Courant alternatif no 147 mars 2005 |
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SOMMAIRE |
Edito p. 3 MOUVEMENTS SOCIAUX Le printemps sera t il chaud? p. 4 La mobilisation lyceenne p.5 SOCIAL CHAUSSON OUTILLAGE: non à l'abandon des 35 heures p.7 Un milliard d'etres humains vit dans les bidonvilles p.8 A LIRE: la Question Sociale p.11 ALTERMONDIALISATION Le developpement a t il un avenir ?p.12 ENVIRONNEMENT Petite histoire de l'extinction de l'ours brun dans les Pyrénées occidentales p.14 CONTROLE SOCIAL Prevention de la delinquance p.17 Mutinerie de Clairvaux: cour d'appel de Reims p.18 Courrier: un débat à peine voilé p.21 INTERNATIONAL Renouveau des luttes ouvrieres en Argentine p.23 Rubrique Flics et Militaires p.24 |
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EDITO |
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LEurope prétend aujourdhui incarner les plus hautes valeurs de lhumanité, cest au nom de ces valeurs que les états européens essaient de convaincre leurs citoyens de valider le projet de constitution dune « nouvelle » identité politique, dotée dinstitutions de gestion économique, sociale, culturelle
Si histoire commune de lEurope il y a, cest bien celle de lesclavage, de la colonisation, des pillages des richesses des autres continents, du massacre des populations, de la destruction et de la disparition des langues, des cultures, des structures économiques et sociales locales ; cest aussi deux guerres mondiales sur son territoire et de multiples guerres non comptabilisées, la production de régimes totalitaires, lhorreur des camps de la mort, et la course à larmement des bombes atomiques au nucléaire civil et militaire La base de lEurope flotte sur un océan de sang, illustré dune symphonie composée par les plus glorieux généraux aux sons des bombardiers, des canons et des gémissements et cris venant des salles de torture ; symphonie illuminée par le feu des incendies des villes et des campagnes brûlées au napalm ou par des bombes en tout genre, cest au nom de ce cauchemar quon demande aux citoyens européens de recommencer. En effet, on oublie tout grâce aux commémorations et on recommence puisque le monde manque de démocratie, il faut propager « les droits de lhomme » là où cest encore possible. Une des valeurs fondamentales de loccident est la « liberté », un mot qui désigne une multitude de significations contradictoires. G.W.Bush dans un discours récent a prononcé ce mot « liberté », 26 fois ! Le mot liberté devient une arme de destruction massive car cest en son nom quon massacre des populations entières sur toute la surface du globe ; cest au nom de la liberté quon jette les ouvriers dans la misère, au nom de la liberté quon construit de plus en plus de prisons, etc. Le monde occidental, avec son arsenal de machines économiques et idéologiques mène une guerre totale sur tous les fronts : dans le monde du travail, sur la retraite, la santé, les transports, léducation ; au travers de lois, décrets et circulaires relayés par les médias, lieu des combats idéologiques acharnés contre toute parole ou discours divergent des valeurs capitalistes. Tout ce noir bilan est présenté comme un sacrifice nécessaire, douloureux certes, mais nécessaire pour que les enfants puissent manger leur macdo en toute sécurité, aller à lécole et ne pas avoir froid. Car le sacrifice moral est plus fort et plus difficile à réaliser quand on est civilisé et conscient de lhorreur commise. Quant aux autres, les esclaves, les déporté-es, les massacré-es, les bombardé-es, les torturé-es, les affamé-es, ils/elles nexistent que comme des obstacles naturels à surmonter, à vaincre, comme une montagne, une falaise à franchir Ils/Elles nexistent comme sujets de lhistoire quaprès coup : on demande pardon à certaines personnes survivantes et on en achève dautres. La civilisation occidentale na pas terminé sa mission et elle procède par étapes successives, par stratégie militaire mais toujours avec cet air de curé horrifié par le péché de lhomme égaré. Lemballage démocratique est une étape de trop sur le chemin du cynisme sans limite non seulement des politiciens ou des capitalistes mais aussi des intellectuels, des philosophes, des artistes et des idéologues et spécialistes de tout poil : vendre la barbarie la plus sanglante de lhistoire de lhumanité sous létiquette du respect des droits de lhomme, vendre le patriarcat sous létiquette de légalité, de la parité, de la défense des droits des femmes, vendre le capitalisme le plus sauvage sous létiquette de la « liberté ». Et lescroquerie ne sarrête jamais, le fait même de dénoncer ce cauchemar est en-soi un sceau de validation de ce système comme « démocratique ». Tout ce qui gêne la démocratie doit disparaître, la bonne marche de la démocratie ne doit pas être entravée par des résistances archaïques, des crispations obsolètes sur des droits négociés des années auparavant, et si des difficultés apparaissent il faut mettre en place un dispositif dencadrement et de prévention, cest ce à quoi les différents gouvernements sactivent successivement ajoutant à la loi de lun des décrets ou autres lois qui renforcent, spécialisent, réorientent mais conservent toujours le même principe de surveillance des mouvements sociaux, des velléités de rébellion. Mais ce qui semble déranger en ce moment ce sont les ouvriers, du secteur public ou privé, les sans grades, les gagne-petit qui saccrochent qui à leur usine, qui à leur 35 heures ou leur retraite alors on casse on liquide les usines, les patrons déménagent les outils, vident les lieux, en douce sous 48h de week-end de préférence, ou bien on cadenasse laccès avec force de vigiles et de verrous et soudures pour faire comprendre à ces ouvriers quils doivent faire des sacrifices nécessaires pour la démocratie (capitaliste) ! Quant aux petits fonctionnaires - ceux qui paient leur loyer ! ils devront eux aussi disparaître en pliant sous les contraintes de la privatisation des services, en lâchant leurs petits privilèges de temps de travail allégé, en acceptant le gel des salaires, en optant pour des départs anticipés sans contre partie indemnitaire. Bref, la classe ouvrière doit comprendre que cest le patronat qui est garant de sa liberté dans ce paysage de liberté dentreprendre, ce monde dactionnaires rentiers où la petite, moyenne et grande bourgeoisie saccorde à augmenter ses profits, son confort et cela sur le dos des autres, ici ou dans les pays plus pauvres, qui doivent se soumettre toujours plus pour espérer survivre dans un monde à limage si paradisiaque, dun meilleur à venir . Survivre dans des bidonvilles, relever la tête après la rupture brutale dun contrat de travail vieux de 20 voire 30 ans, résister aux sirènes de la morale qui veut censurer pour protéger à lopposé dun projet démancipation, ne pas croire aux paroles rassurantes des analystes mondiaux qui trouvent toujours des solutions pour maintenir debout le vieux monde du capital, et dénoncer la domination de classe imposée par la justice, léducation, est un besoin vital. Surtout ici dans des pays dits « démocrates », là où elle le moins visible et pourtant la plus pesante et efficace de perversité. Cest une survie de luttes quotidiennes, de résistance nécessaire pour ne pas désespérer totalement, pour développer des forces de révolte qui finiront bien par en venir à bout de cette exploitation. Pour commencer ou recommencer, il faut rappeler sans relâche que : la démocratie nest pas démocratique la justice est une justice de classe le capitalisme ne peut pas avoir un visage humain le nucléaire est une machine à favoriser le totalitarisme le culturel et lartistique sont des industries capitalistes etc. et que la seule réforme possible de ce système dans sa globalité, cest son anéantissement total, mais en même temps gardons-nous de tomber dans le mysticisme dun « autre »monde ou dun « autre » futur possible . Cest un monde autre qui est possible et pas dans un au-delà temporel dun futur réformé épargnant le présent. Sil faut faire table rase, cest bien celle qui nous est servie actuellement dont il faut se débarrasser par une lutte sociale. OCL Figeac - fin février 2005 |
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Le printemps sera-t-il chaud ? |
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Les Français ne croient plus à rien. Cest pour cela que la situation est relativement calme car ils estiment que ce nest même plus la peine de faire part de leur point de vue ou de tenter de se faire entendre ». Cette note de synthèse sur létat moral des Français, adressée au gouvernement par des préfets, date de décembre 2004. Les premiers mois de lannée 2005 semblent démentir cette morosité et ce découragement.
