Courant alternatif no 145 janvier 2005

SOMMAIRE
Edito p. 3
REPRESSION
Les refugies italiens menaces d'extradition p. 4
INTERNATIONAL
Côte d'Ivoire: propagande contre propagande p.5
Palestine: ete pourri (suite) p.6
Irak: luttes ouvrieres contre farce electorale p.8
Ukraine: une vraie fausse revolution orchestree par les USA p.10
REPRESSION
Arrestation de militants avant le sommet franco-espagnol p.13
NUCLEAIRE
Apres Avricourt, un nouvel incident en Allemagne p.14
Social
St Nazaire: lutte exemplaire, acquis de misere p.15
Greve aux peniches du val de Rhone p.18
ENVIRONNEMENT p.13
La pollution du vin p.19
Courrier p. 23
Rubrique flics et militaires p.24

EDITO


Après la guerre il y a la paix. Puis une autre guerre. Puis une autre guerre. Puis de nouveau la paix. Apres chaque guerre le monde gagne un peu de paix, un peu moins de guerre puisque que le Bien gagne toujours contre le Mal. Grâce à l’axe du Bien, de vilains dictateurs sont enfin chassés et les peuples du monde entiers peuvent se réjouir car le pays conquit connaît bientôt les joies de la démocratie de l’économie de marché, de la consommation …

En Irak la guerre est officiellement finie depuis plus d’un an. Qu’en est-il alors ? Si l’on oublie qu’une trentaine de personnes meurt chaque jour dans des attentats, que les médias du monde entier nous font croire que la résistance du peuple irakien face a l’impérialisme Américain est synonyme d’intégrisme religieux et d’islamisme radical, en même temps que l’on omet de signaler que l’attaque de Falloudja ces dernières semaines a fait plus de 1000 morts, que la charia a été instaurée et que toutes les initiatives progressistes sont doublement réprimées (par les islamistes et par les forces d’occupation), on peut dire que tout va bien. La grande foire de la reconstruction a permis aux entreprises occidentales de se partager les ressources du pays : les opposants à la guerre (France, Allemagne, Russie, Chine) qui pour la plupart étaient déjà économiquement présents en Irak (un motif pour s’opposer à la guerre ?) tentent de sauver leurs intérêts face à la main mise Anglo-américaine. Après avoir pendant plus de 10 ans affamé avec un embargo mortel le peuple irakien, l’ONU et l’administration américaine promettent aujourd’hui et dans les plus brefs délais des élections libres et démocratiques. Le « néo-colonialisme » est en marche pour prendre la relève des soldats.
La France n’est d’ailleurs pas en reste non plus, puisque l’armée (toujours présente dans le pré carré africain de cette dernière) a ouvert le feu sur la foule en Côte d’Ivoire. Rien de bien nouveau sous le soleil ! Là aussi la guerre économique fait rage, les capitalistes français qui pillent le bois Ivoirien (Bolloré) ayant perdu le cacao au profit des impérialistes américains. Ceux-ci sont en train de passer à l’offensive, conséquence des dernières élections américaines. De fait, « rien n'a changé », on prend les mêmes et on recommence, et en pire ! Les fameux "faucons" se sentent pousser des ailes après la pseudo-légitimation électorale du mois de novembre dernier. Les maîtres du monde sont plus arrogants que jamais.

Sur l’échiquier du capital, d’autres pions sont aujourd’hui en mouvement. Sur un air de guerre froide les dernières dictatures de l’Europe de l’est s’effondrent une à une. Ces mouvements décrits comme « spontané » par les médias occidentaux sont en réalité secrètement piloté par la CIA à travers le réseau serbe Optor. Les fusils et les chars d’assauts sont ici troqués contre des stratégies discrètes, le diplomatique plutôt que le militaire, avec non moins de résultat.
La guerre contre le terrorisme n’a pas comme unique conséquence de provoquer des conflits dans de lointaines régions du monde. Sous prétexte d’insécurité, les lois liberticides et sécuritaires prolifèrent, les mouvements sociaux ainsi que ses acteurs sont criminalisés, les militants révolutionnaires, et la population en général sont fichés, surveillés, et réprimés ; jusqu’aux anciens militants que l’on menace aujourd’hui d’extradition. Les réfugiés italiens se voient offrir un joyeux noël par la justice (l’injustice ?) française qui veut les remettre aux néo fascistes du gouvernement Berlusconi afin que ceux-ci continuent leur œuvre de répression et de vengeance sans limite contre le « mai rampant ». Au pays basque également, les états français et espagnols s’unissent pour écraser le mouvement basque.

Dans ce contexte la seule réponse adéquate est la lutte des opprimés contre l’état capitaliste. Les luttes s’organisent, les initiatives locales se multiplient. Un exemple nous est donné à Saint Nazaire, où un âpre combat a opposé pendant plus d’un mois les chauffeurs de bus et leur direction. Les résultats paraissent bien maigres, mais la solidarité de classe qui s’est exprimée entre les chauffeurs est porteuse d’espoir.
L’horizon paraît cependant bien sombre, en attendant d’être noir, et même le vin est loin d’être un ami sûr : il est notamment trop chargé en soufre (qui provoque entre autres désagréments des maux de tête, pour ceux qui n’ont pas pris la résolution d’arrêter de boire). Ceci montre bien que chaque détail de notre misère quotidienne nous pousse à la révolte ; à nous de l’aider à se répandre partout, et de la nourrir de nos désirs.

OCL Lyon

COTE D'IVOIRE: propagande contre propagande

Prévisible depuis des mois, le retour de la tension en Côte d'Ivoire, fait de nouveau la « une » des journaux. C'est d'autant plus le cas que les « patriotes » de Laurent Gbagbo ont franchi un pas de plus en s'en prenant à des Français résidents en Côte d'Ivoire. Cependant, paradoxalement, ce flot médiatique qui dénonce aujourd'hui ouvertement la réalité du régime de terreur instauré par le Front populaire ivoirien, pourrait jouer en sens inverse, en focalisant le ressentiment antifrançais qui existe dans ce pays comme ailleurs dans d'anciens territoires colonisés par la France.

Un retour de flammes qui couvait depuis un moment


En janvier 2003, les accords de Marcoussis prévoyait un partage du pouvoir entre le parti au pouvoir, les partis d'opposition et les rebelles des « Forces nouvelles » établis à Bouaké ; ils comportaient aussi la remise en cause de certains aspects les plus controversés de l'ivoirité en ce qui concerne notamment l'accès à la nationalité et la révisions des lites électorales ou encore les conditions d'éligibilité pour la présidence de la république. Mais malgré la signature d'accords complémentaires à Accra au Ghana l'été dernier, le processus était mort-né. Le gouvernement d'union nationale s'est réuni de temps en temps à Yamoussoukro. Mais en fait le vrai pouvoir était à Abidjan où le régime Gbagbo a développé des structures parallèles, notamment des milices, qui agissaient en toute impunité . La législation ivoiritaire qui devait être modifiée ne l'a pas été . De l'autre côté, le désarmement des combattants ne s'est pas produit. De plus, du côté des « forces nouvelles » du MPCI, la division s'était installée avec des affrontements armés qui s'étaient terminés par la victoire des partisans de Guillaume Soro le porte-parole politique de la rébellion au détriment de son chef militaire qui vit en France depuis plus de deux ans déjà. Gbagbo en a profité pour se réarmer en achetant notamment les fameux bombardiers Sukhoï qui ont fait mouche sur les forces françaises à Bouaké. Il n'y avait pas besoin d'être grand devin pour voir qu'un nouvel affrontement était à l'ordre du jour.

La force Licorne encore davantage prise aux pieges de ses contradictions

L'armée française ne pouvait pas ignorer cela. Déjà, avant l'épisode du bombardement du 6 novembre, l'armée ivoirienne avait effectué des incursions en zone rebelle. Avant donc cet événement, il y avait une sorte de scénario qui se dessinait où la supériorité sur le terrain qui s'inversait en faveur d'Abidjan au détriment de Bouaké risquait se traduire en termes politiques. Mais ce qui est venu changer la donne, c'est évidemment le fait que l'aviation ivoirienne a bombardé des positions françaises en tuant neuf militaires. Il est encore trop tôt pour savoir s'il s'agit d'un accident ou d'une manipulation censée profiter à un acteur ou à un autre. En tout cas, à partir de là, les événements se sont enchaînés : la destruction de la flotte ivoirienne, les manifestations des « patriotes » et les tirs de l'armée française sur ces manifestants. Au départ, lorsque l'armée française est intervenue, le prétexte invoqué était celui qui a toujours couvert les interventions françaises en Afrique depuis des décennies : la protection des ressortissants français. Ensuite, la force Licorne a obtenu le mandat onusien pour maintenir un cessez-le feu entre les factions en présence. Enfin, au cours de ces événements, elle s'est livrée à des opérations de « maintien de l'ordre » - comme on dit dans le jargon sécuritaire - , notamment autour de l'aéroport et autour de l'hôtel Ivoire. Et on connaît globalement le résultat même si les versions et les bilans divergent : il y a eu des tirs à balles réelles des morts et des blessés par dizaines! Plus récemment le commandant des forces françaises qui ont tiré sur les « patriotes » à Abidjan a livré une version pour le moins surprenante de ces journées de novembre à Abidjan : les chars de l'armée française seraient arrivés par erreur devant le palais présidentiel ivoirien ce qui aurait alimenté la rumeur d'une tentative de l'armée française de destituer Gbagbo (Libération du 10 décembre 2004). Que cette version soit vrai ou fabriquée, elle est déjà révélatrice de l'enlisement français en Côte d'Ivoire qui peut tout à fait être comparé avec celui des Américains en Irak.. Mais que peut-on encore savoir de ce qui se passe réellement sur le terrain alors que de chaque côté la propagande bat son plein ?

