Courant alternatif no 146 février 2005

SOMMAIRE
Edito p. 3
INTERNATIONAL
Un tsunami qui peut rapporter gros p. 4
SERVICES PUBLICS
Repenser l'utilité sociale p.6
L'Mouvement: "Offensive", trimestriel libertaire p.8
ECOLE
Loi Fillon d'orientation pour l'éducation p.9
Livres p.11, 12, 15
Courrier p. 12
SOCIAL
Travailler plus et gagner moins, avec le MEDEF et l'UMP c'est possible! p.13
La Confédération Européenne des Syndicats et le Traité de Constitution Européenne p.14
REPRESSION
Nous voulons la libération de tous les militants d'Action Directe p.15
Rubrique Flics et Militaires p.17
INTERNATIONAL
PAYS BASQUE: L'actualité politique se précipite p.19
L'Mouvement: L'Insurgé, nouveau groupe en RP p.23
Bréves p.24

EDITO


Certains n’hésitent pas à comparer la période actuelle avec les années Thatcher en Grande Bretagne au cours desquelles la dame de fer a mené une politique de saccage social brutale et sans concession. Le mouvement ouvrier britannique ne s’en est toujours pas remis.

Force est de constater que le gouvernement Raffarin a fait sienne la devise « ça passe ou ça casse ! » en entreprenant une politique de privatisation et de libéralisation de très grande ampleur, quitte à s’attirer une impopularité record. Conformément au mandat que lui a donné le MEDEF les cibles tombent les unes après les autres : Poste, SNCF, Santé, sécurité sociale, éducation nationale (voir article page 9), etc. C’est la curée, la dernière ruée des capitalistes aux dents longues, prêts à se jeter sur la moindre parcelle de ce qui subsiste de secteur échappant un tant soit peut au marché. Le signal vient d’en haut. Depuis les années 80, tous les gouvernements successifs ont participé à la distribution généreuse des services publics les plus rentables aux capitaux privés (voir article page 6). Il serait parfaitement illusoire d’en appeler à la sainte « République » pour sauver ce qui reste d’Etat providence.

Cette même république française se trouvera de toute façon d’ici peu volontairement pieds et poings liés à un traité constitutionnel européen consacrant en principes fondamentaux les tables de la loi du marché (voir article page 14). Tous les secteurs de l’activité humaine devront se conformer prochainement, de gré ou de force, aux règles du capitalisme, même si cela doit passer par la remise en cause de dogmes soigneusement élaborés au cours des années, comme celui de la fermeture des frontières aux travailleurs immigrés. En réalité, cette soit disante fermeture n’a jamais été qu’une illusion, l’Etat organisant sciemment la précarité des étrangers par l’élaboration subtile d’un système juridico-administratif fabriquant en grand nombre des sans papiers privés de tous droits.
Cette manière de fonctionner ne semble plus satisfaire les appétits des employeurs, puisque les déclarations sur l’ouverture de quotas d’immigrés se sont multipliées récemment. A l’échelon national, l’inévitable Sarkozy — porte parole du MEDEF par l’intermédiaire de son frère Guillaume qui est lui-même n°2 du syndicat des patrons — a mis le pied dans le plat le premier en se déclarant favorable à l’entrée de nouveaux immigrés selon des quotas repartis par nationalité et par compétence professionnelle.
Le doigt sur la couture du pantalon, le Parti Socialiste, par l’intermédiaire de Malek Boutih, s’est aussitôt rangé à cette idée géniale. Le ministère de l’intérieur a commandé un rapport pour la fin du mois de février devant établir les besoins de l’économie française en main d’œuvre étrangère. Enfin, la commission européenne s’est lancée elle-même dans une réflexion très aboutie de quotas d’immigrés utiles pour la bonne marche de l’économie de l’union. Il ne faut pas voir dans cette nouvelle orientation un changement radical de politique et encore moins une victoire dans la lutte pour la libre circulation. Les étrangers concernés seront sélectionnés de manière rigoureuse comme au bon vieux temps des marchés aux esclaves, puis exploités le temps d’un contrat de travail précaire, avant d’être instamment invités à quitter le territoire.

La relance du discours sur les quotas d’immigrés n’arrive sans doute pas par hasard au moment où l’on parle également de plus en plus ouvertement du coût trop important du travail en France. Remise en cause des 35h (voir article page 13), menaces régulières de délocalisation, viennent constamment nous rappeler que la main d’œuvre coûte moins cher ailleurs. Désormais, elle pourrait également coûter moins cher ici même par une habile mise en concurrence des travailleurs nationaux avec les travailleurs étrangers.

OCL Paris
le 30 janvier 2005


Services publics: Repenser l'utilité sociale



Transports, services de santé, enseignement, Postes et Télécommunications, etc. L'heure est à l'économie et à la privatisation avec tout ce que cela implique pour les travailleurs du secteur public et pour les usagers. Aggravation des conditions de travail, comme dans les autres secteurs économiques, dégradation des services. On fait des économies sur ce qui ne rapporte pas, on cède au privé ce qui est susceptible d'engendrer des profits… L'affaire roule d'autant mieux si elle est menée par des progressistes qui ne cessent de proclamer leur attachement à la notion de service public.

Il est illusoire d'attendre de l'Etat qu'il soit le garant du service public. L'Etat n'est pas public et il n'est pas une abstrac-tion. Il est constitué d'individus et d'institutions, dont le pouvoir repose en définitive sur l'usage de la force ("L'Etat, c'est une bande d'hommes armés", selon l'expression d'Engels). Le service public est donc parfaitement instrumentalisé dans ce processus, puisqu'il vise en définitive non pas à la satisfaction de la population, mais à organiser les conditions qui permettent au capitalisme de fonctionner et de dégager des profits.
La critique de la notion de service public, déjà entreprise par les libertaires, est donc une tâche essentielle aujourd'hui pour détacher celle-ci de l'Etat.
Affirmer que l'économie doit avoir pour objectif la création de biens et de services utiles à chaque individu et non d'en-gendrer des profits pour quelques-uns unes, c'est également démontrer que tout devrait être service public, et dénoncer le caractère arbitraire de ce qui est actuellement défini comme tel. Pourquoi l'eau devrait être un service public comme le réclame ATTAC, mais pas la nourriture ou l'habillement ? Inversement, faut-il créer une collectivisation généralisée (au risque de retomber dans les erreurs passées du centralisme totalitaire ...) ? Ou bien faut-il intégrer les critiques du pro-ductivisme, l’analyse des conséquences sociopolitiques induites par la "Technique" pour tenter de recréer un autre mode de production autocentré, maîtrisable par des communautés à taille humaine ? Seuls les mouvements sociaux remettant en cause ce monde peuvent avoir la légitimité d’explorer des voies de contournement des impasses économiques actuelles.

