Courant alternatif no 155 janvier 2006

SOMMAIRE
Edito p. 3
ÉMEUTES
Entendez-vous dans nos banlieues mugir ces féroces barbares! p. 4
Tous ensemble, refusons de laisser punir les pauvres p. 7
CORSE
Soutien à Ivan Colonna p. 7
SOCIAL
Où va la CGT ? p.10
La grève du 22 novembre à la SNCF
La véritable scission dans AC!
SOCIÉTÉ
GPS: Gaffe à la police spatiale! p. 16
RUBRIQUE BIG BROTHER p.17
SANS FRONTIÈRE
D'Afghanistan à l'Irak, une guerre robotisée p.18
SOCIÉTÉ
Amiante: un crime social p.21
A LIRE
COURRIER
BRÈVES

EDITO

La duperie électorale
Il n’est pas un soubresaut dans la société française, aussi minime soit-il, qui ne soit immédiatement instrumentalisé en vue des prochaines présidentielles de 2007 et ce, par tous les partis sans exception.
Par les grandes formations bien entendu. Les primaires à l’UMP et les manœuvres de synthèse au PS (qui enterreront une fois de plus le “ vieux socialisme ”, pourtant déjà mis en touche depuis des lustres, au profit d’un “ social libéralisme assumé ”) tentent de remettre en selle des politiques largement rejetées et méprisées par les électeurs comme par les abstentionnistes. Les banlieues, le logement, le chômage, la croissance, la sécurité sont déjà l’occasion de tirer à eux la couverture à propos de questions vis-à-vis desquelles ils ne se différencient guère, comme on a pu le constater en pleines émeutes banlieusardes !

Les syndicats ne sont pas en reste : La CFDT poursuit sa politique de syndicat patronal, la CGT soigne son image de partenaire social plus que raisonnable (voir p.10),

La proximité des présidentielles laisse aussi son emprunte dans le secteur dit “ alternatif ” : des scissions internes menacent ou se réalisent à AC ! (voir p. 13), à ATTAC, à SUD comme dans tous les “ petits syndicats ”. Partout la pression est grande pour soient dictées les orientations stratégiques des uns et des autres en fonction d’une victoire de la gauche, et par conséquent d’alliances avec le parti socialiste.
Ces préoccupations électoralistes figent par avance les mobilisations et mouvements qui voudraient démarrer. Une chape de plomb est retombée sur les banlieues : le couvercle soulevé durant une douzaine de jours par une partie de ses habitants s'est refermée sur elles et ses exclu-e-s. Une campagne d’inscription sur les listes électorales a depuis été lancée dans certaines municipalités pour aller à la pêche aux voix : Besancenot, Joey Starr, Djamel Debbouze ou Jean-Pierre Bacri, qui s'activent dans ce cadre, assènent aux “ émeutiers ” : Hors les élections, no future ! La LCR y gagnera peut-être quelques militants dans un secteur où elle n’en a guère, mais le taux d’abstention restera heureusement le même !

Les critiques du style “ Il ne faut pas brûler les voitures ” qu’ont adressées aux “ émeutiers ” la droite mais aussi la gauche (voir l'article “ Punir les pauvres ” p.7) sous-entendent que les autres luttes seraient, à l'inverse, dénuées de défaut : contrairement aux autres mouvements sociaux, l'explosion dans les cités devrait donc être politiquement “ irréprochable ” pour pouvoir bénéficier d'un soutien ? Pourtant, dans un contexte d’émeute, les personnes qui entrent en mouvement et celles qui les soutiennent ne s’arrêtent pas aux dégâts matériels : en Mai 68, qui, en dehors de leurs adversaires, reprochait aux étudiants de brûler des bagnoles ?.