Du bon usage de la propagande en temps de crise

Cet épisode ivoirien aura au moins eu l'avantage de nous montrer que quoiqu'on en dise, avec la diversification des chaînes, le développement de l'internet, etc. on n'est jamais très loin de la « voix de la France » de l'ORTF des années 60, dès lors que c'est l'Etat français qui est en cause sur le plan international. Alors que la version officielle était d'abord que les soldats français n'avaient pas tiré, toutes les chaînes de grande audience ont refusé de passer les images de la Radio télévision ivoirienne qui montraient le contraire. Ce n'est que quelques jours plus tard que l'on a pu les voir sur la Cinq (« Arrêt sur images »), alors que la nouvelle version du ministère de la Défense était désormais que les soldats de Licorne avaient fait usage de leurs armes en état de « légitime défense ». Du côté ivoirien, la RTI est désormais clairement aux mains des fidèles de Gbagbo, mettant fin à l'équilibre de façade qui existait avec le gouvernement issu de Marcoussis (Guillaume Soro avait le titre de ministre de l'Information). C'est donc clairement un outil de mobilisation « patriotique » qui - comme toutes les télévisions dans ce type de circonstances - a passé en boucle les images des morts ivoiriens par les tirs de l'armée française (dont celles de cette jeune fille décapitée qui a été l'objet d'une polémique franco-ivoirienne). De plus, les journaux d'opposition (24 heures, Le Patriote...) ont eu leurs locaux incendiés par les milices afin de les faire taire. Cela s'était déjà produit en septembre 2002 mais la nouveauté c'est que désormais les média français en parlent. Car ce qui frappe encore une fois, c'est le regard sélectif et amnésique de ces média français : - le régime de Gbagbo est montré du doigt dès lors qu'il s'en prend à des Français mais il a pu depuis des mois et des années se livrer à toutes sortes d'exactions en lançant ses « escadrons de la mort » et ses « corps habillés » contre les opposants ivoiriens ou les étrangers africains des pays voisins. Il y a dans ce regard insistant de nos medias sur les « violences antifrançaises » un relent d'apartheid : les assassinats, les viols, les tortures qui ont frappé les uns depuis des mois semblent n'avoir jamais existé face aux violences somme toute bien inférieures qui ont visé des ressortissants français. En se focalisant sur des images de victimisation des Français et en ignorant les autres morts, les media français donnent du grain à moudre aux « patriotes » de Côte d'Ivoire... En intronisant Gbagbo comme un sorte d'ennemi public n° 1 de la France en Afrique, Chirac lui donne paradoxalement le beau rôle aux yeux de pas mal de monde en Côte d'ivoire mais aussi ailleurs en Afrique.

Toujours l'impasse politique


D'un côté, sur le plan international, le régime de Gbagbo paraît isolé. Alors qu'il y a quelques mois Guy Labertit, le « Monsieur Afrique « du PS s'activait encore en vue d'organiser un soutien au régime Gbagbo, désormais le voilà condamné au silence. Emmanuelli a essayé de défendre Gbagbo au lendemain de l'attaque de la base française, en mettant en doute le fait qu'il puisse être à l'origine de celle-ci puisqu'il n'y avait pas intérêt selon lui. Mais patriotisme oblige, le PS est obligé de se ranger sur la position de Hollande qui a décrété le régime Gbagbo « infréquentable ». Pour autant, le FPI fait toujours partie officiellement de l'Internationale socialiste mais peut-être pas pour très longtemps, surtout si à la prochaine crise, le régime devait être débordé par les jeunes « patriotes » et leur leader charismatique Charles Blé Goudé... Le régime Gbagbo paraît davantage isolé avec le vote de sanctions à l'ONU prévoyant un embargo sur les armes ou encore une limitation des déplacements de certains responsables ivoiriens. Il l'est aussi en Afrique mais moins qu'il n'y paraît malgré les prises de positions de l'Unité africaine et du sommet francophone de Ouagadougou. Ainsi, il est soutenu en Afrique de l'Ouest par la Guinée ou encore la Mauritanie. De plus, le régime Gbagbo a noué des relations du côté d'Israël (qui lui fournit des conseillers et des techniciens) et il a aussi des liens avec certains milieux évangélistes américains! Plus généralement, c'est tout le système impérialiste de la France en Afrique qui est en crise. On peut l'expliquer par des raisons géopolitiques et économiques : l'Afrique depuis les années 90 n'a plus la même valeur « stratégique » que dans les décennies précédentes. Mais en même temps, un retrait français massif serait le signe d'un échec insupportable. Et puis, sur le terrain, il y a des gens qui malgré la crise et la guerre continuent de bien gagner leur vie... La mission conduite par Thabo Mbeki est un signe peut-être annonciateur de cet échec français puisque son propos à consister à reprendre ce qui n'a pu être mis en application dans les accords de Marcoussis imposés par la France. Le premier signe tangible de cette visite a été le vote du 17 décembre à l'Assemblée nationale d'une modification de la loi sur la nationalité ainsi que de la loi électorale qui permettrait désormais la candidature de Alassane Ouattara. D'autres échéances sont prévues notamment en matière de désarmement mais pour le moment, on peut se demander si ce processus a plus de chance que le précédent initié par les accords de Marcoussis... Dans l'immédiat, la question qui est aussi posée est celle de la transition politique et de la réalité du pouvoir : le calendrier qui prévoyait l'organisation d'élections pour l'année 2005 est désormais caduc. Certains comme le président sénégalais Wade propose un gouvernement de transition avec des « technocrates » ce qui serait un moyen de mettre sur la touche Gbagbo. Evidemment, ce dernier ne l'entend pas ainsi. Il espère sans doute reprendre le double jeu qu'il a mené avec un gouvernement d'union nationale pour la façade et un pouvoir de fait fondé sur le contrôle de l'appareil répressif et de l'appareil de propagande qu'est la RTI. Du côté des rebelles soutenus par le régime Compaoré, la nouvelle donne paraît plus favorable sur le plan international. Toutefois auprès de la population, ils courent le risque de passer pour des protégés des Français et du régime de Ouagadougou... Malheureusement, force est de constater le conflit ivoirien ne semble pas près d'être résolu sur le fond.

Commentaire personnel sur l'appel entre autres par la CNT et Alternative libertaire : cet appel a le mérite de dire clairement que dans cette affaire ivoirienne l'Etat français fait davantage partie du problème que de la solution! Cela dit, il y a des points du texte qui ne sont pas très clairs, notamment la référence aux seuls accords d'Accra III (signés l'été dernier) alors qu'ils ne sont que le complément des accords de Marcoussis. Pourquoi ne pas reprendre la critique de ce processus formulée par certains Ivoiriens qui jugent que ces politiciens ivoiriens se sont discrédités depuis des années et que ce processus de négociation a laissé de côté les organisations de la « société civile » qui ont aussi leur mot à dire sur l'avenir de la Côte d'Ivoire ?

Pascal - Bordeaux


INTERNATIONAL - UKRAINE: La vraie fausse revolution orange

Si la plupart des medias occidentaux ont présenté la “révolution orange” comme un mouvement spontané pour la démocratie, en y regardant de plus près on s’aperçoit que la spontanéité doit plus à la CIA qu’aux Ukrainiens eux-mêmes et que la présence importante d’éléments fascistes dans ce mouvement tempère singulièrement l’esprit démocratique !

La situation en Ukraine avant les evenements

C’est finalement le candidat soutenu par l’Union européenne et les Etats-Unis qui est sorti vainqueur du “ troisième ” tour ukrainien. Il ne pouvait en être autrement tant l’Occident a mis de forces et de dollars dans le jeu pour s’assurer que le pays basculerait bien dans le camp euro-atlantique. Pourtant la persistance d’un score important (43 %) pour le candidat considéré comme “ prorusse ” montre bien que rien n’est réglé sur le plan intérieur. Cette intervention directe des forces occidentales soutenant la “ bonne Ukraine ” contre la “ mauvaise Ukraine ” pourrait bien envenimer les relations entre les parties du pays au point de créer les conditions d’une guerre civile, comme ce fut le cas dans l’ex-Yougoslavie. Nous n’en sommes certes pas là, mais cette “ possibilité” n’effraie nullement les Occidentaux dans la mesure où cela peut permettre de cacher les enjeux réels de ce conflit : la bataille autour des privatisations et son appropriation entre différentes fractions du capital.
Quant à la grande masse des Ukrainiens elle n’a connu aucune amélioration économique et sociale depuis l’indépendance intervenue en 1991. Une indépendance d’ailleurs toute relative du fait de l’étroitesse des relations économiques avec la Russie (1), due surtout aux besoins énergétiques de l’Ukraine, et aux liens culturels séculaires qui les unissent. Même si l’Ukraine n’a plus la même importance qu’aux Xe et XIe siècles lorsqu’elle était le plus grand et le plus puissant pays d’Europe, elle n’en reste pas moins une entité non négligeable, par sa taille (plus grande que la France avec 48 millions d’habitants) et par sa situation stratégique aux marches de l’Europe et de l’Asie, vissée au cœur de l’influence russe.
Ces années de dépression économique, de baisse du niveau de vie, de corruption généralisée ont eu raison de l’espoir suscité par la fin du “ communisme réel ”, et c’est un pays excédé par le régime plus qu’autoritaire de Leonid Kuchma, président depuis 1994, qui caractérise l’état d’esprit majoritaire de la population ukrainienne. Un président Kuchma qui fut, il faut insister là-dessus, activement soutenu par les Etats-Unis lors des élections précédentes, qu’il emporta avec 58 % des voix contre 39 % à Symonenko — le candidat du parti communiste d’Ukraine qui reste à ce jour la deuxième force parlementaire du pays et certainement la première en nombre de militants. Mais Kuchma, qui a sans doute cru qu’il suffisait d’envoyer en Irak de la chair à canon ukrainienne pour rester dans les petits papiers de l’oncle Sam, est maintenant lâché par ce dernier.
Qui sont les deux adversaires d’aujourd’hui ? Viktor Yanukowicz, soutenu ouvertement par Poutine, est Premier ministre depuis novembre 2002 et membre de “ Régions d’Ukraine ”, qui a obtenu 12 % des voix aux dernières élections parlementaires. Il tire sa légitimité surtout des régions industrielles de l’Est et du Sud, davantage peuplées de Russes.
Viktor Iouchtchenko, son challenger, mieux implanté dans l’Ouest, fief du radicalisme nationaliste ukrainien, est membre de la coalition “ Notre Ukraine ” (24 % des voix et 102 sièges au Parlement) ; il a remplacé Kuchma dans le “ cœur ” américain, qui n’a pas d’amis mais seulement des intérêts.
Si Iouchtchenko est sans doute moins impliqué personnellement que son adversaire dans le système de corruption qui régit le pays depuis l’indépendance, une partie de son entourage a été touchée — en particulier Ioula Timochenko, opposée à tout compromis avec le régime en place, appelée “ la Pasionaria ” par la presse occidentale ”, mais que les Ukrainiens, plus réalistes et sans doute moins friands de clichés que les journalistes, nomment tout simplement la “ princesse du gaz ” pour avoir été impliquée dans des affaires de pots-de-vin lorsqu’elle dirigeait un consortium ukrainien. Iouchtchenko n’est pas l’homme neuf qu’on veut bien nous décrire : plus encore que Yanukowicz, c’est un pilier de l’establishment politique qui fut Premier ministre, président de la Banque nationale, et qui, avec d’autres anciens Premiers ministres et députés en fonction, occupait des positions de pouvoir dans le régime qu’il critique maintenant.

