortie de la médiatisation comme objectif immédiat ; un centralisme plus ou moins rigoureux et en tout cas des décisions toujours prises par le haut ; un recrutement sélectif de gens pas trop enclins à agir ou à décider par eux-mêmes mais désireux tout de même de « faire quelque chose ».
Prenons l’exemple de Greenpeace. Adhérer ce n’est ni participer à la vie de l’organisation ni participer à ses actions, c’est juste accepter un virement mensuel témoin d’une certaine bonne conscience. A l’opposé de cette large base mondialement représentée, quelques dirigeants salariés qui siègent à Amsterdam en liaison directe avec leurs antennes nationales. Ce sont eux qui décident de tout : des campagnes, des actions, de l’emploi des fonds reçus. Et entre les deux des petits soldats, très spécialisés, aguerris, entraînés, triés sur le volet, qui mènent les actions, celles dont on parle à la télé, celles qui attirent la sympathie de qui partage plus ou moins des sentiments écologistes et qui prennent, de toutes les façons, fait et cause pour David contre Goliath. Quand aux comités locaux il n’ont ni le droit de prendre des initiatives locales en tant que tel, ni celui d’apposer leur signature aux côtés d’autres forces sans l’aval de la direction nationale. Ils ont, en revanche l’autorisation de recruter des donateurs et des membres.

Autre exemple, celui d’ATTAC : la majorité du conseil d’administration est composée de membres fondateurs qui se cooptent entre eux. Les comités locaux n’engagent jamais leur direction nationale et leurs délégués qui composent la conférence nationale des comités sont sans pouvoir et ne peut qu’enregistrer des décisions prises ailleurs. Ce qui faisait dire à un groupe dissident : « le fonctionnement d’Attac manifste la croyance que la démocratie est pesante et qu’il faut s’en remettre au pouvoir et à la clairvoyance d’un seul ou d’un groupe dirigeant auto institué ».
Cette peur de la démocratie (la vraie ! Pas son ersatz parlementaire ou représentative) on l’a retrouvé au récent Forum social européen qui s’est tenu à Londres lorsque Bernard Cassen, ex-président d’attac et manitou des forums sociaux, a proposé que ces derniers se réunissent moins souvent (ce qui, en effet, laisserait les coudées plus franches aux représentants autoproclamés qui se partagent pouvoirs et décisions). On se souvient également qu’à Porto Alègre, Attac, de connivence avec le PT de Lula voulait empêcher les Forum sociaux de prendre des initiatives internationales... initiatives qui devraient être, selon eux, réservées à ces mêmes élites (non élues et souvent occultes) qui président à ces mouvement et sont seules à même de bien comprendre les situations et les enjeux et qui, de ce fait, voient toujours d’un mauvais œil les initiatives de la base, comme par exemple cette « assemblée des mouvements sociaux » à Londres, appelant malgré tout à des mobilisations anti-guerre pour le 20 mars 2005. C’est que pour eux, il s’agit avant tout d’éviter que ces mouvements s’éloignent des social-démocratie : lors du FSE à Londres les slogans anti-Bush semblaient remplir tout l’espace politique, comme si l’anti-impérialisme devait se résumer à l’anti-USA. Rien ou presque contre Blair... C’est qu’il fallait ménager le maire « rouge » (gauche du parti travailliste) de Londres, ce dernier devant ménager Blair, le chef du parti. Même chose en France où l’objectif est de constituer une force suffisamment crédible pour jouer dans la cour du PS mais en partenaire réel, pas en tant que pion. Exercice d’équilibriste qui oblige à critiquer un peu mais pas trop les alliés de l’ex-gauche plurielle qu’ils rêvent de reconstituer (1)

En fait, sous des oripeaux vaguement « modernistes » et « libertaires », on retrouve les mêmes mécanismes animant jadis un certain « centralisme démocratique » : des citisants, des distributeurs de tracts, des manifestants d’un côté, et de l’autre des décideurs organisés de manière pyramidale. La différence, et elle est de taille, c’est qu’il n’y a plus, comme jadis, un modèle pour servir de référence et que, par conséquent, les leaders sont beaucoup plus fragiles et doivent se servir de méthodes de manipulation plus sophistiqués qui peuvent paraître plus démocratiques, moins « autoritaires » (utilisation des medias, de la dynamique de groupe, etc.). Mais le résultat est identique.

