Courant alternatif no 153 novembre 2005

SOMMAIRE
Edito p. 3
PAYS BASQUE
Récents développements de la lutte contre un projet de 2x2 voies p. 4
PALESTINE
Un nouveau consensus p. 5
USA
Piégés à la Nouvelle-Orléans p.7
SEXISME
Sexe, classes et bouquins p. 10
Les truculences de Big Brother p.13
Courrier des lecteurs p.15
PRIVATISATIONS
La sécurité sociale: 60 ans p. 16
Faut-il défendre les sevices publics? L'exemple d'un état dans l'état, EDF p. 19
A propos du conflit de la SNCM p. 22
SOCIAL
4 octobre et après? p. 24


EDITO: « Nous sommes tout-e-s sans droit ni titre »

Brûlés vifs en Europe, noyés aux Etats-Unis, abandonnés dans le désert en Afrique, les indésirables subissent un véritable lynchage à grande échelle. Dans leurs chasses aux pauvres les gouvernements des pays riches font feux de tous bois. Particulièrement du bois d’ébène. La dernière exaction dont ils sont responsables est la mort dans des conditions révoltantes de onze personnes détenues dans un centre de rétention d’Amsterdam. Messieurs Sarkozy & Delanoë auront peut-être noté que ce bâtiment, bien qu’infâme, n’était pas vétuste. Cependant, nous n’avons jamais cru que les incendies de trois immeubles parisiens habités par des parias de l’occident étaient dus au hasard. Les méthodes de barbouzes on les connaît et aucun état ne répugne à les utiliser quand bon lui semble. Après les charters communs de cet été, un échelon de plus dans l’infamie a été franchi lors de « l’affaire » de Ceuta et Melilla. L’union européenne démontrant à nouveau son mépris des droits de l’homme et de la convention de Genève sur les réfugiés s’offre le luxe de sous-traiter la lutte contre l’immigration à ses pays frontaliers. Ainsi les migrants ont été refoulés avant même avoir pu passer la Méditerranée. La répression s’est délocalisée et le Maroc est désigné seul responsable des traitements inhumains, conséquences directes de la politique raciste de la forteresse Europe. Sur le front intérieur, le gouvernement poursuit sa politique de « fermeté et humanité », entendez répressions et précarité. Docteur Villepin et Mister Sarko nous servent une recette éculée, essayée et approuvée par tous les flics du monde, celle du gentil et du méchant qu’ils ont accommodée d’un zeste de querelle fictive.

Dans le rôle du bon, le nobliau poursuit la mise en coupe réglée de tous les droits sociaux peaufinant une société à plusieurs vitesses. Tout y passe : Le droit d’asile, l’aide médicale état, la sécu, les retraites, l’indemnisation des chômeurs, les RTT, le droit du travail, de grève, les libertés syndicales etc…Les services publics sont bradés, l’éducation et la santé s’étiolent. Les doits à l’avortement ainsi qu’à la contraception sont en mauvaise posture. Nous ne saurions trop conseiller au héraut du « toilettage du service public » de balayer dans sa cour. A commencer par les hauts fonctionnaires avec mention particulière pour Pasquoi et sa bande des Hauts-de-Seine. Pour les nantis tout va bien. Les impôts, l’I.S.F et autres prélèvements sociaux fondent comme neige au soleil.

Dans le rôle de la brute, le premier flic de France manie la répression avec une ardeur non dissimulée : provocations et brutalités policières, contrôles aux faciès, rafles, vidéo surveillance, croisement des fichiers, procès. Les charters ainsi que les centres de rétentions ne désemplissent pas et la mort lente sévit toujours plus dans les prisons. Etant entendu que « ce n’est pas la rue qui gouverne », tous ceux qui s’y trouvent sont susceptibles de tâter du flashball ou du pistolet électrique. Toute personne à l’origine ethnique non conforme, tout insoumis s’expose de façon systématique à une répression policière de plus en plus démesurée. L’utilisation du GIGN contre les salariés en lutte de la SNCM en est la plus révoltante illustration. La violence à laquelle nous sommes confrontés ne sévit pas seulement sur les pavés : A l’heure où le droit à la santé est de plus en plus inégalitaire et restrictif, on nous annonce sans sourciller « la mort de cent mille personnes dans les prochaines années » à cause de l’amiante. Une fois de plus, les politiques clientelistes mortifères des gouvernements qui se sont succédés illustrent le peu de cas qu’ils font de la vie du bas peuple. Que doit-on penser de ce chiffre alors qu’en matière de décompte des victimes de la barbarie capitaliste les résultats sont généralement à revoir à la hausse ? La palme du révisionnisme pourrait revenir à l’O.N.U pour qui la catastrophe de Tchernobyl se solderait par quatre mille morts alors que six cent mille liquidateurs ont été sacrifiés par la faute des nucléocrates. Des générations de mineurs morts de silicose. Des milliers de transfusés ont été contaminés par le virus du sida du fait de l’incurie des politicards. La multinationale Monsanto, après avoir pollué le Vietnam pour des décennies avec l’agent orange, continue à jouer l’apprenti sorcière avec ses OGM pour le plus grand plaisir de l’INRA. A quoi ressemble le futur aux mains des CEA, AREVA et consorts ? Sans oublier La CGT énergie qui collabore encore activement à la préparation de lendemains qui déchantent, laissant le sale boulot aux trimardeurs. L’avenir s’obscurcit, il aurait même tendance à virer au bleu marine, voir au kaki…Sarkozy remarquait que « notre société est beaucoup trop violente » avant d’ajouter « il faut que ça s’arrête » En effet, la violence d’état dont il est grandement responsable, nous la subissons tous les jours et on en a marre. Pour enrayer ce fléau, il serait effectivement opportun de commencer par ne pas laisser les poulets à l’air libre.