Après la révolution des roses en Géorgie, la révolution des marronniers en Ukraine

Lorsque s’est déclenché le mouvement “ orange ”, nouvelle “ révolution de velours ”, les médias occidentaux ont, comme en Géorgie et en Serbie auparavant, parlé de mouvement spontané, de lame de fond, de grand mouvement démocratique et d’émergence de la société civile sur la scène politique. Qu’en fut-il réellement ?
Ce qu’on a pu voir à travers les images de la télévision pendant plus d’une semaine donne une image très partielle de la réalité ukrainienne. La plupart de ces images étaient tournées à Kiev sur la seule place de l’Indépendance, et on y voyait des gens bien habillés, tels qu’on aurait pu les rencontrer dans n’importe quel centre ville européen de l’Ouest. Mais il faut savoir que depuis la fin du “ communisme ” les prix des logements, libérés, ont grimpé dans le centre de Kiev comme dans d’autres métropoles et que les plus pauvres en ont été de fait chassés. De plus, c’est dans ce centre de Kiev que sont concentrées toutes les firmes étrangères et les institutions bancaires d’Ukraine. Les salaires moyens y sont par conséquent trois fois plus élevés que dans le reste du pays. Cette “ foule ” urbaine, très “ classe moyenne ” est donc en fait peu représentative de l’Ukraine paysanne et ouvrière du reste du pays (dans lequel plus de 30 % de la population est considérée, selon les normes capitalistes, en dessous du seuil de pauvreté). Ainsi, le discours officiel entendu un peu partout parlant de “ lame de fond de la société civile ” est pour le moins abusif (2).
En quelques jours s’est édifiée une véritable cité de toile en plein cœur de Kiev, avec des blocs électrogènes et des cuisines de campagne fonctionnant 24 heures sur 24 pour assurer la logistique du meeting permanent. Des avions, trains et cars acheminaient des manifestants de l’ouest du pays vers la capitale... Une spontanéité somme toute très relative et des moyens importants très rapidement mis en œuvre.
Car ce mouvement, s’il n’aurait bien sûr pas pu se produire sans un mécontentement très important, est né de l’exploitation de ce mécontentement par des réseaux d’extrême droite et néo-libéraux formés et contrôlés par les Etats-Unis.

Derrière la révolution “ orange ”... les Etats-Unis et Madeleine Albright

Plusieurs composantes constituent ce mouvement. Elles s’imbriquent les unes dans les autres, et les ponts entre les associations diverses et variées, les réseaux, les organisations non gouvernementales sont si nombreux qu’il est difficile de tracer des frontières bien précises. Mais on retrouve toujours, à un moment donné ou à un autre, des financements et des conseillers occidentaux, et surtout, bien sûr, américains.
Parmi toutes les composantes, “ Pora ” (3) — “ C’est l’heure ” — a joué un rôle particulièrement important. Organisation surtout étudiante, c’est elle qui organisa les manifestations, les concerts, et qui forme le noyau de l’équipe de Iouchtchenko. “ Pora ” à été construite par une coalition de 300 organisations ukrainiennes dites “ non gouvernementales ”, appelée “ Liberté de choix ”, et fondée en 1999 pour préparer les élections de 2004. Le but de “ Pora ” : “ Créer un vaste réseau de volontaires pour mettre en application une campagne nationale d’information et d’éducation visant à s’assurer que les citoyens aient droit de vote ”, et mener une campagne de communication “ négative ” en dénonçant les dysfonctionnements du régime en place (une autre organisation, “ Znayu ” — “ Je sais ” — était, quant à elle, chargée de mener une campagne “ positive ” en expliquant aux gens ce qui pouvait changer par les élections).
“ Liberté de choix ” est appuyée par les ambassades des Etats-Unis, du Canada et de Grande-Bretagne, et ne s’en cache pas. Elle est soutenue par Madeleine Albright du National Democratic Institute (NDI), par l’International Renaissance Foundation (IRF), l’antenne ukrainienne de Georges Soros, l’Eurasian Foundation financée à la fois par le gouvernement US et Soros, la Banque mondiale, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’Agence pour le développement international des Etats-Unis, la fondation Konrad Adenauer de la CDU allemande, la Freedom House de l’ex-directeur de la CIA James Woolsey... Rien que ça !
“ Pora ” se réfère explicitement aux activités des réseaux de volontaires (“ Optor ” et “ Khmara ” — “ Assez ! ” —) qui ont permis respectivement de renverser les présidents de Serbie en 2000 et en 2003, de Géorgie en 2003. Nombre de ses leaders ont reçu une formation directement aux Etats-Unis (par exemple, un séminaire de formation eut lieu le 9 mars dernier à Washington). Mais ce sont les membres du mouvement serbe “ Optor ” qui ont été les pivots formateurs de ces nouveaux réseaux, en Géorgie, en Biélorussie, et maintenant en Ukraine. L’objectif, après avoir renversé Milosevic, était d’exporter leur combat, officiellement au nom d’une révolution “ non violente ”, ou “ de velours ”, comme on préfère. Cela a marché en Géorgie où Chevardnarze a dû prendre la tengente, cela a échoué en Biélorussie avec le mouvement “ Zubr ” — “ Le Taureau ” —, cela est en passe de réussir en Ukraine.
Dans un rapport de la fondation Jamestown, on peut lire : “ “Optor” a entraîné des membres du réseau “Pora” sous les auspices du programme Citizen Participation in Elections in Ukraine (CPEU) dirigé par la Freedom House, le NDI et l’IRF [précités] et financé par l’Agence pour le développement international des Etats-Unis ”. A noter que dans le comité exécutif de la fondation Jamestown on trouve le même Woolsey (ex-CIA) et... Zbigniew Brzezinski.
Ce Brzezinski mérite un détour : ex-bras droit de Clinton, il se pose en stratège de la désagrégation de l’ex-espace soviétique, du contrôle de l’Union européenne, de la volonté d’endiguer tant la Chine que l’émergence d’un islamisme “ modéré ”. On se rappelle qu’en 1995 il avait reconnu que les commandos armés de la CIA avaient pénétré en 1980 en Afghanistan six mois avant l’armée soviétique, et qu’ils avaient formé des “ islamistes radicaux ” pour tuer en premier lieu les instituteurs et les médecins de villages afghan, afin de laisser le champ libre aux mollahs (Interview parue dans Le Nouvel Observateur).
Il n’est pas inutile de parler du programme de “ Pora ” et de Iouchtchenko pour comprendre les raisons de ce qui s’apparente plus à une création ex nihilo de la part des Américains qu’à un soutien à des forces préexistantes.
“ Pora ” prône officiellement le néo-libéralisme et loue le bref passage de Iouchtchenko comme Premier ministre, en ce qu’il “ a ouvert le pays aux flux financiers étrangers et aux entreprises occidentales, et développé ses liens de coopération euro-atlantiques ” (site informatique de “ Pora ”). Il a lancé un grand programme de privatisation et a multiplié les contacts et les affaires avec la fraction anti-Poutine de l’oligarchie russe, celle qui se réfère à un libéralisme absolu et refuse toute ingérence de l’Etat sauf... pour maintenir le calme dans le pays. En d’autres termes, la victoire de Iouchtchenko signifie une destruction encore plus avancée des services et de la puissance publics, ainsi que le démantèlement des grosses entreprises nationales issues du régime communiste, offertes aux capitaux occidentaux, du moins pour les plus rentables. Ce qui explique qu’une partie importante de la classe ouvrière traditionnelle — encore très forte en Ukraine, surtout à l’Est —, a voté pour Yanukowicz, ou plutôt contre Iouchtchenko. Ce qui explique aussi que le parti communiste ukrainien a refusé d’appeler à voter au second tour des élections.
Quant au “ Mouvement pour la démocratie ”, nombre de ses militants ont été formés à la fois par le CPE (Center for Political Education) qui sert les intérêts des “ jeunes entrepreneurs d’Ukraine ”, et par l’UCIPR (Centre ukrainien pour une recherche politique indépendante) financée par les gouvernements britannique et canadien.

L’extrême droite fasciste à l’affût

Mais le mouvement “ orange ” n’est pas composé que de “ Pora ”, dont les frontières sont d’ailleurs floues et perméables. Il a aussi le soutien de formations nationalistes d’extrême droite et néo-nazies d’Ukraine occidentale. Par exemple l’organisation nationaliste UNA-UNSO, ouvertement raciste et fasciste, et qui utilise le swastika stylisé. Son chef, Andrei Shkil, parlait au nom de la coalition de Iouchtchenko en tant que membre de sa fraction parlementaire. Et si un certain Oleg Tyagniboka a été expulsé de la coalition pour avoir défendu des insurgés pro-nazis de WWII, d’autres comme l’Organisation de nationalistes ukrainiens et le Congrès des jeunes nationalistes, tout aussi antisémites et néo-nazis, n’ont pas été inquiétés. La coalition “ Notre Ukraine ” de Iouchtchenko est alliée au bloc “ Patrie ” (national-populiste) de Ioula Timochenko qui comprend de nombreux et authentiques fascistes en son sein. Sans compter l’Eglise uniate (gréco-catholique), déjà fortement compromise avec les nazis du temps de la Seconde Guerre mondiale.

Cette extrême droite fasciste et antisémite (comme c’est le plus souvent le cas en Ukraine) soutient Iouchtchenko, même si ce dernier garde officiellement ses distances. On a vu réapparaître des croix gammées sur les murs, ainsi que des “ Moskali-Kike ” — “ Moscoutaires juifs ”). La synagogue de Kiev a été attaquée par des manifestants, et les organisations juives ont décidé de fermer leurs locaux pendant une semaine dans tout le pays. Des faits, heureusement encore isolés, mais qui semblent avoir moins émus nos bonnes âmes hexagonales que les actes antisémites commis en France (4).
C’est que les enjeux et les contextes ne sont pas les mêmes ! Nous avons affaire ici, aux yeux du gouvernement américain, à une croisade antirusse et anticommuniste, et donc antiterroriste. Et, tout comme après la Première Guerre mondiale, c’est cet élément qui prime sur tous les autres, y compris la lutte contre le fascisme : rappelons-nous que les USA n’hésitèrent pas à intégrer d’anciens scientifiques et techniciens nazi pour servir leur économie, à favoriser la fuite en Amérique latinede centaines de SS qui furent le fer de lance des luttes anticommunistes.
Dans les Pays baltes comme en Ukraine, il existe chez les nationalistes une tendance à minimiser l’engagement de leurs aînés “ collabos ”. Selon la quasi-totalité des publications ukrainiennes récentes, c’est au seul Staline qu’est attribuée l’accusation de collaboration avec le nazisme. Les légions SS ukrainiennes (et baltes) ne seraient, en fait, montées au front de l’Est que pour lutter contre la barbarie bolchéviste dans le cadre de ce qui n’était qu’une “ guerre civile européenne ” (5). Exit ainsi les responsabilités des Eglises (vaticane et uniate), des classes politiques collabos, etc.) Cette thèse, tout à fait dans l’air de la nouvelle Histoire chez nous aussi, depuis Furet et Courtois, aura immanquablement comme effet de réhabiliter le fascisme en le réduisant à sa partie la plus visible et la plus inattaquable (pour l’instant !) : la shoah.