Tout débat ou discussion est menacé par les anathèmes de proximité idéologique avec l’extrême droite (comme pendant la campagne autour du référendum sur la Constitution européenne…) dont les représentants sont multiples, de Le Pen (père et fille) à Sarkozy en passant par de Villiers. Le PS va utiliser cette donne pour se remettre en selle. Toute la nébuleuse “ bourge de gauche ” a l'habitude de crier “ Sus au facho ” dès qu’un problème, un doute ou une interrogation, sont exprimés par rapport au politiquement correct. Cependant, dans le contexte préélectoral, l'accent va être mis à la fois contre Le Pen, comme d'habitude, mais aussi contre Sarkozy, dont l'attitude provocatrice est propre à indigner suffisamment de gens pour les mettre en action contre lui — au risque, par cette personnification de l'Ennemi, de faitre l’autruche sur les mesures sécuritaires déjà en place. Une défaite de Sarkozy aurait essentiellement une valeur symbolique, une victoire qui servirait les tenants du système en place… et il y a fort à parier que ses successeurs, de droite ou de gauche, sèmeront là où il a labouré. Quand l’état d’urgence a été décrété, le PS n'a pas réagi, et il s’abstient de dénoncer autrement que du bout des lèvres une évolution politique très autoritaire. Il n'est pas seul : les milieux “ alternatifs ” ont également été remarquablement absents, ou du moins aussi faibles sur la mobilisation pendant les dernières nuits chaudes en banlieue que sur la solidarité à l’instauration de l’état d’urgence et par rapport aux procès en cours. A présent, la répression est dure ; les flics, qui ont le vent en poupe, n'hésitent pas à cogner (voir par exemple la remise en liberté de ceux qui ont été filmés en train de tabasser un jeune — “ Big Brother ”, p. 17). La comparution immédiate en flagrant délit devient la règle, et les peines distribuées s’apparentent à une justice d’abattage.

La polarisation Sarko-Facho risque fort de servir de programme à tous les tenants d’une néo-union de la gauche et de d’extrême gauche. Les milieux libertaires sauront-ils se tenir à l’écart de cette duperie et se maintenir du côté de la critique globale du système en place sans céder aux sirènes de la défense de la démocratie et du citoyennisme ?

Face à cela, les conditions d'une large mobilisation ne sont pas réunies comme en 1995 ou en 2003, où des fractions de salarié-e-s en lutte — à la SNCF ou dans l'Education nationale — ont ouvert des espaces de contestation et entraîné avec elles de nombreuses personnes prêtes à se révolter. La tendance est plutôt à rentrer la tête dans les épaules en espérant que la misère ou la répression tombent sur quelqu'un d'autre, et/ou à attendre des jours meilleurs. Effectivement tout se passe comme si des millions de gens qui se sont manifestés lors des mouvements de ces dernières années, lors du référendum, ou dans des sondages indiquant le rejet du capitalisme, laissaient passer l’orage, guettant l’occasion de relever la tête. Ce sont bien ces occasions que les partis et les syndciats redoutent et tentent de conjurer par les grandes manœuvres électorales longtemps préparées à l’avance.

OCL Poitou, janvier 2006

Entendez-vous dans nos banlieues mugir ces féroces barbares !

Deux mois après la flambée de violence dans “ les banlieues ”, il serait peut-être temps de faire le point sur la gestion par le pouvoir de la crise sociale et économique, et sur les réactions politiques. Au-delà des milliers d'interpellations, centaines de condamnations et/ou expulsions (1), comment peut-on analyser la politique répressive du pouvoir ? Ces émeutes semblent avoir servi de prétexte à un renforcement de la politique de gestion autoritaire de la crise, qui se dessine depuis longtemps. Encore une fois, l’immigration est désignée comme bouc émissaire dans une énième tentative d’occulter les véritables causes de la révolte. Encore une fois le “ choc des cultures ” est manipulé par les politiciens. Encore une fois nous assistons au beau débat “ République ” contre “ communautarisme ”. Mais n’y a-t-il pas aussi un jeu plus subtil du pouvoir qui vise à communautariser et ethniciser des populations exclues socialement, à renvoyer les prolétaires à une condition d’indigènes de la République ?

Cela fait un bon nombre d’années que la situation dans certaines banlieues est explosive : chômage élevé, bas salaires, précarité forment déjà le premier terreau d’une violence économique quotidienne. Il faut rajouter à cela un sentiment d’exclusion nourri par la ségrégation urbaine, l’échec scolaire et les discriminations (emploi, logement, sorties...). Cette discrimination sociale est renforcée par la discrimination raciale qui s’y superpose, dans des quartiers où une proportion importante de la population est d’origine immigrée. Remettez là-dessus une pression policière qui ne date pas d’aujourd’hui (la “ chasse aux jeunes ” et les interpellations au faciès étaient déjà dénoncées à la fin des années 70) mais qui s’est considérablement renforcée ces dernières années. La police a ici une conception assez particulière de sa mission de protection de la population : on sait bien dans ces quartiers que si on est en difficulté on peut attendre longtemps ; par contre, il y aura quelques jours plus tard des contrôles d’identité au hasard, un hasard qui touche particulièrement les jeunes bronzés du secteur. Les mêmes jeunes savent bien que s’ils sortent de leur quartier les contrôles “ au hasard ” dans les RER, gares et autres lieux publics tomberont sur eux. Rappelons aussi que le type de travail policier dans les quartiers a été modifié, les îlotiers recevant d’abord une mission d’investigation, puis étant carrément supprimés par Sarkozy au profit de la tristement célèbre BAC.
Finalement, la question est donc autant de savoir pourquoi il n’y a pas eu d’émeutes lors des précédentes bavures policières que de savoir pourquoi l’émeute s’est généralisée cette fois-ci.

