Courant alternatif no 151 été 2005

SOMMAIRE
Edito p. 3
POLITIQUE
Le référendum comme analyseur social
INITIATIVE
Retour sur l'initiative PLACE DES RESISTANCES
SOCIAL
Pontoise: la grève des ambulanciers d'ACCOR
Retour sur le mouvement lycéen
RÉPRESSION
Brutalités policières et répression judiciaire à Lyon
Flics et militaires
NUCLÉAIRE

AREVA/COGEMA en correctionnelle
Que se passe-t-il à Moronvilliers?
INTERNATIONAL
Pays-Basque: Lutte contre un projet de 2X2 voies au coeur du Pays Basque
Vite fait sur le zinc
NOTRE MÉMOIRE: Avril 1905, le printemps rouge de LIMOGES
POINT DE VUE:
La triste farce de la victoire du non
L'Mouvement
INTERNATIONAL
Togo, la France soutient les dictateurs de père en fils
Livres
Camping OCL/OLS

EDITO

Sous le titre « Sanglantes émeutes à Limoges », le Petit Journal Illustré reprenait en avril 1905 les thèses policières et alarmistes pour défendre la bourgeoisie limousine agressée par de sombres conspirateurs. C’est exactement de la même manière, un siècle plus tard que J.D. Derhy dans Le Progrès (de Lyon) stigmatise les dangereux militants anarchistes qui auraient agressé d’honnêtes entreprises ainsi que de malheureux policiers au cours d’une manifestation.
Cela démontre que, comme l’explique JPD, la lutte des classes n’est pas morte. Malgré tout ce qu’on nous raconte depuis des années sur la disparition de la classe ouvrière, et même si celle-ci s’est transformée avec l’évolution des formes d’exploitation, le clivage fondamental entre les prolétaires vivant de leur travail et les exploiteurs qui en profitent demeure. Ce n’est pas parce qu’il y a aujourd’hui dans les pays occidentaux une moindre proportion d’ouvriers de production qu’il y a 50 ans qu’il n’y a plus de prolétaires. Certains emplois ont été délocalisés vers les pays « émergeants », d’autres demeurent ou reviennent en force après s’être transformés comme les emplois domestiques. Lorsque les « bonnes » deviennent « aides à domicile » les conditions d’exploitation changent (plusieurs patrons au lieu d’un seul) mais elles restent autant exploitées.

On peut regretter à juste titre que le mécontentement des exploités se traduise dans les urnes plutôt que dans les luttes sociales. Mais il serait réducteur de dire qu’il n’y a plus de luttes. Les chômeurs et précaires, les lycéens et étudiants, les fonctionnaires et les salariés du secteurs privé continuent périodiquement de se mettre en mouvement pour se défendre contre les conditions de vie qu’ils subissent quotidiennement ou contre les réformes qu’on leur impose.

Bien sûr ces luttes sont loin d’être toujours victorieuses et les reculs du patronat et du gouvernement sont bien souvent minimes (ambulanciers d’Accor à Pontoise) ou temporaires (report de la signature des décrets d’application de la loi Fillon). Mais c’est à travers les luttes que se forgent les consciences et l’espoir de pouvoir changer un jour ce monde. Et comme l’expriment les ambulanciers du Val d’Oise après bien d’autres, lutter, cela permet aussi de retrouver sa dignité. Une anecdote symbolique à propos de 1905 à Limoges. Pour le 14 juillet 1905, la municipalité a demandé à l’armée de ne pas participer aux manifestations officielles et le ministre de la défense s’est plié à cette requête. Ils craignaient des « émeutes antimilitaristes ». Cela montre bien que, même après une défaite importante des luttes ouvrières, les gens qui s’étaient battus gardaient espoir et restaient mobilisés.

Nous avons affaire à forte partie : non seulement un gouvernement aux ordres du patronat, ce qui est classique, mais également une opposition qui n’en est pas une puisqu’elle adhère dans sa grande majorité aux thèses de la mondialisation de l’économie de marché. De plus les média sont plus que jamais aux ordres, soumis à la fois à leurs propriétaires ou leurs annonceurs –les grands groupes industriels et financiers- et à cette idéologie libérale dominante. L’exemple du Monde refusant de passer un article sur le procès de la COGEMA / AREVA et lui préférant 4 page de publicité pour la même société est très parlant.

De plus, nous nous heurtons, à chaque fois que nous manifestons, à une féroce répression. Les lycéens, les participants à la « manifestive » de Lyon, les postiers de Bordeaux sont parmi les plus récents à en avoir fait la triste expérience. Depuis des années, à la remorque du Front National, la gauche comme la droite se sont emparées du thème de « l’insécurité ». Evidemment, il ne s’agit pas de l’insécurité des travailleurs menacés dans leur emploi ou des précaires et chômeurs menacés dans leur survie quotidienne.

Mais il ne faut pas non plus s’imaginer que l’insécurité générée par de petits délits est leur préoccupation principale (même s’ils ont durci les moyens de répression). Les maisons bourgeoises de Neuilly sont mieux sécurisées que les appartements de La Courneuve. Ce qui les préoccupe le plus, c’est l’insécurité du système socio-économique en place menacé par la contestation et les manifestations. Pour preuve, malgré ses discours cinglants, Sarkozy a diminué les moyens de la police de proximité qui serait la mieux à même de régler ces petits problèmes. Par contre, il a développé les différentes formes de brigades d’interventions pour réprimer de façon violente les manifestations sociales ou politiques aussi bien que les émeutes des quartiers dits « sensibles ».

Comme le souligne un montage humoristique, la pseudo rivalité entre Sarkozy et Villepin n’est que de façade. La « grande embrouille » c’est que, malgré des ambitions personnelles évidentes de l’un et de l’autre, ils sont alliés pour, chacun avec son style personnel, faire passer le plus vite possible les mesures économiques et policières permettant encore mieux au capitalisme d’asseoir son pouvoir. Contrairement à ce que son véritable patronyme signifie, Galouzeau (dit de Villepin) n’est pas un plaisantin. Comme son prédécesseur, il fait mine dans un premier temps d’arrondir les angles pour mieux ensuite s’arc-bouter sur la réforme qu’il veut faire passer. Le « contrat nouvelle embauche » en est la preuve. Malgré le tollé qu’il suscite tellement il va précariser les salariés retrouvant un travail, le gouvernement n’en démordra pas, il mettra en place ce nouveau cadeau au patronat.

Il est vrai que monsieur G de V, en bon bourgeois se prétendant aristo, méprise l’opinion publique aussi bien que l’électorat populaire. Il lui suffit de savoir ce qui est bon pour les intérêts de sa classe. Il a le même aplomb que les commissaires européens qui ne sont redevables devant personnes de leur mandat et qui ne servent que les intérêts des multinationales. La démocratie représentative a fait les preuves qu’elle permettait avant tout aux élus de gruger (souvent sur le plan financier et pratiquement toujours sur le plan moral) leurs électeurs. Il est grand temps qu’elle disparaisse, mais au moins que ce ne soit pas au profit d’oligarchies se reproduisant par cooptation.

