Courant alternatif no 152 octobre 2005

SOMMAIRE
Edito p. 3
PRÉCARITÉ
Campagne unitaire libertaire contre la précarité p. 4
IMMIGRATION
Chronique de l’été 2005 p. 5
La Suisse à l’avant-garde contre le droit d’asile p. 7
Livres p. 9
ECOLOGIE CRITIQUE
Contre la culture du risque p. 10
Bagdad-on-Missisipi p. 11
NUCLÉAIRE
Offensive d’EDF sur tous les fronts p. 13
Le capital privé arrive aux portes des centrales p. 14
La CGT et l’énergie p. 15
Mourir à Moronvilliers p. 16
Déchets nucléaires : une manif qui a servi à quoi ? p. 16
Hiroshima : un anniversaire toujours sans condamnations p. 17
INTERNATIONAL
Islande : Quel prix pour la prospérité économique p. 19
Palestine : Gaza après le retrait p. 21
Les truculences de Big Brother p. 24


EDITO

En période de tensions sociales, la technique de la diversion fait ses preuves. L’acharnement contre les étrangers, utilisés comme bouc émissaire, est même parfaitement proportionnel à l’ampleur des saloperies antisociales qu’un gouvernement souhaite faire passer contre la population. Le gouvernement a porté un coup sans précédent depuis plusieurs décennies contre le droit du travail en introduisant, entre autre, par ordonnance (et donc par la force), le contrat de nouvelle embauche. Il fallait donc une manœuvre de diversion à la hauteur de cette attaque. Car la meilleure attaque, c'est d'atomiser la société, de fragmenter le tissu social.

C'est le ministre de l'intérieur qui se charge des basses œuvres, en fixant aux préfets des objectifs : rafles, évacuation de squats ou d'immeubles insalubres (après des incendies spectaculaires), reconduites à la frontière de familles (il faut faire du chiffre) avec des charters communs à plusieurs pays européens (il faut frapper les esprits), … Les immigrés payent le prix cher de cette politique spectacle. Les dernières mesures prises à leur encontre ne visent pas tant à l'expulsion qu'au maintien des étrangers dans leur statut de clandestinité. Le but du jeu, pour la France, n'est donc pas tant de vider le pays des clandestins que de contrôler la circulation des migrants. Et surtout de réduire un peu plus chaque jour leurs droits. Corvéables à merci, expulsables après usages : tel est l'objectif visé.
Mais il arrive que des grains de sable viennent enrayer la machine. Et ces grains de sable sont de plus en plus nombreux. Lors de luttes individuelles et locales contre les expulsions, nombre de personnes découvre que les sans papiers sont aussi des voisins, des élèves, des copains de classe, et non les obscurs clandestins diabolisés par les médias. De plus en plus de monde est révolté par les méthodes policières appliquées dans la chasse aux sans papiers.

Et sur le terrain social, lorsque la tension est à son comble et que la "ligne jaune" est franchie par des salariés en lutte, on fait intervenir l'armée (par exemple le GIGN contre les syndicalistes qui s'étaient emparés du paquebot "Pascal Paoli" dans le conflit contre la privatisation de la SNCM). On parle alors d'actions terroristes. Alors que c'est le capitalisme qui terrorise chaque jour celles et ceux qui lui permettent, par leur force de travail, de perdurer : licenciements, délocalisations, remise en causes des acquis sociaux, précarisation de plus en plus accrue des salariés. Espérons que la journée d'action du 4 octobre ne soit pas qu'un coup d'épée dans l'eau, car les causes de mécontentement sont nombreuses : le contrat nouvelle embauche qui permet à un employeur de moins de 20 salariés de licencier sans motif pendant deux ans, sans que le salarié n’ait un quelconque recours ; l'amputation de 20, 50 puis 100 % des indemnités des chômeurs qui refuseraient un emploi "valable" ; le remplacement de courte durée dans l'éducation nationale ; les suppressions massives d'emplois tant dans le privé que dans le public (on a pu apparaître à la rentrée scolaire dans certains établissements des "kits de nettoyage" remis aux élèves internes pour effectuer le ménage que le personnel, en sous-effectif, ne peut plus assurer quotidiennement) ; de nouvelles attaques contre la sécurité sociale, …