Nous la canaille, « la racaille », les « sans droits ni titres », nous n’en pouvons plus de l’arrogance de la réaction. « Jusqu’à quand la sainte clique nous croira-t-elle un vil bétail » ? « Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme » aurait dit Camus. Pour nous, lutter c’est vivre alors Il se pourrait bien que le Karcher se retourne contre son utilisateur et que le farfadet de Neuilly devienne l’arroseur arrosé.

Paris, le 28 octobre 2005

Privatisation des services publics: Faut-il défendre les services publics ?l'exemple d'un Etat dans l'Etat : E.D.F.

Une partie des revendications du mouvement social concerne la défense des services publics : contre la privatisation de la SNCF, grève de la SNCM, manifestation l'année dernière dans la Creuse, grèves à la poste... C'était également un des axes de la campagne pour le non lors du référendum sur l'Europe. Si nous sommes évidemment opposés à la privatisation, les libertaires doivent-ils pour autant défendre « le service public ». Et d'abord qu'est-ce que c'est et quels en sont les enjeux ?

Au-delà de cette grande thématique, chaque service public a son histoire et ses fonctions : la poste a presque toujours été un service public, pour l'heure nul ne parle de privatiser l'armée (bien que ce soit partiellement fait en Irak), la police (bien qu'il existe des sociétés de sécurité) ni la justice (malgré les prisons privées), et on imagine mal, mais sait-on jamais, les libertaires défendre ce type de service public... C'est pourquoi il nous semble intéressant pas seulement de débattre « du service public », mais de reprendre l'histoire des différents services publics pour analyser leur fonction. La privatisation d'EDF est une question d'actualité depuis un certain temps qui pèse aussi sur les recompositions politiciennes et les tactiques parfois difficiles à suivre de la direction de la CGT par exemple.

La nationalisation d'E.D.F.

E.D.F. a été nationalisée en 1946 par l'Assemblée constituante, en même temps que le crédit et les assurances, le gaz et l'ensemble des houillères. C'est la première caractéristique d'une partie du service public, il est issu des nationalisations de la Libération, et donc mythologiquement relié à la Résistance, qui les avait mises à son programme. C'est donc dans notre pays un symbole politique fort.

Cependant, ceci ne doit pas nous faire oublier une deuxième caractéristique, tout aussi importante. Ce qui motivait ces nationalisations, c'était bien déjà la reconstruction d'une économie capitaliste nationale. Aucune entreprise privée française n'avait les moyens d'assurer les investissements nécessaires à la reconstruction. Le capitalisme a besoin d'infrastructures solides et bon marché, et à l'époque seul l'Etat pouvait réaliser ce programme. L'Humanité rappelait d'ailleurs encore en janvier 1945 que les nationalisations ne sont pas intrinsèquement une mesure socialiste, et le PCF avait hésité avant de soutenir ces nationalisations légales, qui ont été une bonne affaire pour les actionnaires, à qui les entreprises privées concernées ont été rachetées.

Il faut enfin revenir sur un troisième aspect, celui du statut des salariés d'E.D.F. On a tendance à expliquer leurs avantages sociaux exclusivement par leur appartenance au service public. Les salariés de l'énergie occupent une position stratégique qui leur a permis d'arracher un certain nombre d'acquis, service public ou pas. Et si leur statut est avantageux, c'est aussi parce qu'il a été fixé à un moment où le rapport de forces était très favorable à la classe ouvrière. N'oublions pas qu'en 1944, une partie de la population était armée, les anciens résistants, et que ça n'a pas été une affaire gagnée d'avance que de leur faire rendre leurs armes au nouvel Etat. C'était une époque où le PCF était tout autant auréolé de la résistance que les gaullistes, et où il faisait 40% des voix, un PCF déjà social-traître mais pas encore réformiste au point d'aujourd'hui.

EDF, un service public au service de la nation... et réciproquement

La mission première d'EDF était d'électrifier la France, et elle l'a fait. Elle l'a fait comme jamais une entreprise privée n'aurait pu le faire. Seul l'Etat avait les moyens de construire d'immenses barrages hydrauliques comme cela a été fait à l'époque. Seul l’Etat a le sens de l'intérêt collectif du capital suffisamment poussé pour facturer l'électricité à prix coûtant aux entreprises. Quant à « l’égalité des usagers devant les services publics », elle n'a jamais existé, ou plus exactement elle a existé sous une interprétation propre à EDF : le tarif est lié à la puissance d'abonnement, ce qui signifie que les entreprises ont toujours payé moins cher. Mais là encore, il fallait une entreprise publique pour assurer l'accès généralisé et rapide de la population à l'électricité, ce qui était une nécessité pour développer l'industrie de consommation (comment aurait-on pu vendre sinon frigos, machines à laver, télés, robots moulinex, etc).

