Courant alternatif no 154 décembre 2005 |
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SOMMAIRE |
Edito p. 3 ÉMEUTES Communiqué de lOCL p. 4 Communiqué de lEnvolée p. 5 Communiqué du M.I.B.p. 6 CORSE Le STC, un syndicat indépendantiste et de classe p. 7 IRAK Comment combattre loccupation ? p.10 ISRAEL-PALESTINE Loccupation sous toutes ses formes p. 12 MAYOTTE Expulsions massives p.14 MELILLA ET CEUTA En finir avec lEurope forteresse p.16 NUCLÉAIRE Le débat public : une mascarade p. 18 SANS FRONTIÈRE Scolarisés sans papiers en Loire-Atlantique p.19 SOCIÉTÉ Sexe, classes et bouquins (2e partie) p.20 A LIRE BIG BROTHER p.24 |
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EDITO |
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Encouragés par la faible résistance qu'ils trouvent en face d'eux, l'Etat et le patronat continuent à nous rendre la vie invivable. Licenciements en série, augmentation des heures de travail et bloquage ou réduction des salaires, boulots de plus en plus précaires, attaques sur le droit de grève, voilà pour la vie en entreprise. A côté de cela, les loyers augmentent (pour ceux qui peuvent encore en payer un), les logements sociaux sont plus vite détruits que construits. Et le flicage quotidien s'amplifie, que ce soit par le contrôle toujours plus poussé des chomeurs et autres RMIstes, la répression de la fraude dans les transports (à Lyon les stations de métro sont en train d'être équipées de portillons automatiques). Les rafles se font de plus en plus fréquentes pour arrêter les pauvres qui n'ont pas de papiers.
Face à cela, des resistances apparaissent, mais restent souvent disparates. A Paris, des passants se sont opposés à la police et ont ainsi empêché l'arrestation de plusieurs sans-papiers ; à Nantes, la solidarité des lycéens, profs et parents a permis de stopper l'expulsion d'une élève sans papiers. Les déportations ("reconduites à la frontière" en langage policier -pardon policé...) se multiplient, alors que tout le monde sait q'une partie des immigrés fuit une mort certaine. Ceux, qui tentent d'échapper à la pauvreté due à l'impérialisme occidental, essayeront à la première occasion de revenir en Europe dans l'espoir d'une vie un peu meilleure. C'est dans cette situation que se trouvaient les africains qui transitaient par des enclaves espagnoles au Maroc, avant de se retrouver "expulsées" par l'armée marocaine dans le désert, à la frontière Algérienne. On voit que même la répression anti-immigrée se délocalise, avec son lot d'humiliations et d'exactions. Cette barbarie touche aussi les Irakiens, toujours aux prises avec l'occupant américain. La résistance populaire est cependant forte, face à l'Etat fantoche irakien et à l'armée US. En France, deux jeunes sont mort, et un troisième gravement blessé dans un transformateur électrique alors qu'ils tentaient d'échapper aux forces de polices (l'un d'eux n'avait pas de papiers ...). Cette nouvelle exaction policière, s'ajoutant à une liste déjà longue, entraîna pendant environ trois semaines, dans les banlieues parisiennes d'abord, puis après dans toute la France, des émeutes dans les quartiers populaires. Les jeunes se sont révoltés contre un monde qui les exclut. Brulant des voitures, des écoles et des commissariats, caillassants des bus et des policiers, attaquant des symboles du pouvoir (mairies, préfectures, flics), ils ont exprimé à leur manière un ras-le-bol général. Même si les méthodes employées ont été souvent décriées et incomprises, les émeutes ont rencontré la sympathie d'une partie de la population. Il est nécessaire et urgent de se mobiliser face à la répression brutale qui s'abat sur les jeunes révoltés, exiger l'abandon des poursuites et l'amnistie générale. La "justice" a reçu des consignes strictes et les condamnations sont particulièrement lourdes : 6 mois fermes pour un feux de poubelle par exemple. Les condamnations à la chaîne dans les tribunaux, au rythme des comparutions immédiates, n'épargnent personne, les arrestations étant particulièrement arbitraires. Profitant de cette révolte avortée faute de réel mouvement populaire, l'Etat policier se renforce : loi anti-émeute, état d'urgence, retour en force de la double peine... L'apathie semble générale face à la répression qui se met en place, et si nous ne voulons pas passer nos prochaines années à apporter des oranges aux emprisonnés, il est grand temps de détruire les prisons et le monde qui va avec. Lyon,25 novembre 2005 |
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Comment combattre loccupation en Irak ? |