Du rôle de l'Etat dans la création d'un "service public"

A des moments donnés, l'Etat a eu besoin de financer ou de mettre en place des infrastructures ou des productions pour soulager le capital privé, auquel il les remet aujourd'hui, pour assurer entre autres une "continuité territoriale" ou une "équité entre les usagers", introduire une "modernité" dans laquelle les investisseurs privés ne voulaient pas prendre de risques (n’étant pas encore sûrs que cela pouvait être rentable) ou contrôler une activité (radio et télévision pendant très longtemps, …).
Tel fut le cas pour la SNCF (dans laquelle l'Etat n'a jamais détenu plus de 51% du capital) ou d'EDF (veiller à ce que tout le monde soit raccordé au réseau dans des conditions identiques, laissant le soin aux collectivités territoriales, via les syndicats d'électrification, d'en financer une partie). Lorsque la notion d'"équité" entrait en ligne de compte, on les appela "services publics", comme pour les administrations d'Etat ; sinon ce ne furent que des entreprises publiques (comme Renault, …), financées par le contribuable et cédées au privé à bas prix lorsqu'elles furent jugées rentables pour le capitalisme.


Qu'appelle-t-on actuellement service public ?

Le service public a été défini comme toute activité d'une collectivité publique visant à satisfaire un besoin d'intérêt gé-néral. Or, l'intérêt général est difficile à préciser dans de nombreux cas et les activités des collectivités publiques ne sont pas toutes d'intérêt général. Par ailleurs, l'existence de services publics industriels et commerciaux, comme EDF, conforte l'idée que toutes les activités des personnes publiques ne sont pas des activités de service public. Enfin, il existe des activités considérées comme relevant du service public, la distribution de l'eau par exemple, qui sont gérées par des entreprises privées (celles-ci sont définies comme délégation de service public).
Dans les faits, la notion s'applique à deux catégories d'activités des collectivités publiques:
– d'une part, les services administratifs de l'État et des collectivités locales dont les actes et les personnels sont sou-mis au droit administratif;
– d'autre part, les services publics industriels et commerciaux dont les actes courants sont soumis en principe au droit privé mais dont les personnels peuvent être soumis au statut de la fonction publique (Électricité de France).
On distingue alors un certain nombre de critères constitutifs du service public :
– Le principe d'égalité : face aux charges ou aux avantages, tous les usagers doivent être égaux.
– Le principe de continuité : il ne doit pas y avoir de rupture dans le fonctionnement du service. Ainsi le droit de grève est-il réglementé dans certains services publics (service minimal par exemple).
– Le principe d'adaptation : il implique que le service public suive les exigences d'un "intérêt général" fluctuant.
– Le principe de gratuité : s'il n'existe pas en droit, il est souvent associé pour les usagers à la notion de service pu-blic dont la fixation des prix échappe au marché (par exemple le coût du ticket de métro ou la gratuité du service des pompiers).

Et pourtant …

Le principe d'égalité n'existe pas véritablement. Le tarif de l'électricité, des télécommunications, du courrier, etc. n'est pas le même suivant que l'on est un usager domestique ou un usager industriel. A la SNCF, il existe toujours un tarif 1ère classe et un tarif 2ème classe, un tarif TGV et un tarif Corail, un tarif "public" et un tarif pour les adeptes de l'Internet, … De même, le principe de continuité n'existe pas dans la réalité : on supprime des lignes de chemin de fer sous prétexte qu'elles ne sont pas rentables, on ferme des hôpitaux de proximité pour la même raison, l'usager domestique qui a du mal à régler sa facture EDF se voit couper sa ligne ou baisser au niveau le plus faible, permettant tout juste l'éclairage, alors que de plus en plus de logements sont équipés du chauffage électrique. Quant au principe de gratuité, n'en parlons pas …

Un exemple d'instrumentalisation du service public : le plan Hôpital 2007

La santé est désormais organisée sur la base de territoires de santé "régional, infra ou inter régional...." La nouvelle forme de coopération public/privé va permettre d’instaurer une concurrence plus accrue entre les établissements et dilue les établissements publics dans une nouvelle entité juridique : GHIC (groupement hospitalier d’intérêt collectif) à l’exemple de ce qui fut mis en place à la poste vers 1986. Le service public hospitalier glisse vers une entité avec mis-sion de service public dont le statut deviendra progressivement privé.. Cette politique est à l’identique de celle dictée par l’organisation mondiale du commerce (OMC) qui, à travers l’accord général sur le commerce des services (AGCS), engage les gouvernements à négocier périodiquement la privatisation de tous les secteurs dits de service (éducation, santé...). Plus de services publics, mais des missions de services publics. Une des conséquences inéluctables de cette orientation est l’attribution des secteurs de santé les plus lucratifs au privé. La volonté de privatiser le système de santé public s’affiche de plus en plus clairement de la part du gouvernement, parallèlement au volet qui introduit de plus en plus d’assurances privées dans notre système de protection sociale. Le budget d’un hôpital ne se fera plus sur la base du bilan de l’année écoulée mais sur la base d’un état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD), avec d’éventuelles dotations qui viendraient le compléter. L’acceptation de cet EPRD sera soumise au directeur de l’agence régionale d’hospitalisation (ARH) qui avalisera ou pas. Directeur de l’ARH qui agréera ou non le budget et renverra sa copie au directeur d’établissement qui ne rentre pas dans les critères définis par la politique régionale de santé.. Ce système va générer une course aux recettes, une concurrence à l’activité. Les crédits seront alloués selon les volumes de l’activité. Le risque sera la généralisation des activités lucratives et des patients rentables. Dans le cadre de la rationali-sation des soins et activités, un hôpital sera recentré via un plateau technique d’offre de soins sur un pôle d’activité (hôpital, une ville...). Chaque service ne fonctionnera plus isolément mais regroupé, en liaison avec plusieurs unités fonctionnelles et complémentaires. Cela pourrait être salué comme un mieux pour le patient anonyme, perdu dans le dé-dale médico-administratif, attendant tel acte, telle suite pour son traitement. Un bien aussi sous l’aspect d’une mutuali-sation des moyens mis au service de l’usager avec efficacité, transparence et sans gabegie. Hélas, ce schéma idéal reste tributaire de la politique de santé menée par le directeur de l’ARH dans le cadre d’une libéralisation du service public. Cette rationalisation des soins ne masque même plus les restructurations qui l’accompagnent : suppressions de postes, restrictions budgétaires, fermetures de lits, disparitions d’hôpitaux périphériques, externalisations de pans du service pu-blic vers le privé ou installations de secteurs privés dans les lieux publics.

Les manifestations d’élus locaux auprès des personnels et de la population pour défendre les hôpitaux de proximité sont sans nul doute en rapport avec la réorganisation des conseils d’administration. Le nouveau conseil d’administration voit arriver en force l’ARH qui nomme un collège de personnalités "économiques" en lien très fort avec le comité de direc-tion. Le maire, jusque-là président du CA de l’établissement hospitalier de sa commune, pourrait ne plus avoir cette fonction, car trop souvent en proie à des contradictions internes, notamment dans les opérations de fusion, de recomposi-tion. En clair, le maire est suspect d’être trop souvent débordé par les enjeux politiques locaux et se verra supplanté par "l’économique".

