Courant alternatif no 144 decembre 2004

SOMMAIRE
Edito p. 3
DERRIERE LES MOTS
Du politiquement correct au puritanisme p. 4
La decroissance, est-ce bien pertinent? p. 6
SOCIAL
Licenciements collectifs: faire payer au maximum les entreprises p.9
ANTINUCLEAIRE
Sebastien Briat victime des transports de dechets nucleaires p.11
RACISME ET COLONIALISME
Quand l'ecole publique choisit son public p.13
Jeunes scolarises sans papiers: guide pratique p.15
Rubrique flics et militaires p.16
Homophobie, transphobie, flickiatrie, et ordre moral p.17
Livres et revues p.17
international
Guadeloupe: colonialisme et repression syndicale p.19
Afghanistan: les premières leçons de "démocratie" à l'occidentale p. 19
Algerie: pour la liberte de la presse p.20
Ete pourri en Palestine p. 21

EDITO

Alors que les licenciements vont bon train, que le chômage perdure, que ne cesse d’augmenter le nombre de personnes sans revenus et de travailleurs pauvres, l’éloge du travail se fait de plus en plus insistant. Cela va de pair : il faut que, à tout âge, chacun se sente culpabilisé de ne pas en faire assez. Et ce, dès l’école : une loi d’orientation va voir le jour pour une instruction minimale dont les enfants de la classe ouvrière seront les premiers à faire les frais ; une école qui s’apprête à continuer à rejeter des jeunes, mais avec bonne conscience, puisqu’elle aura cherché (réussi ?) à faire intégrer l’idée que l’échec est pure responsabilité individuelle. Les salariés aussi sont exhortés à mettre plus de cœur à l’ouvrage. Camdessus, directeur du Fonds monétaire international de 1987 à 2000, a mis son expérience au service du gouvernement : il propose 110 mesures, sous le titre « Travail, économie, société : préférer l’emploi à l’assistance », qui visent à « (re)mettre la France au travail ». Selon lui, « le problème majeur de notre pays est celui (…) du déficit de travail tout au long de la vie ». Il s’agit donc de travailler plus, plus longtemps et de (re)mettre au travail les chômeurs/ses, les jeunes et les « seniors », pour améliorer la compétitivité des entreprises. Tout cela est dans le droit fil du projet de « refondation sociale » du Medef et des contre-réformes déjà engagées (dont le Plan de « cohésion sociale » de Borloo), avec en ligne de mire les droits des chômeurs/ses, le contrat de travail, la réduction du temps de travail et le coût de celui-ci.

Les lois qui se succèdent sont toutes faites sur mesure pour un patronat qui mène son offensive de classe sans que les travailleurs parviennent à résister efficacement, et encore moins à faire surgir des formes autonomes de combat social. Ainsi, face aux licenciements, les luttes ont du mal à se coordonner et c’est en recourant à la justice que des salariés arrivent parfois à arracher quelques réparations partielles (article p. 9).
La récente loi visant les restructurations est un cadeau de plus pour les patrons, même si le Medef accuse le gouvernement de « reculade ». Certes, la « sauvegarde de la compétitivité », invoquée par les patrons pour justifier des licenciements, ne sera pas inscrite dans le Code du travail ; mais ils pourront continuer de se servir de cet argument, qui leur permet tout. Quoi, n’est-ce pas justement pour assurer la bonne santé de l’entreprise, c'est-à-dire de leurs profits, qu’ils jettent à la rue des ouvriers ? Parmi les gâteries que leur sert l’Etat : lors d’un plan de sauvegarde de l’emploi, l’ordre des licenciements pourra être établi en fonction de la « qualité professionnelle » des salariés. Voilà qui permettra, de manière vicieuse et sans doute efficace, de créer la division, de forcer au zèle et d’éjecter en priorité les moins « méritants » et les plus indociles. De plus, les patrons pourront soumettre les travailleurs à un chantage à une modification, défavorable, de leur contrat de travail ; s’ils se montrent récalcitrants pour changer de tâche et de statut, ils seront licenciés et exclus des dispositions du plan social. Le chantage à l’emploi risque d’avoir de beaux jours devant lui…

Toutes ces mesures se font au nom, bien sûr, de la sacro-sainte « croissance », artifice idéologique destiné à masquer les spoliations et destructions du système capitaliste. Pour autant, utiliser le concept de « décroissance », comme certains le font pour évoquer un mode de vie et de production alternatif, permet-il d’illustrer le projet de société que nous portons et voulons faire croître ? (article p.6)

La « décroissance », le capitalisme est en voie de la réussir dans le champ de la diversité culturelle, qu’il attaque, cherche à réduire, voire à liquider. La loi interdisant les signes religieux à l’école entretient et accentue le racisme et l’islamophobie d’une France habitée par une histoire coloniale encore vivace, fière de laminer toute spécificité au nom de ses principes républicains et d’une pseudo égalité, et persuadée de la supériorité culturelle de l’Occident blanc et chrétien (article p. 13). La proposition de lancer des CV anonymes pour que ceux-celles dont le nom, le domicile, la photo feraient peur aux employeurs puissent obtenir un simple entretien d’embauche, est elle aussi un projet innommable. Cette « idée » de CV décolorés montre que le racisme vient de haut et trouve à s’ancrer fortement : si tu n’es pas bien né, le monde de l’entreprise ne t’ouvrira ses portes qu’à la condition que tu sois sans nom, sans lieu, sans attache. Cette tentative de neutralisation totale d’une identité qui dérange au point qu’on veuille la gommer est dans le droit fil du « politiquement correct » (article p. 4), d’autant qu’elle masque que les patrons se satisfont très bien d’une discrimination qui favorise l’exploitation salariale.