Les grèves des mois de janvier et février sont-elles un prélude à un mouvement revendicatif dimportance ? Les réformes de la décentralisation dans lécole, des retraites et de la Sécurité sociale ont été suivies de sombres périodes de désenchantement et de rancoeurs. Les grèves 2004 ont été rares, plus courtes et se sont menées en ordre dispersé, touchant essentiellement les secteurs nationalisés en proie à des mutations radicales, les intermittents, les ouvriers touchés par des licenciements et des restructurations. En revanche, le début de lannée 2005 a été marqué par un net réveil des mouvements sociaux : grèves dans le secteur public, réussite de la journée daction des fonctionnaires le 20 janvier, mobilisations dans de nombreux établissements scolaires, manifestations réussies associant secteurs public et privé le 5 février, irruption massive des grèves et cortèges lycéens dans les jours qui ont suivi. Sans compter des grèves sauvages, lancées à la SNCF et dans le transport aérien, et qui ont pris les directions au dépourvu. Certes, les syndicats ont, comme à leur habitude, soigneusement orchestré la dispersion et la ponctualité des mouvements, puisque, du 18 au 20 janvier, se sont succédé les grèves des postiers, des salariés de la SNCF, des hospitaliers, des enseignants et des chercheurs. Malgré tout, ces actions et mobilisations consécutives avaient lintérêt dentretenir un foyer conflictuel sur un temps resserré. En 2003, le pouvoir conduisait simultanément deux réformes, décentralisation et retraites, et il réussissait à les faire aboutir selon la méthode quil préfère, celle du passage en force. Cette année, sûr de lui, il compte reproduire le même modèle. Cest au moment où se raniment les revendications salariales, où les établissements scolaires prennent connaissance des coupes drastiques de moyens budgétaires et où le gouvernement veut faire passer sa loi dorientation sur lécole quil sattaque à deux dossiers ultrasensibles : lécole et le temps de travail. Un samedi de manifestations pour les salaires et la réduction du temps de travail Les 7 syndicats, qui étaient en panne de perspectives et en mal defficacité, se sont réjouis de la journée test du 5 février. Tout fiers dafficher une unité retrouvée après les tensions, il y a deux ans, sur le dossier des retraites, ils avaient appelé (tous sauf la CGC) à des manifestations, un samedi pour ne pas avoir à amener à la grève, avec pour mots dordre essentiels le maintien des 35h, laugmentation des salaires, lemploi, le respect du code du travail. Le résultat a été assez honorable. Le monde de léducation (lycéens, personnels, parents), les salariés de la fonction publique, ceux des secteurs nationalisés en pleine restructuration-privatisation, les chercheurs, les intermittents, les ouvriers des entreprises privées se sont retrouvés côte à côte, unissant leurs revendications spécifiques à des revendications plus générales. Les ténors du PS, de leur côté, oubliaient pour un temps leurs divisions internes sur la constitution européenne pour faire leur apparition et se serrer les coudes. Les mots dordre des salaires et du temps de travail, les fondamentaux de la revendication sociale, étaient à même de cristalliser la colère de nombreux travailleurs dans tous les secteurs et de les fédérer. Le contentieux avec les patrons et lEtat est lourd. Dans cette période où il est proposé aux fonctionnaires, qui ont perdu plus de 5% de pouvoir dachat en 5 ans, une dérisoire augmentation de 0,5% en février et 0,5% en novembre, où les rémunérations des dirigeants et les profits des entreprises explosent, où les patrons choient les actionnaires par de généreuses distributions de dividendes alors que les salaires stagnent et que le chômage augmente (1), lattaque contre la réduction du temps de travail, bruyamment applaudie par le baron Seillères et ses acolytes du Medef, ne pouvait apparaître que comme une provocation. Ce nest pas tant la défense de la loi des 35 heures qui a mobilisé les travailleurs, le 5 février. Elle na jamais suscité leur enthousiasme (plus de 4 millions dentre eux nont pas les 35h et il ny a guère que le PS et la CFDT, qui se raniment à loccasion de loffensive gouvernementale contre cette loi du gouvernement socialiste, pour continuer à dire que cétait une réforme au service des travailleurs). Pour la bonne raison quils ont déjà payé pour les 35 heures, en termes de flexibilité et dannualisation, de dégradation des conditions de travail, daugmentation des cadences, de gel des salaires, de travail le week-end, et dun taux de chômage toujours très élevé. Ce 5 février, ils se sont élevés contre lobligation de travailler plus, présentée comme unique solution pour accroître leur pouvoir dachat, en faisant des heures supplémentaires imposées par des patrons qui deviennent plus que jamais maîtres du temps dexploitation. Ce que le gouvernement présente cyniquement comme la « liberté de choix» de faire des heures supplémentaires. Cest la conjonction de la baisse du pouvoir dachat et de laugmentation du temps de travail qui crée un cocktail explosif, le slogan du gouvernement « travailler plus pour gagner plus » soulignant la réalité du déficit salarial. Il était évident quune manifestation, appelée un jour non travaillé, quelque massive quelle puisse être, ne pouvait suffire à faire reculer le pouvoir. Dans la foulée, 4 jours plus tard, la loi d « assouplissement » des 35h, nouveau texte de loi aux ordres du Medef, a été votée au parlement et sera débattue au sénat en mars. Dici là, les syndicats se contenteront sans doute, en invoquant la mobilisation importante des salariés, de négocier discrètement certains aménagements dérisoires. Le texte de la nouvelle loi, à force d« assouplir » celle des 35h, ouvre grande la porte à une augmentation du temps de travail sans la rémunération afférente. Elle étend les possibilités de recours au compte épargne-temps (CET), pour amener les salariés à renoncer à des réductions du temps de travail contre de largent, hausse le contingent dheures supplémentaires imposables par les patrons et module leur paiement (jusquà 220 heures/an, jusquà 48h/semaine ; au lieu du plafond de 130h de la loi Aubry, modifié en180h par la loi Fillon en 2003), crée un régime d « heures choisies » permettant de travailler au-delà de ce contingent annuel de 220 heures autorisé. Il proroge en outre de 3 ans (jusquen décembre 2008) le régime spécifique des entreprises de moins de 20 salariés, continuant doffrir un régime de faveur aux patrons qui nont à payer quau taux de 10%, au lieu de 25%, les quatre premières heures supplémentaires. De plus, et cest sans doute là la vraie victoire du Medef, la nouvelle réforme ne sera même pas soumise à un accord de branche mais à un simple accord dentreprise. Or, on sait quune telle négociation est particulièrement déséquilibrée et débouche sur des accords qui ne savèrent pas favorables aux salariés, surtout sil y a chantage à lemploi ; on imagine le « volontariat » des salariés ; la « souplesse » et la « liberté supplémentaire » sont bien entendu pour les patrons. Les travailleurs en resteront-ils à cette mobilisation avortée ? La remise en cause de la réduction du temps de travail et le refus de négocier des hausses de salaire ne seront-ils pas un catalyseur à dautres revendications ? Derrière son arrogance, le gouvernement est inquiet de la simultanéité des mouvements et il craint par-dessus tout quils se fédèrent. Il se rassure en affirmant que « rien nindique que ces mouvements pourraient durer ». Mais, a contrario, rien nindique non plus quils vont cesser Des ingrédients tout aussi explosifs quen 2003 sont réunis, même si la situation nest plus tout à fait la même : le mécontentement quexpriment aujourdhui les grèves est le fruit dune lente accumulation de frustrations et de colère, comme une crue qui monte lentement, plutôt quun torrent qui déborde. Et la manifestation du 5 février a témoigné non seulement du mécontentement profond des travailleurs mais aussi de leur désir de faire converger les luttes. Du côté des écoles, contre la casse délibérément orchestrée de léducation Du côté de lenseignement, le mouvement social de 2003 sétait soldé par un échec, laissant les enseignants épuisés et pesant sur leur engagement dans les luttes. Lécole affronte cette année des attaques redoublées, alliant simultanément restrictions budgétaires, loi dorientation sur léducation et loi sur la recherche, et provoquant à nouveau de massives oppositions. Sur le terrain de la réforme Fillon (projet de loi dorientation sur léducation), ce sont les lycéens qui ont pris les devants de la mobilisation. Le pouvoir a tenté, dans un premier temps, un semblant de repli ; après une valse-hésitation entretenant le flou entre pause et abandon de la réforme du baccalauréat, - un des volets de la loi-, il a opté pour lajournement. Le ministre sest vu ainsi obligé, sous la pression des manifestations massives des lycéens, dédulcorer et damender son projet de loi, avant son examen devant les députés le 15 février Le paradoxe est à souligner : le mouvement des enseignants sétait cassé le nez contre le début des épreuves du bac au printemps 2003; cette fois, cest le ministre, qui sen prenant à cet examen-institution hérité de Napoléon, soulève lhostilité. Les jeunes sont inquiets dune réforme du bac qui dévaloriserait à leurs yeux lessentiel, leur passeport pour luniversité et pour lavenir, sujet explosif. Le gouvernement a cherché évidemment ainsi à désamorcer la mobilisation lycéenne. La feinte était grossière : sil dit se refuser à « passer en force » sur un aspect partiel de son texte, il laisse entendre quil ne se privera pas de le faire sur tous autres aspects de sa loi. Les jeunes ne se sont pas contentés de cette suspension politicienne de la réforme du bac. Ils exigent labandon du texte dans son intégralité ainsi que le maintien de toutes les filières, options