Tsunami, cyclones, inondations… Il y a de plus en plus de catastrophes "naturelles". Mais qui ne sont pas plus "naturelles" que les maladies professionnelles, le cancer de l’amiante ou le stress de la vie de bureau ! Elles sont politiques et économiques. Elles mettent en cause le système actuel dans son ensemble, le productivisme forcené, l’extraction sans limite des ressources de la planète. Mais l’État ne reste pas sans bouger ! Il prend en compte ces "risques". C’est la "culture du risque", avec deux axes principaux : préparer les services de l’Etat et leurs larbins humanitaires à intervenir là où il y a un problème ; préparer les populations à l’éventualité des catastrophes. Car la culture du risque a surtout pour but de conditionner les populations à des catastrophes inouïes. Et quand, comme à la Nouvelle Orléans, les secours arrivent, ce n'est pas sous la forme de l’humanitaire (qui vient souvent prêcher l’attente et la soumission sur les terrains où la révolte est en train de germer), mais sous la forme du militaire. Tout cela avec un relent de racisme social et ethnique, les rescapés blancs "comme il faut" étant secourus et évacués avant les noirs, avant les pauvres…
L'Islande, avec la création de 5 barrages et du lac artificiel le plus grand d'Europe, ceci à fin de fournir de l'électricité pour le géant américain de l'aluminium, ALCOA, qui devrait y produire 322 000 tonnes d’aluminium par an, sera-t-elle, comme la France avec son énergie nucléaire, une "victime" prochaine de catastrophe naturelle ? Espérons que les manifestations et le mécontentement général de la population freinent sérieusement les ambitions les plus délirantes des capitalistes.
Enfin, que dire du retrait israélien de Gaza, sinon qu'il ne règle rien : la colonisation continue en Cisjordanie, le mur se construit. Des milliers d’hectares de terres agricoles ont été détruits par les forces d’occupation au cours des 5 dernières années. 60 % de la population de Gaza vit en dessous du seuil de pauvreté, le taux de chômage est estimé à 40 %. La population palestinienne s’est repliée sur le plus petit et le plus rétrograde dénominateur commun, à savoir la famille, le clan. Les groupes religieux radicaux ont pu bénéficier de ce terrain favorable pour ramener leurs discours obscurantistes. Alors, comme suite logique, une guerre civile ?
OCL Reims, le 30 septembre 2005

ECOLOGIE CRITIQUE: CONTRE LA CULTURE DU RISQUE

La culture du risque, un gadget idéologique ? Pas seulement. C’est ce qu’un État industrialisé comme la France utilise pour nous faire accepter comme “ catastrophes naturelles ” le cyclone à La Nouvelle-Orléans, les inondations dans le sud de la France et tout le cortège de désastres écologiques quotidiens dont les médias ne nous parlent jamais (construction de barrages, fuites de produits chimiques ou radioactifs, dégazage des pétroliers qui correspondent chaque année à environ cinquante marées noires, etc.). Ces catastrophes sont désormais expliquées, encadrées, bornées, contrôlées, gérées par la culture du risque. Une vaste escroquerie.


Un désastre chasse l’autre

Tsunami, cyclones, inondations… Il y a de plus en plus de catastrophes “ naturelles ”. L’État ne reste pas sans bouger ! Il prend en compte ces “ risques ”. C’est la “ culture du risque ”.
Dans la culture du risque, il y a deux axes principaux : préparer les services de l’Etat et leurs larbins humanitaires à intervenir là où il y a un problème ; préparer les populations à l’éventualité des catastrophes. Le premier axe est le mieux connu et les médias nous en rebattent les oreilles. C’est normal puisqu’il ne relève que de la logistique du pouvoir, qui s’incarne dans une multitude d’organismes, depuis la police, l’armée et les médias, jusqu’aux bons samaritains humanitaires qui viennent prêcher l’attente et la soumission sur les terrains où la révolte est en train de germer.
C’est le deuxième axe qui est le plus fondamental, en vérité. Car la culture du risque a surtout pour but de conditionner les populations à des catastrophes inouïes. Ce conditionnement est indispensable pour nous faire oublier les causes de ces catastrophes et nous ôter tout moyen de les dénoncer.
Le cyclone de La Nouvelle-Orléans est comme un cas d’école. Durant la semaine qui a suivi ledit cyclone, il n’y eut quasiment aucune intervention dans les médias les plus regardés et les plus écoutés sur le lien évident entre l’élévation de température de l’eau dans le golfe du Mexique qui est la cause fondamentale de la formation de ce terrible cyclone, et l’émission des gaz à effet de serre. Pourtant, les États-Unis sont les premiers responsables mondiaux de l’émission de ces gaz, avec 36 % à eux seuls, soit plus d’un tiers du total ! Ce sont ces gaz, tout le monde l’admet maintenant, qui sont les responsables fondamentaux du réchauffement général du climat.
Le phénomène El Niño augmente lui aussi d’ampleur au fil du temps du fait de l’élévation des températures. Cette élévation aboutit à ce que les eaux chaudes sont de plus en plus chaudes, sur une profondeur de plus en plus importante, jusqu’à 200 m dans le Pacifique au moment où se produit El Niño, c’est-à-dire vers la fin de l’année. Cela se traduit par un déficit pluviométrique en Indonésie et en Amazonie, tandis que d’autres zones sont victimes d’un rafraîchissement notoire des températures ayant de graves conséquences sur la subsistance des paysans. Dans le cas du cyclone de La Nouvelle-Orléans, il semble que les eaux du golfe du Mexique étaient chauffées sur une hauteur d’au moins 50 m, ce qui aurait provoqué la formation de la tempête.