La France n’en finit pas de reproduire le schéma impérialiste et néo-colonial, en « métropole », dans les départements et territoires d’Outre Mer (Tahiti, Guadeloupe –article p.19) et dans toutes ses anciennes colonies. En Côte d’Ivoire, l’armée française est sur place pour protéger « nos ressortissants », nous dit-on. Un classique. Il a fallu attendre trois semaines avant d’être informé que les militaires avaient tiré sur la foule des manifestants à Abidjan, début novembre, provoquant des dizaines de morts et des milliers de blessés. On nous dit rarement que tous les secteurs-clés de ce pays sont dominés par 240 filiales de sociétés françaises (Total, Bouygues, Bolloré, France Télécom, banques…), qui détiennent près d’un tiers du capital social des entreprises ivoiriennes ; que ces sociétés ont l’hégémonie pour la gestion de l’eau, de l’électricité, des transports maritimes et ferroviaires ; que plus de 500 PME-PMI sont à capitaux français. La véritable mission de l’armée coloniale, c’est de protéger les super-profits de ces sociétés…et de défendre la main mise des capitalistes français face aux multinationales US qui cherchent à les évincer et qui ont déjà fait main basse sur le cacao.

Les Etats se renforcent lorsque le repli et la peur dominent et ils ont tout intérêt à les entretenir pour plus de soumission et de résignation. La réélection de Bush est exemplaire de ce que les démocraties représentatives (modèles exportés dans le monde !) sont capables d’engendrer. Sa victoire électorale ne fera que consolider sa sanglante stratégie militaire impérialiste, en Irak et ailleurs. Les Palestiniens ont tout à redouter de l’axe Etats-Unis-Israël, plus renforcé que jamais. Dans ce numéro, l’article (p.21) qui analyse la situation en Palestine au cours des mois qui précèdent la mort d’Arafat permet de mieux comprendre la réalité des forces en présence ainsi que les causes du blocage, dues à l’Etat d’Israël.

En France également, les dirigeants ne se lassent pas du sécuritaire. Pas de meilleure recette pour reconquérir la bienveillance des électeurs que d’entretenir la peur (en vrac, l’immigration clandestine, les procédures du droit d’asile, le sort des « criminels qui restent dangereux même en fin de peine », et les « nouvelles menaces », terrorisme, cybercriminalité…). Chirac ressort les grands principes de la tolérance zéro : pas d’infraction sans sanction, en toutes circonstances. Il annonce une nouvelle gamme de sanctions applicables par les juges, la multiplication des placements sous bracelet, des peines immédiatement exécutoires par les récidivistes… « Il faut aller plus loin » vers plus de répression, est le leitmotiv des dirigeants et des puissants.
Au nom de la sécurité, encore, l’Etat s’arme, et la course aux armements nucléaires retrouve un nouveau souffle ; il y avait la guerre froide, il y a désormais la guerre contre le terrorisme. Trois milliards d’euros, soit 10% du budget de 2005 de la Défense, seront affectés à l’armement et à la simulation nucléaires ; au même moment, la France et les autres Etats nucléarisés, Etats-Unis en tête, cherchent à contrôler et à étouffer les ardeurs atomiques d’Etats désignés comme nouvel « axe du mal » (Iran, Corée du Nord). La guerre et le nucléaire militaire au service du capitalisme mondialisé…
Le nucléaire « civil » a provoqué la mort d’un jeune militant, Sébastien Briat (article p.11). Cette mort est un élément de plus dans la liste des méfaits, des souffrances et des destructions faites par le capitalisme. Il y a eu, certes, et malgré la désinformation et l’intoxication médiatiques, des initiatives, des rassemblements pour dénoncer le lobby nucléaire, Areva et l’Etat français ; mais ces mobilisations ont-elles été à la mesure de l’événement ?
Face aux agressions du capitalisme et des Etats qui le servent, il n’y a pas d’autre choix ni d’autre voie que de continuer à dévoiler la réalité insupportable de ce système, à intensifier nos capacités de résistance, et à retracer, dans l’offensive, les chemins de la lutte collective.

Pays Basque, 27 novembre 2004

Du "politiquement correct" au puritanisme

Dans nos sociétés occidentales, le « politiquement correct » est en train de devenir une arme idéologique qui accompagne le renforcement totalitaire de l’Etat. Souvent mis en place par ceux qui réclament un retour à l’Etat-providence des « trente glorieuses » et qui considèrent à tort que la mondialisation a entraîné un affaiblissement de l’Etat, il est devenu un prêt-à-penser idéologique, ce qui, en feignant d’entériner certains acquis de décennies de luttes, lui confère une auréole progressiste acceptable par le bon peuple de gauche. Il est le fruit à la fois de luttes particulières et identitaires, rétrécies au point d’être privées de projet global, et du retour du religieux, qui donne du monde et de l’Histoire une vision dans laquelle le mal le dispute au bien.