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Même si la guerre en Irak ne fait plus les gros titres depuis longtemps, elle est loin d'avoir cessé et les troupes alliées sont toujours présentes. La résistance à l'occupation sur le terrain est toujours forte, et continue à nous interpeller. Où en est, aujourdhui, le mouvement contre loccupation en Irak ? En mars 2003, le vaste mouvement qui, face aux premiers bombardements, a rassemblé des millions de personnes manifestant dans le monde entier, a été accompagné de grèves lycéennes et étudiantes et, de manière plus marginale, de blocages de trains et davions militaires ou dautres formes daction directe. Ces formes daction qui pouvaient avoir un impact concret sur le cours des choses, comme les blocages des convoiements de matériel militaire en Belgique ou en Allemagne, navaient elles-mêmes quune dimension symbolique, tant quelles nétaient pas employées à une échelle massive. On peut facilement ironiser a posteriori sur la naïveté quil pouvait y avoir à croire que les manifestations de rue, les appels et les protestations symboliques allaient faire fléchir la machine de guerre américaine, mais limportance du mouvement, la rapidité avec laquelle il a surgi nen est pas moins frappante autant que celle avec laquelle il est retombé. En effet, une fois les bombes lâchées sur la population irakienne, les forces coalisées entrées dans Bagdad, il semblait pour beaucoup que laprès-guerre avait déjà commencé, quil ny avait plus grand-chose à faire. Face au fait accompli, le mouvement sest dégonflé à la manière dun soufflé. La plupart des collectifs anti-guerre, constitués à la hâte, se sont vidés de leurs membres, ou au moins, ont perdu leur capacité de mobilisation. Deux ans plus tard, il est, dans de nombreux pays, atone, dévitalisé, comme si la guerre nétait pas en train de se poursuivre sous une autre forme avec plus de 100 000 victimes selon le sources médicales qui viennent sajouter à toutes celles des années dembargo. Tout se passe comme si, dès lors que Bush Jr. a déclaré que la guerre était finie, il ny avait plus quà rentrer chez soi et attendre la prochaine. Dans les pays qui ont envoyé des troupes en Irak, la situation est bien sûr un peu différente, parce que la guerre prend une réalité plus concrète, celle des cadavres de jeunes gens qui reviennent au pays Mais comment expliquer ce phénomène ? Il y a sans doutes de nombreuses causes, qui expliquent lévolution du mouvement contre la guerre différemment dans chaque pays. Mais on peut proposer quelques pistes importantes. La première, cest que le mouvement sest presque partout appuyé, pour se structurer, sur les mêmes réseaux que le mouvement altermondialiste, dont on évoque aujourdhui la crise. Il souffrait surtout des mêmes ambiguïtés : une analyse inaboutie du capitalisme, sans référence claire à lexploitation et à la lutte des classes, une juxtaposition de thèmes mondialistes et souverainistes, une mystique des grands rassemblement au dépend de laction directe. Mais dans la durée, ces questions auraient sans doute pu être dépassées. La seconde piste, plus ou moins liée à la première, réside dans les ambiguïtés du mouvement lui-même, sur la nature du régime de Saddam Hussein et sur celle de ses adversaires. Le régime baasiste lui-même a pu instrumentaliser en partie la mobilisation à son profit, en détournant par exemple les courageux boucliers humains de la protection des personnes civiles vers celle des sites stratégiques. Et dans les manifestations, lanti-américanisme a été souvent un moteur plus puissant que lantimilitarisme, favorisant des alliances surprenantes, comme laccueil fait aux islamistes tout particulièrement en Angleterre. Bien sûr, ces courants ont le droit de manifester, mais était-il nécessaire de les associer à lorganisation même du mouvement ? Troisième piste enfin, la crise du militantisme dans les pays occidentaux. Bien sûr, il existe une multitude dassociations, dorganisations, de réseaux et de causes et tout autant de personnes dévouées pour les animer. Mais la capacité de mobilisation en profondeur, dans la durée, et plus encore, la capacité à aller au-delà de ses appréhensions, à prendre des risques, à se donner des objectifs ambitieux, est pour le moins limitée. Le regard à peine indulgent de la gauche moyen-orientale à légard des mouvements occidentaux nest sans doute pas immérité. Cette faiblesse, ce manque de souffle qui nest pas propre à telle ou telle composante du militantisme, explique sans doute en partie aussi la difficulté à faire exister le mouvement au delà de quelques mois. Il ne tient quà nous dy remédier. Quel rôle a joué lévolution de la situation en Irak sur ce mouvement ? La guerre a rapidement pris une autre forme, plus insidieuse que les bombardements, celle de loccupation militaire et du nation building , selon le concept en vogue au Pentagone, c'est-à-dire la constitution dun régime post-colonial adapté aux besoins de la diplomatie américaine. Lespoir ne pouvait donc venir que de lintérieur de lIrak. Or, lattitude initiale de la population irakienne a déconcerté celles et ceux qui sattendaient à un rejet massif et immédiat de