et spécialités que le gouvernement veut supprimer. Cest pourquoi, dans un second temps, pressé par lElysée inquiet du climat pré-référendum européen, le ministre de lEducation a décrété la procédure d « urgence », dès le 16 février, afin de faire adopter son projet de loi au plus vite, et pendant les vacances scolaires qui vident les lycées par zones successives. Après son vote au parlement, le 2 mars, puis sa lecture par le sénat, ladoption définitive de la loi serait ainsi bouclée dès fin mars. Ce mini-recul du gouvernement sur le baccalauréat lui permettra-t-il de mener à bien lensemble de sa réforme, dont lessentiel est une réduction drastique des moyens : coupes budgétaires, restructuration et appauvrissement de lécole en postes, en filières, en options, en enseignements ? La petite victoire obtenue par les lycéens et leur potentiel dénergie contestatrice vont -ils ouvrir une brèche et redonner confiance à des salariés qui se sentaient jusqualors de plus en plus pressurisés mais impuissants face à un pouvoir sûr de lui et surpuissant ? Laveu de faiblesse du gouvernement servira-t-il à encourager la mobilisation ? Les syndicats enseignants sont divisés sur la réforme Fillon. Ce qui explique en grande partie le peu dempressement quils mettent à associer les salariés de léducation aux luttes des lycéens. En effet, il ny a pas eu, en tout cas pour le moment, de front uni professeurs-élèves-parents sur ce thème. En revanche, lunanimité est réalisée face aux projets de carte scolaire qui prévoient des dotations de budget et dhoraires denseignement en baisse vertigineuse, des suppressions de postes, des fermetures de filières, de spécialités, doptions et détablissements entiers (85 000 postes manqueront dans les écoles, par comparaison à 2002). Les organisations syndicales ont décidé de se mettre daccord pour une action spécifique à lenseignement en mars, qui pourrait sassocier à dautres secteurs, et qui contesterait globalement « la politique du gouvernement ». Pour linstant, dans le secteur de léducation, la dynamique se cherche. Dès les premières mesures de carte scolaire et de dotations horaires connues, les enseignants ont commencé par mener une action locale forte dans leur établissement, associant tous les personnels, les parents (qui occupent les locaux) et les élèves (dans le cas des lycées) pour essayer de sauver ponctuellement des enseignements, des postes, voire des écoles ; bref, une tactique de défense locale, établissement par établissement, qui a eu parfois tendance à se glisser dans la logique voulue par le pouvoir de mise en concurrence des établissements. Dans ce cadre, laction sest orientée vers la recherche de médiateurs et dintercesseurs auprès du gouvernement, à savoir les élus. La situation na pas manqué dêtre grotesque, lorsque les élus sollicités pour harceler le gouvernement étaient ceux-là mêmes qui avaient voté la politique budgétaire et éducative et qui approuvaient la réforme Fillon! Laction sest orientée aussi vers la recherche dinterlocuteurs, responsables académiques ou régionaux de léducation, avec qui la négociation na pu aboutir au mieux quà lobtention de quelques miettes, ridicules, partielles et temporaires. Mais très vite, ces tentatives de « marchandage » dheures et de postes se sont heurtées au mur des autorités responsables, départementales et académiques, qui obéissent aux impératifs comptables venus du ministère. Chacun est à présent bien conscient que le cas de « son » école est loin dêtre isolé, que la casse est générale et sinscrit dans un plan plus vaste, aussi bien au niveau français queuropéen et quil est donc indispensable de mener de front une action de terrain, en prise avec la population locale, et une action large et générale, qui puisse peser véritablement. Cette dimension est loin dêtre réalisée aujourdhui et ce nest évidemment pas la journée daction de 24h, annoncée par les syndicats pour le 10 mars, qui va permettre de mettre en place un réel et efficace rapport de force. Les leçons du mouvement de 2003 Les leçons du mouvement 2003 dans léducation et contre la réforme des retraites seront-elles tirées : à savoir, ne pas laisser aux syndicats représentatifs la main mise sur laction, enrayer leur pouvoir à la canaliser, à la diluer et à la conduire à limpasse de grèves de 24h en manifestations du samedi, agir de concert avec les jeunes (la grande différence, cest que les lycéens, plutôt spectateurs passifs des luttes des adultes en 2003, entrent cette année dans la danse), et surtout trouver des axes communs public-privé pour que la contestation sélargisse, que la grève soit interprofessionnelle et ouvre sur une perspective de mobilisation dans la durée. Cela suppose de poser le plus vite possible la question de la reconduction de lunité de tous les secteurs et des formes de coordination et de contrôle du mouvement que les grévistes se donneront (Assemblées générales interprofessionnelles, à la base, au niveau local, départemental, régional, pour mobiliser et débattre ensemble des suites). Si les mouvements actuels éveillent de la sympathie, il ne faudrait pas pour autant que les salariés encore protégés par leur statut expriment, par procuration, le mécontentement de tous les travailleurs pour qui il est moins facile de faire grève. Amélioration des salaires, des conditions de travail, baisse du temps de travail, fin de la précarité, création de postes, préservation des services publics, lutte contre les restructurations/démantèlements, droit du travail, renforcement des solidarités, les revendications sont les mêmes pour les travailleurs de tous les secteurs. Le référendum en toile de fond Dans toutes les luttes qui se mènent aujourdhui, lEurope et le référendum sur sa constitution se profilent en toile de fond. Déjà en 2003, les personnels de léducation et les parents avaient replacé leur lutte dans un cadre européen ; sous couvert de décentralisation, le gouvernement français appliquait à lécole publique un plan de démantèlement sévère, en accord avec les directives européennes et du capitalisme mondial. Cest évidemment la même logique qui est à luvre depuis, et qui saccélère ; des mesures très concrètes dénoncées en 2003 par les grévistes sont aujourdhui perçues très nettement par les enseignants, les élèves et les parents. Cette prise de conscience nest pas propre quà lécole ou aux services publics. LEurope et sa constitution, la loi Fillon, le démantèlement des services publics, les atteintes au droit du travail, etc sont des instruments pour augmenter exploitation, profits, rentabilité et concurrence. Dans tous les secteurs, on fait le lien entre lEurope, la globalisation capitaliste, la remise en cause des droits conquis et les dégâts sociaux. Laffaire de la directive Bolkestein (qui autorise les employeurs de lUnion européenne à intervenir dans nimporte quel Etat membre selon la réglementation en vigueur dans leur pays dattache, donc à aligner salaires et droits sociaux dun travailleur sur ceux de son pays dorigine), dont le gouvernement et le PS feignent de découvrir tardivement les dangers, est significative et symbolique de la dérégulation voulue par les puissants qui dominent lEurope. Il est clair que les partis au pouvoir, ainsi que leurs « opposants », politiques et syndicaux, eux aussi partisans du oui à la constitution européenne, redoutent que le mécontentement social ne se transforme, lors du référendum en mai ou juin, en sanction électorale ou en désaveu de leur campagne. Dautant que, comme la montré le cas de la CGT, dont la commission exécutive avait vainement tenté dobtenir du comité confédéral national une position neutre sur le projet de traité européen et essayait de maintenir une ligne fidèle à la CES (dont le secrétaire est un cégétiste), la base peut réserver des surprises à ses dirigeants en ne les suivant pas. Cest pourquoi ces partis et syndicats partisans de la constitution européenne ont autant intérêt les uns que les autres à ce que tous les conflits se règlent très vite, que les mouvements sociaux ne se prolongent pas ni ne senveniment, afin que le terrain pour le référendum sur la Constitution européenne soit dégagé. Mais léchéance du référendum est aussi un risque pour les luttes sociales ; il est à craindre que les travailleurs se satisfassent des urnes pour « exprimer » leur mécontentement, quils considèrent leurs bulletins de vote comme le fameux « débouché politique » derrière labsence duquel les syndicats prétendaient se cacher pour décourager la combativité du mouvement social de 2003, plutôt que de construire la lutte sur le terrain social et dans laffrontement avec les patrons et lEtat. ; Christine, le 20 février 2005 (1) La part des richesses créées par le travail et revenant aux salaires est tombée de 70% à 60% dans le courant des années 80 ; et la part des profits a grimpé de 30% à 40%. Le « partage » depuis est resté très favorable au capital, très défavorable au travail. Les salaires inférieurs à 2/3 du salaire médian représentaient 11,4% des salaires totaux en 1983 ; en 2000, ce taux dépasse 16%. Laisance financière des entreprises croît ; le taux de marge est de 40,1% en ce début 2005. La priorité va au versement des dividendes (199 milliards deuros en 2004 pour les entreprises européennes, chiffre en hausse de 10% en un an, et au rachat dactions. Le capital profite essentiellement au capital, voire à la rente. |
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Un milliard dêtres humains vivent dans des bidonvilles: Bidonplanète |
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Les mégapoles des pays du Sud sont en réalité des conglomérats de quartiers relativement aisés, de centres daffaires, de zones industrielles et commerciales, de ports, gares et aéroports, dans les interstices desquels dimmenses bidonvilles jettent leurs amarres. Désormais, la bidonvillisation de la planète est un fait incontestable.