Le conditionnement au désastre

Face à cela, les autorités françaises ont mis en avant leur “ culture du risque ”. “ Nous, au moins, en France, on sait ce qu’il faut faire. ” La preuve : quelques jours après le cyclone, vers Nîmes et Montpellier cette fois, les secours s’organisaient comme il fallait, à quelques bavures près (des trains arrêtés en rase campagne, une alerte orange qui aurait dû être rouge ou autres inconvénients mineurs comparés à la situation dans le Mississippi et en Louisiane). Aussitôt, politiciens et journalistes français d’entonner le chant patriotard de la culture du risque. C’est parce que nous aurions cette culture du risque que nous savons nous accommoder des catastrophes “ naturelles ”. Le discours est extrêmement net : il faut combattre les effets des errements de la nature. Pas leurs causes. D’ailleurs, le discours scientifique français est lui aussi sans ambiguïté à cet égard : la plupart des scientifiques, surtout institutionnels, sont les premiers à affirmer que “ nous ne sommes pas certains du lien de cause à effet entre les pollutions diverses et les dérèglements observés ” (depuis l’augmentation dramatique des cancers du sang ou de la thyroïde, par exemple, jusqu’à la répétition, selon des cycles de plus en plus brefs, des inondations, sécheresses et autres canicules). Ils nous ont déjà fait le coup avec le nuage radioactif de Tchernobyl, l’innocuité de l’amiante ou celle de l’insecticide Gaucho pour les abeilles, l’impossibilité de la dissémination génétique des OGM, etc., etc., car la liste de leurs mensonges est fort longue ! Pourtant, leur discours passe à peu près sans problème.
La culture du risque n’est qu’un nouveau pantin que les lobbies (industrie nucléaire, pétroliers, semenciers transgéniques, industriels de la chimie et l’ensemble des ennemis de cette planète) agitent devant les yeux ébahis des journalistes, qui s’émerveillent des prouesses des pompiers, que l’on invite à risquer leur vie pour une cause qui n’est pas celle qu’ils croient servir. Mais c’est un pantin tragique qu’il faut réduire en charpie.