loccupation. Soulagée de la chute du régime fasciste de Saddam Hussein, avec son parti unique, son culte de la personnalité, ses exécutions publiques et ses milliers de mouchards, préoccupée par les questions immédiates de logement, de santé, demploi, la population avait observée ses libérateurs autoproclamés avec une mélange de méfiance et daspirations. Une large partie de la jeunesse aspirait à un mode de vie moderne, dont les américains étaient supposés être porteurs. De plus, la majeure partie des forces politiques avait approuvé la guerre, à commencer par le Parti communiste dIrak et les partis nationalistes Kurdes, qui avaient jadis la sympathie de la gauche occidentale. Rien de tout cela ne correspondait vraiment à limage dEpinal dun peuple soulevé contre lenvahisseur, fier de ses valeurs et radicalement opposé à lamerican way of life telle quelle pouvait exister dans le mouvement anti-guerre. Malgré cela, peu à peu, la réalité de loccupation a commencé à se faire sentir. La peur et le mépris que les irakiens inspirent aux GIs, la violence dont ils font preuve, les affrontements quotidiens avec la guérilla au coeur des villes, les attentats, qui ont fait plus de victimes civiles que militaires, faisant de la seule présence de soldats américains dans une rue un danger de mort, tout cela à contribuer à déciller celles et ceux qui pouvaient avoir des illusions. La politique menée par un conseil provisoire de gouvernement sans assise réelle dans la population, son soutien avoué à la mise en place de la charia, le durcissement de la situation économique et sociale, le rapide retour des cadres baasistes dans les entreprises et dans larmée malgré des grèves expressément dirigées contre eux ont également contribué à transformer la méfiance en une hostilité à laquelle la révélation des tortures pratiquées à Abu Ghraib a servi de révélateur. Justement, est-ce que la montée en puissance de la résistance armée na pas changé les choses ? Lémergence progressive de la résistance militaire pouvait donc servir de point de rebond pour le mouvement contre loccupation. Elle était susceptible de redonner lespoir, de rappeler les grands mouvements contre la guerre en Algérie ou au Vietnam, de donner vérité à la formule selon laquelle lIrak serait le Vietnam de la dynastie Bush. Ce nouvel espoir fut également déçu : apparue très tôt, disposant de moyens militaires et financiers surdimensionnés, sans unité apparente malgré quelques effets dannonces, la résistance irakienne sest révélée rapidement dominée par les troupes délites du régime baasiste (gardes républicains, Feyadin Saddam) imprégnée de lidéologie islamo-nationaliste des dernières années du régime, talonnés par quelques mouvements nationalistes de gauche (Parti communiste cadres de base, nassériens, ) sans réelle autonomie, et par des mouvements authentiquement islamistes. Le fait que ses formes dactions étant parfois difficiles à distinguer de celles des mouvements terroristes (comme celui de Zarkawi) et des gangs mafieux, et les actions les plus odieuses commises sous couvert de résistance , comme la décapitation de travailleurs immigrés, ont rapidement mis fin à la sympathie initiale dont elle pouvait bénéficier, aussi bien dans le pays quà létranger. Quand au mouvement dal-Sadr, qui semblait prendre la forme dun action de masse plutôt que du terrorisme, son contenu politique ouvertement réactionnaire tout comme sa rapide soumission à loccupant, chèrement négociée, lui ont ôté toute crédibilité. Même sil conserve une importante capacité de mobilisation, son action est essentiellement liée aux intérêts diplomatiques de la République islamique dIran. Quelle que soit lappréciation quon peut avoir aujourdhui, à la lumière de ce quelles sont devenues, la résistance algérienne ou vietnamienne se présentaient comme progressistes et suscitaient lespoir de personnes qui se considéraient également comme progressistes. Elles prétendaient, au moins formellement, défendre les travailleurs, libérer les femmes, moderniser la société ; cétait également lopinion sincère dune majeure partie de leurs membres et de leurs partisans en France ou aux USA. Ce nest pas le cas de la résistance irakienne, des mouvements qui sexpriment en son nom : leur programme social est ouvertement réactionnaire. Bien sûr, il y a sans doute ça et là dans la résistance des mouvements sympathiques, des personnes respectables, que la situation réelle de loccupation amène à choisir la lutte armée. Mais, même celles et ceux qui soutiennent en principe cette résistance là sont bien incapable de la nommer, de lidentifier et de lui apporter le soutien quelle mérite. En outre, de nombreux courants critiques pensent en réalité lIrak dans les mêmes termes que ladministration US : une population divisée en ethnies et en sectes, dans lequel la religion et la tribu tiendraient une place primordiale dans