Même s’il nous semble souvent que nous nous heurtons à des murs, même si souvent nous connaissons des défaites, si nous sommes obligés de subir ce que l’on nous impose, même si la répression nous frappe, si nous voulons vraiment vivre debout, il nous faut continuer à lutter pour abattre cette société comme l’ont fait bien d’autres avant nous. C’est à travers ces luttes que nous pouvons faire naître une véritable démocratie directe. C’est dans l’auto-organisation de notre quotidien et de nos luttes que nous trouverons les forces de changer le monde.
Limoges 3 juillet

LE RÉFÉRENDUM COMME ANALYSEUR SOCIAL

Les résultats du référendum sur la constitution européenne ont démenti une escroquerie intellectuelle, largement entretenue depuis quelques décennies, selon laquelle les classes sociales n’auraient plus de réalité tangible, et nous serions entrés dans une société plus ou moins uniformisée, simplement composée de strates poreuses et perméables entre elles et dont les différences s’estomperaient progressivement.


Le rêve, caressé depuis Giscard d’Estaing par bon nombre de politiciens, de sociologues et d’analystes de cour, d’une France transformée en une énorme classe moyenne s’est effondré brutalement et bruyamment.
On avait beau savoir que la réalité était tout autre, elle ne parvenait pas à être admise ouvertement par le plus grand nombre avant que l’analyse des résultats de ce référendum ne la fasse apparaître au grand jour, telle une étude sociologique grandeur nature.

Les classes sociales toujours bien présentes

C’est une tradition bien établie parmi les thuriféraires de l’ordre capitaliste de considérer que la lutte des classes est un mythe sans fondement puisque les classes sociales elles-mêmes n’existeraient plus : le développement économique, les technologies nouvelles, bref la « modernité » auraient détruit ces structures archaïques pour les remplacer par un monde dans lequel n’existent que des êtres humains qui se concurrenceraient les uns les autres pour le plus grand bien de la démocratie, de l’égalité des chances, donc du progrès et de la reproduction à l’infini de cette « modernité ». Ce n’est pas là une lecture vraiment nouvelle des sociétés industrielles ! Il ne s’agit en fait que d’une resucée à peine actualisée de la pensée de Tocqueville, qui affirmait que le monde moderne (celui des technologies, du commerce, de la naissances des Etats...) était, en lui-même, démocratique et promoteur d’une égalité entre individus autonomes. Pas étonnant que Tocqueville soit encore l’auteur à la mode pour nos libéraux d’aujourd’hui ! Pour lui comme pour eux, il n’y eut de classes — ou de castes — que dans le monde ancien, celui de la féodalité.
Dans les années 1950-1960, un courant de sociologues américains prévoyait la disparition de la classe ouvrière et la constitution d’une middle class en « col blanc ». L’automatisation, puis l’informatisation opéraient soit-disant des rapprochements entre travail manuel et travail intellectuel, entre tâches d’exécution et tâches de conception et d’encadrement.
En France, à la même période, sous l’influence des épigones français de cette sociologie américaine, on parlait de « nouvelle classe ouvrière » pour désigner ces cols blancs que l’on voyait partout. A gauche même, cette idéologie trouva ensuite quelques échos (on pense à André Gorz et à ses Adieux au prolétariat en 1980, aux différents recentrages de la CFDT et à E. Maire enterrant la lutte des classes).
Pour illustrer à quel point ces affirmations étaient totalement idéologiques, fort peu étayées et marquées par une volonté de maquiller la réalité sociale, rappelons un de ces poncifs qui servaient de « preuve » à ces prétendues homogénéisation de la société et disparition des classes sociales : « Un bourgeois est habillé maintenant comme un prolo, on ne peut plus les distinguer si on ne sait pas auparavant qui ils sont. »
Outre le ridicule de cette affirmation, qui ne peut convaincre que des aveugles ou des gens qui ne considèrent le monde que par le prisme des feuilletons télé ou des films (qui, pour la plupart, ne mettent en scène qu’une même catégorie de gens en leur donnant, par là même, une valeur universelle), on constate à quel point il ne s’agit là que d’une vision étriquée – « petite-bourgeoise » – pour qui le vêtement est tout ou presque. Car évidemment, on peut reconnaître une appartenance sociale à mille facteurs ; au vêtement, c’est sûr quoi qu’on en dise, la marque, la coupe, mais surtout à la façon de le porter même s’il peut paraître identique au premier coup d’œil ; à la façon de marcher, de manger, de s’asseoir ; à la forme des mains et à la manière de les utiliser ; au langage, bien sûr, mais aussi au rire. Bref, c’est tout le corps qui parle, et c’est bien une attitude typique de classe moyenne – petite-bourgeoise – que de le réduire au drap qui le cache, comme cette classe tend à réduire le monde qui l’entoure à l’horizon borné de son quartier et aux gens qu’elle croise.

Ceux qui adoubent la thèse du déclin de la classe ouvrière s’appuient le plus souvent sur des statistiques réalisées par secteurs économiques. Celles-ci indiquent en effet que, entre 1975 et 1982 par exemple, les effectifs de l’industrie ont chuté de 1,3 million ; et qu’ensuite, pendant quelques années, ce sont 200 000 emplois industriels qui ont disparu chaque année, mouvement qui se poursuit encore maintenant.
Mais on oublie ainsi que la présence ouvrière n’est pas limitée au secteur industriel : on la trouve aussi dans les services qui, eux, sont en augmentation (commerce, stockage, entretien, conditionnement, réparation, etc.).
En revanche, si on se fie aux statistiques réalisées par catégories socio-professionnelles (et non par secteurs économiques), on constate que les ouvriers, selon les critères de l’INSEE, sont passés de 7,5 millions en 1962 à 7,25 millions en 1989... Pas de quoi se lancer dans de fumeuses théories sur la disparition de la classe ouvrière ! Et si la diminution s’est effectivement poursuivie depuis, à un rythme aussi lent, il ne faut pas oublier que la classe ouvrière réelle s’est « enrichie » de quelques centaines de milliers de travailleurs clandestins sans statut et ignorés des statistiques.
Enfin, et c’est peut-être là l’entourloupe principale, surtout pour nous qui n’avons jamais épousé la vision messianique de la classe ouvrière propre aux léninistes, « on » a, qui plus est, oublié que cette classe n’est qu’une composante du prolétariat (mot encore plus obscène aux yeux de nos idéologues modernistes, dans la mesure où il n’est pas réductible à une constatation sociologique, mais est, de plus, historiquement chargé de négation de la société bourgeoise et capitaliste chaque jour exprimée dans la pratique). Or ces parties non strictement ouvrières du prolétariat, on les retrouve dans toutes les composantes ou presque de l’économie, ainsi que dans l’administration et les services publics, c’est-à-dire une grosse majorité des employés, passés de 3 millions en 1962 à 6 millions en 1990. Cela d’autant plus que si le taylorisme a paru reculer en milieu industriel au profit de tâches plus techniques, il s’est au contraire répandu très rapidement dans les secteurs dits tertiaires, rendant ces emplois de plus en plus semblables à ceux de la classe ouvrière classique.