Si le « politiquement correct » a pu si facilement s’installer comme instrument de contrôle social et comme élément des nouveaux moralismes, c’est qu’il est pour partie issu d’une légitime exigence d’adéquation entre le « dire » et le « faire », entre les « idées » politiques et les comportements quotidiens. Qu’il s’agisse des rapports au travail, entre les femmes et les hommes, les enfants et les adultes, à la sexualité, au racisme et autres joyeusetés, nous avons connu, et approuvons toujours, ces tentatives de ne pas cantonner le « politique » à une sphère particulière et restreinte, mais de lui faire embrasser tous les aspects de la vie et plus particulièrement ce qui touche à la domination et à la hiérarchie.
Cette exigence implique sans doute que s’exerce sur les individus une « pression », que l’on pourrait qualifier de morale, afin qu’ils se plient aux exigences comportementales et symboliques découlant des idées émises, adoptées et élaborées par tel ou tel groupe, telle ou telle société (1). Il serait par exemple souhaitable qu’une antispéciste ne mange pas de viande, qu’un antisexiste ne batte pas sa femme, qu’un anarchiste ne deviennen ni cadre ni patron (même petit), et qu’une révolutionnaire ne passe pas devant le curé ou le maire pour s’accoupler en toute légalité. Cela signifie que l’on ne peut être rouge ici, blanc là, noir encore ailleurs. Cette exigence, en opposition évidente avec les fondements du monde politique, des affaires des Eglises et de l’établissement, se range de fait dans le camp de la contestation de l’ordre établi.
Pendant longtemps, cette « pression morale » s’est exercée essentiellement, certes parfois de manière critiquable (2), sans réelle médiation institutionnelle, à un niveau « militant », d’individu à individu ou de groupe à groupe. Le modèle auquel il fallait se conformer dans son comportement et ses dires avait été élaboré du bas de la société et n’était pas encore récupéré par le haut. Cela restait essentiellement une tentative plus ou moins collective d’exister différemment dans une société qui, à l’inverse, cultivait les inadéquations, les hypocrisies, le « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
Progressivement, ces pressions ne se sont plus exercées seulement entre « égaux », au sein et dans le bas de la « société civile », mais par la loi et donc par l’Etat. D’une situation où des dominés tentaient de changer le monde, le politiquement correct est intervenu pour transformer cette exigence en une arme des puissants pour le conserver. C’est devenu une affaire d’Etat. Revendications et exigences ont été vidées de leur contenu premier et fondamental, de leur substance subversive et créatrice, pour devenir une simple poudre aux yeux, une substance morte, éteinte, froide comme l’Etat.
En moins de deux décennies, un certain nombre d’éléments constitutifs d’une identité politique à caractère rupturiste ont été en partie ossifiés au point que celles et ceux qui en furent les accompagnateurs sont parfois soupçonnés de ne pas être ce qu’ils prétendaient être.
Il s’agit de ce qui touche au racisme, à l’oppression des femmes, à l’homosexualité, à l’éducation des enfants et à l’art.
C’est parce que l’antisexisme n’avait nul besoin, pour s’affirmer, d’une justification scientifique ou d’un quelconque débat sur la « nature des choses » qu’il se situait sur le terrain du « désir » et non sur celui de la « raison ». Parce que notre féminisme se foutait du tiers comme du quart de voir des femmes accéder aux pouvoirs qu’il était subversif. Parce que notre antifascisme n’avait de sens que comme conséquence de la barbarie capitaliste et ne nous fermait les yeux ni sur le « fascisme rouge » ni sur les éléments qui laissaient prévoir bien d’autres barbaries futures, quel que soit leur nom, qu’il était créateur et non passéiste. Parce que la liberté de penser et de dire ne souffrait, à nos yeux, aucune exception et que le slogan « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » (promu jadis par des maos devenus « nouveaux philosophes » et à présent prêtres néopuritains du citoyennisme) n’était selon nous qu’un projet terrifiant, par le totalitarisme qu’il contenait, que nous nous situions dans la veine libertaire.