Ces catastrophes ne sont pas naturelles

La nature n’est pas hostile à l’être humain. C’est l’inverse qui est vrai. L’humain moderne, mécanisé, chauffé, suréquipé en machines diverses, adepte de Marx comme de Bill Gates, a déclaré la guerre à la nature. Il s’est lancé à l’assaut de son environnement, sous la bannière flamboyante du Progrès, à l’enseigne du bidon de pétrole, de l’ordinateur et de l’épi de maïs transgénique.
La nature se défend comme elle peut. Il ne faudrait pas croire qu’il s’agit là d’une simple métaphore. La nature se défend car, jusqu’à la révolution industrielle, une sorte d’équilibre était plus ou moins respecté (plus ou moins, car l’équilibre parfait correspond à l’état de mort, et c’est un relatif déséquilibre qui permet, par exemple, l’évolution des espèces). La nature, donc, se défend comme un organisme touché par une maladie : elle s’exprime par des “ catastrophes naturelles ”, qui sont ses éruptions cutanées à elle. Mais qui ne sont pas plus “ naturelles ” que les maladies professionnelles, le cancer de l’amiante ou le stress de la vie de bureau ! Car la cause unique en est l’activité industrielle et agricole des êtres humains. Nous aurions tort de nous mettre à combattre les effets de ces dérèglements plutôt que de les soigner à la source. À chercher à en finir avec l’agriculture industrielle et toutes les industries.
Ces catastrophes ne sont donc pas naturelles. Elles sont politiques et économiques. Elles mettent en cause le système actuel dans son ensemble, le productivisme forcené, l’extraction sans limite des ressources de la planète, notamment en vue de produire toujours plus d’énergie pour alimenter des chimères comme le prétendu développement industriel de la Chine ou de l’Inde, qui, s’ils réussissent, scelleront, pour les peuples de ces pays, leur entrée dans la dictature de la consommation.
L’Etat français, lui, se glorifie de sa culture du risque, laquelle lui permettrait de ramasser vite fait bien fait les morts après un Tchernobyl à Nogent-sur-Seine ou à Civaux, en utilisant des combinaisons antiradioactivité hyperperformantes (nous serons les morts et nous serons aussi les pompiers en combinaison). Répondons-lui en donnant notre interprétation des catastrophes à répétition, de La Nouvelle-Orléans à Montpellier et à Nîmes.
Et anticipons. La culture du risque ne nous fera pas accepter de mourir pour le Capital, cette fois non plus dans les tranchées de Verdun ou sur le front des Dardanelles, mais sur le front bêtement intérieur d’une rivière en crue ou de maisons bon marché dont les murs vite faits mal faits ne permettent pas de supporter les canicules. Ou encore enveloppés dans un nuage radioactif invisible, ou un smog à la dioxine façon Seveso. La culture du risque est un de ces gadgets qui déplacent les problèmes, de la politique vers la gestion. En “ gérant les crises ” –expression magnifiquement contradictoire –, le pouvoir vise à nous faire oublier les responsabilités politiques des gouvernements qui se succèdent, de la droite aux Verts 1.
La perspective de catastrophes écologiques à répétition a ouvert ou va ouvrir une première brèche dans la culture du risque. Ces catastrophes répétées vont mettre en évidence l’idiotie qu’il y a à réparer la jambe de bois du malade, le capitalisme. Mieux vaut tuer le malade et repartir sur nos deux jambes ! À nous de montrer le non-sens de la “ culture du risque ”.
PG

1. Pour une analyse extrêmement incisive de la cécité des scientifiques français face aux pollutions diverses (nucléaires, pesticides, poisons divers comme l’amiante ou le mercure, solvants, etc.), voire l’excellent livre de Frédéric Denhez, Les pollutions invisibles, août 2005, éditions Delachaux et Niestlé. Ce livre fourmille d’informations extrêmement importantes. Même si la conclusion est un peu faible, le livre est à la fois inquiétant et passionnant.

ISLANDE: QUEL PRIX POUR LA PROSPÉRITÉ ÉCONOMIQUE ?

Les projets de « développement » capitaliste n’épargnent aucune parcelle du globe. Le gouvernement islandais vient ainsi de sacrifier la plus grande zone vierge d’Europe de l’Ouest pour la construction d’un barrage hydroélectrique pharaonique au seul bénéfice du géant américain de l’aluminium ALCOA. Au cours de l’été, l’Islande a connu une mobilisation et des manifestations sans précédent et, par voie de conséquence, une répression inhabituelle, dans un pays à la tradition politique plutôt consensuelle.


En Islande on n’a pas de pétrole, mais on a de l’eau et des montagnes en abondance. Depuis longtemps les autorités ont compris qu’elles pouvaient utiliser ces ressources naturelles inépuisables par la construction de barrages permettant d’assurer un approvisionnement en électricité bon marché. Jusqu’à maintenant cette électricité était essentiellement destinée à alimenter les besoins de la population pour un coût dérisoire et en évitant au pays de s’équiper de centrales thermiques ou nucléaires. Malheureusement, quelques vautours capitalistes ont compris qu’ils pouvaient également tirer de juteux bénéfices de ces ressources intarissables. Force est de constater que malgré le réchauffement de la planète, l’île n’est pas vraiment menacée par la sécheresse !