Les objectifs américains

Grosso modo, ce sont les suivants :
- Empêcher l’intégration économique Europe occidentale - Russie - Chine - Japon ;
- Freiner la réémergence de la Russie sur la scène internationale ;
- Contrôler que l’acheminement du pétrole contourne bien la Russie…
... et plus particulièrement pour l’Ukraine, que le capital américain puisse s’emparer des secteurs rentables et de pointe du pays.
Pour ce faire, plusieurs stratégies sont possibles :
L’une, avec Brzezinski (qui veut faire éclater la Russie, l’Azerbaïdjan et l’Iran), Madeleine Allbright (véritable ambassadrice et organisatrice de la “ subversion démocratique ” sur le terrain) et Condolezza Rice, prône la nécessité d’affaiblir la Russie et voudrait se débarrasser de Poutine.
Mais d’un autre côté, l’administration Bush et Colin Powell sont plus prudents et donnent la priorité au Proche-Orient. Ils considèrent qu’il ne faut pas aller trop loin contre Poutine, dans la mesure où il peut encore servir dans la “ lutte contre le terrorisme ”, et c’est ainsi, par exemple, que les séparatistes tchétchènes sont, pour l’instant, sacrifiés sur l’autel de de ce compromis.
Quoi qu’il en soit, dans un cas comme dans l’autre on trouve en arrière fond de la politique américaine dans cette partie du monde la doctrine élaborée par la National Endowment for Democraty (NED), créée par la CIA après la défaite du Vietnam, selon laquelle mieux vaut déléguer à une “ organisation non gouvernementale ” les opérations décidées par la centrale américaine. Et l’argent ne manque pas pour cela : selon ses propres chiffres, la International Renaissance Foundation (IRF) a depuis 1990 fourni plus de 50 millions de dollars pour mettre sur pied diverses organisations non gouvernementales ukrainiennes (depuis quelques années, le rythme s’est sensiblement accéléré, atteignant plus de 5 millions de dollars par an). A titre d’exemple, le noyau dirigeant de “ Pora ” reçoit un salaire d’environ 2 000 dollars par mois venant des USA sous forme d’“ aide à la démocratie ”.

Une démocratie sur laquelle ses laudateurs s’asseoient dès que leur intérêt le réclame : comme, par exemple, lorsque Iouchtchenko prête serment sur la bible en s’autoproclamant vainqueur des élections ; seuls 191 députés s’étaient inscrits pour participer aux travaux du Parlement, alors que le quorum requis pour l’adoption d’une motion est de 226 voix ! Cela s’apparentait à un coup d’Etat... démocratique.

Autre exemple, les sondages : ceux qui donnèrent Iouchtchenko vainqueur immédiatement après la fermeture des bureaux de vote du premier second tour avaient été réalisés par la Fondation d’initiative démocratique et par le Centre de Razumkov, financés par la même IRF... Donc, ceux qui ont organisé les sondages comme ceux qui étaient chargés de surveiller ces élections en qualité d’observateur étaient tous subventionnés par des forces qui, elles-mêmes; avaient subventionné et soutenu la campagne de Iouchtchenko.

JPD


(1) La Russie est le premier partenaire commercial de l’Ukraine : 18 % des exportations et 36 % des importations, loin devant l’Allemagne (6 et 9 %)
(2) Rappelons-nous le mouvement du même type en Géorgie : la soi-disant émergence de la société civile qui avait “ soulevé ” le pays a finalement porté à 97 % le président Saakachvili au pouvoir ! Où est, dans ce cas, la société civile ? Qui peut, un an après, parler de démocratie en Géorgie ? Personne.
(3) On parle de 3 000 militants et de 15 000 membres. Ce qui ne serait pas énorme pour un pays de 48 millions d’habitants
(4) Nous remarquons que le parti social-démocrate d’Ukraine, dont le leader M. Moroz figure parmi les Premiers ministres possibles, malgré ces alliés douteux, n’a pas hésité une minute à faire partie de le coalition “ orange ” (pas plus que le PS français à accueillir Laurent Gbagbo au sein de l’Internationale socialiste).
(5) Thèse tout à fait dans l’air du temps de la révision historique américaine : selon les documents et les analyses fournis publiquement par la CIA, ce sont les nazis et les Soviétiques qui furent responsables des 6 à 7 millions de morts pendant la guerre. Coupables ainsi conjointement de l’holocauste, communistes et nazis. Ce qui, on en conviendra, banalise singulièrement ce même holocauste, puisque la “ solution finale ” se trouve reléguée au niveau de la “ banalité ” des autres millions de morts.


Saint-Nazaire: Lutte exemplaire, acquis de misère…


Durant plus de 4 semaines, l’agglomération de Saint-Nazaire, a été privée de transports en commun. Malgré un arrêt quasi-total de la circulation des bus par une grève massive des chauffeurEs avec occupation et blocage du dépôt, les acquis pour les grévistes sont bien maigres à l’issue d’un conflit sans précédent dans ce secteur pour la région.

Une ville ouvrière et une tradition de lutte

Saint-Nazaire est connue pour ses activités industrielles, essentiellement la construction navale autour des Chantiers de l’Atlantique, et aéronautique avec Airbus-EADS. Ville ouvrière, municipalité dans l’orbite socialiste depuis toujours, l’histoire de la ville depuis 130 ans, est marquée par des luttes combatives dans l’industrie, mais beaucoup moins dans les autres secteurs d’activités. Ces deux dernières années encore, avec la construction du Queen-Mary II, les luttes salariales et sociales ont été nombreuses, avec le refus d’exploitation des sous-traitants, intérimaires ou étrangers, tels ces ouvriers indiens, roumains, grecs ou polonais qui venaient travailler ici dans des conditions qualifiées d’esclavage moderne (passeports confisqués, salaires de misère, entraves aux déplacements, gîtes et couverts indécents, droits sociaux bafoués,..).
@Pourtant, le 15 novembre, ce sont les conducteurs et conductrices des bus de la ville qui entament une grève, annoncée par voie de tract et de presse la semaine précédente. Leurs revendications : l’ouverture immédiate des négociations salariales prévues pour décembre, avec pour point essentiel l’égalité de salaires pour les salariéEs de la STRAN-STRVN (cf encadré). Devant le mutisme de la direction, des élus de la ville et de la CARENE (cf encadré), le dépôt de bus était occupé 24 heures sur 24 dès le 17 novembre, et plus aucun bus ne circulait.

Une lutte pour l’égalité salariale

A cette occasion, la population découvrait que la STRAN, les bus et minibus jaunes qui circulent dans la cité et alentours, recouvrait par ailleurs une filiale, la STRVN, dont personne ou presque n’avait connaissance, du fait de son absence totale de visibilité. Pour les salarié-es cependant, la différence existait très concrètement au niveau de la rémunération : 250 euros mensuels en moins pour les employéEs de la STRVN, pour une même qualification (permis D transport en commun) et un même métier : transporter des voyageurs dans l’agglomération et ses environs.
Officiellement, la création de la filiale centrée sur le transport de voyageurs s’explique par la nécessité pour la STRAN d’intégrer dans son développement l’intercommunalité, et notamment les transports scolaires de l’arrondissement, financés par le conseil général ou régional qui passe contrat avec des sociétés de transports routiers de voyageurs. Ceci dit, la création de la STRVN n’impliquait pas obligatoirement de différences de salaires entre chauffeurs, la question pouvant être réglée par l’alignement entre les indices des deux conventions collectives dès la création.
La question de l’égalité salariale ne s’est posée que progressivement en 12 ans d’existence de la filiale. En effet, pour les salariées de la STRVN du début, leur statut n’était que provisoire, et la direction jouait sur une promotion de carrière par le passage de la filiale vers la société-mère. Or, depuis 5 ans, la STRAN n’embauche plus, alors que la STRVN recrute, et pour les salariés l’échéance de la promotion disparaissant, la revendication d’une équité de rémunération s’est imposée, ainsi que le recours à la grève pour l’obtenir.
Derrière cette revendication phare du « travail égal, salaire égal », les conducteurEs mettaient également le doigt sur un certains nombre de conditions de travail inacceptables, comme les heures d’attente au dépôt non rémunérées au delà de 29 minutes entre deux services, ou une flexibilité horaire d’une semaine sur l’autre selon un système de débit ou de crédit d’heures, sans compensation, selon que leur service n’atteint pas ou excède les 35 heures. Par ailleurs, même pour les chauffeurEs de la STRAN, le salaire ne devient décent que par l’octroi de primes (service de nuit, repas décalés...) qui bien sûr ne sont pas intégrées au salaire, le brut restant à 1250 euros en moyenne.

Une grève appuyée par une intersyndicale, mais qui se prive de relais.

Si 3 syndicats de transports sont représentés dans les boîtes, seules l’UNSA et la CGT devaient appuyer la revendication partie de la base, la CFDT ayant disparue … de la circulation!.
Devant le refus de toute négociation, les chauffeurs décidaient de bloquer le dépôt des bus dès le 17 novembre. Ainsi, durant 4 semaines, un barrage de palettes enflammées a obstrué l’entrée principale du dépôt, pendant que les autres accès étaient bloqués. Sur les 130 conducteurEs des 2 sociétés, une centaine, principalement des conductrices d’ailleurs, vu le taux de l’emploi féminin, se sont relayées jour et nuit sur les piquets.
L’accueil de la population à l’égard des grévistes a été plutôt bienveillant, et une pétition de soutien a été largement signée sur les marchés de la ville. Durant les semaines de lutte, les manifestations, occupations, interventions au conseil municipal se sont succédées, essentiellement orchestrées par la CGT, fortement appuyée par le PCF, et regroupant à chaque initiative entre 200 et 500 personnes. Les collectes de solidarité ont également été nombreuses, et l’alimentation des caisses de grève conséquente (plus de 30 000 euros).
Il peut sembler étonnant qu’une ville moyenne et son agglomération (soit 100.000 habitantEs) puissent s’accommoder de 4 semaines de blocage total de ses transports en commun sans crise majeure, ni déferlement des « z’usagers pris z’en otages » sur télé-Bouygue ou radio-Medef. A cela, plusieurs explications. La première, et non des moindres, est liée au schéma urbain de Saint-Nazaire. Détruite après la seconde guerre mondiale, la ville s’est rebâtie autour d’un plan de circulation intégrant largement la voiture. Les avenues sont larges, le stationnement gratuit et abondant, les voies de bus inexistantes, et les pistes cyclables sont un gadget de bobo rappelant qu’il y a des Verts dans la majorité municipale. Les transports en commun représentent ainsi moins de 6% des déplacements de l’agglomération, et ne concernent au final que les sans bagnoles : les jeunes, les vieux, et les pauvres. Ainsi l’arrêt des bus ne menace aucunement l’économie. Alors, les nuisances les plus visibles furent pour les lycéennEs du canton qui peinaient à rejoindre à l’heure l’immense cité scolaire nazairienne, mais qui manifestèrent leur solidarité en occupant joyeusement toute une journée le siège administratif de la CARENE à l’issue d’une manifestation. Autre élément explicatif, des traditions de lutte et solidarité ouvrière font que les nazairiennEs n’ont pas pour habitude de contester une lutte sociale, encore moins d’une telle légitimité, et qu’en cas de difficulté durable l’entraide s’organise. Ainsi la grève pu se mener sans pression de l’opinion contre les grévistes, mais sans mouvement de solidarité active non plus.