Un espace de fermeture

Or, à présent, l’émergence du « politiquement correct », destiné à réintégrer ces exigences subversives en éléments constitutif du républicanisme, c’est-à-dire en éléments propres et lisses, aptes à figurer dans les manuels scolaires, nous transformerait, pour peu que l’on n’y prenne pas garde, en antisémites, en homophobes, en zélateurs du patriarcat, en fascistes potentiels ou réels aux yeux de nos nouveaux prélats. C’est que, pour ces derniers, hors l’église républicaine point de salut, les revendications précitées n’ayant de valeur que vidées de leur contenu antiétatique, autrement dit réduites à pas grand-chose.
Le « politiquement correct », avec toutes les inclinaisons « bien-pensantes » qu’il contient, est devenu un espace de fermeture destiné à éviter tout débat réel, ou du moins à le circonscrire puis à le transformer au plus vite, quand cela devient nécessaire, en un débat virtuel, réservé aux élites et aux institutions. Un débat qui devient alors un pur spectacle qui s’aboutit et se dissout dans le législatif. Le « politiquement correct » a besoin de s’acoquiner avec le législateur afin que le droit n’apparaisse plus pour ce qu’il est : l’établissement d’un rapport de forces, et la conséquence de luttes (ou alors que ces luttes soient fort anciennes et que l’on les célèbre comme une messe), mais comme une évidence que l’Etat appuie en apparaissant une nouvelle fois comme le garant de la protection des faibles.
Sa fonction est alors de susciter la crainte. Crainte de ne pas être dans le droit chemin, d’être montré du doigt, voire puni sévèrement. Crainte de paraître homophobe pour qui n’est pas pour le mariage homosexuel, crainte de paraître antisémite pour qui fustige l’Etat d’Israël, de paraître sexiste si on se fout du pourcentage de femmes cadres ou ministres, d’être traité de fasciste pour avoir relu le Voyage au bout de la nuit ou pour avoir considéré que la défense de la démocratie parlementaire ne valait pas un clou, même face à Le Pen.
Derrière le « politiquement correct » se cache la volonté que les pouvoirs ont toujours eue d’exercer une censure vis-à-vis de ce qui échappe au savoir officiel (ce dernier pouvant varier en fonction des intérêts en et des rapports de forces).
Le « politiquement correct » a ses nouveaux puritains. Ils sont là pour veiller à ce que les principes s’appliquent à la lettre, du moins sous leur aspect le plus apparent, voire le plus médiatique. Ils privilégient la forme, évitant de comprendre et d’aborder le fond. Ce qui compte pour eux n’est pas ce qui encombre les cerveaux mais ce que la langue laisse échapper. Les tartufe d’aujourd’hui, de l’extrême gauche à l’UMP, se dotent d’une panoplie de ligues de vertu qui rivalisent d’hypocrisie (Licra, Chiennes de garde, SOS-racisme, Ni putes ni soumises, Ligue de protection des enfants...), traquent le Mal partout et, tels les anciens inquisiteurs, sont amenées à le provoquer pour justifier leur pitoyable existence.
Cette forme moderne du puritanisme tente de nous replacer dans un système de pensée et d’action bipolaire : à chaque question, à chaque problème, deux réponses et deux seules qui peuvent se résumer ainsi : le Bien et le Mal.
Dans cette affaire, les médias jouent un rôle de relais essentiel. Ce sont eux qui nous expliquent ce qu’il est correct de penser et de faire. Et avec encore plus de force que lorsque cette propagande s’infiltrait essentiellement par le biais de la presse écrite (de ladiffusion des remèdes dits « de bonne femme » à la façon d’éduquer ses enfants, de la propagande patriotique à la manière de traiter ses domestiques, de l’acquisition des bonnes manières à l’hygiène corporelle...), puisque maintenant le vecteur propagandiste principal s’accompagne d’images et pénètre dans les maisons jusqu’à faire partie de votre intimité. Pas une émission, qu’elle se pare d’un semblant de sérieux ou qu’elle se veuille de divertissement, sans qu’un expert en ceci ou en cela ne vous dise que faire, que penser, comment interpréter tel comportement. Au hit parade de la présence cathodique, les plus grandes crapules : les médecins et les « psys » ; suivis de près par les pédagos à la Rufo, les Kinés du télé-achat, les économistes à la B. Guetta, et les experts en ceci ou en cela qui font duo avec les présentateurs, tels Thierry et Jean-Mimi en reprenant la tradition divinatrice de Geneviève Tabouis après la guerre (Attendez-vous à...) quand les Français avaient soif de comprendre (3)...
Ainsi, le « politiquement correct » se mêle de tout, pénètre partout, récupère et détourne, en les réifiant, les moindres révoltes, les moindres remises en question.
Pourtant, il est tout de même une chose que nos puritains « politiquement corrects » laissent de côté, c’est ce qu’il y a de plus obscène au monde, à savoir le commerce, la loi de la valeur, l’argent et le mercantilisme. Et les balivernes sur le « commerce » équitable n’y changeront rien !
S’il n’est pas politiquement correct de dire que Céline est un grand écrivain et Heidegger un philosophe de premier ordre ; s’il n’est pas « artistiquement correct » de priser des artistes de la grande époque stalinienne, cela n’empêche pas qu’au niveau des cloaques de l’économie de marché leur valeur ne fait que grimper chaque jour. Des manuscrits de Céline sont achetés à prix d’or par des bibliothèques tout à fait « correctes ». Le peintre Kandinsky atteint des valeurs énormes malgré son flirt avec les nazis ; Picasso, pourtant reçu par Otto Abetz, n’est nullement atteint.