Déjà du glorieux temps de l'hydraulique, en bon service public, EDF savait ce qui était bon pour la nation donc la population, mieux que la population elle-même. Les grands barrages ont été privilégiés, avec leur cortège de vallées englouties et de villages déménagés, jusqu'au tragique accident de Malpasser, barrage qui s'est rompu près de Fréjus, qui a quand même fait 405 morts en 1959. C'est là un aspect moins glorieux commun à l'ensemble des services publics, « tous-les-usagers-sont-égaux » devant une institution dont la technocratie incarne l'intérêt collectif, mieux l'intérêt national, et a donc le pouvoir d'imposer sa vision et ses projets, notamment ceux qui renforcent son prestige et son pouvoir, par la force armée de l'Etat s'il le faut.

Le service public peut se définir ici par une symbiose entre une vision nationale, le pouvoir d'une technocratie et les intérêts du capitalisme. Le symbole de cette symbiose particulièrement poussée en France est le nucléaire. Rappelons que l'énergie nucléaire civile est en effet issue de la recherche militaire (le CEA n'est pas seulement un organisme de recherche, il était lié à l'origine au Ministère de la Défense). Si EDF a profité du choc pétrolier pour imposer le tout nucléaire, la décision a été réellement prise bien avant par la commission PEON (production d'électricité d'origine nucléaire), née en 1957, commission consultative qui comprenait des représentants d'EDF, des ministères et des plus grands groupes capitalistes français intéressés à l'affaire comme la CGE, Creusot Loire, Alsthom, Framatome, Schneider,... La décision de construire des centrales de type PWR (type de la majorité des centrales actuelles) date de 1969, la construction d'Eurodif de 1971. On retrouve ici la convergence nationaliste issue de la Libération : des scientifiques proches du PCF (les Curie), l'idée d'une énergie « nationale », la foi dans le progrès technique auréolée paradoxalement de pacifisme (utilisation pacifique d'une technologie d'origine guerrière), réunissant dans une touchante unanimité le syndicat et les représentants du grand capital.

Nous ne reviendrons pas ici sur la lutte antinucléaire qui n'est pas l'objet de cet article, mais dont il faut rappeler que ce fut un des mouvements les plus massifs et les plus puissants des mouvements extra-institutionnels, que malgré l'unanimité de la classe politique (et à une époque où on ne parlait pas encore de « crise du politique ») et des syndicats, pendant longtemps l'immense majorité de l'opinion y fut opposée, que tous les moyens de lutte ont été tentés, de la non violence au « terrorisme », de l'action directe aux tentatives de lobbying, et que la répression fut particulièrement importante et violente pour l'époque. Ce fut aussi un des mouvements qui a duré le plus longtemps, sous différentes formes.

C'est un aspect qu'il ne faut pas oublier des services publics. Incarnation de l'intérêt collectif dans le sens de national, ils ont les moyens d'imposer leurs décisions au nom de la population sans aucun débat démocratique ni consultation, puisqu'ils sont automatiquement légitimes de par leur définition même. Bien sûr, les entreprises privées ne consultent personne non plus, mais la légitimation n'est pas la même, il est admis qu'il s'agit de leur recherche de profit, et si l'Etat est à leur service, elles ne disposent pas directement de ses institutions répressives.

EDF est une entreprise depuis longtemps, mais il ne faut pas le dire

EDF était jusqu’à récemment un EPIC. C'est quoi ce truc ? C'est un Etablissement Public à Caractère Industriel ou Commercial. C'est une entreprise de droit privé, dont les salariés ont néanmoins conservé leur statut et dont l'unique actionnaire est l'Etat. On peut donc considérer ces « services publics » (il n'y a pas qu'EDF qui aie ce statut), comme des entreprises ordinaires, ou plutôt de très grandes entreprises, à ceci près qu'elles ont un patron particulier, l'Etat, et que leurs salariés ont réussi à conserver leurs avantages (parfois durement) acquis. Vestige du compromis social de la Libération, il leur reste un cahier des charges leur imposant quelques obligations de type « service public » au sens où on le mythifie habituellement. Depuis 2004, EDF est devenu une société anonyme à statut particulier pour permettre sa privatisation (comme France Télécom), en conservant notamment des obligations de service public.

La majorité des services publics privatisables n'ont donc de public que le nom et quelques « archaïsmes » qui gênent notre patronat moderne et combatif. A partir du moment où ils ont été transformés en entreprise, c'est la logique capitaliste qui domine, qui entre en conflit avec les autres logiques, et qui finit toujours par l'emporter, victoire symbolisée par la privatisation. C'est particulièrement vrai d'EDF qui a consacré sa trésorerie ces dernières années à participer à tous les programmes de privatisation dans le monde, dans lesquels elle a réussi à emporter des morceaux importants. De mémoire, et c'est donc une liste non exhaustive, elle possède des entreprises en Angleterre, en Argentine, a failli atteindre une taille monopolistique en Italie... Vu de l'étranger, EDF n'est ni plus ni moins qu'une grande multinationale, et ceci a entraîné assez peu de protestations.