Un soutien bien passif.

Si la grève bénéficia d’un courant d’opinion favorable, celui-ci ne déboucha cependant pas sur un soutien franc et massif de la population. Le retour à la normale n’était pas une urgence pour la population active, et les vieux et les pauvres ne constituent pas vraiment des catégories fortement revendicatives. Outre ces aspects, la gestion de la lutte par la CGT et le soutien sans faille du PCF posent d’autres question, tout comme la marge d’autonomie des salariéEs dans la gestion des aspects stratégiques de leur lutte.
Le refus de négocier de la direction de la STRAN fut argumenté autour de question budgétaire : sans indication du financeur de la société, la CARENE, la direction prétendait ne pouvoir s’engager en terme de masse salariale. Le président de la CARENE, Joël Batteux, maire de Saint-Nazaire, expliquait quant à lui que le budget de l’intercommunalité se votait en mars, et qu’il ne pouvait donner avant cette date de garantie à la STRAN d’une augmentation de 20% de son budget, nécessaire pour satisfaire les revendications. La CARENE vota donc au cours de la seconde semaine de conflit un vœu d’harmonisation des statuts entre la STRAN et la STRVN, sans fixer d’échéance. Elle décida par ailleurs de nommer un cabinet d’expertise pour déterminer si le travail des différents conducteurEs était bien le même, et si la revendication d’égalité salariale était bien fondée ! Les élus communistes refusèrent de s’associer à ce vote, et une crise éclata au sein de la gauche plurielle locale, intercommunale et municipale. Le PCF décida d’engager le rapport de force sur le terrain des alliances électorale, se servant de la mobilisation de la base soigneusement encadrée par la CGT. Un schéma bien connu, que l’on pensait d’un autre âge, mais qui fonctionna ici encore, au point de voir un tract CGT affirmer « seuls les communistes sont cohérents entre leur discours et leurs propositions ». La CGT joua ainsi carte seule dans le conflit, appuyée par l’UNSA contente de placer son sigle dans la bagarre tout en ne pouvant revendiquer que 5 chauffeurEs dans l’entreprise. Mais l’Union locale CGT refusa toute perspective d’élargissement du conflit aux autres confédérations ou fédérations de Saint-Nazaire, et encore moins aux structures politiques ou associatives, type CNL, UFC ou parents d’élèves, pourtant actives dans l’Estuaire. Les communiqués de soutien étaient certes les bienvenus, mais nul autre que la CGT n’avait voix au chapitre pour développer un mouvement de solidarité.
Les manifestations furent ainsi peu massives au regard des enjeux, aucun relais de mobilisation autre que la CGT et le PCF n’étant sollicité ni actif. L’occupation du dépôt, dans la zone portuaire plutôt excentrée ne favorisa pas non plus les contacts directs, et si la fréquentation des piquets ne fut pas nulle, les AG de grévistes étaient à huits-clos, ou les décisions se prenaient dans les locaux de l’UL-CGT, et les structures d’échanges entre population et grévistes sur les modalités de la lutte furent portion congrue. Il y eu de toute façon, et pour parler comme un DRH, un « déficit communicationnel » tout au long de ce conflit, le maire et la direction de la STRAN faisant connaître leur propositions aux grévistes par conférences de presse interposées, refusant continuellement de s’asseoir à une table de négociation sur la base des revendications du mouvement.

L’occupation de la Mairie, une occasion manquée et le début de la fin.

Le mercredi 1er décembre, les grévistes appelaient la population à une nouvelle manifestation de soutien, du dépôt de bus à la Mairie. Arrivée vers 16 heures place de l’Hôtel de ville ; 300 personnes décidaient d’investir les lieux et occupaient le bureau du maire, affirmant leur volonté de ne pas quitter les lieux avant d’avoir rencontré l’édile. Au bout de trois heures elles devaient se contenter d’un vague entretien avec la première adjointe. Les débats furent animés entre les occupantEs sur l’opportunité d’investir les lieux pour la nuit, et nombre de grévistes étaient prêts à aller chercher la paella qui les attendait au dépôt occupé pour festoyer sur place et s’installer pour la nuit. Mais l’encadrement politique et syndical veillaient au grain. Les délégués du personnel, tiraillés entre les velléités de radicalisation de la base, et les cadres communistes et cégétistes durent orchestrer le repli en bon ordre. Un point presse qui fixe un rendez-vous au lendemain soir pour le conseil d’administration de la CARENE, le silence obtenu pour le déclenchement des caméras, une ovation pour clore les prises de vue, et quelques gentils animateurs de l’UL-CGT qui s’égayent aux cris de « tous ensemble, tous ensemble » en incitant la foule à prendre le chemin de la sortie. L’occupation fut ainsi pliée vers 20H00, sans qu’aucun débat collectif ne puisse se tenir sur son opportunité dans le développement du rapport de force. Les élus communistes en nombre ce soir-là, ne pouvaient se permettre d’engager un tel bras de fer avec leurs alliés du conseil municipal, ni risquer de se faire déborder par une base excédée. Le recul fut brillamment orchestré, et la Municipalité pu reprendre l’offensive dès le lendemain, avec des recettes éculées, mais toujours aussi efficaces :
- La criminalisation du mouvement : la mairie portait plainte pour dégradations du bureau du maire (quelques autocollants) et le vol de deux médailles décernées à la Ville ;
- Le report d’échéances et le pourrissement : avec l’annulation sans autre préavis du conseil d’administration de la STRAN ;
- La division du front syndical, en entamant des négociations avec le syndicat UNSA, pourtant ultra minoritaire dans la lutte.
Il ne s’agit pas d’affirmer que la CGT et le PCF ont brisé l’élan du mouvement en orchestrant le repli. La critique sur le mode de la trahison est facile et simpliste, et les choses sont toujours plus complexes. L’occupation de l’Hôtel de Ville n’était peut-être pas tenable. Cependant, la moindre des choses aurait été d’en discuter collectivement, en entendant les arguments pour ou contre l’occupation, et en laissant le choix final aux grévistes, plutôt que de laisser quelques cadres politiques et syndicaux arrêter la décision. Et si le mouvement eut une faiblesse, c’est bien dans cette difficulté à imposer son autonomie de choix et sa liberté d’action, en déléguant continuellement la direction de la lutte aux militants professionnels.
Le vendredi 3 décembre, l’UNSA signait un protocole de fin de grève, négocié autour de quelques points salariaux bien en deçà des revendications : augmentation de 3% à la STRAN (inflation), de 7,3% à la STRVN (25% revendiqués), paiement des heures d’astreinte de nuit et octroi d’une prime de 800 euro en milieu d’année à la STRAN.
Le samedi 4 décembre une manifestation à l’appel de la seule CGT (très modestement appuyée par la FSU) regroupait péniblement 400 personnes dans le centre ville, les élus communistes de la Carène diffusaient une lettre ouverte faisant connaître leurs propositions de financement des revendications, et la CGT décidait de poursuivre la grève, suivie en cela par la majorité des chauffeurEs.
Le lundi 6 décembre, la direction de la STRAN reprenait l’offensive et faisait constater le blocage du dépôt, et un huissier relevait les identités de 13 personnes sur les piquets, afin d’entamer une procédure judiciaire en référée pour « entrave à la liberté du travail et au fonctionnement du service public ».
Dans le même temps, le P.S. appelait à la fin du conflit sans recours à la force publique, et Claude Evin entamait des tractations avec la CGT (qui ne seront connues qu’après la reprise). Le mercredi 8 nouvelle manifestation sans perspectives claires. Et la 4ème semaine du conflit s’achève avec un appel à la mobilisation devant le tribunal où 13 grévistes sont appelés à comparaître le lundi 13 décembre.
A l’heure dite, 300 personnes apprennent devant le Tribunal que l’audience est annulée, la STRAN retirant sa plainte, un accord étant intervenu le dimanche avec la CGT, les grévistes ayant majoritairement voté le matin même la reprise !
Pour une semaine de conflit supplémentaire, la CGT obtint un changement d’indice, soit 175 ¤ d’augmentation pour les 4 chauffeurEs « PMR » de la STRVN au plus bas de la grille de rémunération, le paiement de 9 jours de grève sur 29 et l’étalement des retenues, et l’embauche d’un contrôleur supplémentaire ! Soit une misère, d’autant que nombre de chauffeurEs avaient la dent particulièrement dure contre les contrôleurs, grands absents de la mobilisation, comme l’essentiel des personnels non-roulants de la compagnie...
Pour sauver la face la CGT invoque un document qui devrait être signé par le président de la CARENE, et qui viserait à un rapprochement des statuts des 2 compagnies. Le texte n’est pas connu, mais rappelle étrangement les propositions de la CARENE du début du conflit, qui émettait le vœu d’une harmonisation des statuts après rapport d’expertise...

Une lutte affaiblie par des enjeux politiques et économiques complexes.