L’apprenti sorcier

Tout cela n’est pas nouveau pour le lecteur de Courant alternatif, mais certainement pas non plus pour un ministre de l’Intérieur forcément tenu au courant par ses services de renseignements (généraux). Il s’est pourtant appliqué consciencieusement à allumer un incendie avec des propos sur le nettoyage au Kärcher et la racaille, d’abord à La Courneuve, sans réaction notable, puis une nouvelle couche à Argenteuil, toujours sans réaction importante... Ses déclarations ubuesques à chaud au moment de la “ bavure ” de Clichy-sous-Bois — des jeunes qui fuiraient devant une interpellation mais ne seraient pas poursuivis ! De toute façon ce serait des voyous ; les honnêtes gens ne s’enfuient pas devant la police — ont (enfin ?) réussi à mettre le feu aux poudres. Il faut dire que les jeunes en question étaient morts, et que leurs copains savaient qu'ils n'étaient pas de la “ racaille ”.

Certes, une première explication de cette attitude est simple : ce monsieur est pressé d’arriver au pouvoir, et il a calculé qu’un petit peu de “ violence ” renforcerait sa popularité. Mais n’y a-t-il pas aussi une volonté délibérée du pouvoir dans son ensemble — et donc pas seulement de Môssieur Sarkozy) de créer des clivages dans la société sur lesquels s’appuyer pour aller vers un pouvoir de plus en plus autoritaire ?

N’y a-t-il pas une volonté plus générale de profiter de l’événement pour mettre en place préventivement une législation répressive dans la perspective des privatisations, des licenciements... des conflits sociaux en général ? On peut d’ailleurs remarquer à ce sujet la mollesse de la réaction du PS, qui a quand même dans un premier temps approuvé l’instauration de l’état d’urgence.

Il est probable cependant que le pouvoir ne prévoyait pas une réaction aussi massive. Il n'a sans doute pas non plus prévu que cette révolte s'étendrait si rapidement, ni qu'une certaine sympathie apparaîtrait, dans au moins une partie de la population, envers les raisons de cette révolte. Les émeutiers étaient très jeunes, généralement français (Sarko soi-même n’a réussi à trouver que 130 étrangers sur les milliers d’interpellations), très souvent inconnus de la justice, voire souvent de la police. Rappelons que pour être “ connu des services de police ”, il suffit d’avoir été gardé à vue suffisamment longtemps pour “ passer au fichier ”. Suffisamment peu d’armes ont été saisies pour qu’une “ fabrique de cocktails Molotov ” fasse la une des journaux. Il ne s’agissait pas de la parade de quelques casseurs qui feraient habituellement régner la terreur dans les quartiers, mais d’une révolte massive, d’une révolte dont l’une des revendications importantes est l’intégration à la société française, entendue dans le sens de société de consommation, et la dénonciation d’un double discours du pouvoir qui leur dénie symboliquement la qualité de Français qu’ils sont pourtant réellement et administrativement. Sarkozy et tous les autres auraient pourtant bien aimé pouvoir les renvoyer à “ leurs ” mosquées, réduire les incidents à une agitation intégriste islamiste, ce qui aurait fait un joli paquet cadeau avec les suites du 11-Septembre. Enfin, toujours gênant pour le pouvoir, cette révolte a été suffisamment importante pour “ ternir ” l’image de la France à l’étranger.

Mais que fait donc la police ?

A part l’envoi, classique et normal, de toutes les sortes de flics (CRS, gendarmes mobiles, BAC, RG...), l’utilisation, habituelle aussi, de la justice expéditive (2), le pouvoir a réagi en ressortant immédiatement de derrière les fagots une loi coloniale qui n'était plus appliquée en France métropolitaine depuis la fin de la guerre d’Algérie : l’état d’urgence. Il est clair qu’il a fait un choix politique lourd de conséquences et de symboles. Il avait en effet quantité d’autres moyens d’instaurer des couvre-feux — certains maires n’ont d’ailleurs pas attendu l’état d’urgence pour instaurer le leur contre les mineurs, y compris le maire d’Orléans en 2001. Ce choix de l'état d'urgence n'est donc pas anodin et recouvre au moins deux objectifs :

Le premier est la volonté de revenir sur le passé colonial de la France. La résurrection de cette loi de 1956 est la signification cinglante que l’Etat français est aujourd’hui en guerre contre les jeunes issus de l’immigration comme il l'était contre les indépendantistes algériens il y a cinquante ans. L’ennemi est ainsi clairement désigné aux yeux des “ Français ” : le jeune prolo maghrébin. Après toutes les manipulations autour de la loi sur le voile, de la montée de l’antisémitisme dans les banlieues, des viols collectifs, du sexisme, de l’intégrisme et des barbus, du démantèlement de pseudo-réseaux terroristes... c’est encore une autre manière d’en rajouter une louche dans la “ racialisation ” des conflits sociaux. Cela correspond bien évidemment à une énième version du “ diviser pour mieux régner ”.