Finalement, on assiste à un processus assez classique, qu'un théoricien du PCF avait déjà analysé il y a 30 ans comme « socialisation des pertes et privatisation des profits ». Lorsque l'intérêt collectif du capital l'exige, l'Etat investit dans des secteurs vitaux exigeant des investissements importants, en fait supporter les frais à l'ensemble de la collectivité, ce qui permet d'assurer un approvisionnement bon marché et fiable. Lorsque ces secteurs deviennent rentables, ou que les conditions de la concurrence se sont modifiées, ou que la lutte entre entreprises pour acquérir de nouveaux marchés devient plus âpre, ces secteurs sont privatisés. On peut rajouter deux remarques. La nationalisation n'est pas le seul moyen d'assurer cette fonction. On peut prendre l'exemple des transports routiers. Ils sont privés, il n'a jamais été question de les nationaliser, et ils assurent un service particulièrement bon marché, parce que c'est la collectivité qui paye l'équipement qui revient le plus cher, les routes. Ce que change la privatisation, c'est que le nouveau propriétaire poursuivra ses intérêts personnels et souvent à court terme, ce qui peut se faire au détriment des intérêts collectifs à long terme des entreprises.

EDF a joué de ce point de vue un rôle tout à fait particulier avec la production d'électricité nucléaire. On a pu souvent lire que le nucléaire n'était pas rentable. Ceci n'est pas tout à fait vrai. Produire de l'électricité d'origine nucléaire est certes la façon la plus chère de produire de l'électricité, du moins si on daigne intégrer le coût du retraitement des déchets et du démantèlement des centrales. Mais le nucléaire a représenté un énorme débouché pour les plus grandes entreprises multinationales françaises : c'est un marché fantastique pour l'électronique, la métallurgie, le bâtiment, la chimie... Qu'on imagine les tonnes de bétons, les centaines de kilomètres de tuyaux, les millions de soudures, les capteurs, les valves, les systèmes de refroidissement, de détartrage, etc., le tout se corrodant particulièrement vite et devant donc être régulièrement remplacé. EDF a été le maître d'oeuvre d'une production d'électricité financée par ses clients et dynamisant toute l'industrie française, avec des marges confortables. De ce point de vue, la concomitance d'une relance du nucléaire et d'une perspective de privatisation laisse plutôt perplexe...
Conclusion ?

Est-ce à dire que la privatisation ne change rien ? Sûrement pas.

Elle change les choses pour les salariés concernés, qui sont nombreux. Leur situation institutionnelle leur avait permis de préserver des acquis malgré la dégradation générale et continue du rapport de forces. Le premier objectif des actionnaires privés sera bien entendu de les laminer pour mieux rentabiliser leurs affaires.

Elle change les choses pour les « usagers-consommateurs ». On nous fait miroiter les vertus de la concurrence, mais la situation d'EDF est plutôt comparable à celle des distributeurs d'eau, dont les clients sont en réalité les otages. Ne pourront faire jouer la concurrence entre fournisseurs que les très gros consommateurs, les autres ne sont pas des clients intéressants. Et il est exact que la facture d'eau peut être sept fois plus élevée suivant l'endroit où on réside. Nous serons donc dans la même situation de dépendance, sauf qu'il n'y aura plus d'intervention de l'Etat pour réguler et limiter les aléas du marché. Elle change les choses pour la qualité du service. Il y avait encore un reste de culture du service public dans les entreprises qui disparaîtra complètement, sous la pression des primes à la rentabilité. On peut parier que, comme partout, c'est la maintenance qui en prendra un coup. Or là, il y a un léger détail, c'est que 80% de l'électricité en France est d'origine nucléaire. Nous vivons déjà sous la menace permanente d'un accident majeur, et les plaintes sur la baisse de la « culture de la sûreté » à EDF font déjà froid dans le dos. Il semble difficile d'envisager une privatisation de l'électricité nucléaire à cause de son manque de rentabilité. Mais il est certain que la seule façon de la rentabiliser, c'est de faire des économies sur la maintenance qui est particulièrement chère en ce domaine.

Au-delà, les privatisations et la défense du service public sont symptomatiques d'une évolution profonde de notre économie. Les services publics sont issus d'un compromis entre le patronat et un mouvement social réformiste en position de force, compromis garanti par l'Etat. Le ciment idéologique de ce compromis était un certain nationalisme, « la reconstruction de la France » et l'idée d'un avenir commun entre une nation, ses couches populaires et un capitalisme national. C'est ce compromis qui est fini. La mondialisation est passée par là, et il n'y a plus de corrélation aussi étroite entre le niveau de vie de la population d'un pays et la santé de ses grandes entreprises devenues multinationales. Le terrain de jeu de ces dernières est devenu mondial, et ce qui faisait le ciment d'une cohésion sociétale nécessaire au maintien de la paix sociale n'est plus qu'un marché à conquérir parmi d'autres dans le grand jeu d'échecs de la concurrence et de l'exploitation planétaires.