L’exemple des transports est lui aussi éloquent. Ce n’est pas "l’intérêt général" qui préside à la mise en place des infra-structures de transport, mais l’intérêt particulier de puissants groupes économiques et politiques. L’accroissement déme-suré du transport routier, les autoroutes, voies rapides, les TGV… supposent un pas de plus, et très important, dans la consolidation de ce modèle économique et social, le capitalisme étendu à toute la planète, terriblement productiviste, gaspilleur, générateur d’inégalités et destructeur de la nature. Les luttes à mener doivent déboucher sur la nécessaire rupture avec le système développementaliste et dominateur actuel, une rupture qui permette de satisfaire les besoins humains en accord avec la nature et de faciliter l'autonomie aussi bien des personnes que des peuples.

Dans le domaine de l’énergie, Le Réseau Sortir du nucléaire, comme les écologistes dans leur très grande majorité, prô-nent des économies. Mais il faut, pour que cette proposition ne soit pas une pure utopie électoraliste, préciser de quelle énergie il s’agit (ce qui est rarement fait), et surtout dans quels secteurs ces économies doivent être faites et en fonction de quels critères. Il doit s’agir bien sûr d’énergie électrique si on se réfère au nucléaire. Quant aux secteurs concernés, reportez-vous aux plaquettes éditées par les susdits et vous constaterez que les exemples donnés sont presque toujours des économies domestiques (alors que la consommation d’énergie électrique n’intervient que pour 30 % de la consom-mation totale !). Autrement dit, avancer le chiffre de 40 ou 50 % de réduction de la consommation électrique pour sortir du nucléaire est totalement mystificateur si on ne touche pas à la consommation industrielle. Or toucher au secteur in-dustriel, c’est de facto remettre en cause toute l’organisation de l’économie à partir du moment où on veut l’amputer d’une partie importante de sa consommation électrique. Et, de toutes les manières, le coût du kWh est si bas pour les entreprises que la moindre modification dans la fabrication allant dans le sens d’une moindre consommation d’électricité (sans pour autant toucher au système lui-même) serait définitivement non rentable. Il faut aussi démasquer l'écocapitalisme, tant invoqué pour son prétendu respect de l'environnement : il n'est rien d'autre en effet qu'un moyen d'accentuer l'exploitation des ressources naturelles et de perpétuer un système de domination, aussi bien dans les relations humaines que dans les relations entre l'être humain et la nature..

Pour l'utilité sociale du travail

Au fur et à mesure que la société marchande s'étend, des secteurs entiers de l'activité humaine, qui auparavant étaient décidés plus ou moins collectivement et assumés gratuitement, entrent dans le champ de l'Economie. Ces activités, qui structuraient peu ou prou des rapports de solidarité et d'échange, sont donc détruites et remplacées par des ersatz con-sommables et monnayables. En fait, il ne s'agit là de rien de plus que de la marche for-cée du capitalisme pour s'étendre et trouver de nouveaux mar-chés, sous forme de territoires ou de secteurs de la vie sociale. Et toujours au prix de la des-truction : des peuples, des cul-tures, des liens sociaux, des activités assumées collectivement, de la gratuité. Pour le ca-pitalisme, c'est reculer que d'être stationnaire !

Telle est fondamentalement l'utilité de presque tout ce qui se produit actuellement sur la terre : pouvoir se vendre. L'unique objectif de la mise en œuvre des nouvelles technolo-gies est la sacro-sainte croissance et la nécessité pour le capital d'accroître la production en diminuant les coûts. L'utilité sociale, celle de la nécessité de se nourrir, de se vêtir, de se chauffer, de jouer et de jouir, de connaître et de découvrir, ne sert que de toile de fond aux activités mercantiles. Ces der-nières s'appuient sur ces nécessités non pour les satisfaire, mais pour faire miroiter une hypothétique satisfaction qui recule au fur et à mesure que les capacités de production s'étendent. L'utilité sociale est au marketing ce que la libido est au psychanalyste : son fonds de commerce.

C'est ainsi que se réalise une société de frustration qui s'articule autour de la pénurie matérielle dans certaines zones et certaines classes, et d'une abondance falsifiée et d'une vie sociale appauvrie dans d'autres zones

En fait, l'utilité sociale, l'utilité de ce qu'on produit est d'abord un problème politique qui devrait découler de choix de société. Autrement dit "On veut vivre comme ça et on s'en donne les moyens", et non le contraire : "On produit d'abord, on verra ensuite." Le capitalisme a sacralisé la production au point que c'est le processus productif qui détermine nos rapports sociaux, nos envies, nos désirs. Et c'est précisément cela dont nous ne voulons plus !

Mais qui, "nous" ? Nous entrons là de plain-pied dans la définition de la ou des collectivités humaines. Pas cette collec-tivité mondiale et abstraite, celle du pseudo "village planétaire ", qui n'existe qu'au travers des médias et du Capital ; mais ces collectivités, en chair et en os, faites de rapports de proximité, de connaissance de leur environnement, celles qui permettent d'envisager la démocratie directe. Des collectivités entre lesquelles peuvent se construire des rapports de solidarité, d'égalité et d'échange - et non de haine, de guerre et de concurrence, comme cela se produit lorsque la collectivité a été détruite ou affaiblie. Car le problème est bien que la primauté de l'Economie sur le Politique (au sens noble) déstructure perpétuellement les communautés humaines, y compris celles que le système a lui-même créées, ato-mise les individus, et laisse le champ de la communication, des interactions et des décisions aux différents pouvoirs. Parler d'utilité sociale renvoie donc au territoire, au com-munautaire, au collectif, au "maîtrisable", autant dire à tout ce dont ce système cherche à nous déposséder et qu’il s’agit, par les luttes, de se réapproprier.

Organisation Communiste Libertaire

La Confédération Européenne des Syndicats (C E S) et le traité de constitution européenne

Lors du débat « interne » au parti socialiste concernant l’adoption ou le rejet du traité constitutionnel qui sera prochainement soumis à référendum, la CES a souvent été cité comme faire valoir par les partisans du oui au traité.


LA CES

Elle a été crée officiellement en 1973. Précédemment, deux structures syndicales internationales servaient de référence. Affrontement inter capitaliste oblige. Les pays occidentaux avaient la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) regroupement d’organisations syndicales sociales démocrates souvent anti-communistes faisant contre poids à l’influence de la FSM (Fédération Syndicale Mondiale) syndicats dits de lutte de classe s’opposant au capitalisme sous influence communiste mais surtout sous le giron de Moscou. En France on avait le syndicat F.O (Force Ouvrière) financé après guerre notamment par la CIA américaine, affilié à la CISL pour contre balancer, au côté du syndicat chrétien (CFTC) l’hégémonie de la puissante CGT membre de la FSM et l’influence communiste.