Le second objectif participe au renforcement de l'appareil policier et sécuritaire. La loi sur l’état d’urgence ne prévoit pas seulement les couvre-feux, elle légalise également les perquisitions à toute heure du jour et de la nuit, le contrôle de la presse et des spectacles, et permet l’instauration de tribunaux militaires. S’ils ont instauré l’état d’urgence, c’est donc qu’ils avaient derrière la tête l’intention de pouvoir utiliser tout ou partie de cet arsenal, et pas seulement les couvre-feux pour les mineurs. Bien sûr, cela apparaît un peu comme écraser une fourmi avec un marteau-pilon, mais cela permet d’habituer la population à des lois d’exception, comme Vigipirate qui était au départ exceptionnel et temporaire… Nous savons aujourd'hui ce qu'il est advenu de cette mesure liberticide “ passagère ”.

La situation est redevenue “ normale ”, c’est-à-dire aussi explosive qu’auparavant, les mêmes ingrédients étant toujours réunis pour que cela pète de plus belle ; mais l’état d’urgence, lui, semble promis au même bel avenir que Vigipirate. Est-ce seulement à cause de l’absence quasi totale de réaction politique de la gauche et du monde associatif et syndical ? Est-ce parce qu’ils savent que l’incendie peut se rallumer à tout moment ? Est-ce parce que “ tant qu’à faire autant en profiter ” ? En tout cas, la loi n’a pas été prolongée pour des raisons pratiques : il n'y a eu aucun couvre-feu dans le 93, point de départ des émeutes — sauf au Raincy, dont le député-maire est le tristement célèbre Raoult, et qui correspond au Neuilly-sur-Seine du département. Mieux, la majorité des députés et maires du département, de droite ou de gauche, ont expliqué dans une touchante unanimité que cette mesure risquait de remettre le feu aux poudres, et qu’ils n’avaient pas vraiment besoin de ça.

Un remède pour les banlieues : la saignée...

Après avoir annoncé une aide massive pour les banlieues, on a appris que quelques associations de quartier allaient récupérer une partie seulement des subventions qu’on leur avait supprimées. Pour le reste, ce n’est pas à l’heure où l’Etat dégraisse qu’on va remettre des services publics dans les quartiers déshérités ; ce n’est pas à l’heure où on trouve judicieux de faire peur aux couches aisées qu’on va leur mettre du logement social à côté, il ne faudrait quand même pas exagérer... Aucune inflexion n’est prévue dans la politique “ sociale ” du gouvernement, mais au contraire une accélération.

Prenons l’exemple de l’Education nationale. Il avait été proposé peu de temps auparavant d’éventuellement supprimer les ZEP. Qu’est-ce qui a été annoncé ? On allait sélectionner les établissements les plus en difficulté pour concentrer l’aide sur eux. Mais comme il n’est pas question d’augmenter les moyens, ce sera au détriment du reste des établissements encore en ZEP. L’aide sociale vue du gouvernement consiste à prendre aux plus démunis pour redistribuer aux plus démunis des démunis. Il s’agit d’une politique extrêmement motivante pour les enseignants et le personnel concernés : on retire les aides aux ZEP qui ont vu leurs résultats s’améliorer, donc là où des équipes ont su utiliser avec succès les moyens alloués, pour les donner là où ça n’a servi à rien... La seconde mesure annoncée pour l’Education nationale est tout à fait révélatrice de l’idéologie ambiante. Ils vont désormais sélectionner les meilleurs élèves des quartiers défavorisés pour les inscrire dans les bons lycées des centres-villes. Beau message à destination de la jeunesse : réussir, c’est quitter les quartiers populaires. A part ça, il leur est demandé des’intégrer... Deuxième aspect du message : ceux qui restent dans ces quartiers, c’est leur faute, c’est parce qu’ils sont mauvais. Accessoirement, personne ne se demande ce que deviendront les autres lycéens quand les seuls exemples de réussite scolaire, donc la preuve que c’est possible, auront disparu de leur paysage visuel.