En guise d’exemple : le mariage homosexuel

Alors que l’institution du mariage semblait sérieusement entamée à la fois par le nombre de plus en plus faible de couples y ayant recours et par un taux d’échecs de plus en plus fort (un divorce sur deux dans les grandes villes, paraît-il), la voilà réhabilitée par une partie des gays.
Ainsi, une bonne partie des affirmations homosexuelles s’est trouvée vidée de tout contenu subversif, du moins pour ce qui regarde la sexualité.
Si vous refusez de répondre par « oui » ou par « non » à la question « Etes-vous pour ou contre ? », mais que vous affirmez qu’il s’agit d’une revendication aussi stupide que la question, vous serez mis dans le camp de celles et ceux qui disent « non ».
« Pour » ou « contre » ? La question n’a pas grand sens. Selon nos critères, elle devrait être posée ainsi : Etes vous pour ou contre l’interdiction faite aux homosexuels de se marier ? » Et, à l’évidence, la réponse est alors « contre ».
Un récent sondage indique soi-disant que plus de 70 % des Français sont pour les mariages homosexuels. On a là une illustration de la prégnance qu’exerce le « politiquement correct » sur les consciences et sur la façon dont s’expriment les gens. Cela signifierait-il que l’homophobie est devenue minoritaire ? Si c’est le cas, tant mieux, mais je crains fort qu’il ne s’agisse majoritairement pas de cela, mais d’une simple réponse de conformité à ce qu’il est convenu de dire sous peine de passer pour... (mais on n’en pense pas moins).
Depuis plus de trente ans, les homosexualités revendiquées et combattantes n’ont été considérées par les milieux de gauche ou d’extrême gauche que sous leur aspect plus ou moins subversif, c’est-à-dire en rupture avec les idéologies normatives et revendiquant le « droit à la différence ».
Volonté de vivre selon sa propre norme, malgré la volonté de diktat exercée par l’idéologie dominante (plus que « droit à la différence »).
Ce qu’il y avait de subversif dans la revendication homosexuelle portait essentiellement sur la sexualité en tant que telle, sur la reconnaissance – ou la découverte – que cette dernière était présente dans la vie des humains de manière beaucoup plus vaste que ce que la société patriarcale autorisait. Or, le mariage est précisément l’inverse de cet élargissement. C’est un encadrement et une restriction du champ de la sexualité permettant un contrôle social étatique sur les individus. C’est ainsi que les pédés sont devenus des gays. Les « enculés » qui faisaient frémir d’horreur (ou de désir rentré) les bien-pensants sont à leur tour devenus des citoyens fondant une famille et accédant ainsi à la reconnaissance institutionnelle. « Gays » directement importés de la patrie américaine du « politiquement correct » ; tandis que les pédés revendiquaient de ne pas être comme les « gens normaux » — puisque la normalité n’a aucun sens ! — (voir les publications des années 70, en particulier la Grande encyclopédie des homosexualités, ou le Rapport contre la normalité du FHAR), les gays d’aujourd’hui revendiquent leur place dans la conformité de l’ordre social. Ce sont, en quelque sorte, des pédés qui ont réussi, qui appartiennent le plus souvent aux classes moyennes plutôt supérieures, ou qui aspirent à en faire partie, au monde du show-biz, de l’art, des élites, mais qui doivent leur position acquise aux luttes de leurs aînés, simples pédés, et qui trop souvent l’oublient.
On pourrait multiplier les exemples de ce genre tant sur l’antiracisme et l’antifascisme que sur les questions palestinienne ou bosniaque, sur l’éducation ou tout ce qui touche à l’Art
Mais le plus grave est à venir en ce que le « politiquement correct » s’inscrit aussi dans un projet implicite de perfection dans tous les domaines. Après l’« économiquement correct », le « sexuellement correct », il y aura immanquablement le « biologiquement correct » qui, malgré les précautions annoncées et les commissions d’éthique, grâce au développement de la médecine génétique, débouchera sur la volonté implicite de l’Homme parfait. Une sorte d’aboutissement : dans un monde achevé, une Histoire achevée, un homme achevé. Cet aboutissement de l’Histoire, c’est la démocratie représentative assortie des droits de l’Homme (et de la femme, et des enfants, pour rester dans le « politiquement correct »).

JPD, novembre 2004


(1) En fait, dans la mesure où cela concerne des personnes directement actrices de ces projets, il s’agit davantage d’éthique que de morale. La première s’applique d’abord à soi-même, la seconde s’adresse en premier aux autres (Faites ce que je dis, pas forcément ce que je fais). La première nie le pouvoir et est laïque ; la seconde est un instrument de pouvoir et implique une transcendance. Nous sommes là en plein cœur du sujet traité ici.
(2) Il y eut, ici ou là, dans les années 70, des cas dans lesquels la pression fut plus que morale pour obliger tel ou telle à être conforme au modèle en vigueur adopté par un groupe.
(3) A cet égard, il nous faut remarquer que l’Université française, qui, depuis des siècles et malgré quelques courtes parenthèses, fut toujours l’adjointe zélée du pouvoir, produit à présent cette fine fleur des nouveaux prêtres qui, par l’intermédiaire des étranges lucarnes, nous expliquent ce qu’il faut faire et penser.


QUAND L'ECOLE PUBLIQUE CHOISIT SON PUBLIC


La loi votée le 15 mars dernier sur les signes religieux à l’école a permis d’exclure « officiellement » une quarantaine d’élèves, principalement des filles. Les conseils de discipline ne viennent que de commencer, et le ministère de l’éducation nationale ne fournit aucun chiffre. Mais il est presque certain que le nombre d’exclu-e-s de fait des écoles publiques françaises est bien plus élevé qu’il n’est dit : scolarisation à l’étranger, scolarisation par correspondance ou tout simplement déscolarisation. Cette déscolarisation forcée renvoie à un des slogans féministes crié lors des diverses manifestations opposées à loi : « La rentrée à l’école pas aux fourneaux ! »

TOUT LE POUVOIR AUX MEDIAS !