Le plus grand barrage d’Europe

L’industrie de l’aluminium est très gourmande en électricité en raison du procédé de fabrication par électrolyse. C’est pourquoi les usines sont implantées en priorité sur des sites où l’électricité est disponible à moindre coût, plutôt qu’à proximité des mines de production de bauxite. En France, on en sait quelque chose puisque Pechiney a ainsi largement contribué à la défiguration de quelques vallées alpines.
En réalité ce n’est pas un, mais 5 barrages qui sont en cours de construction depuis l’année 2003 sur les hautes terres du Nord-est de l’Islande, dont le plus haut d’Europe (190m) à Kárahnjùkar. La compagnie nationale d’électricité Landsvirkjun a ainsi décidé de s’associer à la multinationale américaine ALCOA pour l’édification d’un gigantesque complexe hydroélectrique uniquement voué à l’alimentation, à partir de 2007, d’une usine d’aluminium implantée dans la même région. Le fondeur lui-même sera construit par Bechtel - société multinationale, profiteurs de la guerre en Iraq - et polluera un fjord actuellement très beau et très pur à Reydarfjördur sur la côte Est du pays. La production électrique attendue sera de 4,5 giga watts heure (GWh), grâce à la puissance cumulée de trois grosses rivières glaciaires issues de l’immense calotte du Vatnajökull, le plus grand glacier d’Europe, dont la surface est équivalente à celle de la Corse. L’usine d’ALCOA devrait quant à elle produire 322 000 tonnes d’aluminium par an. L’ensemble de ce projet mégalomaniaque coûtera la bagatelle de 2,2 milliards de dollars provoquant le plus gros endettement de l’histoire de l’Islande, pays qui ne compte même pas 300 000 habitants.
La mise en eau de ces 5 barrages créera un des plus grand lac artificiel d’Europe avec 57 Km_, en engloutissant des paysages d’une beauté sidérante : canyon glaciaire, déserts volcaniques, vallées verdoyantes, domaine des rennes et de nombreuses espèces d’oiseaux. C’est une catastrophe écologique annoncée, notamment en raison de la fragilité et de la précarité des écosystèmes de cette région. N’oublions pas que l’Islande doit à la fois affronter les rigueurs du climat arctique et des manifestations volcaniques assez ravageuses : éruptions, tremblements de terre, coulées de lave, etc. Le domaine du haut plateau où se déroule ce carnage n´est pas entièrement désertique, comme certains veulent le faire croire. La végétation s´étend du pied du glacier jusqu´à la mer, ce qui est rare en Islande. De vastes étendues de verdure et de végétation seront inondées avec la construction de la centrale électrique. Et ce qui ne disparaîtra pas sous l´eau risque d’être détruit par l´érosion éolienne. La rivière glaciaire charrie des tonnes de sable très fin qui ira s´amasser sur les rives du lac. Balayée par le vent, ce sable se transformera en lame de rasoir sur les étendues de verdure. De même, une soixantaine de chutes d´eau et des terrains où se rassemblent des troupeaux de centaines de rennes et où nichent les oies à bec court vont être submergés. Cette région est située sur une ceinture volcanique encore active et témoigne d´une activité géologique unique comportant encore des marques de formation de la terre par la glace et le feu.
Le 1er août 2001, l’Agence nationale de planification d’Islande qui conseille les autorités en matière de développement urbain, économique et technologique prononçait son verdict : « les conséquences à moyen et à long terme du barrage sur l´écosystème islandais sont telles que nous désapprouvons le projet de construction ». Comme dans toute démocratie occidentale qui se respecte, lorsque des informations contraires à la bonne marche de l’économie sont révélées, elles sont gentiment enterrées. Le 20 décembre 2001, la ministre de l´environnement approuvait donc le début des travaux.