Mais c’est le fond de ce message qui reste le plus important. Le message quotidiennement répété, c’est que notre société est une société de compétition, et malheur aux perdants. Et ce message a bien sûr d’autant plus de force que les références de classe, du moins conscientes, ont quasiment disparu. Justement, cette révolte est entre autres une révolte des perdants qui voudraient quand même avoir une place à l’arrivée après avoir participé. La seule réponse du pouvoir, c’est qu’on ne peut pas être ouvrier, appartenir aux couches populaires, et réussir sa vie. Etre d’un milieu populaire, c’est être un raté ; réussir, s’épanouir, c’est quitter son milieu social. On ne peut pas annoncer plus clairement à ces jeunes qu’un des moteurs de cette société, c’est leur exclusion.

Quel que soit le thème qu’on prenne, logement, emploi, qualifications, culture... c’est ce même message qui est martelé, accompagné de l’inévitable discours sur les moyens limités, sur une aide sans dépenser un centime de plus, le tout dans le contexte du contrat nouvelle embauche et des perspectives de licenciement qui continuent.

Cela ne peut pas marcher sans trouver de coupables, de préférence dans les milieux populaires ou parmi ceux qui bougent. Et le coupable de la révolte et de la misère a été trouvé : ce sont les familles qui ne savent pas éduquer leurs enfants. Le tout dans un contexte plus général de discours en appelant à un “ retour à l’autorité ”, allant dans sa version caricaturale jusqu’à un projet de loi pour interdire la méthode globale d'apprentissage de la lecture (qui n'est par ailleurs plus pratiquée). Ce même discours de retour à l’autorité dénigre les modes éducatifs des milieux populaires, sapant ainsi l’autorité de ces parents alors qu’il prétend la restaurer. Quelle autorité reste-t-il à un SMICard ou un chômeur dans une société qui le désigne comme perdant, et coupable de l’être ?

Les annonces d’aide massive aux quartiers défavorisés se résument donc pour l’essentiel à deux vieilles recettes : le discours culpabilisateur et moralisateur de l’autorité, et la désignation de boucs émissaires.

Retour à une méthode qui a fait ses preuves : le bouc émissaire

Pour dénoncer l'origine des troubles, les politiciens ont sorti le grand jeu. N'ayant pas peur du ridicule, à peu près tout y est passé pour désigner l'ennemi intérieur : islamistes téléguidés de l'étranger, nébuleuse terroriste, grand banditisme, enfants de polygame, etc. Parmi toutes ces cibles, il en est une que les dirigeants français affectionnent tout particulièrement depuis des lustres, c'est la catégorie de l'Etranger. Parmi les 4 700 interpellations réalisées, Sarkozy a, on l’a dit, réussi à dénicher 130 jeunes étrangers “ en situation pas toujours régulière ”, ce qui tout compte fait est largement inférieur à la moyenne dans la population nationale. Cela ne l'a pas empêché d'user jusqu'à la corde le bon vieux thème des étrangers fauteurs de troubles, allant jusqu'à réclamer le contournement des maigres protections existantes contre la double peine qu'il avait lui-même adoptées. Ces gesticulations sur les expulsions de jeunes émeutiers étrangers n'ont pas été suivies de beaucoup d'effet, puisqu'au moment où nous écrivons ces lignes aucune procédure de renvoi n'a heureusement pu être menée à son terme. Mais peu importe, puisque cela a permis d'assener encore une fois “ jeune de banlieue ” = “ étranger ”. Le sinistre de l'Intérieur ne s'est d'ailleurs pas privé d'arguments piqués à l'extrême droite en déclarant qu'il est “ plus difficile d'intégrer un jeune Français originaire d'Afrique noire qu'un jeune Français d'une autre origine ” (3). Tout est dit : ces jeunes ne sont français que sur le papier, mais gare à eux, cela pourrait ne pas durer…