la vie des gens. Or, il suffit de discuter avec quelques irakiens, même absolument rétifs à toute forme de politisation, pour comprendre que la réalité est à la fois plus complexe et plus nuancée que cela. Le refus de lethnicité et lesprit laïques sont bien plus courants quon ne limagine. Or, dans la grande presse comme dans lesprit de la population, la résistance à loccupation est assimilée à ces mouvements réactionnaires, qui ne peuvent susciter la sympathie. Pour lopinion publique, la situation irakienne est devenue confuse et sans issue. Cest cet état desprit que nous devons transformer, en montrant lexistence dalternative crédibles. Le mouvement contre les bombardements en 2003 sadressait au gouvernement américain. Maintenant, il nous faut nous adresser directement à la société irakienne, sur les forces sociales qui y agissent réellement. Cest le choix quon fait des associations comme Solidarité Irak, Iraqi workers solidarity group en Grande-Bretagne et en Australie, ou encore le très actif Comité de soutien au front civil irakien au Japon. Mais, est-ce suffisant pour lutter contre loccupation en Irak ? Il nous faut mener de front plusieurs tâches. En Irak, les forces progressistes opposées à loccupation se regroupent et se structurent, avec la récente constitution du Congrès des libertés en Irak. Elles ont une expérience politique et militaire réelle, en raison du rôle joué par nombre de ses leaders lors de linsurrection de 1991. Leurs moyens militaires limités, leurs permettent tout de même dorganiser quelques zones libérées dans des quartiers populaires de Bagdad où larmée américaine ne saventure pas. Mais elles peuvent sappuyer sur un réel ancrage dans les camps de réfugiés, parmi les chômeurs et chômeuses, dans les usines qui fonctionnent encore. Elles y mènent une propagande sans relâche contre loccupation et contre le gouvernement. Tous les indicateurs montrent que leur influence en Irak est croissante, et la récente révolte des étudiants de Bassora contre les exactions des partisans dal-Sadr montrent que les forces progressistes sont parfaitement capables de tenir tête à leurs adversaires. Notre rôle, en tant que réseau de soutien international, est de les soutenir matériellement et financièrement. Mais il ne peut naturellement se limiter à cela. Dans les pays qui maintiennent des troupes en Irak qui, outre les Etats-Unis, incluent notamment plusieurs pays de lUnion européenne (la république Tchèque, le Danemark, la Lituanie, la Pologne, le Royaume-Uni, plus lItalie qui a prévu de les retirer), la tâche principale est daffronter le gouvernement pour obtenir le retrait, bloquer les transports de troupes ou de matériel militaire, et de soutenir les familles de militaires opposées à loccupation. Dans les autres pays, même si cette dimension nest pas absente, il est possible de développer dautres tâches, particulièrement le soutien aux déserteurs et déserteuses, qui sont de plus en plus nombreux, dont certains ont demandé lasile politique au Canada. Nous devons saper les forces de la coalition, les placer dans une situation morale telle quelles ne puissent faire autrement que de se retirer. Ces deux axes sont complémentaires. Si le départ des troupes de la coalition américaine avait pour seul résultat limposition dun régime dapartheid sexuel à lIranienne encore que le gouvernement actuel ne soit pas insensible à cette idée la population irakienne naura pas vraiment gagné au change. Il ny a donc pas dautres solution que de lutter pour obtenir le départ des troupes et de soutenir les mouvements féministes et sociaux, si lon veut réellement combattre loccupation en Irak. Cest sur cette base que le mouvement peu trouver un rebond et un véritable sens. Nicolas Dessaux |
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Expulsions massives à Mayotte |
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A 10 000 kilomètres de Paris, Mayotte est ainsi devenue une porte, dérobée, de lEurope. La disparité énorme entre les conditions économiques de cette île soutenue par la métropole (la France y injecte plus de 160 millions deuros par an) et les autres de l'archipel distantes de moins de 70 km attire chaque année au moins une dizaine de milliers de clandestins dans de frêles embarcations appelées "Kwasa Kwasa". Mayotte est la plus grosse maternité de France avec 7 000 naissances annuelles, 75 % de ces naissances seraient issues de limmigration clandestine (désormais les soins à la maternité sont payants). Selon lInsee, sur une population de 160 000 habitants, lîle compterait 55 000 clandestins, venus essentiellement des Comores mais également de Madagascar et dAfrique continentale. Ils forment lessentiel de la main-duvre dans lagriculture, la pêche, le bâtiment, la restauration. Les immigrés sont également domestiques chez les "mzoungous", les Blancs métropolitains, ou les riches