La lutte des chauffeurEs a été exemplaire de détermination, de légitimité dans les revendications, et dans la solidarité entre catégories : sans les chaufeurEs de la STRAN, les salariéEs de la STRVN n’avaient aucune chance de voir émerger leurs revendications, et il est assez rare de voir des salariéEs lutter prioritairement pour l’augmentation des bas salaires de leurs collègues, pour souligner ce bel exemple de solidarité de classe. Le mouvement n’a cependant pas su trouver la dynamique de l’élargissement, alors que l’actualité sociale le permettait (accords salariaux des fonctionnaires, manifestations des chômeurEs et des précaires, mobilisations enseignantes ou des intermittentEs). La fermeté de la direction de la STRAN a été confortée par le fait que la grève ne nuisait que très secondairement à l’économie locale. Le conflit pouvait durer sans menacer réellement qui que ce soit. Cette indifférence du patronat et des politiques qui tend à se généraliser depuis la lutte sur les retraites doit appeler les militants politiques et syndicaux à la réflexion. Les grèves ont tendance à redevenir de plus en plus longues, sans déboucher réellement faute de rapport de force suffisant et de radicalisation. Ce fait conduit aux discours sur la nécessité « d’inventer de nouvelles formes d’actions », et sur l’inefficacité des modes traditionnels de lutte du mouvement ouvrier. C’est ainsi que l’on conforte les restrictions du droit de grève par le service minimum par exemple, ou que l’on décourage faute d’avancée significative au regard de l’investissement dans les luttes. Il est indispensable que les directions syndicales comprennent et admettent que les luttes isolées sont en train de perdre une après l’autre, ce qui amenuise toutes velléités combatives en renforçant une idée d’impuissance et de fatalisme chez les salariéEs. Sans sombrer dans le mysticisme de la grève générale, il convient de travailler à la base sur la nécessité de convergence des luttes pour contrecarrer la déferlante de l’intensification du rapport d’exploitation du travail par le capital. En l’absence d’alternative politique réformiste ou révolutionnaire, les freins sont nombreux à une telle stratégie. C’est cependant semble-t-il la seule perspective que peut se fixer le mouvement social, en se posant continuellement la question de savoir si les « organisations ouvrières » sont un outil ou une entrave en la matière.
Pour en revenir à cette lutte sur Saint-Nazaire, les obstacles à un développement furent nombreux:
- Une pesanteur historique de la CGT, qui continue à se penser comme l’élément unique de la lutte et de la mobilisation. Or si l’UL-CGT pouvait il y a encore 20 ans aligner 4000 métallos dans la rue en pressant le bouton des revendications ou de la solidarité ouvrière, les choses ne vont plus ainsi, du fait de modifications profondes des pratiques militantes et de la structure même du salariat. Ceci dit, aucune autre structure syndicale ne fut en mesure de peser sur cette lutte en proposant des perspectives d’élargissement, engluées dans le réformisme négociateur et gestionnaires pour les unes, faute de réalité militante conséquente pour les autres. Il y a donc fort à faire sur cette question des moyens de la mobilisation, et des convergences unitaires.
- Un contexte politique particulier, où les grévistes de la STRAN et de la STRVN se sont retrouvés être l’enjeu d’une recomposition politique de la majorité municipale et intercommunale, où les Verts tentent de prendre la seconde place en doublant les communistes, pendant que le P.S. s’entredéchire sur fond de recomposition interne. Et ce à un moment ou les sujets de discorde au sein de la gauche sont nombreux dans l’intercommunalité (extension du port de Donges-Est, création d’un centre d’enfouissement de déchets ultimes...). C’est ainsi la fin de règne de Batteux, et la gestion de l’héritage qui sous-tendait ce conflit, et qui n’en fini pas de faire des vagues. D’autant que le changement récent des majorités au conseil général et au conseil régional, avec l’arrivée de la « gauche » aux affaires territoriales modifie sensiblement les données politiciennes dans la région.
- Une crise économique rampante sur Saint-nazaire, depuis la livraison du Quenn-Mary II : le chômage technique et les plan sociaux se multiplient chez les sous-traitants ; Alstom est en crise et réduit ses effectifs au niveau international rendant incertain l’avenir de la navale ; la politique de développement économique fondée sur le tourisme industriel s’essouffle, et la municipalité licencie des employés de l’Office de tourisme, faute d’attractivité depuis le départ du « géant des mers »...
- L’absence de perspectives politiques globales sur la question des transports et du développement économique dans le département. Le développement d’une métropole Nantes/Saint-Nazaire pôle de l’Arc Atlantique voulu par l’Europe, le projet de nouveau pont sur la Loire par la poursuite de l’autoroute des Estuaires, la création de l’Aéroport international de Notre-Dame des Landes, sont autant de points qui hypothèquent l’avenir de la région, et pour lesquels il vaut mieux entretenir le flou par les annonces contradictoires… Des fois qu’il prenne l’envie à la population de poser la question de l’utilité sociale de ce type de développement, ce qui ne peut se faire que dans l’émergence de luttes sociales, étant donnée l’indigence des structures politiques et syndicales..
Les sujets de grogne sociale sont nombreux dans l’Estuaire ces derniers temps, comme dans le reste du pays d’ailleurs. Il est certain qu’aucune force institutionnelle n’a intérêt à ce qu’émergent des luttes radicales et globales posant les questions de la situation et du devenir de la population. C’est pourtant ce à quoi nous devons travailler sans relâche, sans nous laisser gagner par la résignation et le défaitisme ambiant.

Philippe -Saint-Nazaire le 19 décembre 2004.

La pollution du vin


Cet article avait été écrit à la demande du trimestriel «l’Ecologiste» pour compléter les propos d’un spécialiste des vins issus de l’agriculture biologique, Jean-Marie Carité, dans le n° 3 de l’automne 2001. Celui-ci n’évoquait le soufre dans le vin que pour souligner son usage parcimonieux par les adeptes de la biodynamie. C’était une considération un peu trop vague qui appelait quelques précisions.
Programmé pour septembre 2002, cet article n’est jamais paru. Qu’est-ce qui a décidé de son retrait ? Serait-ce que son contenu centré sur le redoutable excès de soufre dans nombre de potions aurait finalement été estimé trop dérangeant parce que les vins de «la bio» n’y sont pas épargnés et, particulièrement, les normes Nature et Progrès qui sont remarquables pour leur laxisme concernant la teneur en SO2 ?
Ainsi va l’information dans les milieux «alternatifs».


On ne peut parler du vin, et encore moins de ses vertus pour la santé, sans parler de la pollution qui l’affecte encore trop souvent : l’excès de soufre. Ces informations sont de nature à tempérer l’enthousiasme de l’amateur, mais, en définitive, elles devraient permettre à quelques-uns d’éviter de ces désillusions qui peuvent éloigner du vin même ses amoureux.
Le dioxyde de soufre (SO2) est employé en vinification sous forme de différents dérivés. Mais oui, c’est bien lui : l’anhydride sulfureux, l’un des polluants atmosphériques les plus agressifs. Imaginez : une pluie acide rien que pour votre gosier ! Trois propriétés lui valent la célébrité. Antioxydant, il permet de stopper l’action dégradante de l’oxygène quand la pulpe du raisin ou le vin en évolution y sont exposés. Antiseptique, il permet de contrôler les bactéries nuisibles pour laisser se développer les levures. C’est encore lui qui est le plus efficace pour stopper la fermentation des levures et prévenir sa reprise en flacons (autrefois, comme en Grèce encore aujourd’hui, on recourait à la résine). Enfin, il blanchit ; c’est une qualité recherchée par les industriels de l’agro-alimentaire pour quantité de produits : depuis les filets de poisson séché qui, c’est bien sûr, ne se vendraient pas s’ils étaient présentés jaunâtres (au naturel, en somme) jusqu’à ces redoutables fruits secs toujours orangés ou blonds en dépit de l’oxydation qu’ils ont subie (ils sont donc normalement bruns). Des vignerons plus qu’indélicats peuvent aussi y recourir pour leurs vins blancs qui resteraient encore un peu trop rosés à leur goût.
Tant de qualités en un seul produit ont, depuis longtemps, fait oublier à beaucoup le danger pour la santé. Le risque est donc très grand puisque les sulfites sont maintenant abondamment répandus dans l’alimentation industrielle pour conserver plus longtemps et éclaircir ce qui est normalement jaune ou foncé (E 220, pour l’anhydride sulfureux, à E 227). Tous les sulfites s’additionnant, il n’est, donc, même plus nécessaire de boire deux ou trois verres de mauvais vin pour être malade. Un plat préparé, une poignée de fruits secs aux couleurs attrayantes et un verre de jus de fruits pasteurisé peuvent suffire.
Le soufre est utilisé en vinification depuis très longtemps. Et il est d’autant plus utilisé que, de la vigne au vin en bouteilles, la culture, la récolte, l’hygiène sont moins soignées. Si l’on fait pisser la vigne (taille longue pour obtenir plus de quantité, donc un jus plus pauvre), si une cueillette trop brutale blesse les raisins, si le tri est mal fait, si les cuves, les tonneaux, le chai, ne sont pas impeccablement propres, si les bonnes températures ne sont pas maintenues, le soufre permettra de tout effacer - au détriment du vin et du dégustateur (1). Et, parce que les vins blancs sont plus fragiles, ceux-ci seront plus chargés que les rouges ; d’où la mise en cause très fréquente des vins blancs dans de nombreux malaises. Seuls des soins attentifs à tous les stades permettent de réduire l’usage des différentes formes du soufre (réunies en SO2), voire de s’en passer. C’est le meilleur gage de qualité.

LES MAUX DU SOUFRE

Dans le vin traité, le soufre subsiste sous deux formes : le «soufre combiné» et le «soufre libre». Le soufre combiné est associé à d’autres éléments comme les levures et les sucres. Le soufre libre se présente sous forme de gaz dissous qui peut encore se libérer. Il est encore chimiquement disponible pour s’associer. Même dans le pire des cas, il est donc totalement inutile. La somme du soufre libre et du soufre combiné constitue le «soufre total».
Rappelons que l’anhydride sulfureux, ce sympathique additif alimentaire, se combine à l’eau pour donner H2SO3, l’acide sulfurique. C’est pourquoi les vins trop chargés, souvent des blancs, sont accusés de donner des maux d’estomac, voire des problèmes intestinaux. Les méfaits du SO2 ne s’arrêtent pas là. Il détruit aussi la vitamine B1 (la thiamine) qui, jouant un rôle essentiel dans l’assimilation des glucides, est indispensable au fonctionnement du système neuromusculaire. La carence en vitamine B1 peut, entre autres pathologies, provoquer des céphalées, des névralgies et des névrites. Voilà qui correspond justement aux malaises provoqués par l’ingestion de SO2 : «L’ignoble soufre, que nous connaissons aujourd’hui sous la forme SO2, soit anhydride sulfureux, est associé depuis fort longtemps au vin. Les Romains déjà, dit-on, le subissaient. Ne remontons pas aussi loin, contentons-nous de remonter au XVIIème siècle. Dans une lettre datée du 29 mai 1681, adressée à son frère, Pierre Bayle se plaignait de ce soufre, qui collabore à empoisonner les honnêtes gens, dans les termes qui suivent : D’ailleurs les climats froids m’étonnent extrêmement, non seulement parce qu’il faut être toujours dans les poêles, que je ne saurais souffrir à cause des maux de tête où je suis fort sujet, qu’à cause qu’on y boit, qu’on y fume, qu’on n’y a que des vins soufrés, qu’on ne saurait livrer société qu’avec des buveurs de bière, de bran-de-vin, etc. toutes choses qui me feraient vivre dans une migraine continuelle, comme j’ai eu lieu de l’éprouver en passant par quelque chose d’approchant en ce pays-ci», Constant Bourquin, «Connaissance du vin».