Comment faire passer la pilule

Dans le même ordre d’idée, le gouvernement s’est bien évidemment abstenu de consulter la population qui semble rejeter majoritairement le projet. Malgré l’opinion majoritairement défavorable des islandaises et des islandais, la mobilisation contre le barrage de Kárahnjùkar est restée très timide jusqu’à cet été. Quelques personnalités, dont les parents de la chanteuse Björk, se sont indignées de ce saccage de la nature. A l’image de leurs homologues européens, les responsables politiques ont bien évidemment brandi en réponse la promesse de la création d’emploi pour rendre plus alléchant le sacrifice. Sauf que dans un pays qui ne compte pas plus de 3% de chômeurs c’est un argument qui a du mal à convaincre ; d’autant plus que très peu d’islandais sont prêts à accepter les emplois proposés. Pour le moment c’est d’ailleurs majoritairement des ouvriers chinois, italiens et portugais qui ont été embauchés sur le chantier de Kárahnjùkar à des salaires bien plus faibles que les islandais. Ce fatalisme de la population s’explique surtout par les conditions historiques et économiques de la vie dans ce pays. Ce n’est que depuis quelques décennies que les islandais ont accédé à un niveau de vie à la scandinave, parmi les plus élevé de la planète. Auparavant ils subirent la domination Danoise pendant près de 600 ans. La survie des habitants a également été longtemps tributaire des conditions naturelles peu clémentes. Les cultures sont quasi inexistantes, et seul l’élevage de moutons et la pêche ont permis de se nourrir depuis le début de la colonisation au IXe siècle. En 1783, lors de la grande éruption du Laki(1), la quasi-totalité du cheptel a été décimée et la population islandaise a même failli disparaître dans la famine qui s’en est suivie. Aujourd’hui la prospérité de l’Islande repose essentiellement sur l’industrie de la pêche et sur les nouvelles technologies (développement de matériel de pointe dans le domaine de la pêche). Mais les cours du poisson sont très instables et les ressources halieutiques se raréfient. Dans ce contexte, il est logique que les promesses de développement et de diversification économique, même les plus faramineuses, remportent peu d’opposition en utilisant la peur du retour aux périodes sombres de l’histoire de l’île.

Une mobilisation sans précédent

Les écologistes islandais ont commencé à s’énerver sérieusement contre le mépris évident affiché par le gouvernement, alors que les travaux du barrage étaient déjà largement entamés. Depuis cet été les actions de protestation ont pris une tournure assez inhabituelle dans un pays habitué au consensus politique et qui n’a quasiment jamais connu de mouvements sociaux au cours de son histoire.
Le 14 juin 2005, lorsque la conférence mondiale des producteurs d'aluminium s'est ouverte à Reykjavik, des manifestants ont jeté des yaourts colorés de vert sur les délégués en disant qu'ils voulaient ainsi couvrir leur vandalisme écologique. Mais c’est surtout sur le lieu même de la construction du barrage que les opposants se sont rassemblés. Au début de l’été un campement international s’est organisé à Kárahnjùkar regroupant quelques dizaines de militants islandais, anglais et autres nationalités, malgré l’isolement géographique et les conditions météo assez éloignées de celle de la Côte d’Azur. Le 19 juillet ils firent une première incursion sur le chantier et bloquèrent les travaux pendant près de deux heures en s’enchaînant aux camions et aux bulldozers avant de se faire déloger par la police. Une seconde action de blocage de plus grande ampleur eut lieu le 27 juillet. Plus d’une vingtaine de militantes et militants s’introduisirent sur le site pendant la nuit et s’enchaînèrent aux engins de construction. Un peu moins patiente que la première fois, la police ordonna aux conducteurs de mettre en route leurs machines… Par chance il n’y eut pas de blessé, mais la police arrêta une vingtaine d’activistes de manière assez brutale. Ils furent relâchés après quelques heures de garde à vue. Enfin, le 4 août une action se déroula sur le chantier de construction de l’usine d’aluminium dans le fjord de Reydarfjördur. Dans les jours qui suivirent le gouvernement islandais ordonna l’expulsion de 21 manifestants étrangers. Dans les rues de Reykjavik, la police s’engagea alors dans une véritable chasse aux militants en arrêtant tous les individus qui ressemblaient à des activistes écologistes.
En dépit de la douche froide de la répression, la mobilisation n’a pas faibli puisque de petits groupes informels se sont également emparés de cette lutte. Le 26 août, trois personnes ont ainsi décroché le drapeau islandais flottant sur le toit des bureaux du gouvernement pour le remplacer par une banderole qui proclamait « Non à l’aluminium hydroélectrique ». Deux des trois trublions ont bien évidement été aussitôt arrêtés et interrogés par la police.