Ces émeutes ont permis de réactiver un énième projet de loi sur l'immigration en lui donnant une publicité idéale. Le Parlement discutera au printemps prochain d'un texte censé resserrer les boulons de l'immigration pour la ixième fois, comme si la loi précédente datant de seulement deux ans et écrite par un certain Nicolas Sarkozy était encore trop laxiste. De nouveau, les analyses et les chiffres les plus fantaisistes sont livrés à la presse qui les reprend sans aucune distance critique ; et ils permettront, entre autres, de justifier le durcissement des conditions d'acquisition de la nationalité française et du regroupement familial. Puisqu'elles ne sont basées sur aucune réalité sérieuse concernant l'immigration, ces mesures n'auront pas plus d'efficacité que les précédentes sur la “ crise ” des banlieues, si ce n'est de créer de nouveaux-sans papiers, et donc de fragiliser et précariser un peu plus certaines personnes. En revanche, elles renforcent la vieille logique de partition de la société entre Français et étrangers, moteur indispensable de la division des classes sociales. Elles participent ainsi à la tendance très forte en ce moment qui vise à analyser les conflits sociaux, ou même à en inventer quand ils n'existent pas (comme ce fut le cas lors du débat sur le voile islamique), sous un angle uniquement religieux (musulman bien sûr !), “ racial ” ou communautaire, en gommant totalement les conditions économiques et sociales. Ce n'est pas un hasard si le fantasme du jeune-étranger-musulman-délinquant est exacerbé aujourd'hui par la classe politique — et même toute la classe politique, la gauche n'étant pas forcément en reste sur ce plan — pour effrayer la population et la détourner de ses préoccupations. Pendant ce temps, le gouvernement peut tranquillement déréglementer les conditions de travail, démanteler les services publics, vendre les entreprises nationales rentables aux copains, baisser les impôts des riches. Mentir, manipuler, et détourner l'attention sur des ennemis imaginaires sont les clés de voûte, depuis l'Empire romain, de tout système de gouvernement qui ne privilégie les intérêts que des classes sociales dominantes.

Sylvie, Tonio Paris-Romainville, le 30 décembre 2005
(1) Au cours de la période des émeutes, soit jusqu'à fin novembre, 4 700 interpellations ont été effectuées, 411 condamnations à de la prison ferme prononcées par les tribunaux. 511 mineurs ont été déférés devant le procureur, et 655 personnes ont été écrouées dont une partie en détention provisoire et attendant encore d'être jugée.
(2) Pendant plusieurs jours au moment des émeutes, le tribunal correctionnel de Bobigny a fait fonctionner ses audiences en “ comparution immédiate ” quasiment 24 heures sur 24 simultanément dans trois salles !
(3) Les jeunes responsables des violences urbaines “ sont tout à fait français juridiquement ”, “ mais disons les choses comme elles sont : la polygamie et l'acculturation d'un certain nombre de familles font qu'il est plus difficile d'intégrer un jeune Français originaire d'Afrique noire qu'un jeune Français d'une autre origine ”, L'Express du 17 novembre 2005.

La véritable scission dans AC !

Alors que le gouvernement poursuit inlassablement sa politique de stigmatisation des chômeurs et de réduction de leurs droits, le mouvement AC ! (Agir ensemble contre le chômage) connaît sa première réelle scission, après un peu plus de dix ans d’existence pourtant déjà très tourmentée. Cela s’est passé à l’automne dernier, lors des assises du mouvement, au Mont-Dore, dans le Puy-de-Dôme.

Evidemment, la situation n’est toujours pas clarifiée et deux secrétariats différents s’affirment “ secrétariat des collectifs ”. Mais en regardant les choses d’un peu plus près, on se rend compte qu’il y a bien d’un côté un réseau de collectifs réellement existants qui produit des analyses, fait des actions, entretient le site Internet et continue à utiliser les outils historiques de liaison entre les collectifs comme les listes de diffusion tout en assurant une permanence nationale ; et de l’autre une poignée d’individus absents du terrain, communiquant avec la presse et ayant créé d’autres listes de diffusion dont l’accès est soumis à cooptation. Mais ce sont ces derniers qui, par leur maîtrise des mécanismes institutionnels, ont pu partir avec la caisse, laissant sans ressources celles et ceux qui continuent à entretenir le réseau. Entre ces deux pôles, il y a un ensemble de collectifs qui ne se sont pas positionnés et qui, de fait, se sont repliés sur leur terrain local. Ces assises ont mis fin à plusieurs mois d’échanges de mails au ton parfois blessant entre différentes conceptions de fonctionnement, notamment sur le rôle du secrétariat : fonction technique (rendre compte du courrier qui arrive, assurer le paiement des factures) ou fonction de “ porte-parole ”, de représentation. La dernière charte de fonctionnement du réseau des collectifs AC ! avait clairement tranché pour le premier cas de figure, mais, dans les faits, le permanent du réseau se positionnait dans les médias comme porte-parole et prenait les décisions d’engager la signature d’AC ! tout seul, sans en référer au réseau, toujours au nom de l’efficacité et de l’urgence. Le trésorier, lui, ne prenait même plus la peine d’assister aux coordinations et conservait chez lui la comptabilité et de nombreux dossiers, entretenant ainsi un climat d’opacité et de suspicion.