En fait, si on considère l’ensemble classe ouvrière/employés prolétarisés, on est passé entre 1962 et 1990 de 10,5 millions à 13,5 millions, alors que l’ensemble des classes dirigeantes (chefs d’entreprise, cadres administratifs, ingénieurs et cadres techniques, cadres supérieurs de la fonction publique représentaient 1,5 million, soit 6 ou 7 % de la population active en 1990. Selon le recensement de l’INSEE de 1999, employés et ouvriers représentent 57 % de la population active, auxquels il faut rajouter quelque 2 à 3 % de petits paysans, tandis que cadres et professions intellectuelles ne représentent que 12 % de la population.

On s’aperçoit donc que, quelle que soit la manière de compter, et contrairement aux idées dominantes en la matière, les classes dites moyennes sont très loin de représenter un groupe dominant dans la société française, ce qui ne peut que poser des problèmes insolubles aux partis politiques qui pensaient avoir vocation à diriger le pays en faisant de ces classes moyennes leur clientèle de base. Cela d’autant plus que ces classes moyennes sont encore plus hétérogènes que la classe ouvrière peut l’être !

La crise structurelle du PS

Et c’est là que se situe le vrai problème pour le PS. Plus que largement composé d’éléments de ces classes moyennes, il s’est considéré comme leur représentant le plus crédible, sans s’apercevoir que s’il a pu s’emparer du pouvoir en 1981 c’est parce qu’il conservait encore en partie une image prolétarienne issue de la vieille SFIO, qui lui a permis de glaner pas mal de suffrages populaires pour se constituer une majorité électorale. Maintenant, cet âge d’or est terminé, et le PS est dans l’incapacité de séduire et de tromper majoritairements les couches inférieures de la société française, même avec l’aide du PC, voire de l’extrême gauche. Parvenu au pouvoir, sa mission historique, à la fin du XXe siècle, aura été de réaliser les modernisations industrielles réclamées par le développement du capitalisme et donc, avec l’aide d’un patronat très lucide, d’éradiquer une partie de la classe ouvrière. Il a réussi à moderniser, il a échoué à éradiquer, transformant ainsi son assiette électorale en une peau de chagrin. Sa mission était de « réconcilier les Français – et, par la même occasion, la gauche – avec l’entreprise ». Il pensait avoir réussi et en était fier, et on entend toujours ses dirigeants, aujourd’hui, réaffirmer cette volonté. La réconcialition soit n’a jamais vraiment eu lieu, soit fut de courte durée ! Il est vrai que ce discours « réconciliateur » était déversé partout comme une évidence, mais c’était à une période où, comme le prolétariat « n’existait plus », il n’y avait aucune raison de lui demander son avis, d’autant qu’il ne le donnait guère de lui-même. En plus, de nombreuses illusions se sont effondrées sur cette question, et vous aurez sans doute plus de mal qu’auparavant à trouver un salarié à 1 000 euros ou un smicard vous affirmer que la fonction de l’entreprise « c’est de créer des richesses et des emplois » !
Là encore, ce discours qui parut majoritaire, voire universel, n’était que celui d’une fraction de la société.

C’est donc la raison d’être du parti socialiste qui s’est effondrée sous ses yeux, et c’est en cela que le résultat du référendum est un échec pour lui et non pas seulement parce qu’il a été mis en minorité – de cela, on peut s’en remettre !

Les ouvriers ont voté à 77 % pour le non. Les centre-villes ont voté majoritairement oui, tandis que la périphérie, elle, se prononçait largement pour le non. Paris est particulièrement emblématique à cet égard : vidé des travailleurs à faibles ou très moyens revenus, s’y sont installées à leur place ces nouvelles couches moyennes supérieures (bobos et autres professions intellectuelles, artistiques, cadres...). Le populo parisien n’étant plus composé que par des étrangers ou des « marginaux » inopérants au plan électoral. Et si l’exemple de Paris est le plus éclairant, la démonstration vaut pour presque toutes les villes moyennes. L’électorat qui reste au PS est majoritairement structuré au sein de ces couches aisées, bénéficiaires de la rénovation des centre-villes vidés de leurs salariés les plus modestes, consommateurs de biens culturels et ayant d’eux-mêmes une haute considération ; et surtout se voulant un modèle d’ouverture, d’humanisme et même d’internationalisme à atteindre (on a vu un BHL reprocher au non de gauche de « tourner le dos à l’internationalisme » — Le Monde du 28 mai !).

La propagande d’Etat

Ce sont ces gens-là qui, des mois durant, nous ont abreuvé de discours méprisants vis-à-vis de celles et ceux qui ne pensaient pas comme eux, qui voulaient voter non, ne pas voter ou voter nul. Ce sont ces gens-là qui, certains d’être culturellement supérieurs aux autres, se sont lancés dans des discours accusateurs dignes d’un ministère de la propagande, avec la complicité de tous les pouvoirs : presse, radios, télés, universitaires, artistes, spécialistes, leaders d’opinion en tout genre, etc. Nous ne reviendrons pas ici sur ce matraquage, qui nous aura au moins rappelé ce qu’est la vraie nature de la propagande d’Etat dont certains pouvaient penser qu’elle était l’apanage des régimes totalitaires.

Mais leurs combines n’ont pas fonctionné... Chacune de leurs déclarations, de plus en plus crispées, hargneuses et malhonnêtes, ne faisait d’accroître le rejet dont elles étaient l’objet et que confirmer le rejet dont la classe politique comme les médias étaient de plus en plus l’objet depuis quelques années. Et même si l’on peut être sceptique quant à l’approfondissement ultérieur de ces critiques, cela fut fort réjouissant.
L’un des arguments avancés par les ouistes du PS pour démolir le non est que ce dernier fut multiple et contradictoire. Et, logiquement, ils ne veulent pas reconnaître que leur oui fut tout aussi contradictoire et multiple, entérinant ainsi le fait que les différences entre eux et l’UMP sont devenues quasiment nulles (ce que pour notre part nous affirmons depuis bien longtemps) !
Si, bien entendu, il existe une dimension de repli, de frilosité, exprimée par le non, que dire du oui, qui s’est enfermé dans une vision du monde parfaitement finie et close ? Une vision collée au « politiquement correct », qui considère que notre système est le meilleur et qui délimite le monde à un horizon borné par la suffisance de sa supériorité économique et institutionnelle ? Un horizon de « petit-bourgeois » qui ne voit le monde qu’à son image et qui veut tout uniformiser (puisque c’est le meilleur système !).