Mahorais. Les salaires varient entre 100 et 500 euros par mois pour des horaires évidemment illimités. Mayotte en tant que département détient un quadruple record : une fécondité africaine (la moitié de la population a moins de seize ans) ; une scolarisation presque achevée, avec un analphabétisme encore important ; une économie entièrement dépendante (lîle importe cinquante fois plus quelle nexporte) ; enfin, la première place en France, devant la Guyane, pour le nombre dexpulsions détrangers - ce sont pour lessentiel des Comoriens, venus surtout de lîle dAnjouan. Depuis les déclarations de François Baroin, ministre de l'Outre-mer, en septembre dernier, qui, se basant sur ces constations, insistait sur le fait qu'il fallait revoir la notion de "droit du sol" pour obtenir la nationalité française, notamment à Mayotte, la situation s'est terriblement dégradée. Selon les informations en notre possession des camions de larmée des français ont été chargés à bloc - cest un euphémisme - de personnes indésirables à Mayotte (Kavani Mandzarsoa, bordure de Mamoudzou). Le "contenu" des dits camions a été déposé en zone dattente et expulsé manu militari par avion. Les gens qui ont montré leur permis de séjour ont eu la surprise de les voir réduits en miettes par les préposés aux expulsions sur le lieu même où ils ont été embarqués. Dans plusieurs communes de la côte sud-ouest (Bouéni, Moinatindri, Poroani etc...) des comoriens ont été chassés par la population et contraints de partir (comme ils sont venus) en barque vers Anjouan. Leurs enfants scolarisés depuis au moins quatre ans ont été retirés des écoles, en pleine classe, et renvoyés. Des communes organisent des réunions dans chaque village pour décider de la conduite à suivre dans les prochaines semaines. Les maires ou des conseillers municipaux des communes de la côte ouest de l'île ont exigé des comoriens en situation irrégulière qu'ils quittent immédiatement leurs maisons, sans s'encombrer de leurs affaires. Les enfants ont à nouveau été interdits dans les écoles. On a exigé de tous les clandestins qu'ils quittent l'île à la fin du ramadan au plus tard. Seul le maire de Kougou (Nord Est) a refusé de procéder aux expulsions. Les populations expulsées de l'ouest se sont en partie retrouvées dans la capitale et dans la commune de Koungou. Une pétition haineuse circule - distribuée aux mahorais exlusivement ! - dun "collectif pour la défense des mahorais", qui se termine ainsi, après des injures et des menaces abominables lancées contre diverses personnes : "devant labsence de lEtat, armons nous et défendons nous". Des anjouanais ont été battus à mort dans le nord (commune de MTsamboro dont le maire est au front national), leurs cadavres jetés dans la mangrove. Quatre cents personnes en situation irrégulière, originaires de l'île voisine des Comores, ont exprimé leur ras-le-bol. Un représentant des Comoriens a affirmé: "Là-bas, aux Comores, c'est la misère. Là, on nous exploite comme des bêtes. Maintenant on va nous demander de partir, nous sommes prêts. Que l'on nous donne un bateau." Après la manifestation qui a rassemblé plusieurs milliers de Mahorais à Mamoudzou (pour répliquer à celle des Comoriens, on a pu voir aux infos les images surprenantes du président du conseil général manifestant avec les habitants de sa commune dans les quartiers habités par des clandestins, le poing levé, sous des banderoles les Anjouanais dehors. Dans la foulée, une réunion au conseil général a rassemblé les maires, le préfet, et la population. Le préfet s'est fait huer lorsqu'il a fait l'exposé de tout ce que faisait déjà l'Etat pour lutter contre l'immigration clandestine (32 barques confisquées et détruites depuis le début de l'année, (?) reconduites à la frontière - à ce propos, comme il n'y a plus de bateau et un seul avion minuscule, celui-ci ne transporte pratiquement plus de passagers normaux, mais ne sert quasiment qu'aux reconduites à la frontières !) Il a donc dû promettre l'intensification de cette lutte d'ici la mi-novembre. Cela signifie la mise en place de plusieurs super-radars chargés de repérer l'arrivée des kwassa-kwassa, des arrestations massives de clandestins et donc la remise en place d'un bateau pour assurer un nombre plus important de reconduites à la frontière. D'autre part, les Mahorais ont réclamé la tenue d'un référendum sur le plan de lutte contre l'immigration clandestine, et se sont engagés, la main levée, à renvoyer les clandestins qu'ils embauchent ou à qui ils louent des chambres. Le mercredi 2 novembre, une immense opération de contrôles d'identité a mobilisé près de 200 gendarmes, policiers nationaux et municipaux à Mamoudzou, provoquant des bouchons monstres entre 9 heures et 11 h 30, alors que l'affluence du côté du marché était importante. Le but était d'arrêter les personnes en situation irrégulière. Un cordon de gendarmes a