Mais derrière cet antagonisme à propos du fonctionnement d’une organisation, il y a deux conceptions radicalement différentes de l’organisation. L’une est horizontale ; elle tient compte de la multiplicité des points de vue ; les prises de décision, les positions communes y sont soumises à débat. L’autre est verticale ; elle appuie sa légitimité sur la représentation ; au nom de l’urgence et de l’efficacité, les décisions y sont prises par un petit cercle restreint (voire une personne) et ne sont pas soumises à débat. C’est sur cette question que s’est structuré l’antagonisme qui a abouti à la scission.

“ Un éloignement provisoire ”

En septembre dernier, les partisans du “ centralisme démocratique ” ont lancé l’offensive par un texte initié par l’un d’entre eux puis signé par quelques autres. On peut y voir se profiler le putsch. En effet, ce texte propose d’entrée de jeu un vote lors des assises. Or cette procédure est exceptionnelle puisque, historiquement, c’était le consensus qui avait cours dans le mouvement. Dans un deuxième temps, le texte propose d’exclure des militants, avec l’emploi d’une novlangue qui fait assez froid dans le dos : “ un éloignement provisoire et nécessaire à la clarification, à la reprise d’activités politiques réellement constructives ”. Il affirme ensuite la nécessité de nettoyer le local d’AC ! de celles et ceux qui l’occupent indûment, en l’occurrence le collectif AC ! Air libre, qu’il ne nomme pas explicitement mais tout le monde peut le reconnaître. L’auteur de ce texte exprime ensuite sa souffrance de ne plus pouvoir assumer de porter fièrement son badge AC ! à cause de la manière d’agir du même collectif (toujours pas nommé). Et c’est sans doute là qu’apparaissent vraiment les choses les plus importantes de ce texte pour situer des enjeux futurs : “ Nos relations avec les partenaires et alliés politiques avec qui nous avions coutume d’agir — sur nos positions — sont devenues exécrables. A la fin d’une manifestation (victimes d’incendies dans les immeubles insalubres), un affrontement physique fut évité de justesse avec les membres d’un parti politique — par ailleurs fort critiquable... Ce type de comportement ajoute à notre discrédit déjà grand. ” Le parti en question, ce sont les Verts, mouillés en tant qu’élus dans la gestion de l’urbanisme et de l’habitat parisien et attaqués en tant que tels par les militants d’AC ! Air libre, également investis dans un comité des mal-logés en colère.

On peut poser l’hypothèse, à partir de ce morceau de texte, que la pratique autonome de certains collectifs AC ! gêne les recompositions en cours à la gauche de la gauche, dans la perspective de l'élection présidentielle de 2007. Ensuite, ce texte propose un “ retour aux fondamentaux ” d’AC ! : la réduction du temps de travail à 32 heures et le droit au revenu, pensé comme réponse à l’urgence mais aussi comme redéfinition de la question du travail. Et celles et ceux n’entrant pas dans ce cadre revendicatif se voient traités de “ handicapés sociaux ”, de “ bras cassés radicaux ” et de “ lumpenproletariat ”. Au moins, la conception autoritaire de l’organisation est explicite. Et d’ailleurs, le texte abat ses cartes dans ce sens-là : le secrétariat doit rester dans la capitale. Pourquoi ? “ Pour des raisons évidentes ”. L’équipe ainsi reconstituée doit pouvoir fonctionner avec efficacité. Premier acte à accomplir : assurer la réconciliation avec les associations, syndicats et partis politiques que toutes les pratiques irresponsables ont éloignés du mouvement.

Ce texte a été signé ensuite par une quinzaine de personnes et a servi de base au putsch, ce qui était sans doute sa fonction réelle, puisque ça n’est pas sa qualité théorique qui en fait l’intérêt.