Les manifestations et les actions directes vont sans doute marquer une pause durant les prochains mois d’hiver. Mais d’ors et déjà les écologistes islandais appellent à de nouveaux rassemblements sur les différents chantiers (barrage et usine d’aluminium) au cours de l’été 2006. Du matériel de sensibilisation est en cours de préparation, dont un livre et un film en anglais. Nullement affectés par l’avancée irrémédiable des travaux, ils comptent ainsi attirer près de 1000 personnes l’été prochain. Si effectivement la mise en service du barrage de Kárahnjùkar et de l’usine ALCOA semblent inéluctables, il semblerait que le petit séisme provoqué par les manifestations de cet été et le mécontentement général de la population freinent sérieusement les ambitions encore plus délirantes des capitalistes islandais. Ceux-ci dans leurs rêves les plus fous, voyaient déjà l’île couverte de barrages exportant leur électricité en Europe par câbles sous-marins…

Tonio,
Paris, le 22 septembre 2005

Pour plus de précisions, sur cette lutte (photos, cartes, données techniques, etc.), pour suivre l’actualité de la mobilisation, notamment la préparation des manifestations de l’été 2006, il est possible de jeter un œil au site suivant : www.savingiceland.org ; Information en anglais, mais aussi quelques textes en français.
(1) Cette éruption serait responsable du dérèglement climatique dans le Nord de l’Europe qui aurait entraîné les mauvaises récoltes à l’origine du mécontentement de la population française et par voie de conséquence de la révolution de 1789…


LES TRUCULENCES DE BIG BROTHER


La rubrique « flics, militaires, vigiles… au service des citoyens » existe dans C.A. depuis le N°52 d’octobre 1995 : 10 ans déjà ! Au départ, irrégulière, elle recensait des « bavures, malversations et autres crapuleries des forces de répression » tirées, le plus souvent, de la presse nationale, voire régionale. Ce travail de récapitulation des violences des serviteurs de l’Etat et des gardiens des temples capitalistes est toujours très bien fait par l’Observatoire des Libertés Publiques qui publie une feuille mensuelle « Que fait la police ? » (7/9 passage Dagorno, 75020 Paris, abonnement : 10 euros par an). N’oublions pas non plus la feuille mensuelle du réseau « Résistons ensemble » (c/o CICP, 21ter rue Voltaire, 75011 Paris, site : http://www.resistons.lautre.net) dont le but n’est pas seulement d’informer mais de briser aussi « l’isolement des victimes des violences policières et sécuritaires et de contribuer à leur auto-organisation ».
Il va sans dire que ces deux bulletins ne risquent pas de disparaître par manque de matières premières!
A noter que le terme « bavure » qui signifie normalement une imperfection d’un travail est impropre lorsqu’il s’agit de qualifier certaines pratiques des forces de répression. Ces violences ne sont pas des imperfections mais sont parties intégrantes et la conséquence logique du travail de répression de ceux et de celles qui ont cette fonction au quotidien.
Depuis plusieurs mois, le contenu de notre rubrique a progressivement changé en accolant à certaines descriptions de violences policières et de pratiques de la justice et des institutions très significatives, une description d’un totalitarisme (lois, décrets, arrêtés, technologies, extension de la collaboration…) qui envahit les espaces publics, privés ainsi que les cerveaux.
C’est ainsi que cette rubrique s’appellera désormais : Les truculences de Big Brother.


DES TECHNIQUES BIOMÉTRIQUES RECONNUES PAR LA CNIL !

La commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) donne désormais bien volontiers son aval à toutes les sociétés, institutions publiques, … qui déposent un projet d’identification par le contour de la main. Pour la CNIL, cette technique biométrique comme celle de la rétine très en vogue aux USA nécessite la présence physique de la personne que l’on veut identifier contrairement aux empreintes digitales ou de l’ADN. Actuellement, la personne qui veut s’identifier par ce système saisit son code personnel sur le clavier d’un lecteur puis place sa main sur un appareil qui analyse la géométrie (dans l’espace, car c’est le volume qui est contrôlé) de sa main. C’est la « main-badge ». Ce système se met en place actuellement pour certains personnels de Carrefour Hypermarché France, pour filtrer l’accès des élèves et des personnels à des cantines scolaires (collège les Mimosas de Mandelieu dans les Alpes-Maritimes, collège de Carqueiranne dans le Var, …), pour reconnaître les employés de la mairie de Gagny (Seine-Saint-Denis) et pour identifier les taulards dans une soixantaine de maisons d’arrêt afin de prévenir les évasions par substitution de détenus. On ignore, par exemple, si un môme qui se foule le pouce pourra tout de même manger à la cantine…Dans peu de temps, cette technique va remplacer les pointeuses car elle est capable de contrôler et même de calculer les temps de travail. C’est ainsi que la généralisation de la reconnaissance par la morphologie de la main à tous les services de l’Hôpital d’Hyères (Var) va permettre dès janvier 2006 la comptabilisation du temps de travail de ses 800 employés. Ce système a même été approuvé par tous les représentants du personnel.