Dans les années d’après guerre, 1950, les syndicats de la CISL décident de se rapprocher. Sous l’influence de la France et de l’Allemagne, l’Europe commence à prendre forme avec la création de la CECA (Communauté Européenne de Charbon et de l’Acier). Une vingtaine de syndicats se regroupent. Après le traité de Rome 1958, un secrétariat européen voit le jour. La plupart des syndicats ou confédérations affiliés sont sociaux démocrates, empreints de réformisme gestionnaire à l’exemple des allemands. Ce n’est que dans les années 1975 que les syndicats chrétiens démocrates adhèreront à la CES (CFTC ou, pour la CFDT : 1974). L’implosion du capitalisme d’état des pays de l’Est européen conduira nombre de syndicats de l’ex FSM, à rejoindre la CES. Ce sera le cas en France de la CGT qui adhérera en 1999 cooptée par la CFDT. A ce jour, la CES regroupe 77 organisations membres de 25 pays, 11 fédérations syndicales soit plus de 60 millions de membres.

Bureaucratie intégrée de longue date dans les différentes instances européennes, technocrates syndicaux siégeant dans diverses commissions, accompagnant dès ses débuts et la communauté européenne puis l’Union Européenne la logique de cogestion s’est faite naturellement. Plus que jamais, la CES, apparaît comme un partenaire de collaboration et de régulation entre le capital et le monde du travail. Ce partenariat est payé de retour à sa juste valeur puisque l’U.E. la finance à 75% le reste provenant des organisations elles-mêmes. Peut-on parler de la CES comme d’une confédération syndicale supra nationale ?

Empreint de réformisme, elle épouse dès les années 1970 l’orientation néo-libérale qui déferle aujourd’hui. Cet esprit de régulation prend corps dans « le secrétariat des partenaires sociaux », lieu où se réunissent bureaucrates et patronat européen. La CES et l’UNICE (organisation patronale européenne) collaborent et élaborent la législation sociale européenne sur le dos des travailleurs. Il n’est pas étonnant que la CES ait accompagné toutes les mesures anti-sociales du patronat depuis ces quinze dernières années : précarité, flexibilité, casse des services publics et tant d’autres saloperies.

On peut considérer qu’appendice des institutions européennes, elle joue un rôle clé dans le dispositif de généralisation de l’offensive libérale actuelle. De par ses rapports avec les confédérations nationales, il y a une dynamique d’influence réciproque et de convergence sur le syndicalisme, l’action syndicale et son immobilisme ainsi que sur la revendication à porter. Elle est un rouage d’intégration reconnue (sommet d’Amsterdam 1997) en qualité d’interlocutrice dans le domaine social. A ce titre elle participe donc à diverses activités de commissions ainsi qu’à la préparation des sommets européens.

Dans ce cadre, elle se déclare favorable au projet de la constitution européenne qui sera soumise à référendum dans les mois à venir en France. Ainsi dès le 13 Juillet, à Bruxelles où était réuni son comité directeur, ce dernier annonçait « La CES, a accordé un soutien ferme à la version du projet de traité sur lequel les dirigeants européens s’étaient mis d’accords en Juin dernier. » Son secrétaire général J Monks d’ajouter « La nouvelle constitution européenne est-elle meilleure que ce que nous avons maintenant ? La réponse est indubitablement OUI ! ». Ainsi, le comité directeur dès le 15 Juillet a salué les « percées » sur le dialogue social, la reconnaissance de l’égalité des genres et droits des minorités, et bien sûr la prise en compte des droits fondamentaux. Notons le fonctionnement démocratique de la CES dans ses instances suprêmes. Est-ce nécessaire dans tant de connivences incontrôlées par les travailleurs, et favorisées par les bureaucraties appâtées par le fric et les avantages qu’en retirent les dirigeants. Ces prises de positions ne reposent sur aucun débat préalable dans les instances de la CES. Après la prise de position du comité directeur, le comité exécutif plus représentatif de l’ensemble en a débattu pour l’entériner. Les 13,14 Octobre 2004, le vote a donné lieu à 40 votes pour (dont la CFDT et L’UNSA) 2 votes contre (dont FO) et 12 abstentions (dont la CGT). Comme le souligne le comité directeur de la CES « Le soutien, est la seule approche pragmatique et réaliste aux yeux des syndicats ».

Et les syndicats français ?

En France, la CFDT a participé à la décision européenne sans que les instances nationales n’en aient débattu. Son leader, F. Chérèque n’a t-il pas déclaré que « sa validation n’était qu’une formalité » !

Alors qu’elle s’était prononcée contre le traité de Maastricht, la CGT s’est contentée d’une abstention sur le traité constitutionnel. Les leaders de La centrale syndicale française font le grand écart. Il faut dire que la position adoptée par la CES ne passe pas dans les syndicats au vue des premières réactions. Telle celle de l’union locale de Roanne qui invitait ses dirigeants à se prononcer clairement contre la constitution. Ailleurs, on assiste à des blocages renvoyant les débats à des jours meilleurs. La direction dans un attentisme non sans arrières pensées, adopte une position « Pédagogique » sans se prononcer pour le moment. A ce jour les débats dans les structures pointent vers le non. Il est vrai que les adhérents ou militants de base, confrontés aux réalités quotidiennes n’ont nul besoin de pédagogie confédérale. Les acceptations anti-sociales entérinées depuis des années par la CES avec la passivité et la complicité des dirigeants syndicaux nationaux, ils les subissent au quotidien : licenciements boursiers, délocalisations, précarité, flexibilité, extension du travail de nuit pour les femmes. Casse du service public avec la privatisation de la Poste, des télécoms, casse du code du travail, des conventions collectives, des droits des salariés etc. Bref un ensemble de régressions sociales mises en place au sein de l’U.E. depuis l’application du traité de Maastricht 1992 puis d’Amsterdam 1997.

Dans sa presse ou, dans ses argumentaires pédagogiques envoyés aux syndicats et sections, la direction ne s’étale pas beaucoup sur l’offensive patronale et libérale portée par la bourgeoisie contre les travailleurs dans le traité constitutionnel. Elle préfère souligner fortement les notions de dignité, de démocratie, de liberté, de solidarité intégrées dans la chartre des droits sociaux (déjà proclamés dans le traité de Nice en Décembre 2000) etc.

Dans un de ces argumentaires « pédagogiques » de 21 pages, ses rédacteurs ne consacrent que 3 feuilles dénonçant les aspects les plus criants qui, écrivent-ils doivent être stoppés (projet de directive-services dans un marché intérieur) ou jugés inacceptables (projet de révision sur le temps de travail). Ces dénonciations et réactions, sont « pédagogiquement » intercalées et banalisées entre la Lettre de B. Thibault (2 pages), les institutions européennes (2 pages), l’histoire de la CES (6 pages), le vote des syndicats européens commentés : pour ou contre le projet, sans toute fois citer ou commenter les organisations françaises ; puis 2 pages sur le projet constitutionnel. Enfin à la dernière page (fiche 9) nous trouvons : « Quelle Europe voulons-nous ? Une Europe de progrès social, solidaire et démocratique au service de la paix et du développement durable.. La construction de l’Europe sociale ne fait que commencer. Elle doit s’affirmer comme un processus tout à la fois social, politique économique et culturel, un puissant moyen de régulation et de réorientation de la mondialisation, un élément majeur d’une alternative d’avenir de paix et de réduction des inégalités dans le monde » Pas une fois le mot travailleur n’est cité dans le texte.