Ces caractéristiques on peut les repérer facilement dans le mouvement des faucheurs volontaires. Lors des rassemblements anti OGM... annonce est faite pour que s'inscrivent de nouveaux « volontaires » à entrer dans la grande famille des « faucheurs ». Noms, adresse, et vous serez convoqués pour les prochaines actions... mais pas pour en discuter. Vous ferez 500 bornes en voiture pour vous voir offrir un brassard d'encadrement de telle ou telle couleur si vous êtes repréré comme élément sûr (c'est-à-dire proche ou membre d'attac, de la conf' ou des Verts, ou plus certainement pour suivre les consignes données au micro, puis vous faire taper sur la gueule, sans avoir le droit de riposter, par les forces de l’ordre (mais là je crois qu'il ne faut pas rêver, la grande majorité des volontaires au fauchage sont d'accord avec cette stratégie plus ou moins non violente, et sont des admirateurs inconditionnels de "José"). Là comme à ATTAC ou à Greenpeace, les décisions se prennent en haut. Ainsi, a-t-on entendu Bové, après l’action de Valdivienne, annoncer à la presse que, sans doute, ce type d’action serait la dernière car « on ne pouvait pas continuer à envoyer des gens se faire casser la figure et qu’on en reviendrait certainement à des opérations plus discrètes ». Très bien, mais qui les y a envoyé jusqu’à présent? Et pour quels objectifs ? Pourquoi l’aspect médiatique fut-il privilégié ? Et cette décision soudaine de changer de manière, qui en a décidé? Le staff, les dirigeants des trois compères Attac, la Conf’ et les Verts...

A un degré moindre, la Réseau « Sortir du nucléaire » obéit aux mêmes principes. Certes les groupes de base y sont plus autonomes qu’à Greenpeace. Pourtant le lobbying y est largement utilisé au détriment d’actions plus offensives et concrète. Témoin le récent Tour de France antinucléaire dont le seul objectif fut de mobiliser la presse (ce fut un échec de ce côté-là) par des jeûnes, des actions symboliques et des contacts avec les élus. Choisissant délibérément des rassemblements en semaines et dans la journée, cela ne pouvait concerner qu’une infime partie des antinucléaires (ceux qui sont les plus « dans la ligne » du Réseau) et surtout faire apparaître une sur-représentation des élus Verts ou autres alternatifs.

ATTAC, Greenpeace, les « faucheurs volontaires », le Réseau pour un avenir sans nucléaire s’inscrivent donc, à des degrés divers et chacun dans leur domaine, dans cette logique qualifiée souvent abusivement de libertaire mais qui, surtout, s’appuie sur un fondement politique bien précis : une vision de la société où la « citoyenneté » remplace la lutte des classes, où l’« opinion publique » (dont nul ne sait ce qu’elle est, mais dont nous savons à quoi elle sert) devient la forteresse à conquérir, où la revendication étatique est omniprésente au détriment de l’« autogestion ». Chacune des revendications de ces courants (transparence, modification des réglements, débat national sur telle ou telle question, etc.) se traduit, dans le cadre de leur lutte dite antilibérale, par davantage d’Etat... Un Etat au dessus des intérêts particuliers, bien sûr, et au service des citoyens.

Et comme bien sûr, aucun débouché réel et tangible n’est promis en tant que tel à ce genre d’engagement, il faudra bien un jour que se concrétise très vite un débouché plus politique, entendez électoral c’est-à-dire tout aussi illusoire, mais visible et tangible. Les Verts, comme la LCR l’ont bien compris qui accompagnent ces mouvements et comptent bien en faire leur base électorale.



1. Par exemple on ne dit pas un mot de la duplicité du PS qui, comme Segolène Royal en Poitou Charentes, soutient les maires refusant des expérimlentations d'OGM sur leur commune mais qui, lorsqu'il étaient au pouvoir qualifiait d'illégal (Jospin le 28 août 2001) les actions anti-OGM et affirmait qu'il ne les laissera pas faire (Glavany, ministre de l'agriculture).



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