Le « débat », habilement orchestré par la droite gouvernementale, n’a pas été uniquement suivi par la gauche républicaine. La gauche républicaine l’a nourri. On a ainsi retrouvé les relents de mission civilisatrice qu’elle s’était si amèrement donnée lors des conquêtes coloniales. Certainement pas réclamée par la rue, encore moins par un quelconque mouvement social autoproclamé, la loi a été justifiée par un déferlement médiatique. D’abord par Sarkozy qui, lors du congrès de l’UOIF, laissait croire que les jeunes filles voilées sur les cartes d’identité pouvaient cacher de méchants terroristes clandestins derrière leurs costumes. Puis par le duo LO-LCR, par le biais de deux de leurs cadres qui se sont mis à l’avant-garde de l’exclusion, sous les projecteurs de la « France entière », de Alma et Lila Levy au lycée Henri-Wallon d’Aubervilliers. Enfin, par l’impressionnante ampleur unilatérale de numéros spéciaux et d’émissions consacrés au sujet, qui alimentèrent la bonne conduite de la commission parlementaire Stasi dont on connaissait chaque soir les moindres détails. Quand dans la rue s’exprimait une position, c’était le plus souvent pour s’opposer à la loi. Même lors de la manifestation pour le 8 mars, le cortège du collectif national Une école pour toutes et tous qui s’était créé contre le projet de loi ne passait pas inaperçu face à la quasi unanimité des partis politiques qui défilaient main dans la main à l’instar d’Arlette Laguiller et de Nicole Guedj, secrétaire d’Etat du gouvernement Raffarin. Les Ni Putes Ni Soumises offraient une bonne conscience aux apôtres de l’exclusion. Une bonne conscience qui aurait pu être justifiée si le mouvement (c’est comme cela qu’il est nommé !?) des NPNS s’appuyait sur une réalité militante du terrain dont elle se réclame. Or ce n’est pas le cas. Hormis quelques électrons ambitieux du Parti Socialiste, la marche des NPNS n’a guère suscité de nouvelles envies de combats. Au mieux, les NPNS ont réuni des militantes féministes croyant qu’à travers le sexisme en banlieue elles réussiraient à réamorcer un combat de femmes ; au pire, les NPNS ont rajouté une couche au discours sécuritaire de la gauche plurielle sur les sauvageons de ces cités où la police ne rentre plus. Si la mayonnaise n’a pas pris, c’est que certainement les filles de quartier ne voient pas pourquoi elles combattraient le patriarcat plus chez elles, alors qu’elles vivent le même « en dehors », parfois plus durement : discriminations en tant que femmes et issues des migrations, à l’école ou à l’embauche. C’est ce qu’on pourrait voir, si on ne voyait le foulard non pas comme un symbole (dans la multitude de symboles, pourquoi celui-là plus qu’un autre ?) mais comme une réalité sociologique : une autre revendication de femmes issues des migrations.

LE DEBAT PRIS EN OTAGE

La rentrée scolaire fut une rentrée de l’exclusion. Exit les problèmes de l’école, les baisses de moyens, la bunkerisation des établissements scolaires, les classes surchargées, l’incapacité de l’école à répondre aux aspirations des élèves, la précarisation des statuts… Le problème n’était plus les différents gouvernements de gauche comme de droite qui font de la baisse des coûts de l’éducation nationale un postulat nécessaire à l’équilibre budgétaire de la locomotive de la construction capitaliste européenne ! Belle aubaine, pour des ministres qui côtoyaient la colère des enseignant-e-s, de passer pour les sauveurs d’une école du xixe siècle, alors qu’ils sont les agresseurs qui mènent une offensive sociale permanente contre les plus pauvres. Tout d’un coup, le problème venait de jeunes filles de 15-16 ans. La prise d’otage en Irak de deux journalistes français (et de leur « chauffeur syrien », sans nom, car certainement trop difficile à prononcer, mais qu’il faut rappeler en ces périodes où le politiquement correct sert à justifier les pires ignominies : ici le racisme), dont on ne connaît pas encore le déroulement exact, a été une autre aubaine pour des acteurs bien différents sur la question de cette loi.
Pour le gouvernement évidement, qui a joué de la méthode Coué dans les médias, affirmant contre vents et marées que la rentrée se passait bien, alors que, dans les bahuts, elle s’est souvent faite sous pression (pression de se déshabiller, pression d’être exclue, pressions de voir une camarade exclue ou déshabillée). La rentrée a été aussi un exercice de défoulement pour certaines et certains. Un proviseur à Strasbourg a ainsi exigé d’une lycéenne qui venait de se dévoiler de crier « Vive la république » avant de rejoindre sa classe. Le maire de Montreuil, Brard, accompagné de quelques intégristes de l’athéisme, a exigé l’exclusion des mères portant le foulard dans les espaces de participation scolaire des parents d’élèves (conseil de classe, sortie scolaire…). Une étudiante en BTS vient d’être exclue, encore à Strasbourg, alors que la loi ne s’applique évidemment qu’aux écoles, collèges et lycées. Effrayante période qui voit ainsi les mêmes personnes protester en 68 contre les lycées casernes et réclamer en 2004, à l’instar de Goupil, la restauration de l’uniforme à l’école.
La prise d’otage en Irak a aussi bénéficié à l’intelligentsia musulmane française. Les frais représentants du Conseil Français du Culte Musulman, l’UOIF en tête, se sont bien empressés de balayer cette histoire de foulard qui les enquiquinait plus qu’autre chose dans leurs désirs de représentativité et de participation aux affaires. Ils ont ainsi été bien contents d’être à la tête du soutien au gouvernement français plutôt que d’être à la tête de sa contestation. Dalil Boubakeur, président du CFCM, s’est même permis, en ces moments-là, d’affirmer que « les musulmans en France n’avaient aucun problème de racisme et d’intégration ». Les exclues de l’école publique, les familles et proches des victimes des meurtres racistes de la police française, les refoulé-es des entretiens d’embauche ou de location de logement apprécieront !
Enfin, les derniers bénéficiaires du traitement médiatique de cette prise d’otage comportent toutes celles et tous ceux qui avaient besoin d’être confortés dans l’idée que les foulards en France venaient d’ailleurs. Comme si ce n’étaient pas de jeunes Françaises, nées en France et tutti quanti. Comme si ce qui se passait en Irak, en Iran ou en Algérie déterminait ce qui se passait en France. Pour ce qui est du collectif Une école pour toutes et tous à Strasbourg où nous militons, nous avons refusé de nous prononcer sur cette prise d’otage dont on ne savait rien. Pourquoi être obligé de se justifier ? Nous n’avons jamais fait de prise d’otage, nous n’avons pas plus de lien avec l’Irak qu’avec le Venezuela ou les îles Kerguelen !