Contrairement à ce qui a été parfois affirmé, les échos xénophobes n’ont pas été présents de manière forte dans les campagnes pour le non. Même le FN a été à ce propos remarquablement discret. Cela ne signifie pas, bien sûr, que l’important fonds xénophobe qui existe depuis plus d’un siècle au cœur de la société française a disparu ni même diminué ! Simplement, il a trouvé moins de possibilités de s’exprimer dans un débat dont le contenu est majoritairement apparu comme une critique (même partielle !) du libéralisme et une réémergence du « social » (même si majoritairement dans une perspective étatiste). Contrairement à certaines élections précédentes, comme celle du 21 avril 2002, ce n’est pas l’insécurité qui a dominé les débats pendant la campagne électorale, ce sont les questions économiques et le libéralisme.

Le capitalisme n’est pas réformable

Mais le non de gauche reste prisonnier de sa logique institutionnelle et de sa croyance que l’on peut réformer le capitalisme.

Les Verts sont devenus au fil des ans un parti institutionnel composé en grande partie d’élus locaux qui ne peuvent se permettre d’abandonner cette fameuse « culture de gouvernement » chèrement acquise. Or ils ne sont, dans la plupart des cas, pas en mesure de conserver par eux-mêmes des élus qu’ils ne doivent qu’à la bonne volonté et aux calculs du PS. Ce qui ne peut que les conduire à accepter une nouvelle version de gauche plurielle, en dehors de toute considération idéologique ou éthique. Les clivages entre les ouistes et les nonistes verts laissera des traces seulement sur la question de savoir qui va diriger le parti pour mener la seule ligne possible : composer avec le PS.

Le PC a surfé habilement sur la vague du non, mais lui aussi a besoin, plus que jamais dans son histoire tumultueuse, et plus que les Verts sans doute, de se cramponner à cette culture de gouvernement. Certes la tentation de rompre avec la gauche institutionnelle est présente chez une partie de ses membres, mais l’impossibilité qu’il aurait de coiffer efficacement l’« autre gauche » (LCR, attac et autres...), laisse peu d’espace crédible à la tentation d’œuvrer à la construction d’une nouvelle force autonome à l’extrême gauche. C’est donc bien, là encore, la reconstitution d’une néo-gauche plurielle qui sera négociée, pour la survie même de l’organisation. Mais avec une légitimité et une force plus importantes puisque dans le camp des vainqueurs.

Pour les Verts comme pour le PC il s’agira d’arracher à un PS affaibli, des concessions sous forme d’élus plus nombreux que dans la défunte gauche plurielle. A ce jeu le PC sera plus crédible et offensif que les Verts considérablement déchirés une fois de plus.

Fondamentalement il faut s’attendre à ce que les partis ou mouvements qui ont composé l’épine dorsale du non s’emploient davantage à organiser une réconciliation citoyenne au lieu d’œuvrer à l’élargissement des fractures de classe. Cela est d’abord vrai pour les nonistes du PS, bien sûr, mais aussi pour attac, les Verts et même le PC. Quant à la LCR elle sera prise une nouvelle fois dans une contradiction qui consiste à opérer un va-et-vient entre un discours teinté de classissisme révolutionnaire et une stratégie d’unité avec les partis de gauche réformistes.

C’est que, tout comme l’étaient et le sont toujours les classes moyennes, le citoyen est un Homme totalement abstrait. Il correspond à... une moyenne inexistante, un être hybride allant socialement du cadre supérieur, à l’immigré clandestin, de l’artiste grassement payé au balladin intermittant. C’est pourquoi on peut dire que les mouvements citoyens, comme l’idéologie du même nom, ont remplacé, dans le champ politique, la tentative avortée des années 70 de crééer un mouvement centriste dont Giscard fut l’emblème et Bayrou l’avorton. Ces mouvements citoyens, même teintés d’humanisme et d’antimondialisation, ne sont pas à même de prolonger les symtômes positifs du référendum en ce sens qu’au lieu d’approfondir les antagonismes de classe il voudront les combler en remettant sur la scène ces citoyens et citoyennes abstraits, et ce, avec l’aide des nouveaux syndicats apparues depuis une quinzaine d’années.
Ils feront une nouvelle fois appel à la raison, au bon sens des décideurs, à l’esprit citoyen pour tenter d’adoucir les rapports sociaux et obtenir des mesures plus justes. Le cadre de leurs revendications, aussi respectables soient-elles, c’est l’Etat. Leur objectif ? Un Etat « social » et « providence ». Mais l’Etat, par définition, est toujours lié au Capital.
Or, un capitalisme raisonnable ça n’existe pas. Le capital s’investit toujours là où le profit peut être maximum et il en sera toujours ainsi tant qu’il sera debout. Ne pas affirmer haut et fort cette évidence au prétexte que la révolution n’est pas à l’ordre du jour, ni même dans la tête d’une minorité significative d’esprits, ramène inévitablement à une impasse, à une politique démagogique et finalement au renforcement du système actuel.

La voie étroite des perspectives

Pour autant, rien n’est simple ! Deux erreurs sont à éviter.
L’une, que la satisfaction vis-à-vis des résultats du référendum et des résistances qui l’ont précédés nous illusionnent sur les capacités et l’efficacité des regroupements et des recompositions à venir. Que l’on oublie que les Mélanchon, Fabius, Montebourg et autres sont des nationalistes qui œuvreront à réintégrer la constestation au sein même du système. Que l’on oublie que nous n’avons pas assisté à une rupture avec le capitalisme et qu’une telle rupture ne peut provenir d’un résultat électoral.

L’autre serait de se complaire dans un strict repli critique qui se contenterait de décortiquer et d’analyser chaque élément du puzzle politique qui s’étale devant nous, avec justesse peut-être, mais d’une manière si froide et lapidaire qu’elle interdirait en définitive toute perspective de pratique sociale.

Entre les deux, la voie est étroite, mais sans doute empruntable.


JPD

COGEMA-AREVA EN CORRECTIONNELLE

Pour la première fois de son histoire, la COGEMA (devenue AREVA) passait en procès en correctionnelle le 24 juin dernier, accusée des délits de pollution des eaux et de dépôt et abandon de déchets. Il s’agissait de l’aboutissement d’une procédure menée depuis six ans par la petite association Sources et Rivières du Limousin contre la multinationale du nucléaire.
Malgré une mobilisation modeste, ce procès a eu un retentissement médiatique assez important. Suffisant en tout cas pour donner des sueurs froides aux élus locaux complices de COGEMA.