bloqué toutes les issues du marché sur le terre-plein de la douane. Des bateaux attendaient pour acheminer les sans-papiers vers le centre de rétention, en Petite Terre. Nicolas Sarkozy a estimé le 20 octobre sur France 2 qu'on ne pouvait "pas continuer avec exactement la même législation dans un territoire comme la Guyane, comme Mayotte". "Je ne sais pas s'il faut revenir sur le droit du sol ou pas. Je dis simplement qu'on ne fait pas appliquer une législation de la même façon lorsqu'on est aux portes des Comores qu'ailleurs". Camille, OCL Reims, le 7 novembre 2005 Brève histoire de Mayotte 25 mars 1841 : Établissement d'un protectorat qui est ratifié le 13 juin 1843. Mayotte dépend administrativement du Gouverneur de la Réunion. 30 mars 1896 : Le protectorat s'étend sur l'ensemble de l'archipel, Mamoudzou en est la capitale. 25 juillet 1912 : Annexion par la France ; l'ensemble de l'archipel est sous dépendance administrative de Madagascar. Décembre 1974 : C'est la seule île de l'archipel à voter aux référendums pour conserver ses liens avec la France. Les autres îles déclarent leur indépendance. Le vote est de 63,8% en faveur de la conservation de ce lien, alors qu'il n'est que de 0,6% dans les autres îles (soit 99,4% contre). La société mahoraise, plus encore que celles des autres îles des Comores, est alors très peu influencée par le mode de vie occidentale et vit au rythme de la vie musulmane traditionnelle. Depuis 1975, l'île est toujours revendiquée par l'Union des Comores et l'Union africaine reconnaît ce territoire comme occupé par une puissance étrangère. En 1976, La République Fédérale Islamique des Comores a saisi le Conseil de sécurité des Nations Unies qui ont reconnu par 14 voix sur quinze sa souveraineté sur Mayotte. 24 décembre 1976 : Mayotte confirme son premier vote et devient un collectivité territoriale. Si le droit français s'applique, le droit traditionnel musulman peut également y être appliqué au gré des justiciables par les tribunaux locaux présidés par les cadis. À partir des années 1990, on note un fort investissement économique français et un profond changement de la société mahoraise, ce qui ne va pas sans créer un certain malaise. Pourtant la volonté de modernité ne faillit pas. 11 juillet 2001 : Suite à une élection dont le résultat ne laisse aucun doute sur la volonté des Mahorais de rester Français (73%), le statut de l'île change pour un statut assez proche de celui des départements d'outre-mer : une collectivité départementale d'outre mer. En 2004, la France a opposé son droit de véto contre une autre résolution. Durant ce temps, les élus de Mayotte, fortement poussés par la population, tentent d'obtenir de la France, pour l'île, le statut de département afin d'assurer un ancrage définitif au sein de la République française. |
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Melilla et Ceuta : en finir avec lEurope forteresse ! |
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"Ta peau est ton visa et tu ne passes pas quand tu es noir et, de surcroît, pauvre. Tu dois même disparaître. Tel est mon sentiment personnel. Sinon pourquoi vont-ils jusqu'à déchirer ou brûler nos passeports, et même nos carnets d'adresse quand ils ne nous tuent pas. Ils nous veulent sans identité, ni existence. Ils nous dépouillent souvent des moindres papiers que nous pouvons avoir et les informations qui peuvent nous permettre de poursuivre notre chemin ou de garder le contact avec nos parents". Depuis de nombreuses années, des milliers de migrants subsahariens tentent, au péril de leur vie et à travers un long périple de plusieurs mois dans des conditions atroces, datteindre lEurope, dans lespoir dy trouver sécurité et ressources nécessaires à une vie digne. Ces migrants, la Commission européenne, comme les gouvernements des Etats membres de lUE, les nomment des "clandestins". Et ce mouvement migratoire, légitime, "invasion". Pris au piège, les migrants prennent de plus en plus de risques, pour parvenir malgré tout à poser les pieds sur le territoire européen : traversée de la Méditerranée de nuit dans des embarcations de fortune ; escalades des grillages et barbelés entourant les enclaves, étroitement surveillées. On ne compte plus le nombre de victimes, au large des îles italiennes, des Canaries et des côtes andalouses ou au pied des barbelés entourant les enclaves. Suite aux événements tragiques de Ceuta et Melilla, qui ont fait plusieurs morts et blessés à la fin septembre 2005, le Maroc a dépêché plusieurs centaines de soldats pour contribuer, aux côtés des soldats espagnols, à la surveillance du mur de la honte qui sépare Ceuta et Melilla du reste du territoire marocain. Aussi, des centaines d'immigrés subsahariens ont été arrêtés au nord du Maroc et certains parmi eux sont reconduits au désert de Bechar où une goutte d'eau coûte de l'or. Témoignages de ce qui