L’AFFAIRE DU FOULARD, C'EST COMME L'AFFAIRE DREYFUS

La première similitude entre l’affaire du foulard à l’école et l’affaire Dreyfus n’est pas encore vérifiée, mais elle est de taille : ce sont deux affaires qui vont durer dans le temps et laisser des traces. La loi du 15 mars n’a rien résolu, elle a juste attisé les braises d’un feu que certains nostalgiques de la France blanche veulent raviver. La seconde similitude est, elle, déjà vérifiée. Tout comme l’affaire Dreyfus avait révélé le profond antisémitisme de la société française du xixesiècle (un juif alsacien est forcement plus soupçonnable qu’un catholique francilien), l’affaire du foulard révèle la profonde islamophobie de la société française du xxie siècle. Il n’y a ici pas assez de place pour expliquer l’ancrage raciste de ce qui nous entoure, mais il est clair que la défaite de l’armée française en Algérie n’est toujours pas digérée et que les élites économiques se satisfont très bien de cette discrimination qui favorise l’exploitation salariale. Les racismes viennent d’en haut, et ce n’est pas par hasard qu’ils perdurent.

Enfin, tout comme l’affaire Dreyfus, l’affaire du foulard à l’école a divisé l’ensemble des corps constitués de la société française. On s’entredéchire sur la question dans les familles, entre les collègues de boulot, dans les organisations politiques, les syndicats… La belle famille libertaire est loin d’être exempte de ces déchirements. Certes des organisations comme la LCR, bien habituées à jouer sur les deux tableaux, croient s’en sortir en participant à la fois aux exclusions et dans les collectifs d’Une école pour toutes et tous. Mais sur de tels sujets, l’histoire et les combats futurs retiendront certainement celles et ceux qui, bien chaussé-e-s, loin des logiques partidaires, savaient ce que le combat anticolonial nécessitait : le courage et la clarté.

L’EXPLOSION DES FEMINISTES EN FRANCE

Mais s’il est un corps constitué de la société française qui a complètement explosé avec le vote puis l’application de la loi du 15 mars, ce sont bien les féministes. Tout d’abord appelées à la rescousse, une bonne partie des femmes, qui avaient fait de leur condition un combat, semblent être tombées dans le panneau. Pour exemple, la pétition de « femmes célèbres », publiée dans Elles, est aujourd’hui reniée par une partie des signataires qui jugent avoir été pressées plus qu’informées. Les nombreux forums internet sont souvent le lieu d’invectives très violentes. D’un côté, il y a un féminisme colonial qui, à l’instar de Caroline Fourest et de Prochoix, a milité pour la loi et aujourd’hui la défend, sur le prétexte que le mouvement féministe a acquis des droits que la présence du foulard en France (en temps que symbole) remet en question. De plus, Prochoix s’est transformé en véritable armée civilisatrice du monde, affirmant que le rôle des féministes occidentales est de favoriser (imposer !) un modèle de femmes émancipées. De l’autre côté, il y a un féminisme d’audace qui, à l’image de Christine Delphy, directrice des Nouvelles Questions Féministes, infatigable militante de la première heure du collectif Une école pour toutes et tous, veut relier les luttes des femmes en dehors des modèles occidentaux. Ce qui enrage une partie des féministes, encourage l’autre partie : l’existence de femmes portant un foulard se revendiquant féministes, affirmant que le droit de ne pas le porter implique le droit de pouvoir le porter. Le foulard n’étant qu’un symbole, il n’est pas plus oppressant que le maquillage et la minijupe : ce qui détermine l’oppression est la condition sociale dans lesquelles la minijupe comme le foulard sont portés.

AFFRONTEMENTS ET CLASHS

Le Forum Social Européen, qui se tenait à Londres, a été le théâtre d’une véritable bouffée d’air pour les opposants à la loi du 15 mars. Lors d’un séminaire intitulé : « Hijab : le droit des femmes de choisir », plus de 800 personnes ont participé à la dénonciation d’une loi raciste. Ce qui a mis hors d’elle la gauche républicaine française, Bernard Cassen en tête, le président d’honneur d’Attac, adepte déclaré de la loi qui, son forfait établi, annonce que « c’est une question qui appartient désormais au passé et qui ne méritait pas un séminaire au FSE ». En tout cas, la presque quasi unanimité de ce séminaire fera date. Voilà la gauche française, républicaine et indivisible rappelée à son histoire, celle de la permanence de ses liens avec le colonialisme et de sa capacité à faire face seule contre tous à son rôle civilisateur : Plus de débat sur le racisme de la loi du 15 mars, plus de débat sur la torture pendant la guerre d’Algérie, pas de débat sur la présence de l’armée française en Côte D’Ivoire etc…