Histoire d’une pollution

COGEMA a exploité les gisements d’uranium du nord de la Haute-Vienne (secteur de Bessines en particulier) pendant cinquante ans de 1949 à 2001. L’exploitation a eu lieu en surface (à ciel ouvert) et en galeries souterraines. Cette exploitation a conduit à stocker des stériles et des boues résultant du traitement du minerai (des dizaines de millions de tonnes) en comblement d’excavations et de vallées.
L’abandon des premières mines intervient dès les années quatre vingt ; des arrêtés préfectoraux imposent un réaménagement des sites d’exploitation et une surveillance de l’environnement. En 1993 un rapport commandé par le Ministère de l’environnement insistait sur les dangers liés au stockage de résidus radioactifs, notamment le caractère aléatoire de mesures de précaution alors même que certains déchets avaient une durée de vie très longue.
Sur la pression des associations, le Conseil Général de la Haute-Vienne et du Conseil Régional du Limousin commandent une étude à la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la radioactivité). Celle-ci dresse, dans un rapport rendu en février 1994, un premier bilan de l’impact des activités minières sur le milieu aquatique. Ce rapport ne connaîtra aucune suite particulière, ni de ses commanditaires, ni des diverses administrations compétentes, en dépit de la preuve de multiples délits de pollution de la part de l’exploitant, ainsi qu’une défaillance coupable de l’administration.
En 1995, Sources et Rivières du Limousin, une association de la protection de l’environnement dont l’objectif est la connaissance et la préservation de l’eau et des écosystèmes aquatiques, décide, face à l’inertie générale, de donner suite à ce constat. Elle engage un processus de contrôle de l’état des eaux sur plusieurs points significatifs du bassin. Elle renouvelle l’opération en 1996 et 1997. Les analyses confirment un niveau de radioactivité important et également une pollution chimique.
A l’automne 1998, alors que depuis plusieurs années des associations (et en particulier l’OAL – Organisation Anarchiste de Limoges) annonçaient qu’il devait être gravement pollué, intervient la vidange du lac de St Pardoux (pôle touristique du département). Le Conseil Général, gestionnaire du site, accepte de faire réaliser une étude, espérant démontrer le contraire. L’analyse des boues et de poissons fait apparaître une radioactivité importante et une teneur significative en uranium 238 dans les sédiments. Plusieurs rapports, notamment de la CRIIRAD confirment cet état des lieux et les rapports et analyses déjà intervenues. Pour rassurer les populations et préserver l’activité touristique à court terme, les autorités publiques décident de recouvrir les boues polluées d’une couche de sable d’une vingtaine de centimètres, rien n’est prévu pour éliminer les causes des pollutions. Les matières radioactives, charriées par les ruisseaux (et en particulier le Ritord) traversant les anciens sites miniers continuent de s’accumuler dans le lac. La Gartempe entraîne les déchets du secteur de Bessines jusque dans le département voisin de la Vienne.
En janvier 1999, lors de l’enquête publique relative à la mise en conformité du périmètre de protection de la retenue du Mazeaud (l’une des réserves d’eau de la ville de Limoges), le commissaire enquêteur diligente une expertise sur le ruisseau du Marzet où se jettent des eaux provenant de l’ancien site minier « Les Gorces-Saignedresse ». Le rapport du Pr. Mazet, souligne par exemple que les installations devant servir à l’épuration des eaux du bassin minier sont «hors d’usage ». Le préfet, comme COGEMA, nie tout risque et toute pollution. Néanmoins le préfet prend un arrêté imposant à COGEMA de dévier les eaux d’écoulement des mines pour contourner la réserve d’eau potable de la ville de Limoges et les déverser en aval dans la petite rivière La Couze, considérant le niveau de dilution de la pollution suffisant. Il demande enfin un contrôle renforcé sur ce secteur.

La mise en route de l’action en justice

C’est en mars 1999 que Sources et Rivières du Limousin décide de déposer une plainte avec constitution de partie civile contre COGEMA auprès du Tribunal de Grande Instance de Limoges pour :
- pollutions (articles L 432.2 et s et L 232.2 et s. du code de l’environnement.)
- abandon de déchets ( Art. 24.1 et 24-3° de la loi déchets du 15 juillet 1975 devenu L541.46 et L 541.47 c. env.)
- mise en danger d’autrui ( L 223.1 et 2 du Code pénal)
Le parquet de Limoges instruira sur ces trois chefs d’accusation. Le juge a entendu l’association plaignante, a convoqué la Présidente de COGEMA (A. Lauvergeon) ainsi que les administrations concernées (DDASS et DRIRE). En mars 2002, Sources et Rivières du Limousin est rejointe par la fédération France Nature Environnement qui se constitue également partie civile au procès. Ces associations sont épaulées dans leurs démarches judiciaires par des juristes issus du département « droit de l’environnement » de la faculté de droit de Limoges
En septembre 2002, après un peu plus de trois ans d’instruction, le juge d’instruction de Limoges décide de mettre en examen COGEMA. Le 13 mai 2003, le Procureur de la République près le TGI de Limoges requiert un non-lieu en s’appuyant sur un rapport fourni par la DRIRE (Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement) qui dédouanait complètement COGEMA de sa responsabilité. Evidemment, après avoir fermé les yeux pendant des années, la seule possibilité pour cette administration (qui défend l’industrie au détriment de l’environnement) était de continuer à affirmer qu’il n’y avait pas de pollution.
Le 18 août 2003, le juge d’instruction prend une ordonnance de renvoi de COGEMA (AREVA) devant le Tribunal Correctionnel de Limoges afin qu’elle y réponde des délits de pollution d’eau et d’abandon de déchets. Son courage ayant des limites, il n’a pas retenu la « mise en danger de la vie d’autrui », comme si la pollution radioactive n’avait pas de conséquences mortelles ! Le jour même le parquet fait appel de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, en saisissant la chambre d’instruction de la Cour d’Appel de Limoges.

Les complicités administratives et politiques

COGEMA, affirme avoir toujours respecté les arrêtés préfectoraux ainsi que la réglementation et s’être soumise aux contrôles de la DRIRE. Le 20 octobre 2003, Sources et Rivières du Limousin demande à la DRIRE de lui communiquer les contrôles effectués sur l’exploitant COGEMA au cours des dix dernières années. En l’absence de réponse de la DRIRE dans les délais, l’association saisit la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) et menace ce service de saisir le Tribunal Administratif en cas de non-communication. Des documents sont enfin envoyés révélant que la DRIRE s’est toujours appuyée sur les analyses de COGEMA pour valider ses informations, la DRIRE n’ayant pas procédé elle-même à l’examen de l’état des eaux ou de la nature des produits stockés sur le bassin minier.
En décembre 2003 et janvier 2004, le préfet de la Haute-Vienne prend des arrêtés imposant à la COGEMA de sécuriser le lac de St.-Pardoux, en contrôlant les pollutions issues du bassin minier et d’établir un bilan de la situation réglementaire et des conditions de réhabilitation des différents sites miniers dans le nord de la Haute-Vienne. Même s’il se réserve le droit de demander une expertise indépendante (dans le futur…), le préfet, comme le faisait la DRIRE, confie à la COGEMA un auto contrôle qui lui permettra de confirmer ce qu’elle énonce toujours, c’est à dire qu’elle respecte les normes et qu’il n’y a pas de pollution.
Si l’administration est complice de la COGEMA, les élus locaux socialistes (maires et conseillers généraux) le sont tout autant. Certains ont été salariés de la COGEMA, d’autres ont bénéficié personnellement ou ont fait bénéficier leur entourage ou leur commune (musée de minéralogie) des « largesses » de la multinationale. D’autres engagés dans l’opération de développement touristique du site de Saint-Pardoux ne peuvent supporter de voir son image ternie par les déclarations d’écologistes ou les tracts de l’OAL Très récemment le conseiller général présidant l’établissement public (EPIC) du lac de Saint-Pardoux écrivait dans la presse locale que « les intégristes de l’écologie (…) prennent en otage la population locale et les touristes (…) sont « les assassins » de notre tourisme et de notre environnement alors qu’il n’y a aucun risque ». Il ajoutait qu’il envisageait « de porter plainte un jour pour diffamation et fausse nouvelle ». En tout cas pour l’instant, c’est COGEMA qui fait l’objet d’un procès.