Pourtant, dans les années 1970/80 et jusqu’à récemment, parler du soufre dans le vin et des malaises qu’il peut provoquer étonnait la plupart des auditoires. Beaucoup se moquaient, ne sachant pas faire la relation avec les symptômes qu’ils ressentaient parfois. Des vignerons ne savaient pas bien ce qu’ils faisaient. Des médecins ne savaient rien. Tel «spécialiste» pontifiant de l’hygiène de l’alimentation attribuait à l’alcool les effets de l’intoxication par le soufre. Des toxicologues du centre antipoisons de Paris - hôpital Fernand Widal - ignoraient tout. Par téléphone, l’un d’eux m’affirma qu’il ne subsistait pas la moindre trace de soufre à l’issue de la vinification et me conseilla de cesser de boire ! Les traités de toxicologie séchaient, n’abordant que les conséquences de l’inhalation de SO2 sous sa forme gazeuse. Sur sept ouvrages consultés, je ne trouvais rien sur les effets d’une intoxication par ingestion. Mon dernier sondage semble indiquer que rien n’a encore évolué de ce côté (2). Il est vrai que j’ai, même, pu rencontrer des œnologues fraîchement formés ignorant tout des effets d’un excès de soufre sur l’organisme : les formations aux métiers du vin qu’ils avaient suivi n’en disaient rien. Si des ouvrages d’œnologie récents l’évoquent enfin - juste avant de consacrer des pages et des pages à l’art d’utiliser le SO2 -, c’est surtout pour minimiser le problème sanitaire, voire l’éluder. A les en croire, il n’y aurait aucune toxicité au-dessous de... 400mg par personne ! On commence à comprendre pourquoi certains œnologues prétendent qu’en vinification, on ajoute des doses de SO2 inoffensives pour l’organisme humain ou osent rapporter qu’ils ont fait absorber des vins contenant plus de 200mg/litre de soufre total (sic) à des patients sensibles et n’ont observé aucun résultat significatif. On aimerait pouvoir leur demander pourquoi il y a tant de malades pour des doses très inférieures. Là encore, l’esquive est classique : les porte-parole du commerce affirment sans ciller que les atteintes à la santé sont tout à fait exceptionnelles, que le phénomène ne serait connu que depuis peu et qu’il ne concernerait que des individus particulièrement fragiles, des asthmatiques et des allergiques (tant pis pour eux). Sauf que, dans le monde réel, c’est à dire non bouleversé par les conditions de l’expérience «scientifique», même une bonne santé n’empêche pas de succomber aux sulfites.
D’autres œnologues encore, dont les papilles n’ont sans doute jamais connu autre chose, prétendent que le SO2 joue un rôle positif sur le plan gustatif et qu’il rehausse en effet les qualités propres du vin. D’aucuns ont le front d’ajouter que le SO2 est bon pour les maux de gorge. Ben voyons ! parlons nous de boissons, de dégustation et de plaisir ou de médecines de cheval et de gargarismes ?

Tant d’âneries révèlent qu’il n’est pas question de remettre en cause une potion magique si rentable ! La négation de l’évidence par le discours de l’industrie permet de polluer les consciences, de dénaturer la perception des réalités, d’ensevelir le problème sous la désinformation et le doute, de retourner la culpabilité, d’anesthésier l’instinct de conservation, même chez les victimes, surtout chez les victimes - ce sont elles qui payent dans tous les sens du mot. Le corps des œnophiles a forcément tort puisqu’il se révolte contre les manipulations «scientifiques». Seul le dogme mécaniste, qui nie tout ce qu’il ne peut mesurer et quantifier, donc appréhender, dit la vérité.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici que l’œnologie se définie surtout par la chimie appliquée à la fabrication et à la conservation du vin. Sans doute est-il de bons œnologues, des gens mesurés qui pensent au dégustateur plus qu’à l’argent qu’un accommodement avec la déontologie leur rapporterait. Mais ceux auxquels nous venons de prêter l’oreille doivent ignorer jusqu’au sens de «déontologie». Ils méritent entièrement l’apostrophe que Constant Bourquin leur adressait : «Trop d’œnologues ne sont que des apprentis sorciers - bardés de fausse science, couverts par des chimistes qui ne sont rien de plus que des chimistes, et généralement à l’échelon le plus bas. Ces vinificateurs redoutables, gonflés par un psittacisme tout neuf, sûrs d’eux-mêmes comme la science qu’ils croient incarner, nous leur devons pour une bonne part ces vins traumatisés sans raison - que par malheur ils nous destinent».
En toute indifférence jusqu’aux années 1990, sous la pression de la chimie, de nombreux producteurs continuaient d’intoxiquer leur clientèle. Ainsi, au lendemain d’un accident climatique, un organisme professionnel, qui joue le rôle de conseiller technique dans un vignoble célèbre, conseillait un traitement lourd au SO2, «(...) la terreur migraineuse des consommateurs. Une véritable piqûre de morphine avant l’extrême-onction. Les mêmes conseillers recommandaient, il est vrai, de multiplier les soutirages à l’air pour compenser l’excès de soufre. Mais la médication demeure massive, violente, elle se traduit par des produits rechignés, agressifs, d’une astringence désagréable en fin de bouche, comme si le vin concentrait les mauvais tanins» commentait François Werner dans Libération du 20 novembre 1987.

Max Léglise, qui nous a quittés il y a peu, n’est pas de ces œnologues épinglés par Constant Bourquin : il est la référence en matière de vinification biologique. Il souligne que l’abus de soufre constitue « (...) une atteinte grave à la santé». Dans «Possibilités et moyens de restrictions de SO2 en œnologie», un article paru dans la Revue des Œnologues n°60 de juin 1991, il précise : « (...) l’acide sulfureux libre, à côté de sa toxicité intrinsèque (souvent discutée et peut-être discutable) est un redoutable corrosif pour les muqueuses buccales, gastriques, pulmonaires et les centres nerveux, et une source de névralgies aiguës pour les consommateurs sensibles». Constant Bourquin témoignait aussi il y a trente ans : «Une forte dose doit être considérée comme létale. Les très faibles doses sont supportées, plus ou moins bien. Les doses moyennes provoquent à tout le moins des céphalées. Pour ce qui est des effets connexes et plus encore des effets lointains, nous ne sommes pas très exactement renseignés».
Pour avoir été trop souvent intoxiqué, j’ajoute qu’avec une dose relativement faible on peut très vite être victime de somnolence et avoir la tête lourde, et l’alcool n’y est pour rien. Si l’on a dépassé sa limite, les maux de tête sont souvent violents. Il peut aussi s’agir de migraines, de douleurs frontales d’une tempe à l’autre, de sensations de serrement au niveau de la nuque, de développement d’une douleur lancinante surgie à la base du crâne et s’étendant unilatéralement jusqu’à l’orbite, comme si une lance vous traversait la tête (syndrome d’Arnold), etc. A chacun suivant sa fantaisie. La barre, le cordon, la casquette, l’étau, le casque lourd, le coup de matraque... Autant d’images s’efforçant de traduire le mal d’après soufre. Tout cela s’accompagne généralement d’un état nauséeux et d’un grand épuisement qui rendent indisponible au moins jusqu’au lendemain, sans compter le temps de recouvrer ses forces après la crise d’où l’on émerge à l’état de loque.

Depuis une dizaine d’années, il y a eu une amélioration sensible. Des médecins savent. Des cavistes peuvent conseiller utilement et, surtout, des vignerons font des produits buvables et, par ailleurs, excellents. Mais, sur l’ensemble, le risque demeure ; sans doute parce qu’il est encore sous-estimé et dissimulé par des intérêts puissants qui interdisent que la teneur en sulfites soit indiquée sur chaque produit. Point besoin de boire comme une éponge pour dépasser la dose, d’autant qu’on ne peut pas sélectionner tout ce qu’on boit, ce qu’on mange et ce qu’on respire. Trois bières à la pression en une après-midi, trois bières légères comme on en boit au bord des canaux d’Amsterdam ; deux petits verres bus avec circonspection en deux repas, et quoi d’autre ? La nourriture industrielle du restaurant d’entreprise ? La salade préparée du supermarché ? Le repas chez les amis ? Vous risquez de ne jamais le savoir, mais vous voilà parti pour seize ou vingt heures douloureuses et épuisantes, plus peut-être. Chaque année, entre anéantissement et longue récupération, ce sont des jours entiers perdus pour soi, pour les autres, pour la vie. De toute évidence, même sur un terrain initialement fort, la répétition de ce genre d’intoxication sensibilise, fragilise, mine l’état général, laisse des traces à long terme, peut déclencher ou aggraver une spirale de dégradations de la santé dont il sera très difficile de se relever.
La connaissance des maux dus aux vins frelatés relativise beaucoup les doctes déclarations sur les vertus sanitaires du vin, sans autre précision relative à la qualité. Un vin malhonnête, c’est à dire un vin trafiqué et soufré, est l’un des breuvages les plus malsains qui soient. Un critère simple pour juger de la qualité d’un vin : qu’il désaltère. « (…) lorsqu’un vin ne me déqaltère pas, il ne saurait être bon », Constant Bourquin, ibidem.

ALORS, CES VINS BIO ?

J’ai cru trouver la solution avec les boissons issues de l’agriculture biologique. C’était une déduction trop simpliste. J’appris simultanément qu’il se trouvait des viticulteurs non «bio» faisant des vins sans soufre, ou juste un soupçon, et qu’il ne fallait pas boire les yeux fermés tous les liquides issus des cultures libérées de la chimie. Bientôt, un cidre et deux vins «bio» m’apprirent la méfiance. Je dois à trois verres du premier un des plus graves et des plus longs malaises dus au soufre jamais éprouvés. Eberlué, je demandais communication des cahiers des charges réglant les teneurs maximales en soufre des vins et autres boissons auprès des organismes biologiques de contrôle. Etonnement : ceux qui me répondirent indiquaient des tolérances certes très inférieures à la réglementation officielle, mais toujours capables d’étendre son homme pour le compte.

Telles étaient les doses admises en octobre 1997. (voir ci-dessous)
On remarque le laxisme de la norme AB (Agriculture biologique) européenne qui, de toute évidence, est réglée par des considérations encore très éloignées de la qualité des boissons et de la santé des amateurs.

A la même époque, en bio-dynamie, les doses tolérées étaient simplement alignées sur les normes AB. La situation n’a guère évolué puisque les organismes de contrôle en bio-dynamie ne témoignent pas d’une sensibilité particulière à l’égard du SO2 et étaient simplement en attente d’un nouveau cahier des charges AB.
Partie de la grande famille de l’agriculture biologique, la biodynamie recourt à des « préparations » qui, répandues sur les composts et les cultures, stimulent la vitalité des populations bactériennes, donc la fertilité des sols et la croissance des plantes.

Dans son cahier des charges de 2002, Nature et Progrès commence par déconseiller l’apport de soufre avant d’encadrer plus strictement son usage que précédemment. Cependant, les doses de SO2 total restent, curieusement, inchangées. Seule la tolérance vis à vis du SO2 libre a été limitée :
vins rouges. 10 mg/litre à la consommation
vins blancs ou rosés 15 mg/litre
‘’ la limite maximale est fixée à 20 mg/litre (l’avis d’un oenologue est requis pour justifier le dépassement).