Finalement, nous sommes acculés à défendre nos utopies. Ce que nous pouvons défendre dans les services publics, c'est une production socialement utile, et reconnue comme telle, à laquelle tous doivent accéder (Mais pourquoi l'électricité plus que les tomates ?(1)). C'est pourquoi nous ne pouvons qu'être opposés aux privatisations. Mais cette opposition ne peut être cohérente qu'à condition de critiquer un certain type de discours. Lorsque la CGT écrit : « La vente, même partielle, d'EDF à des actionnaires privés est contraire aux intérêts de notre pays », nous devons poser la question de quels intérêts. Lorsqu'elle écrit dans le même tract : « Les performances économiques de notre pays, la pérennité de votre emploi, votre niveau de vie sont étroitement liés au prix de l'énergie et donc à l'efficacité des services publics. », c'est le type de compromis social que cet argumentaire reflète que nous refusons, et qui de plus est périmé. Nous sommes contre les privatisations parce que nous sommes pour une production socialement utile autogérée et décentralisée, ce qui n'est hélas pas le cas du « service public ».

Sylvie, Paris banlieue
Article écrit le 24 octobre 2005, avant la privatisation d’EDF

(1) Je sais : c’est parce qu'on ne peut plus vivre sans électricité. Mais ceci est une autre histoire, celle de l'usage d'une technologie centralisée comme instrument de dépendance et du productivisme.


A propos du conflit à la SNCM

Suite au conflit à la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM), nous avons tenu à connaître les positions et analyses d'un des syndicats majeurs dans la lutte, le Syndicat des travailleurs corses (STC), et son analyse sur ce qui s'est passé. Nous avons interviewé Alain Mosconi, responsable des marins au STC. Nous reviendrons sur ce syndicat dans le prochain numéro de CA.

CA : Peux-tu nous faire un historique de la lutte à la SNCM et nous expliquer les raisons du conflit ?

Alain Mosconi : La lutte à la SNCM, pour ce qui concerne le STC, a commencé en 1986, avec un petit noyau de Corses d'origine et de Corses d'adoption qui portaient le message du STC, qui est un message de maîtrise des transports par la Corse et pour la Corse en passant par un cadre régional. Pour nous, l'entité entre la Corse et le continent français et européen de manière globale qui doit assurer la continuité territoriale doit être une entité publique. Nous avons toujours dit que la SNCM avait une vision erronée de la situation, avec un fort lobby, le lobby marseillais, qui ne tient pas compte de la réalité locale et du besoin d’un transport efficient, en tenant compte de l'embauche locale et des retombées économiques en Corse. Notre lutte est axée sur ce principe-là, qui a maintenant très largement démontré sa force, qu'il peut faire jeu égal sur le terrain de la lutte avec la CGT qui est un colosse à Marseille (au vu des derniers événements, je dirais que c'est plutôt un colosse aux pieds d'argile). On a vu une structure qui n'hésite pas à venir chanter L'Internationale en pleine assemblée générale se coucher lamentablement comme ça devant le gouvernement sous prétexte qu'il y avait un risque de dépôt de bilan de l'entité publique, alors que cela on le savait dès le premier jour. Une lutte, dès qu'on l'entame et qu'on en connaît le risque, soit on va jusqu'au bout, soit on ne fait rien. Nous, nous avons pris des risques considérables au nom de la lutte, surtout avec l'affaire du Pascal-Paoli. J'attendais un peu plus de cette organisation qui se revendique parfois, surtout sur le port de Marseille, de la révolution permanente ; mais bon… je crois que certains doivent se retourner dans leur tombe.

CA : Est-ce que tu peux détailler un peu plus les revendications du STC, surtout quand tu parles du lobby marseillais et des embauches locales ?
A. M
: Je vais prendre un exemple avec la Bretagne-Angleterre-Irlande (BAI), créée en 1972 et plus connue sous le nom de Brittany Ferries. Elle fait du transmanche, où il y a plus de 86 % de résidents bretons qui naviguent sur ces bateaux. Alors nous, sans aller à ce chiffre, on pense qu'il était juste de donner les mêmes droits des deux côtés de la Méditerranée. Pourtant, depuis des années, la SNCM n'a embauché que 27 % de résidents Corses. Pour nous, il n'aurait pas été une hérésie de voir une parité au niveau des embauches (50 % à Marseille et 50 % en Corse). Dans mon esprit qui est un esprit de partage, il aurait été bien de voir le soleil briller pour tous. Or, force est de constater que nous avons là une structure qui vit par la Corse, mais qui ne vit pas pour la Corse ; qui vit avec des lobbies sur place, avec un emploi et des retombées économiques pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) énormes, et qui en Corse n'a pas su et surtout pas voulu faire sa place, au moins auprès de l'opinion publique. Il faut savoir qu'en Corse la SNCM connaît bon nombre de détracteurs. C'est bien l'action du STC qui, à un moment donné, a réussi à faire prendre conscience à la population corse de l'intérêt d'avoir une entité publique entre le continent et nous-mêmes. Cette logique est celle de rééquilibrer les emplois, mais pas sur un aspect ethnique (ce n'est pas notre vision du nationalisme) : sur une vision identique à celle des Kanaks, celle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