Le renvoi en correctionnelle

Le 26 mars 2004 la Chambre d’instruction de la Cour d’Appel de Limoges rend un arrêt historique contre COGEMA, en confirmant son renvoi en correctionnel. Ce renvoi est très intéressant dans ses arguments et ne fait aucune concession à la multinationale en relevant :
- « L’affirmation selon laquelle la COGEMA respecterait les prescriptions techniques qui lui ont été imposées de même que les normes applicables, est contredite par de nombreuses pièces du dossier. »
- « Des charges existent donc permettant de conclure à la gestion techniquement non réglementaire des activités de la société COGEMA. »
- « Le fait, comme le relève le ministère public, que ces dépassements n’aient pas donné lieu à l’établissement de procès-verbaux d’infraction par la DRIRE ne signifie pas qu’ils sont conformes aux prescriptions, mais plutôt que cette dernière n’a pas exercé son pouvoir de contrôle de manière complète. »
- « Comme l’ont souligné les parties civiles, cette pollution est aussi caractérisée en matière chimique puisque la présence de produits absents naturellement dans les eaux a été démontrée à l’aval des sites dans les eaux. La présence de fluorures démontre, par exemple, les conséquences directes d’une exploitation minière. Rappelons que certains des sites incriminés abritaient également des installations de traitement du minerai par attaque acide. Un certain nombre de substances chimiques se retrouvent ainsi dans les résidus de traitement de minerai enfouis dans les sites. Que cette activité soit autorisée ne libère en aucun cas l’exploitant de son obligation de résultat quant à l’innocuité de cette activité pour l’environnement. »
- « - La COGEMA a réalisé d’importants profits avec l’exploitation du minerai d’uranium. Il apparaît socialement normal que le coût environnemental de cette activité ancienne ne soit pas supporté par les habitants du Limousin. Il revient à la COGEMA de résoudre les problèmes de dispersion révélés par les différentes études. La réalisation de ces diverses infractions a permis à la société COGEMA de réaliser des économies sur les coûts d’exploitation du site, réduisant à minima ses frais d’investissement et d’entretien des infrastructures techniques de dépollution (lesquelles sont à l’évidence rudimentaires, et constituent pour l’essentiel des bassins de lagunage des eaux d’exhaure). »

Le procès du 24 juin

Dans une ultime tentative d’échapper au procès, la COGEMA se pourvoit en Cassation contre l’arrêt de la Cour d’Appel de Limoges. Le 4 novembre 2004, la Cour de Cassation déclare irrecevable le pourvoi formé par COGEMA, confirmant ainsi la décision de la Cour d’Appel de Limoges et le renvoi devant le tribunal correctionnel de Limoges pour les délits de pollution des eaux et dépôt et abandon de déchets.
Ce procès était annoncé comme un « procès historique » puisqu’il s’agissait pour la première fois de la mise en examen pour pollution de ce géant du nucléaire. Les associations et partis soutenant l’action de Sources et Rivières du Limousin (Réseau sortir du nucléaire, Maison des Droits de l’Homme, Verts, LCR) avaient essayé de mobiliser, mais il n’y avait qu’une centaine de personnes pour pique-niquer face au tribunal. Ce n’est pas surprenant lorsqu’on se limite à un travail d’expert et ne destine ses réflexions qu’au milieu militant.
La presse locale et nationale était présente mais avec des attitudes très différentes. Si L’Echo, proche du PC, a choisi de ménager la chèvre et le chou (ce qui est nouveau, car il y a quelques années il prenait systématiquement la défense de COGEMA et de ses travailleurs syndiqués CGT), Le Populaire, d’origine socialiste, trouvait « Sources et Rivières, bien seule… » et semblait soulagée de voir que les arguments de la COGEMA étaient repris par le procureur. La palme de la soumission aux nucléocrates pouvait être décernée ce jour-là au Monde qui avait refusé de passer un article « en amont » du procès de sa correspondante locale et publié un cahier central de 4 pages de publicité pour AREVA.
Le procès lui-même qui a duré une journée a consisté essentiellement en un débat d’experts scientifiques et juridiques. Sources et Rivières du Limousin n’était pas complètement seule puisqu’elle était appuyée par la CRIIRAD qui a confirmé les études passées par de nouvelles analyses. "Début 2005, les résidus radioactifs sont toujours là, a témoigné, vendredi 24, Bruno Chareyron, ingénieur à la CRIIRAD, la situation n'a pas changé." Par contre, il est vrai qu’elle avait face à elle non seulement COGEMA-AREVA et ses huit avocats, ainsi que la DRIRE, mais également le procureur de la République de Limoges. Après ce débat très technique, où chaque camp s'est opposé une série de chiffres, d'analyses, de normes et de décrets, il a considéré que les arguments des écologistes n’étaient que des hypothèses et en a conclu que « dès lors que la personne poursuivie a respecté la réglementation, l’élément moral de l’infraction litigieuse ne saurait être établi ». En conséquence, il n’a pas requis de peine et a préféré s’en « remettre à l’appréciation du tribunal ». Le jugement a été renvoyé au 14 octobre.