L’analyse des teneurs en soufre libre et en soufre total est obligatoire dans un délai inférieur à 2 mois.
Il y a un progrès, mais qui n’intéressera que médiocrement l’amateur qui goûte peu le soufre. En effet, pourquoi diminuer le soufre libre sans faire de même avec le soufre total ? Le maintien des mêmes dosages de soufre total implique que la tolérance est plus grande qu’avant pour le soufre combiné. Cette permanence de la négligence vis à vis de la teneur en soufre combiné ne viendrait-elle pas du fait que certains, tel Max Léglise, ne soupçonnent que le soufre libre de présenter un danger? Mais les médecins désormais informés désignent fort logiquement la somme du soufre libre et du soufre combiné, c’est-à-dire le soufre total, comme responsable des maux. La confusion toujours commune sur le sujet semble surtout trahir une ignorance encore très grande sur les effets du soufre ingéré. Cette opinion est renforcée par l’imprécision des formules relatives au sulfitage qui émaillent les livres sur le vin : «doses raisonnables», «doses en dessous du minimum jugé acceptable par les oenologues» (et les consommateurs?), «éviter les doses excessives», «usage aussi limité que possible, voire exceptionnel dans certaines régions», etc.
Au total, même pour les «bio», nous avons toujours le droit d’être malades.

Un seul coup d’œil à ces cahiers des charges suffit à comprendre pourquoi on ne peut pas parler de vins «bio» mais de «vins issus de l’agriculture biologique». Sans même évoquer les doses tolérées par la Communauté Européenne au pouvoir des industriels, les normes des organismes de l’agriculture biologique sont stupéfiantes. A quoi peuvent bien servir de telles doses en vinification de produits censés être sains, concentrés et bien traités ? Tant de soins attentifs à tous les stades, de la culture à la conservation, ne devraient-ils pas conduire à une diminution drastique du soufre combiné et du soufre total ?
D’après les professionnels du bon vin, ces doses sont plus qu’excessives. Max Léglise ne s’embarrasse pas de circonlocutions, il tranche : « L’emploi intensif de SO2 est l’un des grands abus de l’œnologie chimique, et il est incompatible avec l’option biologique (...) Les doses proposées actuellement par la plupart des cahiers des charges en viticulture biologique sont exorbitantes sur le plan de l’hygiène et de la santé, et tout à fait inutiles sur le plan technique». Rappelons que la FAO et l’Organisation Mondiale de la Santé ont ensemble fixé à 0,7mg/kg de poids corporel la dose de soufre maximale admissible ; l’OMS recommandant par ailleurs de ne pas dépasser 25mg/jour/adulte. Nous voilà loin du plancher des 400mg indiqué par certains œnologues.
Heureusement, d’après mon expérience, beaucoup de viticulteurs sont plus raisonnables que les cahiers des charges. Mais, méfiance... Il ne suffit pas d’interroger les vignerons pour savoir.

Pour en avoir le cœur net, j’ai fait analyser trois vins : un authentique bouillon d’onze heures, un liquide suspect et un vin sans soucis. Le premier, un blanc, sentait le gaz sulfureux à plein nez et brûlait la gorge de façon caractéristique. Juste bon pour l’évier ! Certes, il n’était pas «bio», mais c’était loin d’être un bas de gamme et son producteur m’avait juré utiliser le strict minimum de soufre. Il révéla 125,44 mg/litre de soufre total. Un poison. Le rouge agressif qui chauffait un peu l’œsophage et m’avait incommodé, contenait 65,28mg/l. Un rouge issu de vignes biologiques, désaltérant et bon compagnon de plusieurs années, avoua tout de même 35,2mg/l, toujours en soufre total. Donc, 1 litre de ce vin que je croyais insoupçonnable contenait 10mg de plus que la dose journalière maximale pour un adulte recommandée par l’OMS. Et moi qui, aux yeux de quelques amis, passait pour un «sujet sensible». Bel exemple de renversement de la logique du fait de la propagande des chimistes : c’est l’amateur qui passait pour anormal, pas l’acide sulfurique dans la boisson (3) ! Trente cinq milligrammes... cela ne laisse guère de place aux E 220 à 227 qu’on risque fort de rencontrer dans les autres aliments et à l’apport inhalé dû à la pollution atmosphérique qu’il ne faudrait pas oublier. Trente cinq milligrammes... c’est encore trop pour les jours de fatigue et de faible résistance.
Grâce à cette analyse (36 euros par vin en 97), j’étais désormais informé sur mes capacités de résistance mais j’ignorais toujours tout de la dose maximale qu’un honnête vin peut contenir et aucun des spécialistes interrogés ne daignait me répondre.

Constant Bourquin aborde le sujet : «De parfaits vinificateurs que j’ai consultés estiment que le SO2 total, au moment de la mise en bouteille, devrait ne pas dépasser 120 milligrammes et ne pas atteindre 35 milligrammes en SO2 libre. Au delà de ces doses, modérées, répétons-le, le vin sent le soufre et il peut provoquer des malaises (…)». Diable ! Rassurez-vous, ces données datent de 1970. En quoi fallait-il être fait pour survivre à pareille potion ? En note, il indique quand même que «des professionnels très sérieux» n’admettent pas plus de 50mg en total et 20mg en libre. C’est dire si la situation était grave à l’époque.
Max Léglise est plus clair : «Dans l’option biologique, la norme à adopter est l’absence totale de SO2 libre dans le vin au moment de la consommation (...)». Nous voilà loin des doses tolérées par les organismes de contrôle «bio». Pour ce résultat, il préconise le sulfitage dynamique qui, à la différence du sulfitage statique, visant à surdoser pour maintenir du SO2 libre dans le vin, procède par apports mesurés et analyses pour s’assurer de la disparition du SO2 libre.

BIO OU PAS, CHOISISSEZ LA SANTE

Pour comble, c’est du côté de la viticulture non biologique que j’ai capté la seule information de ma recherche sur la dose maximale à ne pas dépasser à la mise en bouteilles. C’est un partisan du minimum de soufre, voire de son absence, qui indique que, vraiment si la cuve l’exige, il ajoute 15mg/litre à ce moment crucial, pas plus. Ainsi, des vignerons en recherche de qualité et soucieux de la préservation de la santé, de la nature et des consommateurs, tendant sans doute vers «la bio» mais ne s’en réclamant pas, font des vins libérés du soufre ou n’en contenant que très peu. Grand avantage : les arômes se révèlent comme jamais. L’amateur est également libéré, pouvant tout à loisir se concentrer sur les qualités organoleptiques. Il est, d’ailleurs, d’autant plus libre d’apprécier que l’alcool - le bon, pas celui qui résulte de la chaptalisation - est plus facilement assimilable par un organisme en forme.

Donc, gare aux a priori. Il ne faut pas accorder sa confiance à qui brandit un label biologique et la refuser à d’autres sans y regarder de plus près. On doit interroger les producteurs sans relâche et ne rien laisser passer. Le mieux est d’avoir un bon caviste, c’est-à-dire un caviste sensibilisé au problème. Et puis, comme en tous domaines, il faut s’informer, s’informer encore, questionner, vérifier et, quand on la trouve, faire circuler l’information pour la confronter.
Deux mesures très attendues pour améliorer la qualité des vins et préserver la santé des consommateurs :
Le respect du conseil de Max Léglise : pas de soufre libre à la consommation.

L’indication de la teneur en soufre total sur les étiquettes des vins et des autres aliments. C’est une information indispensable pour apprendre à connaître sa sensibilité et à se prémunir.
On attendra avec une attention particulière l’évolution des organismes de l’agriculture biologique. N’est-ce pas un minimum que l’on est en droit d’attendre d’eux ?

A VOTRE SANTE !

Ah, un mot encore : ne ratez pas MONDOVINO, le film documentaire de Jonathan Nossiter sur les mondes du vin. Plus fort que beaucoup de démonstrations, long en bouche, il met à nu la technocratie mercantile telle qu’en elle même, coupée de ses racines, superficielle et suffisante, face à l’humanité des artisans enchâssés dans l’histoire des peuples et des écosystèmes. Le rachat de vignobles entiers par des spéculateurs qui les détournent pour produire des breuvages standardisés suivant le goût susceptible de plaire au plus grand nombre de consommateurs déformés par les sodas illustre aussi la longue histoire la spoliation des communaux. Une fois de plus, on assiste à la métamorphose d’une création de l’écosystème, de l’histoire et de la culture des hommes, donc d’un bien construit en commun, en produit récupéré et détourné par la finance et l’industrie chimique.
Sur la civilisation des communaux :
«Renversement et rétablissement de la culture conviviale : Le sens de l’économie, La convivialité volée, Restaurer le politique», Silence septembre, octobre, novembre 1999, n° 248/249/250. Une nouvelle parution est préparée par les éditions Pli Zetwal, Coppéré, 42 830 Saint Priest la Prugne, Email : plizetwal@free.fr.


Alain-Claude Galtié Burgevin - 2002/2004

(1) A propos de la cueillette et du tri, on ne peut passer sous silence les méfaits de «la machine à vendanger qui recueille les bons raisins comme les grises mottes privées de sève ou des feuilles (…) L’économie de fatigue pour la main-d’œuvre devient une économie de saveurs pour le consommateur : l’impossibilité du tri, l’éclatement des raisins suscitent une oxydation à laquelle les œnologues parent en utilisant des doses massives de SO2. Le soufre bloque toute fermentation en bouteille. Le vin ne risque plus de pétiller, le goût se calme d’autant, sauf la migraine. » Jean-François Werner dans Libération du 15 novembre 1989. Les vins destinés au grand commerce (et, plus encore, à l’exportation), vins dont les flacons seront inévitablement remués, secoués, exposés à des variations de température, à la chaleur, à la lumière, maintenus debout avec le bouchon sec... sont également davantage traités que les vins réservés à la vente directe ou aux cavistes.
(2) Même sur Internet, la collecte est maigre. On trouve surtout des énormités manifestement écrites par des serviteurs de l’industrie chimique, même quand ils se réclament de l’université.
(3) Depuis, presque tous les moqueurs ont, à leur tour, succombé sous les assauts du toxique. Tel qui riait de moi est tombé raide victime d’une migraine carabinée après la dégustation retenue d’une petite merveille gratifiée d’une médaille d’or au concours agricole. Voulant en avoir le cœur net, le lendemain soir, une fois le malaise dissipé, il a fini la bouteille et est reparti pour un tour de manège.
Sources utiles :
Constant Bourquin, «Connaissance du vin. Le bréviaire de l’amateur», Editions Marabout 1970.
Max Léglise, «Les méthodes biologiques appliquées à la vinification et à l’œnologie. Vinifications et fermentations», Le Courrier du livre 1994.

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