Les villes, phares du développement Dans nos pays riches et développés, lexode rural nest plus quun vieux souvenir tout juste bon à être enseigné dans les écoles. Neuf Français sur dix étaient paysans au moment de la Révolution française, moins de cinq sur cent le sont aujourdhui. Pourtant, environ la moitié de lhumanité vit encore de nos jours dans les campagnes. Cest cette moitié-là qui nourrit la totalité de lhumanité et qui lhabille en partie. Or, sous leffet conjugué de divers facteurs, les paysans du monde entier sont en voie de diminution très rapide. Cette diminution ne correspond à aucun progrès de la condition de ces êtres humains qui sont exclus de la campagne pour échouer à la ville. En abandonnant la campagne, ils contribuent à lessor extraordinaire des mégapoles du tiers monde. Tous les organismes nationaux ou internationaux encouragent ce flux, et tentent de le canaliser et de lorganiser. Cela va du ministère français de lAménagement du territoire et de lEnvironnement qui vante le duo Villes et développement durable (titre dun recueil officiel publié en plusieurs volumes entre 1998 et 2001) jusquaux défenseurs dun monde solidaire , qui nous exhortent à Jouer la carte urbaine (titre dune revue de Solagral). Ainsi, selon tous ces experts de droite comme de gauche voire dextrême gauche, le dépeuplement des campagnes contribue à ce quils appellent lessor des villes. Pour tous, lurbanisation est lun des buts mêmes du développement. Les villes sont le symbole de la réussite dun pays. Selon le rapport de ONU-Habitat 2001, il existe une corrélation forte et positive entre lurbanisation et le niveau de développement économique et social : plus un pays est développé, plus il est urbanisé, et vice versa. Lexode rural est-il terminé ? Mais, au-delà du discours, la réalité est tout autre : lexode rural contemporain, depuis les années 1980 environ, contribue à lessor inconnu auparavant des bidonvilles du tiers-monde. En 2001, il y avait, selon ONU-Habitat, 870 millions dhabitants dans des bidonvilles en zones urbaines. Il y en a aujourdhui 1 milliard, selon le rapport dONU-Habitat 2004-2005, soit un tiers environ de la population urbaine mondiale. Dans les pays les moins développés, plus de 70 % de la population urbaine vit dans des bidonvilles (72 % en Afrique noire). Ce nest pas dessor des villes dont il faudrait parler, mais plutôt dexplosion des bidonvilles partout dans le Sud. Rappelons quun bidonville est un amoncellement de cahutes précaires, sans eau courante ni évacuation des eaux usées, sans électricité, dans lequel survivent des êtres humains contraints de supporter une saleté indescriptible due à une promiscuité inouïe et à labsence daménagements. Il faut passer dans un bidonville pour mesurer ce que ces mots, désormais vidés de sens par le déferlement de superlatifs médiatiques, signifient quand on les applique à une vie, à une simple vie humaine passée dans la misère. Dans la honte aussi. Ce dernier point nest pas le moindre, car cest sur la honte dêtre miséreux que sappuient les religieux intégristes chrétiens, musulmans et autres qui contrôlent les tensions dans les bidonvilles.À ce milliard dêtres humains qui vivent dans des bidonvilles viendra sen ajouter un second dici 2030. Ils seront deux milliards, ce qui représentera alors plus dun cinquième de lhumanité et presque la moitié de la population urbaine mondiale. LONU-Habitat, constate. Aucune solution nest proposée, mais comme dhabitude, les experts onusiens font leur autocritique. Et comme toute autocritique plus ou moins contrainte, celle-ci est parfaitement inutile. Car elle se limite à la reconnaissance derreurs passées et de lincapacité des experts à prévoir cette explosion exponentielle de la bidonvillisation de la planète. Mais elle ne propose que de poursuivre les programmes en cours en ayant soin de mettre en place une meilleure gouvernance urbaine, de meilleures politiques urbaines et une meilleure intégration des nouvelles populations à léconomie urbaine (Daniel Biau, de ONU-Habitat, dans la revue Habitat Debate de septembre 2004). Des mots très creux, mais qui semblent satisfaire les organismes internationaux. Était-il impossible de prévoir la bidonvillisation ? Cest linverse qui est vrai, même si lécheveau des causes et des conséquences de la misère qui aboutit à lagglutination dans les mégapoles est très complexe. Désastre facile à prévoir, donc : sur une planète encore majoritairement paysanne dans la seconde moitié du XXe siècle, lintroduction massive de lagriculture mécanisée, sur le modèle de la fameuse révolution verte en Inde, ne pouvait produire autre chose que labandon des campagnes par les travailleurs surnuméraires puisque cen était justement lun des buts. Il sagissait en effet daugmenter les rendements agricoles et de dégager de la main-duvre disponible pour lindustrie naissante des pays dits alors sous-développés , puis en développement . Lexode rural était donc lun des buts recherchés. Le seul contre-exemple est sans doute lAfrique noire, où la bidonvillisation ne provient que de la misère sans cesse accrue par les gouvernements locaux, les instances internationales et les erreurs répétées des bons samaritains humanitaires. En Afrique noire, nulle industrialisation nest venue appeler la main-duvre rurale vers les villes. La bidonvillisation nétait donc pas impossible à prévoir, sauf par ceux qui estimaient que les villes et les industries absorberaient cet excès créé délibérément par ces mesures massives de gestion du troupeau humain. Même les perspectives développementalistes, dites de gauche , promettent ce développement qui conduit dun monde rural et paysan vers le monde urbain et industriel. Les experts et les gouvernants peuvent ainsi plaider non coupables puisque la quasi-totalité des hommes politiques et des sociétés civiles uvrent à cette industrialisation, base du Progrès. Mais cet aveuglement des experts, des gouvernants et des suivistes ne doit plus nous tromper. Nous pouvons et nous devons nous passer des experts, pour lesquels les chiffres et les statistiques doivent converger vers des buts quils ont fixés par rapport à dautres ensembles de chiffres et de statistiques, le tout dans labstraction pure. Par exemple, puisque les villes sont plus riches que les campagnes, il faut, selon la plupart des experts, susciter le transfert des forces excédentaires des campagnes vers les villes. Comme si la réalité était aussi simple, mathématique et statistique ! Telles sont les méthodes qui ont poussé cette planète dans une impasse totale. Ce développementalisme des années 1960-1980 continue ses ravages de nos jours, sous des noms nouveaux qui vont de croissance durable à décroissance , en passant par développement durable En réalité, on constate que les migrations massives de la campagne vers la ville nont pas dynamisé le développement industriel urbain ni la croissance dans le tiers-monde. Elles nont eu pour unique effet que de déplacer la pauvreté des campagnes vers les villes, selon lexpression dAtiqur Rahman, de lIFAD (Fonds International pour le Développement Agricole), qui est une agence des Nations unies chargée de combattre la pauvreté rurale dans les régions les plus désavantagées du monde. En effet, les campagnes demeurent terriblement pauvres : les trois quarts des 1,2 milliard dêtres humains qui survivent avec moins de 1 dollar par jour vivent dans les zones rurales. La révolution verte en Inde, un exemple ! Le cas de lInde montre bien que cest la misère qui se déplace de la campagne vers la ville. Après lindépendance de lInde, en 1947, il sest agi, selon les préceptes de Nehru, de faire de lInde une grande puissance moderne, cest-à-dire industrielle. Cétait presque facile en théorie, puisquil suffisait de mécaniser lagriculture (Staline, entre autres, avait montré la voie). De nos jours, presque tous les experts encensent lexpérience indienne. Sans la révolution verte, disent-ils, les Indiens ne mangeraient pas à leur faim. Pour en arriver à cette conclusion, il faut oublier beaucoup de choses. En réalité, la production de riz et de blé a sans doute augmenté aussi vite que la population, mais la consommation de riz et de blé, qui mesure vraiment létat alimentaire de la population, na pas augmenté du tout. Elle a même baissé. Voici les chiffres : de 17,5 kg de céréales par personne et par mois en zone rurale en 1961-1962 à 13,4 kg en 1993-1994, et de 12,5 kg en 1961-1962 en zone urbaine à 10,6 kg en 1993-1994 (Madhura Swaminathan, Weakening Welfare, Delhi, 2000). Le plus préoccupant pour le développement physique des enfants et la santé des individus est que, selon les statistiques du gouvernement lui-même, les Indiens consomment aujourdhui deux fois moins de légumes et de fruits quau moment de lindépendance. Toujours actuellement, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour lalimentation et lagriculture), le nombre dIndiens sous-alimentés saccroît de nouveau fortement : 19 millions de plus entre 1995-1997 et 1999-2001, pour un total de 214 millions de personnes sous-alimentées, soit 20 % de la population (avec des critères déjà très bas, car dautres statistiques, dans Weakening Welfare, donnent des taux de 70 % denfants sévèrement ou modérément sous-nutris). Ce double échec provient de la priorité donnée, durant la révolution verte, aux céréales et au riz, au détriment des fruits et légumes, dont la production a chuté. Et pour ce qui concerne la consommation de céréales, la baisse provient cette fois pour lessentiel du démantèlement du système de distribution de nourriture par les pratiques néolibérales à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Une récente étude (Food Insecurity Atlas of Urban India, 2002), portant sur tout le pays, soit sur un milliard dêtres humains, montre que la situation des pauvres en ville est pire sur tous les plans que celle des pauvres des campagnes. Car les paysans chassés de leur terre par la révolution verte, laquelle navait plus besoin de leurs bras, se sont tous retrouvés dans les bidonvilles de Bombay, Delhi ou Calcutta, où les conditions imposées aux habitants sont infra-humaines. Telle est la réalité de lexemple de la révolution verte. Il sagit bel et bien dun exemple : il était tout à fait possible de prévoir cet exode rural massif. Les experts rétorqueront quils ont cru ( ! ), à lépoque, que lindustrie se développant, la richesse créée profiterait à tous. Mais plus les experts engagent le monde dans la tentative de concrétiser un modèle de plus en plus complexe, plus le moindre dérèglement imprévu a des conséquences énormes, au point de provoquer léchec du modèle. Cest là une règle très simple de tout système complexe : si on accumule de la complexité, ce qui est le cas aujourdhui, la moindre anicroche a des conséquences surdimensionnées : il est plus difficile de réparer une voiture quune bicyclette. La Mégamachine est incontrôlable parce que les experts et les politiciens ont voulu continuer à affiner leurs modèles, et parce que, cherchant à redresser la barre en persistant à vouloir atteindre un objectif toujours plus grandiose, ils ont accumulé les erreurs, mais aussi cest le plus grave les obstacles à une sortie du modèle. De notre côté, nous navons pas encore développé une critique du système qui nous permette de renoncer à tout ce que lon nous propose, de lélectricité à lavion en passant par tout le reste. Pour le dire autrement, le Système sest posé en voie unique, et tout le monde ne cherche plus quà laméliorer. Maintenir les formes ancestrales dagriculture Comment pouvait-on maintenir les paysans sur leurs terres ? Et est-ce que cela aurait été rentable ? Tout dabord, lagriculture mécanisée nest pas davantage productive que lagriculture ancestrale, sauf si lon manipule les chiffres : en divisant le nombre de quintaux de blé produits à lhectare par le nombre de paysans nécessaires pour cette production. Alors en effet, on obtient des taux fabuleux. Mais le paysan unique et superéquipé qui exploite 400 hectares ne travaille en réalité pas seul : il a fallu des ingénieurs pour concevoir les tracteurs, les engrais et les pesticides quil utilise, des ouvriers pour les construire, ainsi que les hangars nécessaires à la conservation des récoltes, des voies de chemin de fer nécessaires à leur transport toujours plus loin des centres de production puisque la campagne ne consomme presque plus rien, sans compter le coût des dommages subis par les sols. La Beauce ou la plaine du Pô auront besoin de trois ou quatre décennies pour retrouver de nouveau une couche de terre arable ; leur sol nest pour le moment quune surface morte sur laquelle on épand engrais, pesticides et semences. Et le tableau décrit ici est encore pire si lon imagine une invasion des cultures dOGM : la productivité baisse alors encore davantage, dans la mesure où le coût des semences, notamment du fait du temps et du matériel scientifique nécessaire à leur conception et leur production, est encore plus énorme, sans que les rendements directs mesurés à lhectare augmentent, comme cela est maintenant largement démontré par les études à grande échelle. Face à cette agriculture surmécanisée, lagriculture ancestrale obtient des rendements par paysan plus élevés, pour un coût social qui na rien à voir puisque les paysans sont maintenus sur leurs terres et ne vont pas grossir les bidonvilles planétaires (voir à ce sujet le numéro de LÉcologiste de octobre-décembre 2004 consacré à lagroécologie, ainsi que Histoire des agricultures du monde, de Marcel Mazoyer et Laurence Roudart, Point Seuil). Mais cela suppose que lon ne court pas après le Progrès . Un processus irréversible ? Le rôle de la ville, lattraction quelle suscite, est central dans ce processus complexe de lexode rural contemporain. Les paysans fuient la campagne parce quils sont pauvres et sans terre, bien sûr, mais on la vu dans le cas de lInde, en ville les pauvres mangent encore moins quà la campagne. Donc, il faut que la ville propose ou semble proposer quelque chose de mieux. Bien entendu, cest lespérance que propose la ville. Lespoir de sortir de la misère. En quoi la gauche autoritaire est grandement responsable de ce mythe, faux dès le départ. Les populistes russes du XIXe siècle avaient compris que terre et liberté étaient indissolublement liés : la possibilité dexploiter collectivement la terre en dehors de tout impôt (donc non seulement en dehors du seigneur, mais même de lÉtat) offrait un véritable espace de liberté, car il ny a pas de liberté pour celui qui na rien dans le ventre, nen déplaise aux romantiques. Lénine et Staline ont inversé le processus : toute la terre à lÉtat, et pour la liberté, on la construira à la pointe des chars dassaut et des tracteurs sortis des usines. Des usines ! Donc des villes Toujours elles. Le processus de lexode rural semble désormais irréversible : en 2007 ou peut-être même avant, la moitié des êtres humains vivront dans les villes, et ils seront 60 % dix ans plus tard. Aujourdhui, sur ces 3,2 milliards dêtres humains urbains, 1 milliard connaissent la survie misérable dans les bidonvilles. Ainsi, les villes se présentent comme de véritables instruments de domination, de confinement et de répression des pauvres. Cest dans les villes encore que se concrétise la confiscation du pouvoir (économique, financier, politique, intellectuel ). Au détriment direct des campagnes, en absorbant la main-duvre prétendument excédentaire, mais aussi en rendant improbable tout processus démancipation, qui passe peut-être bien aujourdhui par une réflexion sur la répartition des êtres humains à la surface de la planète. Sans que cela implique, dans notre idée, une adhésion aux thèses malthusiennes, ou au contraire leur refus radical. Il sagit ici tout dabord dexposer un problème central de notre époque. De la cité-État au village global Les théoriciens politiques les plus modernes appellent de leurs vux un village global aux allures dÉtat mondial unifié (sous légide des Nations unies, du G8 ou de tout autre organisme, actuel ou à venir). Cela signifie que nous vivons donc dans une cité-État à léchelle de la planète tout entière ! Si cette cité-État globale nest pas réalisée à tous les niveaux, elle est en tout cas un objectif vers lequel convergent de concert capitalistes et réformistes, droite et gauche réunies. Certains des traits déterminants des premières cités-États dil y a sept mille ans restent vrais. À commencer par le pouvoir de la ville sur les campagnes environnantes. Il suffit, pour montrer la grande similitude entre les cités-États antiques et le village global contemporain, de considérer la ville-réseau, qui unit de fait les forces vives citadines, de New York à Tokyo, face aux campagnes qui les nourrissent. Déjà, il y a sept mille ans, les villes sumériennes avaient bâti leur puissance en drainant les produits de la campagne vers leurs centres ; cest même dans ce cadre-là que fut inventé lécriture, puisque les premières formes décritures ont servi à dénombrer des moutons et des volumes de céréales transportés des campagnes vers les centres urbains. Très vite, lécriture na pas servi quà compter les moutons : les scribes se sont mis à louer les dirigeants, rois ou empereurs, qui, toujours, ont résidé dans les villes. Létendue de leurs possessions se ramenait finalement à létendue des zones rurales quils contrôlaient. Désormais, lune des fonctions les plus essentielles des experts urbains de la Banque mondiale ou des organismes qui se prétendent non gouvernementaux (alors quils vivent tous sans exception des subventions des États) est de produire les louanges, non plus du roi, mais du Système. Ainsi, chaque époque produit la théorie qui justifie la continuité de cette histoire unique, qui nécrit que la coupure toujours plus et mieux consommée entre lhomme et la nature . Alors que, précisément, lapparition des cités-États est contemporaine de la