Etrange similitude de discours avec les tenants de la bourgeoisie dont les hérauts clament « Oui au traité pour réguler la mondialisation, pour faire face à la puissance agressive des Etats Unis. »

Thibault et ses comparses ignorent-ils à ce point le contenu économique ultra libéral porté par le traité de constitution, alors que le MEDEF s’en réjouit d’avance ? A l’article III : « L’action des états membres et de l’Union comporte l’instauration d’une politique économique conduite conformément au principes d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » ; « L’Union et les états membres s’attachent en particulier à promouvoir une main d’oeuvre qualifié, formée et susceptible de s’adapter ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à l’évolution de l’économie. » ; « Toute mesure prises dans le domaine des prix et conditions de transport adoptées dans le cadre de la constitution, doit tenir compte de la situation économique des transporteurs. » Et l’article A III 16 : « En cas de troubles intérieurs graves, de guerre ou de menace de guerre, les états membres se consultent en vue de prendre en commun les dispositions nécessaires pour éviter que les mesures prises par l’état membre concerné n’affectent le fonctionnement du marché intérieur. », etc. Les dirigeants de la CGT méconnaissent-ils le cadre de cette Europe de la bourgeoisie et du capital ? Non bien sûr car il y a bien longtemps que l’institution CGT cogère avec le patronat, et régule la paix sociale pour le compte de la bourgeoisie. Ce sont bien les articles cités ci-dessus (parmi d’autres) qui sont le socle de la constitution prochainement soumise à référendum et non la langue de bois et le verbiage de la commission exécutive fourni dans l’argumentaire « pédagogique ».

J. Delors, invité au congrès de la CES en 1998, disait : « L’Europe est à nouveau en marche et c’est de toute manière positif ». Nous pouvons noter le positif anti-social réalisé depuis 7 années. Le traité de Rome puis celui de Nice, se fixaient comme priorité « l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi des peuples » On peut mesurer dans notre quotidien, la réalité de ces proclamations. Le traité d’Amsterdam consacrait « les services publics » on peut noter ce qu’il en reste aujourd’hui.

Les dirigeants CGTistes, n’ont pas opté pour un abstentionnisme « démocratique » à Bruxelles afin de permettre aux adhérents ou militants de débattre dans leurs différentes instances le temps d’une réflexion et d’une consultation collective. Cette abstention est un OUI que B Thibault adresse à la bourgeoisie sans le prononcer ouvertement sous peine de provoquer un séisme dans son organisation. C’est aussi aux cotés de la CFDT et de l’UNSA, (FO étant un syndicat apolitique comme chacun le sait) un balisage de terrain pour les politiciens de gauche qui prochainement descendront dans l’arène référendaire et médiatique.

M.Z, Caen le 15 janvier 2005.

Pays-Basque: L’actualité politique se précipite

Depuis quatre mois, les opérations policières, débouchant sur des dizaines d’arrestations, se sont intensifiées au Pays Basque, de part et d’autre de la frontière. Ce qui peut paraître paradoxal, c’est qu’elles se produisent au moment où le parti de la gauche indépendantiste Batasuna (1) formule, selon des modalités nouvelles, une proposition de dialogue multilatéral pour résoudre politiquement le conflit, processus que ETA appuie. De son côté, le parlement basque a adopté un projet de réforme du statut de la communauté autonome de Euskadi qu’il a déposé au parlement espagnol. Le gouvernement espagnol, dirigé par Zapatero (PS), d’un côté rejette ce plan, de l’autre se dit prêt à écouter les propositions de Batasuna si la lutte armée cesse. Le face à face politique entre le pouvoir central et le gouvernement basque se double d’un jeu tactique et stratégique au sein même des forces politiques basques.

UNE REPRESSION POLICIERE VASTE ET SPECTACULAIRE

Vaste opération policière anti-Eta au Pays Basque Nord, à partir du 3 octobre, puis au Pays Basque Sud. 150 policiers de tous corps, sous la conduite des magistrates anti-terroristes Le Vert et Houyvet et réunissant les services de police français et espagnols, ont perquisitionné six maisons au Pays Basque Nord et une en Béarn, en provoquant des dégâts considérables : cloisons abattues, engins de terrassement défonçant cour ou jardin... Du matériel (armes, munitions, détonateurs) et de l’argent ont été trouvés.19 personnes ont été arrêtées et mises en garde-à-vue. Un lycéen mineur a été menacé avec des armes et obligé de rester à moitié nu, menotté et cagoulé, pendant que la police fouillait la maison de ses parents. L’un des inculpés, arrêté à Burgos, a été roué de coups lors de l’interrogatoire au point qu’il a tenté de se suicider.11 interpellés ont été incarcérés dans les prisons françaises. Tous sont accusés d’association de malfaiteurs à des fins terroristes ; à ce titre, ils seront jugés par un tribunal spécial d’assises et non par un tribunal spécial correctionnel, en raison de la loi Perben II. D’autres perquisitions et arrestations se sont poursuivies les semaines suivantes, de part et d’autre de la frontière. En un mois, courant octobre, ce sont 56 personnes qui ont été arrêtées pour relations avec ETA, dont 18 ont été libérées sans charges. Quasiment tous ceux qui ont été détenus par les forces de police espagnole ont dénoncé des mauvais traitements dès le moment de l’arrestation, et des tortures au cours de l’interrogatoire. Pendant les mois de novembre et de décembre, les arrestations se sont poursuivies. La plus récente à ce jour est celle du porte-parole du comité de soutien des prisonniers basques, (comité Askatasuna), interdit sur le territoire de l’Etat espagnol, mais légale sur le territoire français. Le 14 janvier, un mandat d’arrêt européen lui a été notifié à la demande de Garzon, juge Garzon de l’Audiencia Nacional.

Les médias ont rendu abondamment compte de ces rafles spectaculaires. Promptes à rapporter les sources policières, elles annonçaient même, une semaine plus tard, d’autres caches d’armes qui se sont avérées n’être que du vent. Le ministre français de l’intérieur lui-même cautionnait la rumeur, saluant imprudemment « l’importance des nouvelles découvertes »… La police a ainsi réussi, au-delà de ses espérances sa manœuvre d’intoxication ou de désinformation.

Le prétendu numéro 1 de l’organisation armée basque est tombé, nous dit-on. « Coup de filet historique », « ETA décapitée », « Coup mortel à ETA », tels furent les titres et commentaires de Paris à Madrid, à quelques exceptions de prudence près sur la capacité d’ETA à rebondir. Tout ce que les Etats français et espagnol comptaient d’observateurs politiques et d’experts de la question était mis à contribution pour spéculer sur la fin de l’organisation armée.
Ce menu-là a été servi de multiples fois, depuis vingt ans, à chaque arrestation.

Or, précisément, Mikel Albizu Antza, dans la clandestinité depuis 1985, serait devenu numéro 1 d’ETA après l’opération de 1992 à Bidart où fut arrêté le numéro 1 d’alors, Artapolo, lui-même remplaçant le numéro 1 précédent…. Le phénomène de la lutte armée en Pays Basque ne peut se comprendre et se résoudre par la seule action policière, fût-elle fondée sur la coopération renforcée des Etats français et espagnol. La voie policière, la seule choisie par les deux gouvernements, n’a eu pour conséquence que la refonte de l’organisation.