Mais ces adeptes du siècle des lumières optent aussi, quand la raison d’Etat y oblige, pour les heures sombres des censures. Le film « Un racisme à peine voilé » de La Flèche Production, réalisé par Jérôme Host, en est devenu la cible. C’est un film qui donne la parole aux opposant-e-s à la loi dite de la laïcité : femmes voilées, femmes ayant subi l’exclusion, profs, militant-e-s, notamment des collectifs Une école pour toutes et tous. Sorti le premier septembre dernier, le film a déjà été projeté une quarantaine de fois à travers la France, accompagnant ainsi également de nombreuses réunions publiques. Pour l’Union des Familles Laïques (UFAL), la situation est insupportable. Elle a appelé les maires de France à empêcher toute projection dans leur ville. Trois dates qui devaient suivre ont été annulées ou modifiées. L’appel de l’UFAL est abondamment relayé par des sites de fachos. Un organisateur a même porté plainte suite à des menaces de mort. L’UFAL reproche au film fait par des « islamo-gauchistes » d’être un film « pyromane » qui pousserait les « jeunes en manque de repère à agresser leurs professeurs ». La Flèche Production a répondu dans un tract intitulé « La censure est insupportable » (www.laflecheproduction.com). Enfin, clou du spectacle, le journal Le Monde publie un article , « D’anciens militants d’extrême droite se recyclent dans une association familiale laïque », dénonçant l’accueil de l’UFAL fait à d’anciens membres d’Unité Radicale, groupe dissout après que l’un des leurs a tenté de tirer sur Chirac. L’UFAL regroupe une partie du courant nationaliste français de gauche, notamment une bonne partie des dirigeants d’Attac, dont le chef de file n’est autre que Bernard Cassen, ancien conseiller ministériel de Chevènement en 81.

LA GUERRE DES RELIGIONS CONTRE LA GUERRE SOCIALE

Sur le plan international, la loi du 15 mars n’est pas déconnectée de l’ensemble des enjeux. L’accélération des agressions sociales sur toute la planète, dont sont la cible les travailleurs-euses et les chômeurs-euses, a évidemment pour effet d’attiser les conflits sociaux. Les dirigeants de ces basses manœuvres pensent certainement, comme en France, que mieux vaut un entre-déchirement des plus précarisé-e-s plutôt que de se les prendre en pleine face, comme cela devrait avoir lieu. La guerre des religions vaut mieux pour les capitalistes que la guerre sociale. Pourtant, nous ne devons pas nous tromper, le racisme vient d’en haut, et l’agression est blanche.

Jérôme Ch, Strasbourg, 24 novembre.



AFGHANISTAN:
LES PREMIERES LEçONS DE DEMOCRATIE À L'OCCIDENTALE




Oh surprise, le 4 novembre dernier, Hamid Karzaï a été déclaré élu — haut la main — lors des premières élections « libres » depuis l’invasion du pays par les forces de la coalition anti-Ben Laden (Américains, Européens – dont des troupes françaises).

La proximité du président Karzaï avec la famille Bush n’a évidemment pas eu d’influence sur le sort des élections qui se sont déroulées le 9 octobre. Pas plus d’ailleurs que son ancien poste de conseiller auprès de la société pétrolière américaine Unocal. Les 18 candidats auront tous bénéficié de l’assistance de Awaz, une maison de production installée à Kaboul et subventionnée par l’ONU, pour la réalisation de clips électoraux vidéo et audio ; soit le nec plus ultra de la communication politicienne en matière de démocratie civilisée. De l’image, du son, du marketing politique, des promesses et des slogans creux, les Afghans vont vite apprendre les règles de base du débat démocratique.

Bien sûr, les mauvaises langues ont tenté de ternir le travail civilisateur de l’Occident en émettant quelques doutes sur le sérieux du scrutin, comme par exemple un nombre d’électeurs largement supérieur aux capacités évaluées par la démographie du pays. Le nombre très important d’électeurs potentiels s’est traduit sur le terrain par des chiffres délirants. Ainsi, la province du Panjsher compte 200 % d’inscrits, Djalâlâbâd 140 %. Aucun moyen ne permet d’empêcher une personne de s’inscrire sous plusieurs identités. La campagne électorale aura également été marquée par des achats massifs de voix à grand renfort de monnaie sonnante et trébuchante, de sacs de riz, de vêtements. A ce petit jeu, Karzaï bénéficiait évidemment de moyens financiers bien plus important que les autres candidats. Parmi ceux-ci, quatorze ont également porté plainte pour fraude en raison d’un problème d’encre censée prouver le vote et qui en fait s’effaçait, ce qui a permis à certains de voter plusieurs fois. Mais rapidement les choses sont rentrées dans l’ordre à coup de promesses de postes ministériels dans le futur gouvernement. Rachid Dostom et d’autres candidats, qui avaient également porté plainte, ont aussi été reçus par l’ambassadeur américain. Ils ont retiré leur plainte. Dostom est l’un des derniers chefs de guerre en Afghanistan. Installé dans le nord-ouest du pays, il fait la loi et l’ordre dans sa région. Sa capitale, Shibergan est son royaume. Dostom est soupçonné de nombreux crimes de guerre. Selon un conseiller de Karzaï, « Les Américains lui ont mis le marché en main : tu conserves tes droits sur ta province et tu retires ta plainte. Sinon, nous te retirons ton pouvoir ».

Bref, tellement confiante dans une victoire de Karzaï au premier tour, l’ONU, qui parrainait le processus électoral, n’avait pas prévu de financement pour un éventuel deuxième tour.

Il faut imposer la démocratie et la civilisation dans les pays de l’axe du mal, disait l’autre : en tout cas, cela commence bien pour l’Afghanistan…

[Sommaire de ce numéro] [Liste des numéros de CA sur le site] [S'abonner] [Commander des anciens numéros]