révolution néolithique, nous navons pas progressé dans la compréhension de ce surplace théorique, qualitatif . Il a en effet suffi dune extension quantitative pour nous satisfaire dune perspective mensongère : des cités-États toujours plus puissantes et toujours plus dêtres humains comme base du Progrès. Car la seule logique qui a guidé lhumanité tout au long de cette histoire fut lextension quantitative et lexpansion planétaire dun unique modèle, le Progrès . Même durant le XIXe siècle, période de floraison des nations, les villes ont continué daspirer les forces des campagnes. Et lorsque le dénouement advint, cest-à-dire lorsque les nations européennes saffrontèrent, durant la Grande Guerre, on envoya surtout des paysans pour servir de chair à canon en première ligne. Les ingénieurs des villes plaçaient les canons, les fantassins des campagnes couraient au-devant de lennemi pour se faire faucher comme les blés en été. Tous concoururent avec bravoure et entrain à lapplication grandeur nature de la conception théorique du nationalisme, citadins comme paysans. Mais seuls les États en tirèrent parti, et ils continuèrent de sincarner dabord et avant tout dans les villes. Seules les villes signifiaient le progrès et la modernité, les campagnes restant invariablement synonymes de réflexes archaïques et réactionnaires. Il ny a pas une idéologie précise de la ville en tant que telle, de la ville qui serait linstrument du pouvoir, mais cest la ville seule qui incarne lidéal vers lequel devraient tendre les ruraux. La ville, et désormais les mégapoles, ou, plus précisément, le réseau mondial de mégapoles. Les villes encerclées par les campagnes ? Certains ont voulu exprimer ce rapport conflictuel villes-campagnes comme une guerre authentique. Mais les choses ne sont pas manichéennes, et le retournement peut être spectaculaire. Le cas de la Chine est éclairant : alors que Mao voulait lencerclement des villes par les campagnes , ce sont de nos jours et déjà sous Mao les villes chinoises qui assoient leur pouvoir sur leurs campagnes. Un vice-ministre de la Construction de la République populaire de Chine écrit ainsi, dans Habitat Debate, que, de 1978 à 2003, le nombre de ruraux pauvres a chuté de 250 à 30 millions. Il sagit en réalité dun tour de passe-passe statistique puisque les Chinois ont transféré dun coup de baguette magique 220 millions de personnes qui vivaient à la campagne avec moins de 1 dollar par jour dans la catégorie, bien plus aisée nous nen doutons pas, des citadins dépensant entre 1 et 2 dollars par jour. Le même vice-ministre ne voit pas dautre solution que dattirer les pauvres ruraux vers la ville. Il indique ainsi que les entreprises urbaines ont été vigoureusement développées, et ont absorbé 120 millions de travailleurs ruraux qui nétaient pas engagés dans la production agricole . On suppose que ces ruraux font désormais partie des 220 millions de pauvres devenus presque riches, mais alors cela signifie que 100 millions se sont perdus en route ou dans les méandres statistiques. On sinquiète dautant plus pour eux que, toujours selon le vice-ministre, la population rurale a été transférée dans les cités et les villes selon des modes organisés . Sans aucune précision supplémentaire. Ainsi, on est tout à fait dans la vision du monde décrite plus haut : on a un modèle, qui postule la supériorité intellectuelle, sanitaire, industrielle et autre de la ville sur la campagne, et on sy conforme, en niant purement et simplement les problèmes annexes : le dépeuplement des campagnes et la croissance des zones informelles autour des villes. Cest-à-dire la croissance des bidonvilles et lexplosion de la précarité dans toute la Chine. Telle est la réalité crue et nue de la Chine contemporaine, qui ne provoque pourtant guère de remous grâce à une véritable gestion du troupeau humain, comme le montre ce vice-ministre. Le cheptel humain est déplacé en fonction des pâturages industriels disponibles, il na le droit de se reproduire quen fonction des prévisions et des nécessités définies par lÉtat, et il ne doit pas meugler, surtout pas. Contrôler le niveau de stress des populations Les Chinois sont à coup sûr passés maîtres dans la gestion des ressources humaines. Mais les autres pays ne sont pas en reste. Dans les bidonvilles dInde, le problème se pose en des termes sensiblement différents puisque le gouvernement na ni les moyens ni sans doute lintention de forcer des populations à abandonner la campagne pour la ville (du moins à de tels niveaux de transfert forcé, le cas dun barrage comme celui sur la Narmada étant quasi anecdotique par rapport aux déplacements forcés de population en Chine). Ainsi, la question est en Inde déviter une révolte des habitants des bidonvilles, qui forment entre un tiers (Delhi ?) et la moitié (Bombay, Calcutta ? les chiffres sont imprécis) de la population urbaine des mégapoles de ce pays. Des associations dhabitants des bidonvilles, dont le dévouement des membres est par ailleurs indéniable, se trouvent contraintes de travailler à la pérennisation des bidonvilles. En effet, la corruption très importante qui règne en Inde (comme dans la plupart des pays du Sud) et lincompétence aboutissent à ce que les crédits destinés à lamélioration des bidonvilles ou au relogement de leurs habitants sont détournés ou mal utilisés. Les associations dhabitants des bidonvilles (comme Mahila Milan, femmes ensemble en hindi, Mahila Chetna, léveil des femmes , ou la NSDF, association nationale des habitants de bidonvilles) sunissent à des organisations non gouvernementales (INDCARE, ou SPARC, Society for the Promotion of Area Resource Centres) pour participer à la mise en uvre des plans gouvernementaux. Les budgets alloués par le gouvernement sont ainsi à coup sûr mieux utilisés, et les habitants ont pris une part active et sans aucun doute efficace à lamélioration de leurs conditions de vie. En loccurrence, depuis les années 1990, leffort porte surtout et presque uniquement sur les systèmes dadduction deau courante et dévacuation des eaux usées. Un programme minimum, donc. Mais dun autre côté, ces associations entérinent lincapacité de lÉtat ou plus largement encore de la société, du Système à leur offrir des conditions de logement tout à fait correctes. Il ne sagit pas ici de prôner la stratégie du pire, qui est erronée comme nous le savons au moins depuis la fin des régimes nazi et stalinien. Le pire nengendre pas la révolution. Mais dans le cas des bidonvilles, leur croissance rapide rend a priori impensable toute solution globale, et il faudrait donc laisser perdurer cette situation en se contentant den améliorer les problèmes les plus criants, comme la question des eaux et des toilettes. Pour compliquer encore le problème, il faut mettre en évidence lutilité réelle des associations dont il vient dêtre question. Car, sans leur action, il est possible que la stratégie du pire, précisément, serve les groupuscules intégristes et millénaristes, chrétiens, musulmans ou autres. En effet, les sectes religieuses protestantes nord-américaines ont déjà très largement contribué à la défaite des guérillas dAmérique latine et de la théologie de la libération dans les années 1970-1990. En prônant la passivité devant le sort que dieu réserve aux pauvres ( Si vous êtes pauvres, cest parce que dieu veut que vous expiiez vos fautes ), ces sectes ont porté des coups décisifs aux mouvements sociaux et aux groupes révolutionnaires latino-américains. Le même risque existe dans les autres continents, et notamment dans toutes les zones où lislam et le christianisme sont déjà très présents, comme lAfrique, le Pakistan, le Bangladesh Un État mondial se dessine donc, sous nos yeux. Ce nest pas une prophétie, cest une constatation : un réseau de villes tentaculaires et aspirantes, non pas monolithiques, mais elles-mêmes gangrenées de bidonvilles immenses et en extension. Dans ce magma humain, la lutte est pour linstant contrôlée par des groupuscules sectaires de type religieux (intégristes chrétiens-pentecôtistes, musulmans, juifs, hindouistes et autres) qui propagent le message dune attente dun monde meilleur dans lau-delà. Le messianisme communiste, qui postule en gros un monde meilleur ici-bas, est inopérant parce que les communistes de toutes sortes, y compris anarchistes, nont pas mené à fond la critique du Progrès, de la Science, de lÉtat et du Travail, toutes choses dont il faut nous débarrasser sous peine de repartir sur le même chemin : si lon veut le Progrès, si lon veut la Science, si nous voulons connaître la vitesse dexpansion de lunivers et décrypter lintégralité du génome humain, si nous pensons que par le travail nous allons modeler la nature, alors nous aurons besoin de lÉtat et des idéologies qui justifieront les dégâts collatéraux . Mais nous finirons par détruire la planète La croyance au Progrès entraîne à tout coup lémergence dun modèle cest même la définition du progrès de lhumanité : converger vers un modèle supérieur. Le Progrès, ce nest rien dautre, seule la définition du mot supérieur varie, mais tous, communistes autoritaires, libéraux et néolibéraux, ont un modèle, quils croient supérieur, et sur la voie duquel ils veulent nous entraîner. Aujourdhui, sur la voie qui mène au modèle dominant et unique, celui de la société hyperindustrialisée, avec ses mégapoles, avec des humains reliés en réseaux mais désormais incapables de communiquer entre eux physiquement, certains sont plus avancés que dautres. Et puisque la réalisation du paradis sur terre devient de plus en plus improbable, la solution proposée est décarter du revers de la main ceux qui sont le plus attardés sur la voie du Progrès. Sous le joug démocrate, la vie humaine nest pas cotée de la même façon à Wall Street et dans les slums de Calcutta. Et lécart se creuse. Philippe Godard |