Le Pays Basque Sud est gouverné depuis des années par des lois d’exception. Le judiciaire et le policier jouissent des pleins pouvoirs et occupent un terrain que les politiques leur ont octroyé. Ces dernières années, le gouvernement Aznar a développé une répression tous azimuts contre le mouvement basque dans son ensemble, fermant des journaux, interdisant des partis politiques, des associations, empêchant une liste de candidats de la gauche abertzale de se présenter aux élections européennes, inculpant de nombreuses personnes (militants, élus, journalistes, intellectuels, jeunes, éditeurs…) sous l’accusation d’appartenance à ETA (selon la théorie que tout mouvement politique, social, culturel se définissant de la « gauche abertzale » fait partie intégrante de cette organisation) et sur la base de dossiers vides pour la plupart (2).

C’est le cas de 62 personnes mises en cause par le juge Garzon et qui passent aujourd’hui en procès.. L’amalgame avec ETA sert ainsi d’alibi pour criminaliser l’ensemble du mouvement qui mène la lutte pour l’indépendance au Pays Basque. Le bénéfice escompté : une marginalisation de la gauche abertzale au sein même de la société basque.


BATASUNA LANCE UN APPEL AU DIALOGUE ET À UN PROCESSUS DE PAIX

Depuis quelques mois, ETA d’une part, Batasuna d’autre part ont énoncé des propositions de dialogue en vue d’un changement politique en Pays Basque. Ce n’est pas la première fois, mais celles-ci semblent dessiner un changement de stratégie.

D’un côté, ETA a diffusé un message par vidéo, fin septembre, annonçant qu’ « une nouvelle opportunité s’offre aujourd’hui » et que la gauche abertzale « est prête à développer des forums de rencontres entre les différentes forces basques, avec pour objectif d’obtenir la reconnaissance d’Euskal Herria (Pays Basque) sur la base de l’autodétermination ». Ainsi, l’application du droit à l’autodétermination, rappelle ETA, signifierait « la fin du conflit ».

Plus tard, fin octobre, c’est par une déclaration publiée dans le quotidien Gara qu’ETA dit explorer de nouvelles voies pour la résolution du conflit : « La seule façon d’avancer est d’organiser un processus de dialogue ouvert et concret, qui aura pour but un accord général qui préfigurera la résolution du conflit et marquera les étapes à franchir ». ETA, derrière ces mots assez flous, semble indiquer un retrait implicite de l’usage de sa lutte armée.

De l’autre côté, Batasuna, dans un meeting massif (15 000 personnes) le 14 novembre à Saint Sébastien, fait une proposition très similaire et un peu plus détaillée. Ce parti appelle les forces travaillant en faveur du respect des droits du Pays Basque à se rassembler ; il affirme vouloir, en apportant « une contribution pour la résolution du conflit en Pays Basque », amorcer un processus de paix durable qui aura comme priorité « le dépassement une fois pour toutes du scénario de confrontation politique et armée ». Pour cela, il propose une démarche en deux étapes : d’abord « un dialogue politique entre les différents acteurs politiques, mais aussi sociaux et culturels afin d’arriver à un accord sur un nouveau statut pour la Communauté autonome basque », qui devra être avalisé par une consultation populaire ; ensuite, une fois réalisé l’accord sur un nouveau statut, un autre niveau de discussion s’engagerait entre ETA, ses militants emprisonnés et les gouvernements centraux, sur la démilitarisation du conflit, la question des prisonniers, des déportés, des réfugiés et celle des victimes. Sans jamais parler de trêve d’ETA, les dirigeants de Batasuna n’en impliquent pas moins l’organisation armée dans leur proposition, tout en la laissant à l’écart d’une négociation politique directe avec le pouvoir central, ce qui est nouveau.

Batasuna amorce donc ce qui paraît être une nouvelle stratégie, préconisant un travail commun avec toutes les autres forces, abertzale et non abertzale, et reconnaissant qu’ « un tel processus va l’obliger à faire des concessions, (…) puisqu’un processus de paix demande que l’on soit complice de nos ennemis »


LES RÉACTIONS IMMÉDIATES À LA PROPOSITION DE BATASUNA

La proposition de Batasuna a été immédiatement assez positivement accueillie par les partis politiques du Pays Basque, aussi bien par ceux de la gauche abertzale, au Pays Basque Sud et Nord, que par le PNV, EA et IU (Gauche Unie) qui dirigent le gouvernement autonome et se disent prêts à participer « à un débat politique multilatéral ». Le PS basque a tenu lui aussi des propos d’ouverture.

Mais, du côté des forces politiques espagnoles, la surdité a été au début totale. Suite au meeting de Batasuna, le ministre espagnol de la Justice disait « n’avoir rien entendu qui vaille la peine d’être écouté ». Et les partis espagnols, le PSOE et le PP, ont réagi négativement à la proposition du parti indépendantiste, « organisation terroriste » qui n’a pas condamné « la violence ». Du côté de l’Etat français, la surdité est plus grande encore, puisque les partis politiques de droite et de gauche persistent à nier l’évidence et à considérer que le conflit basque ne les concerne pas. Au vu du refus d’accorder la libération conditionnelle à Filipe Bidart (3), au vu des arrestations massives récentes, de la dispersion plus grande que jamais des prisonnier-es, de la visite éclair touristico-coloniale que de Villepin a faite récemment au Pays Basque Nord, des promesses de collaboration renforcée des polices lors du sommet franco-espagnol le 7 décembre à Sarragosse, il est clair que l’Etat français joue la carte du hors-jeu et de l’alignement sur les positions de l’Etat espagnol.


DANS QUEL CONTEXTE, QUELS RAPPORTS DE FORCE POLITIQUES ?


Les courants abertzale de toutes tendances, à travers leurs partis, leurs syndicats, leurs associations, mènent depuis plusieurs années prioritairement un travail de construction nationale, développant malgré la répression leurs propres liens économiques (4), culturels, institutionnels d’entraide, leur propre cadre de débat. Ce travail de longue date, axé sur la construction nationale, a connu un essor particulier lors de la dernière trêve d’ETA. Qui dit construction nationale dit interclassisme : ces démarches le sont indéniablement ; elles sont aussi pluralistes (divers acteurs sociaux, culturels et politiques du Pays Basque y participent ou y sont représentés) et cherchent à en finir avec le conflit présent, fruit de l’immobilisme des Etats, en enclenchant un processus qui permettra l’expression des différentes positions et la réponse aux questions : comment concrétiser aujourd’hui le droit à l’autodétermination, comment permettre au peuple basque de choisir librement son destin ?