s'est passé à Ceuta et Melilla "Lors du premier assaut à Ceuta, dans la nuit du 28 au 29 septembre, les militaires marocains surpris ont réagi à coups de fusil, en tuant deux personnes. Après que nous ayons franchi la première grille, nous étions à la recherche des issues à emprunter pour être dans Ceuta sans avoir à escalader la deuxième grille du haut de laquelle nous étions des cibles faciles. La Guardia a réagi en barrant les entrées avec leurs véhicules et en tuant quatre personnes. La Guardia nous a tellement brutalisés que nous avons cédé. Ils nous ont alors ligotés deux à deux avant de nous livrer aux Marocains qui nous ont conduits en prison". Un autre : "Moi, j'étais à Melilla. A la tombée du jour, nous nous étions regroupés à la lisière de la forêt. Vers deux heures du matin, nous sommes sortis par centaines en nous dirigeant vers les grilles. Dès que nous nous en sommes approchés, les Marocains qui n'étaient pas nombreux ont pris peur et se sont dispersés. La Guardia de l'intérieur de la grille a alors commencé à tirer. Nous nous sommes repliés mais moi j'ai été blessé par une balle à la jambe. J'ai, à partir de ce moment, demandé à mes compagnons de ne pas m'attendre parce que j'ai mal. C'est alors que je me suis trouvé parmi les corps inertes, au nombre de six. De peur d'être découvert et maltraité, j'ai fait le mort. Le matin, les Espagnols ont ouvert le grillage et donné de l'eau aux Marocains afin qu'ils nous arrosent en vue de vérifier si nous étions bien morts ou vivants. J'ai dû me manifester. Ils m'ont battu et m'ont jeté dans leur véhicule. Mais, fou de douleur, un autre black qui était resté auprès du corps de son frère cadet leur a dit qu'il n'avait plus de raison de vivre et que ceux qui ont tué son frère pouvaient en faire autant de lui. Les militaires marocains l'ont froidement abattu. J'ai vu cette scène de mes yeux". Un autre encore : "Nous campons des mois durant devant les grilles de protection généralement par ressortissants du même pays. Les groupes se forment pour franchir ensemble la grille. Avant 2003, nous tentions notre chance un à un et par petits groupes. Mais le renforcement de la surveillance de la voie maritime a gonflé le nombre de ceux qui venaient tenter leur chance du côté des grilles. Si, en intervenant massivement, nous avons permis au monde entier de voir ce qui nous arrive, nous voulons souligner que les mauvais traitements et la mort le long des grilles remontent à 2003 Nous faire disparaître consiste surtout à nous ramasser et à nous larguer dans le désert, le plus loin possible, sans eau ni nourriture et en nous dispersant." Qui sont-ils ? Les refoulés de Ceuta et de Melilla ont les mêmes aspirations que les jeunes européens à l'emploi. "Nous avons parmi nous des paysans et des fils de paysans dont moi-même. Mon père a un grand champ que je pourrai exploiter dès aujourd'hui si on m'en donnait les moyens. Je n'ai pas de diplôme mais je me sens capable de faire dans ce pays ce que j'ai fait pour gagner ma vie à travers les champs d'Algérie". "Moi je suis producteur de coton. Cela veut dire que j'appartiens à une catégorie de paysans mieux lotis que les autres. Il fut un temps où nous pouvions bien gagner notre vie. Mais rien ne va plus dans ce secteur. Et même du temps où les choses allaient mieux nous étions obligés de diversifier nos activités sinon le revenu agricole ne suffit guère à couvrir nos dépenses. C'est pour cela que j'ai dû partir à l'aventure". "Moi, je suis commerçant. Je voyageais entre Bamako et Lomé, d'où je ramenais des tissus, des pièces de voiture, d'autres vendaient des friperies, des pièces de voiture, des produits cosmétiques, des cassettes etc. Mais en plus des tracasseries des douaniers, des gendarmes et des policiers le long de la route, tout le monde est devenu commerçant au Mali y compris les fonctionnaires. Or rien ne se vend, sauf à crédit et les acheteurs s'acquittent difficilement de leur dette. J'ai dû laisser tomber le commerce". "Nous avons également des artisans parmi nous : menuisiers, soudeurs ainsi que des chauffeurs ." Les raisons qui les poussent à émigrer Les victimes de la répression de Ceuta et de Melilla ont d'abord souffert de la violation de leurs droits économiques et politiques dans leurs propres pays et pas seulement du fait de la corruption de leurs dirigeants. Les causes de leur exil qui sont internes et externes ne sauraient être réduites à la pauvreté et l'extrême pauvreté dont l'issue serait la "bonne gouvernance". Le fait est que l'Europe, qui ne veut pas subir l'émigration, fait subir aux peuples d'Afrique les conséquences de ses choix économiques, exacerbe les inégalités et les injustices internes, criminalise et humilie les composantes les plus vulnérables. Qu'il s'agisse de la traite négrière ou de l'esclavage des temps présents, le système capitaliste fait le tri, prélève