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ALTERMONDIALISATION: LE DÉVELOPPEMENT A-T-IL UN AVENIR ? |
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Avec ce livre(1) , le conseil scientifique dATTAC mélange culture altermondialiste et discours économique de gauche , comme pour ramener la clientèle des forums sociaux au bercail électoral. Nos experts prennent aussi leurs distances avec les anti-post-développementistes, qui veulent rompre avec la croissance, le Progrès et autres dogmes occidentaux UN BILAN NÉCESSAIRE Les premiers chapitres du livre dressent un bilan utile de la situation de la planète ; sur six milliards dêtres humains, 20 % brûlent 80 % des ressources et marchandises disponibles. Face à la dégradation rapide, et sans appel, de la situation humaine et écologique, les pouvoirs actuels maintiennent le cap . Le livre questionne donc les indicateurs officiels, censés décrire lévolution économique. Les PIB, PIN, Mesure du bien-être économique, Indice de santé sociale, RBE, et autres RESE sont autant de modes de calcul de la richesse moyenne des habitantes dun pays. Ces calculs intègrent, ou non, certaines données. Ils permettent daffirmer scientifiquement tout et son contraire. En effet, même la destruction dinfrastructures utiles aux populations peut se traduire financièrement en activité économique et autres indicateurs de développement. Il faut donc revenir aux sources de la théorie économique : les valeurs dusage et déchange. ARISTOTE À LA RESCOUSSE ! La théorie marxiste, trop compromise par le totalitarisme, reçoit labsolution dun précurseur inattendu : Aristote ! Le premier à avoir différencié ces deux caractéristiques dun même objet, lusage et léchange ?! Avec un tel ancêtre nos experts peuvent alors remettre leurs pas dans des traces connues, sans craindre un quelconque flirt avec des perspectives dictatoriales... Ensuite, le livre aborde la politique macro-économique, appliquée à léchelle mondiale par les FMI, BM, OCDE, et autres OMC, instruments de libéralisation de léconomie, depuis une trentaine dannées. La bonne gouvernance, cette « nouveauté » du capitalisme, légitime des initiatives de résistance comme ATTAC, pour injecter de léthique dans cette sphère si délétère Car nos experts ne sont pas dupes des manuvres capitalistes. Pour eux, lintégration des ONGs (2) à la gouvernance ne vise pas à combattre la corruption, mais bien plutôt à optimiser la circulation des informations sur les marchés - pour aider les agents à agir et prévoir rationnellement ou bien intégrer les pratiques sociales nouvelles et lauto organisation populaire - pour les récupérer, les contrôler, les canaliser. Le danger ne viendrait pas des ONGs en elles-mêmes, mais du mauvais usage qui en est fait éventuellement. Un esprit malin remarquerait que la fonction proclamée dATTAC ressemble à sy méprendre à ce détournement du rôle des ONGs opéré par le capital : introduire de lhuile dans les rouages (en taxant la spéculation) pour réduire les excès de la financiarisation de léconomie. Mais nous ne saurons pas si le Conseil Scientifique dATTAC a poussé jusque-là son introspection. UN PROJET SOCIAL DÉMOCRATE REVU À MINIMA Tout en insistant sur la question centrale de valeur dusage et/ou valeur déchange, le livre avance une vision économique classique de cogestion capitaliste, dosée décologie vues les limites de la planète, de critiques de lactivité industrielle et du Progrés, sans toutefois avancer une seule fois le mot de rupture ou lidée de révolution, fut-elle de velours, orange, ou de roses Des propositions sont mises en avant : fisc mondial pour taxer les multinationales (3), gratuité de certains biens publics, avec des propositions déjà connues comme lannulation de la dette des pays pauvres, le développement et la défense des services publics, de la protection sociale, le refus de privatisation de biens collectifs comme leau, lair, les plantes ou les connaissances. Même si lEtat nest pas évoqué une seule fois comme acteur central de toutes les mesures prônées tout au long du livre, nos experts y font référence explicitement mais se gardent bien den préciser le rôle. A défaut dautres intervenants, cest pourtant bien à lui que nos experts confieraient les réformes urgentes à apporter. En passant, il sagit de taper fort sur les « anti-post-développementistes » (4) (sic !). Un curieux schéma (p. 154) explique les différentes approches du développement sous forme dun cercle composées de sept bulles contenant les propositions résumées de chaque courant. Illustrant ladage fameux des extrêmes qui se rejoignent , sont placés sur la droite, en voisins directs sinon en cousins, lultralibéralisme (le marché contre le développement, proprement horrifique) et le refus du développement(5) . En haut en position dominante, le libéralisme, seule voie du développement. Sur la gauche, humanistes, développementistes, tiers-mondistes. En bas à lopposé du libéralisme, le développement déconnecté de la croissance non illimitée dans le temps (sic). Ce courant, où se retrouvent nos experts, propose un développement qualitatif et quantitatif pour toutes les populations dont les besoins essentiels ne sont pas satisfaits. Pour les autres, une décélération de la croissance, puis un recul des productions prédatrices et une répartition juste des richesses et des gains de productivité. Le social et lécologie servent de garde-fous pour cette occidental way of life. POINT DE SALUT, HORS DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE Plus loin, le chapitre Ouvrir le débat concède aux « anti-post-développementistes » un point positif. Pour ces derniers, le développement économique, considéré comme la forme prise par la domination économique, politique et surtout culturelle de lOccident sur le reste du monde, a permis dimposer lunique vision possible de lavenir. Ainsi le développement, simple augmentation perpétuelle des richesses matérielles, peut simposer avec lacquiescement des opprimé-e-s. Il conviendrait donc de stopper toute croissance et autres développements. Bien sûr, les profs déconomie et universitaires dATTAC refusent cette hérésie pour deux raisons principalement. Premièrement cette position « anti-post-développement » est malvenue face à luniversalité des droits humains (ceux appliqués par les occidentaux ) ; elle risquerait dentraîner la fétichisation de pratiques traditionnelles, comme lexcision par exemple -p.175-. En résumé, pour faire disparaître des pratiques mutilantes dintégration communautaire, il faut une politique ambitieuse et égalitaire de santé publique, déducation, de développement, pour donner la possibilité aux individus de sémanciper de la tradition, de choisir sa vie, donc sans ressentir les condamnations morales/pénales par les autorités de culture extérieure- comme européocentristes, incompréhensibles, donc inefficaces. Pour nos experts, il ny a quand même rien de mieux que les moeurs occidentales, quitte à les imposer - p.176- par la loi ( on pense à linterdiction du foulard dans les écoles ). En plein 60ème anniversaire de la libération du camp dAuschwitz, symbole du raffinement et du niveau civilisationnel européen sil en fût, nos experts dATTAC sinstaurent cyniquement bienfaiteurs et bienfaitrices des populations mondiales via la diffusion de notre culture. A croire quils vivent encore au début du XXème siècle! Condamner les pratiques communautaires des pays les plus pauvres, en choisissant den citer une des plus cruelles, est pour le moins malhonnête; nos économistes dATTAC auraient-ils pris lhabitude, à force de gérer indices et statistiques frelatées, de raisonner par approximation ou de ne garder que ce qui va dans leur sens? Ou bien ne serait-ce pas plutôt des réflexes de blancs, persuadés dêtre lélite mondiale de la pensée, qui savent que leur auditoire, essentiellement issu des classes moyennes françaises, prendra pour argent comptant lexcision comme une bonne illustration des pratiques communautaires des pays les moins industrialisés. La France, patrie des droits de lHomme, phare civilisateur, les