Les propositions de Batasuna se font dans ce contexte et dans une période où ETA est affaiblie à cause de la répression policière ; de plus, l’organisation de lutte armée a perdu, depuis quelques années, beaucoup de son soutien populaire à cause de ses objectifs de moins en moins lisibles et de plus en plus ouvertement contestés ; de nombreux militants n’ont pas compris non plus ni digéré que ETA rompe, en décembre 2000, sa longue trêve ; des débats internes sur l’efficacité de sa lutte armée semblent agiter ses rangs mêmes (5). Le parti Batasuna, de son côté, perd de son impact militant, surtout du fait de son interdiction qui la tient en dehors de la voie institutionnelle, réduit au silence son électorat et rend plus difficile son protagonisme politique. Il doit compter avec les autres forces partidaires au Pays Basque, en particulier celles qui se revendiquent aussi de la gauche abertzale. Or à l’heure actuelle, cette gauche abertzale est neutralisée par ses propres divisions. Elle a éclaté au Nord comme au Sud, suite à la rupture de la trêve d’ETA et à la création de Batasuna.

D’autres partis sont nés (Aralar, au Sud) ou se sont maintenus (Abertzaleen Batasuna au Nord), tous deux opposés à la lutte armée dans le contexte actuel. Ils cherchent à occuper leur propre espace et ne sont pas prêts à céder du terrain. De plus, les appareils de la gauche abertzale sont non seulement désunis mais aussi idéologiquement appauvris et en recul. Ils sont prêts à mettre un bémol aux pratiques de confrontation, d’opposition et pensent plus que jamais en termes de gestion et de postes de pouvoir institutionnel. Ils sont prêts à envisager des alliances et des accords de coalition, notamment avec le PNV et avec les sociaux-démocrates, jusqu’alors honnis, et à apprendre à vivre avec les forces politiques de tous bords, l’enjeu prioritaire de ces appareils étant la création nationale et la mise en place d’institutions adéquates.


LE COUP DE POUCE DE BATASUNA AU PLAN IBARRETXE

La proposition de Batasuna s’est faite dans une période où les nationalistes de droite occupent le devant de la scène et où Batasuna cherche à reprendre la main et à leur disputer l’initiative.

En effet, Ibarretxe, le président du gouvernement basque a produit, en 2002, un projet de nouveau statut politique pour Euskadi, appelé « plan Ibarretxe », à un moment où le statut d’autonomie accordé à la Communauté autonome basque en 1979 était clairement contesté et considéré comme totalement dépassé par une grande majorité des habitants ainsi que par les membres du gouvernement basque et le parti qui le dirige - le PNV, Parti Nationaliste basque, démocrate-chrétien. Inspiré par le modèle québecois, ce plan prévoit le dépassement de l’actuel statut et son évolution vers un statut de « libre association avec l’Etat espagnol » ; il n’est absolument pas conçu pour conduire à la sortie d’Euskadi de l’Etat espagnol ; le plan veut la reconnaissance de la nation basque, le respect du droit des Basques à décider de leur avenir ; il prévoit d’élargir les compétences du gouvernement autonomique sur le terrain social, de la fiscalité et de la justice ; Euskadi disposerait ainsi de sa propre nationalité, de son pouvoir judiciaire et participerait à des réunions de l’Union européenne. Ibarretxe prévoit que la mise en pratique de ce plan se déroulera suivant trois étapes : sa présentation et son vote au parlement basque; puis sa discussion et son vote aux Cortès (Parlement espagnol) ; enfin, quels que soient les résultats des votes, le plan sera soumis à un référendum dans les trois provinces d’Euskadi (« ce sera aux citoyens basques de décider »), et acquerra ainsi une valeur politique, sinon juridique.

Or, la première étape a été franchie avec succès, fin décembre 2004, grâce à trois voix des six députés de Sozialista Abertzaleak –ex- Batasuna-, qui ont permis d’assurer la majorité face au PP et au PS et de faire adopter le « plan »par le Parlement basque. Cette demi-allégeance de Batasuna au PNV, son ennemi juré, et alors que Ibarretxe a toujours dit qu’il ne pactiserait pas avec Batasuna, est un choix tactique bien calculé, qui propulse à nouveau le parti indépendantiste au centre du débat politique : Batasuna fait ainsi la démonstration publique et concrète de sa bonne volonté à favoriser le débat sur l’autodétermination au travers des canaux « démocratiques » et d’un référendum populaire ; il empêche le PNV d’inventer tout faux prétexte pour ne pas aller au bout de la logique du plan Ibarretxe ; en même temps, il réaffirme ses propositions, à savoir que la priorité, c’est la résolution du conflit, c'est-à-dire la paix, et que celle-ci ne passe pas par la négociation d’une resucée de statut d’autonomie pour trois provinces basques (alors qu’il y en a sept), mais par la mise en place d’un dialogue multilatéral de l’ensemble du pays. S’amenuise ainsi l’espoir du PNV de récupérer une bonne partie des voix de Batasuna, lors des élections législatives autonomiques de mai 2005. Et grandit celui de Batasuna de pouvoir négocier son retour sur la scène politique – par la levée de son interdiction- , pour reprendre sa place dans le jeu institutionnel, quelques mois avant ces mêmes élections.

Pour sa part, Ibarretxe rappelle ses conditions : référendum oui, mais en l’absence de toute violence.
Ainsi, le gouvernement basque, poussé par les trois voix d’un complice encombrant, envoie à présent la balle du débat souverainiste dans le camp d’ETA et dans celui du gouvernement et du parlement espagnols.


LES REACTIONS AU PLAN IBARRETXE

Du côté des partis espagnols, les premières réactions à l’impact symbolique du vote au Parlement basque ont été la stupeur et la colère. Le plan basque de « libre association avec l’Espagne », qui plus est adopté grâce aux voix d’un parti indépendantiste, a été jugé immédiatement comme anti-constitutionnel, antidémocratique et sécessionniste. C’est le Parti Populaire (PP) qui se montre le plus agressif et qui joue sur la peur, voyant dans le plan « le plus grand défi à l’unité espagnole », « la guerre déclarée à l’Espagne unie ». L’ex-ministre franquiste Manuel Fraga en appelle à la suspension de l’autonomie et à l’intervention de l’armée au cas où Ibarretxe tenterait d’imposer son plan par un référendum. Le patronat basque proche du PP évoque la « subversion de l’ordre juridique », « l’incertitude politique, l’instabilité et la division sociales », « la mise en danger de l’économie et à long terme la faillite du système » que provoquerait l’application du plan. L’Eglise, par la voix de sa plus haute autorité, la Conférence épiscopale espagnole, y est allée aussi de son grain de sel, dénonçant un plan « moralement inacceptable ». Le Roi, de concert avec le ministre espagnol de la Défense, a cherché à rassurer immédiatement l’armée, et à réaffirmer son rôle de garant de l’indivisibilité de l’Espagne. Le chef du gouvernement, Zapatero, a fait preuve de plus de prudence : il rejette le plan, le juge non négociable et « sans avenir » ; quant au projet du gouvernement basque d’organiser coûte que coûte un référendum dans la Communauté autonome, Zapatero rappelle que la constitution espagnole ne l’y autorise pas et qu’il mobilisera « à tout moment tous les instruments juridiques dont il dispose pour que le plan Ibarretxe ne devienne jamais une réalité » ; cependant, il indique qu’il n’entravera pas son examen par les Cortès, en mars prochain, sachant que seule la petite minorité du PNV, des nationalistes galiciens du BNG et des Catalans de CIU et ERC appuiera le plan. De plus, Zapatero s’est fendu d’une rencontre avec Ibarretxe, ce que Aznar avait toujours refusé.