CA : La lutte que vous avez menée avec la prise du Pascal-Paoli a été un moment extraordinaire qui nous a filé la pêche et nous à fait penser à des moments de lutte dans la sidérurgie. Votre détermination, pas égalée jusqu’à présent, était de nature à faire relever la tête au mouvement social en général. Par contre, on peut déplorer qu'à part à Marseille il n'y ait pas eu de relais lors des manifs du 4 octobre. Est-ce que cela peut s'expliquer par des négociations occultes de la CGT avec le gouvernement, qui ont conduit au revirement de celle-ci ?
A. M :
D'abord, c'est la démonstration que lorsque des travailleurs s'assument dans une lutte ils ne servent pas, en fin de compte, que leur lutte, mais servent toutes celles et tous ceux qui s'élèvent aujourd'hui contre des systèmes et des lois qui ne conviennent plus. Si nous avons réussi à entamer un petit peu plus le long chemin qui fait que nous aurons tôt ou tard l'occasion de faire tomber ce mur d'indifférence qui se dresse face à nous, c'est très bien et cela me fait chaud au cœur. J'ai fait moi aussi le triste constat qu'il n'y a pas eu la dimension que l'on aurait pu espérer. A mon avis, c’est dû à plusieurs choses. La première est que le mouvement social en France, et certainement ailleurs, n'est pas mûr pour pouvoir engranger les points acquis de la lutte et faire en sorte d'avancer, de profiter des conjonctures pour pouvoir avancer sur le chemin auquel je faisais allusion. Ensuite, il y a le fait que sur Marseille la CGT, que je croyais une forteresse imprenable, a cédé facilement, et ce n'est pas le fruit du hasard. Lorsque Bernard Thibault, qui n'arrête pas de critiquer l'action que nous avons menée, et je dois rappeler qu'elle s'est faite sans aucune violence, sans aucun coup — une de mes plus grandes fiertés est de ne pas avoir de sang sur les mains —, vient ressasser sur les chaînes nationales que ce type d'action n'est pas celui que choisit son organisation syndicale, alors c'est quoi le type d'action que choisit la CGT ? Nous avons vu que son choix était de venir discuter avec le Premier ministre dans les confortables bureaux parisiens, et qu'il y a eu une espèce de deal avec « Nous, on laisse tomber la SNCM ; vous, gouvernement, revoyez votre position sur EDF ». Tant que les travailleurs seront au centre d'une espèce de marché de dupes comme ça et de deal, les situations resteront ce qu'elles sont, c'est-à-dire figées, avec la part belle aux dominants, aux pouvoirs.

CA : Est-ce que tu sais si cela a créé à la CGT des dissensions entre le niveau local et le niveau national ?
A. M :
Malheureusement non, et nous faisons ce triste constat que lorsque, au niveau de la CGT, Paris éternue, c'est la Corse qui s'enrhume. Même si en Corse ils essaient de se teinter d'un peu de corsisme et d'âme révolutionnaire en tentant de reproduire les armes du STC - avec par exemple une tête de Maure sur les drapeaux rouges, des discours en langue corse -, on se rend compte qu'ils sont au garde-à-vous devant la direction parisienne. Il y a une logique très jacobine : la CGT est contre l'enseignement de la langue corse, son officialisation dans l'administration ; contre la corsisation des emplois ; contre l'indépendance de la Corse, alors qu'ils tiennent le discours inverse aux Kanaks lors du congrès de l'Union syndicale des travailleurs kanaks et exploités (USTKE). C'est vrai que la Kanaky est à des milliers de kilomètres de Paris… Est-ce que l'on accepte une situation de dominant à dominé, quelle que soit la couleur de la peau ? C'est le droit à la différence que je veux mettre en place. La différence est une chance dans le monde d'aujourd'hui - un monde d'uniformisation, où tout doit être carré, rentrer dans une boîte. Nous sommes un maillon d'une grande chaîne et si on retire un par un les maillons de cette chaîne, on va finir par s'habiller de la même façon, parler la même langue, et répondre tous de la même façon aux injonctions de ceux qui vont nous gouverner. C'est une chose que je ne peux concevoir et je ne peux y adhérer.