Les enjeux

Ce procès est intervenu dans un contexte où la mobilisation locale contre le nucléaire est très faible. La date éloignée du jugement a sans doute été choisie pour calmer le jeu. Pourtant les enjeux sont de taille. Ce procès, s’il ne s’était pas enferré dans un débat technique aurait dû faire apparaître plusieurs points :
- la nécessité d’identifier précisément l’état des lieux des pollutions sur l’ensemble de l’ancien bassin minier (et non seulement sur quelques points sensibles) ;
- la nécessité de procéder à une étude sanitaire des conséquences de cette pollution sur la population, en matière de cancers et de leucémies en particulier ;
- l’obligation de mise en sécurité des populations vivant sur le secteur minier, mais aussi de l’ensemble des espèces et des écosystèmes ;
- l’utilité d’instaurer enfin un débat sur les conditions d’exploitation minière en Limousin pour identifier les responsabilités industrielles, administratives et politiques de cette pollution ;
- la nécessité de faire payer à l’exploitant les coûts correspondant à l’ensemble des opérations de surveillance et de mise en sécurité. Cela permettrait d’intégrer au plan national tous les coûts de la filière nucléaire, y compris ceux résultant des conditions d’exploitation des mines, et de démontrer que le nucléaire n’est ni écologiquement ni économiquement viable ;
- la nécessité de faire cesser au niveau national et international les exploitations des mines d’uranium, et en première urgence dans les pays comme le Niger où elles se font dans le plus grand mépris des normes minimales de sécurité ;
- et finalement l’urgence de l’arrêt immédiat du nucléaire.
Les écologistes « responsables » n’ont pas tort d’attaquer aussi la filière nucléaire par cet aspect de l’exploitation minière et des déchets qui en résultent, mais en restant dans les débats d’experts ils nous condamnent encore pour des décennies à devoir espérer une sortie progressive du nucléaire…
Limoges

LE PRINTEMPS ROUGE DE LIMOGES

En 1990, les éditions Belin et Souny publiaient conjointement le livre "Limoges la ville rouge, Portrait d'une ville révolutionnaire", écrit par l'historien américain John M. Merriman. Ce livre était la traduction de sa thèse publiée quelques années auparavant par Oxford University Press.

"Au 19e siècle, écrit J. Merriman, c'était Limoges et non Paris, qui était la ville rouge. De toutes les autres villes, seule Narbonne, moins importante, se trouvait aussi régulièrement à l'avant garde de tous les conflits politiques et sociaux. Le rôle de premier plan joué par Limoges dans les mouvements d'extrême gauche de 1848 n'est qu'un des réveils révolutionnaires parmi d'autres ; sa tradition militante va de 1830 à 1871, et après les deux décennies relativement calmes qui suivent la Commune, elle connaît un nouvel élan avec la municipalité socialiste de la Belle Époque (1895 - 1905) quand les conflits politiques semblaient faire partie de la vie quotidienne : en 1905, une série de grèves et de manifestations violentes (…) mettent de nouveau Limoges à la une de l'actualité et sont comme le signal des mouvements de grève qui vont se répandre partout en France les deux années suivantes."

La transformation de la manufacture en usine

Cette année, le centième anniversaire des évènements de 1905 à Limoges a été l'occasion de revisiter cette histoire constituante chez les vieux militants ouvriers de cette identité de "ville rouge".
Limoges, à partir de la deuxième moitié du 19ème siècle connaît une expansion rapide. La population passe de 42 000 habitants au début du Second Empire à 90 000 en 1905, sous l'effet de l'avènement de la grande industrie, notamment la porcelaine et la chaussure. En 1897, deux lignes de tramways relient les quartiers neufs aux vieux noyaux urbains et aux bords de Vienne. La porcelaine est l'industrie emblématique. Les peintres en sont la figure dominante, au niveau de la classe ouvrière. Oui mais voilà, au niveau des patrons, les figures emblématiques sont les frères Haviland, Charles et Théodore, citoyens américains ayant chacun leur usine. Ces quakers ont développé l'industrie de la porcelaine avec des méthodes de rationalisation importées des États Unis. Le taylorisme, en cette fin de 19ème, attaque directement les métiers emblématiques de cette industrie qui emploie 13 000 personnes en 1905. Limoges, à ce moment-là, compte 32 000 ouvriers salariés pour une population d'un peu moins de 100 000 habitants. Dans ce contexte, le peintre sur porcelaine est devenu davantage un rouage dans une chaîne de production qu'un artiste indépendant, pouvant se payer une personne pour lui faire la lecture pendant son travail comme un demi siècle plus tôt. Sa formation est beaucoup moins poussée. On lui demande simplement de savoir reproduire en série des modèles qu'on lui impose.. Les tâches les plus ingrates sont attribuées à des journaliers recrutés dans la masse des migrants, parfois logés par les patrons dans des dortoirs très sommaires. L'autre aspect de la transformation de la manufacture en usine, c'est l'entrée des femmes dans ce système du salariat. A Limoges, en 1905, elles représentent 21 % de la main d'œuvre des grandes firmes. Elles sont particulièrement exposées aux mauvaises conditions de travail : les espaceuses inhalent les poussières des pièces époussetées après leur cuisson, les décalqueuses respirent les effluves toxiques des poudres et des vernis. Dans les ateliers de décor, elles représentent 50 % des emplois mais leurs salaires sont de trois à six fois inférieurs à celui d'un peintre qualifié.

Une augmentation des luttes sociales

Avec la rationalisation qui déqualifie pour mieux dominer, s'impose une discipline plus stricte. Le patron devient plus distant. Il s'incarne à présent dans les directeurs assistés par des contremaîtres. jusque là, les ouvriers avaient su se ménager des espace de relative liberté, notamment en préservant la maîtrise de la circulation entre le dedans et le dehors de l'usine. L'irrespect des horaires était généralisé. On allait et venait en fonction des besoins. Vers les onze heures, les femmes allaient préparer le repas. Avec la rationalisation, l'usine est clôturée. Les entrées et les sorties sont filtrées. Une sirène dicte le commencement et la fin du travail. Des règlements stricts organisent la vie de l'usine. Tout cela est très mal vécu par la population ouvrière.
Ces nouvelles conditions de travail entraînent une augmentation des luttes sociales. Celles-ci atteignent leur apogée, en nombre et en intensité, en 1905. Une vingtaine de conflits éclatent cette année là, dont huit dans la chaussure et sept dans la porcelaine. Ces grèves ne portent pas sur les salaires mais sur la contestation de l'autorité du patron ou de ses représentants. les ouvriers limougeauds ont atteint un bon niveau d'organisation qui leur confère une force avec laquelle le patronat est obligé de composer. Depuis 1895, les syndicats de Limoges, incorporés dans la CGT en septembre, disposent d'une bourse du travail.. En 1905, 37 des 50 syndicats fondés à Limoges y sont affiliés. Cela représente un effectif de 3 500 adhérents sur le 4 000 syndiqués que comptent alors Limoges. dans ce contexte, la ville est gérée par des socialistes, depuis 1895. La mairie subventionne la bourse du travail, soutient financièrement les caisses ouvrières de chômage, encourage la création d'écoles et de crèches, de cantines scolaires et institue des "fourneaux économiques" à destination des plus défavorisés.
En 1901, les socialistes révolutionnaires prennent le contrôle de la bourse du travail. En 1903, le nouveau règlement de la bourse se réfère explicitement à la notion de lutte des classes. Un comité de grève clandestin y siège en permanence. Il fonctionne comme une société secrète ouverte aux "bagnards de la fabrique". Il prône le sabotage et encourage à mener des expéditions punitives contre les chefs trop zélés. A St-Junien, l'autre ville ouvrière du département, les anarchistes contrôlent le syndicat des gantiers, industrie principale de cette ville. En 1902 et 1903, s'y succèdent des assauts d'usines, des chasses aux "jaunes" et des affrontements avec les forces de l'ordre.