Algériens, Vietnamiens et autres Tutsis savent ce quil en est. LÉCONOMIE, UNE CHASSE GARDÉE Le second reproche fait aux « anti-post-développementistes » serait de magnifier le système de la débrouille dans léconomie informelle sans voir que celle-ci ne vit quaux marges de léconomie officielle / Le politique et le social ne sont pas pensés comme des enjeux entre les classes sociales-P.178-. Bref, la sortie du développement est définie comme une sortie de léconomie, celle-ci ne pouvant être différente de ce quelle est / (pour les anti-post-développementistes) La chose économique nexiste que dans limaginaire occidental qui la créé récemment. Pour les experts dATTAC, au contraire, léconomie critiquée ici nest quune économie : léconomie capitaliste, rattachée aux rapports de domination qui caractérisent la société actuelle. Pourquoi pas !? Mais il est curieux de dénoncer léconomie informelle comme inconsistante ; cest pourtant bien là que se réalisent certains des plus juteux bénéfices Bouygues réalise ses grands chantiers avec une cascade de sous-traitants, qui au bout du compte utilisent des clandestins Léconomie italienne dans les années 80s réalisait près de la moitié de son activité par le travail non déclaré ; les petits entrepreneurs lombards, vantés comme lExemple du dynamisme industriel innovant et de la rentabilité, emploient une main-duvre très souple Le secteur du prêt à porter parisien nest pas en reste. Et léconomie de la drogue ou des armes joue à la même échelle que léconomie officielle de lautomobile ou des services De même, reprocher aux « anti-post » de ne pas penser la politique et le social comme des enjeux entre les classes sociales, sonne comme la déception de voir aborder la question sociale sans passer par le jeu traditionnel patronat-syndicats-Etat. Pourtant les partis de gauche et les confédérations syndicales ne résistent guère au démantèlement successif des « acquis » sociaux : la Sécu suivra les retraites. Parce que les forces qui avaient conquis ces acquis ont été digérées par linstitutionnalisation de ces mêmes partis et syndicats Aussi, de la part de professeurs duniversités et déconomistes distingués - membres du conseil scientifique dATTAC - il est logique de dénoncer lactivité autonome à la base : il en va des intérêts de la classe de lencadrement, entre capital et travail ! De leur classe ! Enfin considérer léconomie comme partie intégrante de limaginaire occidental nest pas faux si lon ne considère plus les individus non pas comme des producteurs, ou des consommateurs, ou des usagers, mais comme des acteurs à part entière qui franchissent le pas du refus du conformisme social. Après tout, lESB et la vache folle ont démontré comment un secteur de production comme lélevage, nécessitant des investissements sur le long terme, a pu être secoué en quelques mois par des consommateurs refusant de cautionner la chaîne sanitaire de spécialistes et de professionnels chargés de les rassurer. Imaginaires aussi, les besoins collectifs qui justifient les investissements lourds comme voies de communication, programme électro-nucléaire et autres grandes infrastructures. Même si les effets et les bénéfices financiers sont bien concrets Tout ce système, auquel nous collaborons, tous et toutes peu ou prou, ne se légitime que sur la base de statistiques bidonnées et de préjugés idéologiques martelés sans cesse. Oser le rappeler sapparente à une hérésie, alors que léconomisme règne sans partage ! Dailleurs même nos experts dATTAC le reconnaissent dune certaine façon(6), plus loin p.210- en abordant laspect « des besoins ». Pour les capitalistes, il était essentiel de transformer les désirs en besoins , puis en marché. LE DÉVELOPPEMENT, NI BON, NI MAUVAIS Pour le conseil scientifique dATTAC, le développement est ce quon en fait. Face au développement actuel totalement disqualifié, il faut un redéveloppement redéfini sur trois points (p.205). « Premièrement, priorité donnée aux besoins essentiels et au respect des droits universels indivisibles » : on se demande bien qui fixera quoi, pour qui, en repassant notamment dans le domaine public tous les secteurs achetés par les trusts et autres fonds de pension.... « Deuxièmement, décélération progressive et raisonnée de la croissance matérielle, sous conditions sociales précises, pour ensuite une décroissance de toutes les formes de production dévastatrices et prédatrices ». Là aussi, la loi dairain de léconomie et du marché devrait plier devant une volonté digne dun plan quinquennal soviétique, doublé dune tchéka aux ordres! « Troisièmement une nouvelle conception de la richesse réhabilitant la valeur dusage en lieu et place de la marchandisation capitaliste ». Il sagit bien dinstaurer un nouvel imaginaire, à lopposé du consumérisme actuel, il ny a pas de doute. EN GUISE DE CONCLUSION Nos experts reconnaissent que leurs propositions ressemblent à une redéfinition des utopies socialiste et communiste / avant que le XXème siècle ne les anéantissent. LHistoire étant passée par là, nous navons plus les mots pour le dire (p.239) Quel sens de la formule ! Et surtout lamnésie guette nos experts, car loin deux toute idée de révolution. Au contraire, il faut étendre les pratiques de démocratie participative et paritaire dans la gestion des collectivités locales, renforcer les droits et les organes de contrôle dans les entreprises et lensemble de la vie sociale lautogestion, la capacité des travailleurs et des citoyens à prendre leur avenir en mains (sic). En clair collaborons avec toutes les instances de pouvoir et daliènation existantes. Aujourdhui, même la CFDT naffirme cette ligne de collaboration que discrètement Les propositions du conseil scientifique dATTAC seraient le produit dune réflexion, pour ouvrir le débat sur le développement. En fait elles sont dans la pure logique du projet de taxe Tobin, à lorigine de la création dATTAC(7) : taxer les capitaux spéculatifs pour tenter de canaliser les excès du système. Ce livre résume en fait une stratégie social-démocrate de développement, revue à la baisse : « Refonder la démocratie contre / les lobbies financiers, ou pire, parfois la force militaire. » Il nest même pas question dans un avenir lointain dabolition de lEtat et de la propriété privée des moyens de production Les composantes altermondialistes les plus radicales, opposées au développement, sont condamnées comme irréalistes, inaptes à changer quoique ce soit et maintiendraient par une logique induite la tradition la plus aliénée En résumé, ce programme politique écrit par des universitaires et des économistes sadresse aux classes de lencadrement, inquiètes de voir leurs privilèges remis en cause à la fois par lintensification de lexploitation et par le désarroi des forces sociales traditionnelles de gauche qui maintenaient un certain statu-quo. Lécologie est simplement évoquée comme une contrainte due à la finitude de la planète, mais nimpliquant aucune mesure immédiate de changement radical de fonctionnement social. Gérald - Nantes le 25/01/05 1) Le développement a-t-il un avenir ?- Mille et une nuits aout 2004 250 p. 2) ONG: organisations non gouvernementales, dites de la société civile , mais de fait miroirs des classes moyennes. Certaines ont des budgets comparables en importance à ceux dEtats africains Et elles pèsent dans le jeu géopolitique mondial depuis longtemps. 3) Avec des super-inspecteurs des impôts, dotés de super-pouvoirs ?! 4) Le terme anglais anti-globalisation sétait transformé en anti-mondialisation français, finalement remplacé par altermondialisation ; définir les opposants au développement et à la croissance par un terme aussi ridicule qu« anti-post-machin » vise clairement à plomber ce courant par sa seule désignation Et communiquer, ATTAC sait le faire ! 5) Deux références sont livrées en pâture : Serge Latouche (Faut-il refuser le développement ?) et François Partant (La ligne dhorizon : essai sur laprès-développement). Le plus malhonnête de la part de nos experts économiques est de passer sous silence la place de lEtat , que ces deux propositions préconisent ; pour lultralibéralisme, lEtat est essentiel en assumant les fonctions régaliennes non rentables : police, défense du marché, Au contraire les propositions contre le développement et la croissance sont pour un démantèlement de lEtat dont les fonctions sont attribuées aux communautés. On se demande par quelle approximation, ce conseil scientifique peut rapprocher deux perspectives aussi éloignées. 6) Pour E. Barneys, neveu de Freud, la publicité dés 1920 devait transmettre « un message qui transforme les produits, même les plus triviaux, en vecteurs dun sens symbolique ».- p.210- 7) LOCL a publié un quatre pages analysant la stratégie et les positions dATTAC lors de sa création. Ce quatre pages est disponible sur simple demande par lettre à ladresse suivante : Clé des champs BP 20912 44009 Nantes cedex 01. |
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