CA : Est-ce que tu peux nous détailler la solution corse que le STC a proposée par rapport au conflit à la SNCM ?
A. M :
Le gouvernement était sur une position très dogmatique. Il voulait faire passer en force sa volonté de privatisation - face, il est vrai, à une gestion de la SNCM qui facilitait les choses. Lorsqu'on regarde comment a été gérée une compagnie nationale, avec des dirigeants nommés par les gouvernements successifs depuis trente ans, il faut se mettre les mains devant les yeux parce que c'est ahurissant. Si d'aventure un privé gère la boîte de la même façon, il se retrouve devant les tribunaux toutes les cinq minutes. Ça a été la gabegie, un scandale financier, et cette entreprise ne pouvait que mourir. Conscient de cela, le STC, s'appuyant sur l'existant, y compris l'ABI où les institutions bretonnes et normandes ont eu le courage de rentrer dans le capital afin de garder une part publique majoritaire - et notre idée était bien celle de garder une part publique majoritaire, l'Etat ne voulant plus rester majoritaire -, a proposé la solution de faire entrer les institutions corses dans le capital de la SNCM afin de récupérer cet outil. Or, comme une évolution organique et juridique doit s'accompagner d'un projet industriel viable, nous avions dans l'idée de mettre en place un service public dans notre environnement immédiat de la Méditerranée occidentale. Nous nous sommes déjà entretenus avec le gouvernement autonome catalan sur la mise en place d'une liaison Barcelone-Ajaccio, où les Catalans sont prêts à mettre la main à la poche. Il y a une volonté de nous ouvrir sur notre environnement immédiat. Par exemple aussi entre l'extrême sud de la Corse et l'extrême nord de la Sardaigne, où il n'y a que 13 kilomètres, il n'existe aucun échange économique. Nous pensions mettre en place un service public de qualité efficient permettant les échanges (savoir-faire, produits, culture…). Nous sommes contraints à une solution dictée par Paris qui voudrait que la Corse, dans le cadre d'un service public, ne puisse échanger qu'avec Marseille.

CA : Comment a réagi la Collectivité territoriale corse (CTC) à vos propositions ?
A. M :
Les membres de l'exécutif de l'Assemblée de Corse ne sont que les laquais du gouvernement. Ce sont des gens qui font preuve d'une incompétence permanente et d'un manque de courage très naturel : au lieu de s'opposer au gouvernement pour dire que l'intérêt collectif de notre peuple passe effectivement par la mise en place d'un service public efficient, ils ont accepté la volonté étatique et jacobine du gouvernement français. Qui le leur rend bien en leur attribuant de temps en temps la légion d'honneur, comme on peut donner un bon point ou une image à un enfant de maternelle !

CA : Et au niveau de la répression ?
A. M :
Nous sommes quatre à être mis en examen dans le cadre de l'histoire du Pascal-Paoli. Le gouvernement aimerait se payer un peu plus notre tête. Je le soupçonne de vouloir nous faire essuyer les plâtres devant une cour qui sera une cour d'assises, et où nous serons jugés pour deux crimes qui peuvent aller jusqu’à vingt ans. Je n'écarte pas l'hypothèse qu'on veuille nous exclure du jeu syndical et politique pendant quelques mois, voire plusieurs années. L'heure est toujours à la mobilisation, à la solidarité. Nous devons rester en liberté, car nous n'avons pas commis de crimes et nous n'avons fait que rendre un outil public à son propriétaire. Nous n'attendons rien de la justice, qu'elle n'attende rien de nous. Nous sommes convoqués début novembre pour une enquête de « moralité ». Après nous avoir envoyé l'armée, l'Etat ne va pas laisser retomber le soufflé.
Nous recevons tous les soutiens au STC, 17 boulevard Paoli à Bastia, ou par fax au 04-84-32-58-21. Mais c'est au moment du procès que nous aurons besoin du soutien de toutes celles et tous ceux qui, comme nous, sont épris de liberté.

Interview réalisée le 24 octobre 2005 par l'OCL-Reims
dans le cadre de son émission hebdomadaire de radio
(avec l'aide de l'OCL-Poitou)
Transcription : Camille, OCL-Reims

Le 4 octobre et après ?

Le 4 octobre, comme le 10 mars, des centaines de milliers de salariés sont descendus dans la rue. Avec une forte proportion de salariés du privé et le conflit de la SNCM en toile de fond.

DES RAISONS DE SE RÉVOLTER La situation sociale ne cesse de s'aggraver. La précarité se généralise, le nombre de RMIstes explose. La situation actuelle des RMIstes est significative : c'est le travail précaire forcé et le flicage social, ou bien la radiation et l'élimination. Dans le même ordre d'idées, le Contrat Nouvelle Embauche est doté d'une période d'essai de 2 ans qui précarise encore plus. En période d'essai, toute forme de revendication est en effet impossible : le patron peut facilement, sans aucune contrainte, se débarrasser des gêneurs. Par ailleurs, le changement continuel d'entreprise est une entrave à l'organisation d'actions efficaces, qui nécessitent un minimum de préparation. Dans ce contexte, les nouvelles dispositions prises pendant l'été vont achever toutes velléités de révoltes, pourtant légitimes. Mais la multiplication des journées d'actions de ces derniers mois, du type "La poste le mardi, la SNCF le mercredi, les fonctionnaires le jeudi" ont-elles eu un réel impact ? Sur quelles revendications les travailleurs ont-ils obtenus satisfaction ? Quelles leçons avons-nous tirées des revers de 2003 et 2004 (retraites, éducation nationale, sécurité sociale, mouvement lycéen) ?