ETA RENTRE SUR LA SCÈNE DU DIALOGUE

Tous les partis politiques, à l’exception de Batasuna, exigent l’abandon par ETA de la lutte armée, préalable indispensable, selon eux, à toute offre crédible de dialogue ; et ils n’ont fait qu’enfoncer le clou sur la contradiction supposée entre l’offre de Batasuna et la poursuite des actions armées.

En effet, ETA s’est manifestée par plusieurs actions de basse intensité au cours de l’année 2003 ; les plus récentes sont une série d’attentats de faible puissance qui ont eu lieu à Madrid, le 3 décembre, puis dans plusieurs villes espagnoles simultanément le 6 décembre ; enfin l’explosion récente d’une voiture piégée dans un quartier bourgeois, près de Bilbao, le 18 janvier. Des signaux bruyants pour signifier sans doute qu’elle a encore les moyens de frapper, qu’elle ne cède pas le terrain au PNV, et qu’elle cherche aussi peut-être une voie pour négocier, sans préalable ; des signaux pour rappeler que la balle est dans le camp de l’Etat et que le chemin du dialogue choisi apparemment par le premier ministre espagnol appelle désormais des engagements et des actes concrets.

Avant son plus récent attentat, le 16 janvier, ETA avalisait par communiqué le processus enclenché par Batasuna et exprimait sa « volonté absolue de s’ (y) impliquer », réaffirmant ses positions: « L’unique moyen de résoudre le conflit est d’organiser un processus de dialogue multilatéral, ouvert et concret entre nationalistes et non nationalistes avec, pour objectif, de parvenir à un accord intégral » qui doit être soumis à l’approbation du peuple basque dans le cadre de son droit à l’autodétermination. Et Zapatero s’était dit prêt à « écouter » non seulement Batasuna - si ce parti condamnait la violence d’ETA -, en réponse à une lettre que le parti indépendantiste lui avait adressée, le 14 janvier, en l’assurant de son soutien s’il engageait un véritable processus de paix définitive, mais aussi l’organisation de lutte armée ETA, pourvu qu’elle fasse taire « le bruit des armes et des bombes ».


EN GUISE DE CONCLUSION PROVISOIRE


La proposition de Batasuna, appuyée par ETA, a un avenir d’autant plus incertain qu’elle est émise par un groupe qui n’est pas au mieux de sa forme, et qu’elle ne pourra prendre tout son sens que si les forces politiques et sociales du Pays Basque veulent bien répondre à l’offre de dialogue que ce parti leur fait. Car Batasuna fait en quelque sorte dépendre le succès de son initiative de la bonne volonté des autres.

Par ailleurs, même affaiblie, il est peu probable que ETA accepte de déposer les armes sans contrepartie ; prononcer une trêve en échange de rien ne ressemblerait pas à grand-chose, surtout dans un contexte où la répression politique, elle, non seulement se poursuit mais s’accentue davantage.
Face aux séries de propositions émises par des forces politiques du Pays Basque, le gouvernement espagnol se voit contraint d’aborder les questions liées à la souveraineté et à l’appartenance nationales et de tenter de les désamorcer en accélérant la révision des statuts d’autonomie ; en effet, pensant avoir réussi à écarter définitivement le plan Ibarretxe, il se croit en mesure de négocier entre tous un nouveau projet pour le Pays Basque, à son goût et dont il sera le promoteur.

Plan Ibarretxe ou pas, c’est la question institutionnelle et gestionnaire qui va continuer d’occuper le centre du débat politique au Pays Basque, de façon plus intense. Il dépendra des efforts des mouvements politiques, syndicaux et sociaux d’enrichir ce débat et de lui donner une dimension sociale, de classe et anticapitaliste. Depuis juillet 2004, par le biais d’un Forum de débat national, se mettent en place des canaux de communication entre les divers acteurs pour échanger, partager des propositions et en débattre afin de parvenir à un premier accord débouchant sur la constitution d’une table de résolution du conflit. Un autre objectif prioritaire est l’ouverture à des relais internationaux, afin d’informer en Europe et dans le monde et de garantir le suivi et le soutien international du processus de paix, s’il arrive à s’enclencher.

Pays Basque, le 21/01/05

1) Batasuna est un parti de la gauche indépendantiste, illégalisé en Espagne par le gouvernement Aznar en 2002, car il refusait de condamner les actions d’ETA, organisation de lutte armée.

2) La justice espagnole veut enterrer vivants les jeunes militants et ex-militants de Segi, Haika, Jarrai, trois structures de jeunes abertzale indépendantistes successivement interdites parce qu’accusées « d’être intégrées à ETA ». 112 ans de prison ont été requis contre un de ces militants, condamné pour avoir participé à une conférence de presse à l’âge de 20 ans.
Le nombre des prisonniers politiques basques s’élève à 712 en janvier, dont 151 dans les prisons françaises ; un nombre jamais atteint et qui ne cesse d’augmenter. Le 3 janvier, le Collectif des prisonniers politiques basques a démarré, dans toutes les prisons espagnoles et françaises, une dynamique de mobilisation pour la reconnaissance de leurs droits humains, sociaux, linguistiques et politiques.

3) ) Filipe Bidart, militant du groupe de lutte armée du Nord Iparretarrak, a été arrêté en 1988 ; il a été condamné par deux fois à la réclusion criminelle à perpétuité par la Cour d’assises spéciale de Paris. Il est détenu depuis 17 ans et remplit toutes les conditions légales pour obtenir la liberté conditionnelle.

4) Pour exemple de ces réalisations, le 15 janvier, malgré les menaces du préfet, les paysans d’ELB, - syndicat des paysans du Pays Basque lié à la Confédération paysanne, majoritaire au Pays Basque- mettent eux-mêmes en place, avec le soutien et la mobilisation de syndicats ouvriers basques et de la population, une Chambre d’agriculture au Pays Basque, depuis très longtemps revendiquée et sans cesse refusée par les autorités.

5) Dans une lettre datant du mois d’août et publiée le 2 novembre dans un quotidien navarrais, suite à une fuite intéressée (la diffusion de la lettre n’était pas voulue par ses auteurs), six chefs historiques de ETA, emprisonnés en Espagne et totalisant à eux six des milliers d’années de prison, analysent l’action armée d’ETA en termes de stratégie et d’efficacité : selon eux, la lutte armée menée par l’organisation est non seulement dans une impasse mais encore, à terme, elle condamne leur projet ; aussi, sans pour autant parler de trêve ou d’abandon de la lutte armée, invitent-ils la direction d’ETA à opter pour la « lutte institutionnelle et la lutte des masses », remettant à la gauche abertzale dans son ensemble le soin de « définir la stratégie et la tactique à suivre dans la réussite de nos objectifs en tant que peuple ».

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