Le chef, voilà l'ennemi

Dans ce contexte, que s'est-il passé en 1905 à Limoges ?
Le 27 mars, trois peintres de l'usine Théodore Haviland sont renvoyés. Cette mesure suscite la colère de leurs camarades. Le calme revient le lendemain avec leur réintégration. Mais deux jours plus tard, l'agitation reprend contre le directeur d'atelier, jugé trop autoritaire et à l'origine de ces licenciements. Mais là dessus, Haviland reste intraitable, estimant que son autorité de patron est en jeu. Le directeur d'atelier, lui, préfère partir pour Angoulême, estimant sa sécurité menacée à Limoges. Par ailleurs, les ouvrières l'accusent d'exercer à leur rencontre le droit de cuissage, symbole d'une autorité sans limite.
Mais depuis le début de l'année, d'autres conflits ont éclaté, prenant pour cible le personnel d'encadrement, notamment dans la chaussure. Ainsi peut on lire dans le Socialiste du Centre, du 2 avril 1905, l'organe local du parti guesdiste : "La guerre aux chefs, directeurs, est de partout ; partout, ils sont insupportables et veulent imposer leur morgue, leurs humiliations, mais aussi de tous côtés les ouvriers regimbent."
face à cette combativité ouvrière, le patronat s'organise. La question du pouvoir dans l'entreprise est posée par tous ces mouvements qui se succèdent. Il refuse de céder sur la question des contremaîtres et brandit la menace du lock out, dès le mois de mars. Aussi, le 13 avril, 23 patrons décident la fermeture de leurs usines, mettant le feu aux poudres.
Depuis février et mars, plusieurs usines et domiciles de patrons étaient assiégés, jour et nuit par les ouvriers. des membres de l'encadrement ont parfois été molestés. la presse de droite et les représentants de l'Etat s'inquiètent de tous ces incidents qui mettent en cause le droit de propriété. Les anarchistes sont stigmatisés : "Leur état d'esprit, écrit un commissaire de police, méconnaît tous droits de justice et tout parlementaire parlant au nom de l'autorité leur paraît grotesque. Ils agissent sous l'action dominante directe qui n'admet aucune entrave et méconnaît tout principe d'autorité."
La municipalité en appelle au calme et veut jouer un rôle de médiation. Mais pour les historiens actuels, deux éléments sont essentiels pour comprendre le déroulement des événements, c'est la culture antimilitariste et la culture anticléricale, communes aux socialistes révolutionnaires, aux anarchistes et aux socialistes réformistes (qui composent la municipalité). Des tracts antimilitaristes sont régulièrement diffusés dans les casernes de Limoges, entretenant un certain climat au sein de l'appareil militaire..
Le lock-out du 13 avril jette à la rue 10 000 ouvriers et ouvrières. Le lendemain, une manifestation, estimée à 10 000 personnes, parcourt la ville. Des incidents éclatent avec les jaunes. Haviland fait hisser le drapeau américain sur son usine. Deux jours plus tard, un millier de personnes envahissent l'usine Haviland et mettent le feu à sa voiture. Le préfet dessaisit le maire de ses pouvoirs de police et en appelle à l'armée. Des barricades sont érigées. Les premiers affrontements éclatent. Une armurerie est pillée et une bomber explose devant le domicile du directeur de l'usine de Charles Haviland. Le 17 avril, la tension remonte quand on apprend que quatre personnes ont été arrêtées. A 16 heures, un cortège se rend à la préfecture pour réclamer la libération des camarades emprisonnés. Le cortège grossit, entre 8 000 et 15 000 personnes. A 19 heures, le préfet annonce que les prévenus sont maintenus en détention. Un millier de personnes se rendent alors à la prison afin de les libérer. Ils parviennent à enfoncer la porte mais se retrouvent face aux soldats qui stationnent dans la cour. Les dragons chargent pour dégager la place. Des barricades sont dressées dans toutes les rues adjacentes pour faire face aux charges de cavalerie. le commandement militaire fait alors donner l'infanterie. Les fantassins reconquièrent l'une après l'autre toutes les barricades. Les manifestants se replient dans un jardin public dont les terrasses dominent la place qui est devant la prison. Les soldats font alors usage de leurs armes, sans sommations. Un jeune ouvrier porcelainier est tué. Le 19 avril, une foule estimée entre 10 000 et 40 000 personnes accompagne la dépouille de Camille Vardelle de son domicile au cimetière.

La fin d'un cycle

Le 21 avril, la défaite des ouvriers limougeauds est officialisée par un accord avec les responsables patronaux. Celui-ci stipule que les ouvriers reconnaissent la liberté du patron quant à la direction du travail et aux choix de ses préposés.
D'après Merriman, la défaite des ouvriers de Limoges, en 1905, marque la fin d'un cycle, avec le renoncement à la révolution et le commencement de l'intégration de la classe ouvrière, avec l'acceptation des règles du jeu. A Limoges cela se traduira par la reconquête de la municipalité par les socialistes réformistes après une parenthèse de quelques années. Ce socialisme municipal va alors s'appuyer sur les organismes coopératifs et mutualistes et développer les structures municipales d'aide sociale.
"A l'ombre du beffroi, écrit l'historienne Michèle Perrot, commence un long mouvement d'intégration qui se poursuivra dans l'hémicycle parlementaire. Le citoyen se substitue au camarade, et les fanfares municipales remplacent les trompettes du jugement dernier."
A Limoges, un siècle plus tard, la ville est davantage tertiaire qu'ouvrière, le patronat de la porcelaine est toujours aussi arrogant mais il n'emploie plus grand monde, quand à nos socialistes, toujours à la direction des affaires, ils expulsent allègrement les squatters, continuent de détruire tout ce qui rappelle la mémoire ouvrière et même vendent avec l'assentiment de leurs alliés communistes, une partie du patrimoine municipal à des fonds d'investissement. Les socialistes locaux font table rase du passé afin de mieux inscrire la ville dans la logique de l'accumulation. Leurs réseaux de pouvoir sont encore bien vivaces. Sur les décombres de l'une des usines Haviland s'est construit le commissariat central et sur celles de l'autre usine Haviland s'est érigé un centre commercial. Tout un symbole.
Christophe

Sources :

1905, Le Printemps rouge de Limoges Vincent Brousse, Dominique Danthieux, Philippe Grandcoing ; Culture et patrimoine, Limoges, 2005
Limoges la ville rouge, Portrait d'une ville révolutionnaire, John Merriman ; Belin/Souny, 1990
Le Limousin, terre sensible et rebelle, Collectif, Autrement, Mai 1995
Creuse Citron, journal de la Creuse libertaire, n°4, avril-juin 2005.

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