La manif du 4 octobre
Devant la multiplication des conflits, un ras-le-bol des salariés, les syndicats qui n'ont pas intérêt à une généralisation des luttes qu'ils ne contrôleraient pas, ont appelé, unitairement, pour la 2ème fois cette année, à une journée nationale d'action. "Cette mobilisation doit conduire à des négociations et à des réponses du gouvernement et du patronat notamment pour : le développement de l’emploi, contre la précarité que vient renforcer le Contrat Nouvelles Embauches ; l’amélioration du pouvoir d’achat des salaires ; les droits collectifs et individuels des salariés ", car le but suprême n'est pas la lutte, mais la négociation. Et pour négocier, il faut un rapport de force, rapport de force qui s'est fortement dégradé pour les salariés depuis des dizaines d'années. Pour réussir cette journée, les syndicats avaient, comme pour le 10 mars dernier, placé la barre à un million de personnes dans la rue. Pour le spectacle. Mais ne s'étaient fixés aucun objectif sur le nombre de grévistes, ni sur des objectifs à court et moyen terme autres que celui de négocier. Victimes de la crise du logement, salariés n'arrivant pas à joindre les deux bouts ou craignant de perdre leur emploi, professeurs vacataires, jeunes, précaires, cadres... : cette journée de mobilisation pour l'emploi et les salaires a cristallisé les mécontentements. La défense des services publics, des salaires, et la lutte contre la précarité ont été largement évoquées avec des slogans tels "Ni libre concurrence, ni privatisation", "Non à la précarité, non aux réformes Villepin", "Logement social, priorité sociale". Dans la foulée du succès des manifestations, les syndicats ont haussé le ton, envisageant de se réunir pour décider des suites à donner au mouvement s'ils n'étaient pas entendus. Mais très vite, les négociations entre organisations ont capoté, laissant sur leur faim celles et ceux qui avaient battu le pavé avec le petit espoir de se retrouver très vite. Seuls quelques mouvements ont perduré à cette journée d'action (SNCF dans le Sud-ouest, Traminos à Nancy et Marseille, …)

Derrière les conflits de la SNCM, des transports (Marseille, Nancy, …), le problème du service public
Derrière ces conflits se pose doublement le problème du service public : pour l'Etat, celui du service minimum, pour les salariés, de rester dans le giron de l'Etat (ou des collectivités territoriales). Le 4 octobre, le ministère des transports claironnait que le service minimum avait été appliqué pour la première fois dans les transports en Ile-de-France avec succès. "L'objectif a été globalement tenu à la SNCF et dépassé à la RATP. Il y a un niveau de service jamais égalé. Il y a un véritable progrès". Promis par Jacques Chirac avant l'élection présidentielle de 2002, adopté le 17 juin dernier par le Syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF) — c'est-à-dire l'autorité de transports franciliens — sous la pression du gouvernement, ce dispositif de service garanti impose en cas de grève la circulation de 50% des métros sur le réseau de la RATP. A la SNCF, il impose la circulation de 33% des trains sur le réseau transilien, dont 50% aux heures de pointe. Si les deux entreprises publiques ne respectent pas ces engagements, elles risquent des pénalités pouvant aller, pour la SNCF, jusqu'à 300 000 euros par jour. Le service garanti est dénoncé par les syndicats qui y voient une manœuvre visant à remettre en cause le droit de grève. Aucun d'entre eux ne l'ont signé. Les accords sur la prévention des grèves appliqués depuis 1996 à la RATP et depuis le 28 octobre 2004 à la SNCF visent à améliorer le dialogue social en interne pour tenter d'éviter le conflit, pas à mettre en place un service minimum. Et ils sont de fait inopérants lorsque le mécontentement dépasse le cadre de l'entreprise et se transforme en mobilisation nationale interprofessionnelle. Après quinze jours d'actions multiples, dont le détournement spectaculaire du cargo mixte Pascal-Paoli par le Syndicat des travailleurs corses (STC) le 27 septembre, les grévistes de la SNCM, derrière une banderole disant "Non au démantèlement de l'entreprise nationale et du service public de continuité territoriale", espéraient par la mobilisation du 4 octobre pouvoir infléchir les positions gouvernementales (le fonds d'investissement Butler Capital Partners – BCP - entrant dans le capital à hauteur de 40%, la Connex, filiale transport de Véolia-environnement, participant pour 30%, l'Etat conservant 25% et 5% allant aux salariés). Cette revendication aurait pu avoir une chance d'aboutir que si elle avait été l'axe centrale de toutes les manifestations. Car, quoi que l'on puisse penser du contenu de ce qui est mis derrière le mot service public (1), ceci est une véritable revendication politique qui pose une véritable question de société. Mais qui n'a pour l'instant aucune chance d'aboutir, car il n'existe pas de débouché politique (au sens noble, pas politicien). Il en est de même d'autres revendications portées le 4 octobre (logement social, précarité, …) Alors, allons-nous continuer à se faire tondre la laine sur le dos par les patrons et les gouvernements, à faire trois petits tours et puis s'en vont à chaque fois que des organisations syndicales nous le demandent ? Ou allons-nous amener une réponse à la hauteur des attaques dont nous sommes victimes depuis trop longtemps ?
Camille, OCL Reims, le 21 octobre 2005
(1) Sur ce sujet, se reporter à Courant Alternatif n°146 (février 2005), article sur l'utilité sociale.


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