ceux qui répondent à ses besoins. Aussi, l''immigration choisie" consiste à entrebâiller les portes de l'Europe afin qu'y entrent les médecins, les infirmiers, les informaticiens, , dont elle a besoin en laissant aux Etats africains le soin de gérer la grogne sociale et de contenir les mécontents et les désespérés, du fait des salaires de misère et du chômage. L'intensification des flux migratoires n'est, en somme, ni un hasard, ni la faute d'une Afrique noire, pauvre et corrompue, mais l'une des conséquences tragiques de la violence de l'ordre économique dominant. " Externalisation" par l'Europe de la politique migratoire La seule préoccupation des pays européens est dendiguer ces migrations, sans jamais sinterroger sérieusement sur les causes et les effets, ni a fortiori sur leurs responsabilités propres dans cette situation. Pour cela, lUnion européenne érige des murs de plus en plus hauts, installe des dispositifs toujours plus sophistiqués pour se "protéger", et pour échapper au regard de lopinion publique qui pourrait sen indigner, négocie aujourdhui linstallation de ces dispositifs en dehors de ses propres frontières. Cette "externalisation" de sa politique migratoire consiste à faire prendre en charge, de gré ou de force, la "protection de ses frontières" par ses voisins proches - au Sud, les pays du Maghreb, la Mauritanie et la Libye, à travers différents accords et en échange de financements. Ces pays acceptent ainsi le statut de "zone tampon" : ils installent des camps jusquen plein Sahara et près de Tanger, des barbelés aux frontières, étendent leurs dispositifs policiers, organisent des systèmes de surveillance à laide de technologies de plus en plus sophistiquées... Pour tenter de "dissuader" dautres migrations, et montrer leur bonne volonté à lUE, ils déploient tout un arsenal de répressions et dhumiliations. C'est le 27 février 2004 que l'Etat marocain a accepté de rapatrier tous les immigrés subsahariens et autres nationalités qui auraient transité depuis douze ans par le Maroc et interceptés par l'Espagne (réactivation des accords de Malaga de 1992). L'Europe propose 40 millions d'euros au gouvernement marocain pour surveiller des frontières toujours contestées. Le gouvernement marocain accepte cette salle besogne et reconduit les personnes rapatriées, non pas chacune vers son pays, mais il les déporte vers les frontières des pays limitrophes. Ce comportement, "en matière de reconduite à la frontière" se poursuit depuis 2002, sans aucune réaction des partis au gouvernement ou de l'"opposition parlementaire". C'est d'ailleurs ce qui encourage le gouvernement espagnol à toujours demander plus ! La tragédie de Ceuta et Melilla est le fruit de cette politique migratoire de la "forteresse Europe", essentiellement utilitariste, à laquelle les gouvernements des pays du Sud servent de supplétifs. Et la France porte une responsabilité forte dans cette situation. Elle pousse en effet au sein de lUE, avec une démagogie sans limite, à ce durcissement et cette externalisation des politiques migratoires. Elle prône la distinction entre "immigration subie" (les réfugiés, qil faut empêcher coûte que coûte dentrer), et "immigration choisie", en fonction des besoins des économies du Nord. Sur son propre territoire, dailleurs, des sans papiers sont aujourdhui pourchassés, traqués, empêchés de vivre, enfermés dans des centres de rétentions dans des conditions scandaleuses, avant dêtre expulsés par "charters". Plutôt que de s'émouvoir sur un Maroc qui ne serait pas démocratiques, c'est nos propres gouvernements qu'il faut combattre. Camille, OCL Reims, Novembre 2005 Note : Tous les témoignages cités ont recueillis à Bamako, au Mali, du 18 au 20 octobre 2005, au Centre Amadou Hampaté BA (CAHBA) lors du départ de La marche de la dignité initiée par le Forum pour l'Autre Mali (FORAM) et le Réseau des Artistes et Intellectuels Africains qui s'est ensuite transportée en Europe fin octobre. Ceuta Ville et port franc espagnol, sur la côte marocaine (presqu'île d'Almina), en face de Gibraltar ; 19,3 km2 ; 71 403 habitants. Base de départ des Arabes conquérants de l'Espagne dès 710, elle est conquise par les Portugais en 1415. La ville, annexée par l'Espagne en 1580 et dépendant de la province de Cadix, fut déclarée libre et port franc en 1956. Là commença la guerre civile espagnole de 1936, avec le soulèvement de l'armée d'Afrique. Elle est revendiquée par le Maroc. Melilla Ville d'Afrique du Nord, place de souveraineté espagnole depuis 1496 (province de Málaga), enclavée en territoire marocain ; 123 km2 ; 69 880 habitants. Vieille ville fortifiée (XVIe s.), avec port minéralier (exportation de plomb et de fer du Rif) et de pêche. Zone franche. (1) Sur ce sujet, se reporter à Courant Alternatif n°146 (février 2005), article sur l'utilité sociale. |
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