NON À LA PRIVATISATION DE LA RÉPRESSION !

La commune de Laxou dans la banlieue de Nancy a signé le 8 juillet un contrat avec la société Sécuritas afin que ses agents effectuent chaque nuit du 11 juillet au 11 septembre « quatre rondes dissuasives aléatoires d’une durée unitaire de 30 minutes ». Il s’agissait en fait de surveiller deux quartiers prioritaires dans le contrat de ville de l’agglomération de Nancy. Cette démarche a fait bondir l’opposition municipale qui s’est insurgée contre … « la privatisation des fonctions régaliennes de l’Etat » et qui a saisi le Préfet. Une loi de 1983 réglemente les activités de sécurité privée qui précise que « les agents ne peuvent exercer leurs fonctions qu’à l’intérieur des bâtiments municipaux ou dans la limite des lieux dont ils ont la garde ». Donc pas question que des vigiles du privé, même si certains d’entre eux sont du public et y font des heures sup., effectuent des missions de surveillance sur la voie publique. La préfecture a donc transmis au maire une lettre d’observation pour lui demander de préciser la liste des immeubles municipaux concernés par le contrat passé avec la société Sécuritas. Le maire a indiqué que 18 lieux étaient concernés dont 7 n’étaient que des rues « sensibles » de l’espace public. Sur injonction de la préfecture, cette convention a finalement été modifiée le 20 juillet. Rassurons-nous, publics ou privés ces espaces ont été sous bonne garde pendant l’été.

LA NOUVELLE ARME DES FLICS !

Les attentats commis à Londres en juillet auront permis de justifier les investissements prévus de longue date de l’Etat français dans la vidéo-surveillance. Pensez-donc, Scotland Yard a été capable d’épluché plus de 35000 cassettes issues des milliers de caméras qui truffent Londres. Il faut savoir que le Royaume-Uni a plus de 3 millions de caméras rien que dans l’espace public. La police française se pâme devant la rapidité de l’enquête outre-manche et pourtant cette rapidité ne s’explique pas seulement par la technologie. En effet, en Angleterre, la police invite toujours le public à lui transmettre toute information à sa disposition. C’est ainsi que Scotland Yard a reçu plus de 5000 appels pour les attentats manqués du 22 juillet. On doit remarquer que ni les caméras, ni la délation ne préviennent ces attentats. Ils permettent effectivement d’identifier les Kamikazes déchiquetés par leurs bombes et ceux qui se sont ratés, mais questions prévention et dissuasion c’est nul ! Quant au direct, … il suffit de ne pas perdre la mémoire : En pleine paranoïa sécuritaire, un quidam dont le seul tort était de vouloir prendre le métro a été assassiné de sept balles dans la tête par les experts de Scotland Yard. On ignore par combien de caméras ce « suspect » a été filmé soi-disant vêtu d’un grand manteau, qui courrait paraît-il en sortant d’une maison surveillée … où le policier en faction était finalement parti pisser ?! Quelle horreur tragi-comique !
Néanmoins, Sarkozy a indiqué qu’un projet de loi antiterroriste contenant des dispositions sur la vidéosurveillance et les données téléphoniques serait discuté en septembre afin d’entrer en vigueur fin 2005. A suivre ! Notons tout de même que les transports en commun, les villes, les communes … n’ont pas attendu ces attentats pour multiplier la pose de caméras. Bientôt, tous les bus en circulation en France seront munis de ce système de surveillance qui coûte la bagatelle de 10000 euros à l’installation par bus soit par exemple 163 000 ¤ pour une ville comme Reims. La sécurité est le bizness par excellence et crée des emplois.
Nous avons appris, en août, que Sarkozy avait promis à la police des caméras installées sur le toit de leurs véhicules de patrouille afin de filmer entre autres les manifestations. Cela, paraît-il, devrait éviter les « bavures » policières. Le plus drôle est lorsque nous avons su que c’était la police lyonnaise qui testait ce dispositif depuis le début de l’année 2005 ; Lyon, où la police n’a fait que « baver » lors d’une manifestation festive le 30 avril (voir CA 151).

[Sommaire de ce numéro] [Liste des numéros de CA sur le site] [S'abonner] [Commander des anciens numéros]