L’autonomie des luttes

Bien que très médiocre, ce texte a provoqué un débat intéressant qui aurait pu permettre de dépasser cette situation si la volonté de débattre avait été partagée. Ainsi, une militante d’AC ! 93-Est produit un texte où elle exprime sa conception du fonctionnement d’AC ! : “ (...) AC ! doit continuer à être un réseau de collectifs qui grâce à ses luttes spécifiques, selon son lieu, ses moyens et sa réalité du terrain porte les paroles, les revendications des précaires. Plus les luttes se multiplieront, plus tôt nous entrerons dans un rapport de forces conséquent car l’autonomie des luttes n’est pas opposable à l’émergence d’une lutte de classe avec ses propres revendications. ” Et elle ajoute : “ Pour ceux qui souhaitent entamer un divorce ou une scission présentant certains militants comme les “méchants pauvres” qui ne comprennent rien à la politique, je pose la question suivante : pourquoi présenter les actions menées par “Air libre” comme des actions contreproductives, alors qu’elles ont initié des volontés chez des personnes désabusées et des créations de collectifs ? Les tracts, les discours d’“Air libre” ont amené une nouvelle génération de militants qui ne croient pas aux orgas classiques et qui n’ont pas envie d’être récupérés. Qu’est-il proposé à l’inverse ? Des relations plus que douteuses avec certaines orgas (Copernic, syndicats, Verts), une signature commune sur un appel à manif, comme si lutter se résumait à faire des alliances de circonstance. A mon avis nos luttes sont ailleurs, là où les institutions travaillent à la radiation des chômeurs en les présentant comme les responsables d’un chômage endémique, partout où l’on fait de nous les coupables idéaux, que l’on soit salariés , RMIste, chômeur, français de souche ou immigré.
” J’ai puisé dans le réseau des collectifs (...) et dans “Air libre” un potentiel riche dans ses expériences de lutte mais aussi dans sa diversité, où des individus par affinité et pour des objectifs communs se regroupent, se solidarisent “pour ne plus courber l’échine sous les coups reçus”. Cette diversité qui est une puissance, une richesse, ne doit pas se transformer en organisation pyramidale avec des têtes pensantes qui sauraient mieux que d’autres ce qu’il faut faire ou ne pas faire. ”
Ces deux textes expriment bien les termes du débat. Or celui-ci n’a pu avoir lieu parce que les partisans du “ centralisme démocratique ” n’avaient pas l’intention de débattre mais d’imposer leur position.
Les assises du réseau des collectifs AC! ont donc eu lieu les 15 et 16 octobre dernier. Anne, qui était à ces assises, raconte : “ Certaines personnes présentes étaient des “revenants” dans le sens où cela faisait plus de cinq ans qu'on ne les avait pas vues, ou alors elles étaient inconnues, pour certaines d’entre elles. ”
Le fond des discussions a porté essentiellement sur trois points : la question du secrétariat national (son rôle et qui fait quoi, la question de l'emploi aidé), le fonctionnement interne en réseau (notamment comment et dans quel temps les décisions sont prises), les relations (avec qui et comment on travaille) avec d'autres organisations, et en annexe la question du local national (qui sert de lieu de permanences à la fois pour le national et pour des collectifs locaux) rue Mathis, à Paris.

Surenchère verbale

Le soir vers 11 heure, rien n'était réglé. Déjà, depuis la fin de l’après-midi, certains faisaient pression pour qu’il soit procédé à un vote. Il n’était pas question pour eux qu’il y ait un débat sur le fait de voter, alors que cette pratique est quelque chose d’exceptionnel dans le fonctionnement d’AC !.

Le lendemain, les débat ont repris en plénière sur la question du secrétariat. Certains ont proposé des positions de consensus. Tout de suite ça a été la surenchère verbale. “ On arrête les tours de parole, ça suffit, on passe au vote. Ceux qui ne veulent pas voter n’ont qu'à rester dans cette salle, les autres vont dans celle d'à côté. ” On s’est retrouvés dans une situation de coupure. Les collectifs qui voulaient voter, ceux qui voulaient le consensus, et d'autres, déboussolés et non mandatés pour voter qui restaient un peu pour écouter et finissaient par partir, écœurés.

Parmi les “ votants ”, on avait les “ sincères ” qui pensaient qu'il fallait en finir et trancher, et les autres qui ont magouillé clairement. La confiance a ainsi été votée au salarié, et la défiance au président des Amis d'AC! (association “ couverture ” pour les finances du réseau). Un secrétariat a été élu sans que l'on sache quelles tâches il devait effectuer. Un nouveau bureau des Amis d’AC ! a été élu alors que son renouvellement ne figurait pas à l’ordre du jour des assises.

Les collectifs qui n’ont pas voulu rentrer dans ce jeu ont continué, de leur côté, les assises en faisant le compte rendu des ateliers du samedi matin et en discutant de ce qui venait de se passer, comment continuer, et avec qui. Un texte collectif a été écrit, Ensemble, à valider sous huit jours par les collectifs le souhaitant. Une campagne d'action pour le mois de novembre a été alors décidée autour de deux points : le contrôle social et la question du revenu (Unedic). Les bases d'un quatre-pages ont été jetées. C'est un huit-pages qui sera réalisé quinze jours après.

Il y a toujours eu des tensions très vives dans AC !. Alors, pourquoi ce coup-ci cette situation a-t-elle débouché sur une scission ? Peut-être en premier lieu parce que des personnes, des collectifs n’ont plus accepté qu’il y ait de fait une direction occulte. En effet, pendant longtemps, le fonctionnement au consensus a permis une situation assez trouble. Les collectifs étaient autonomes et très hétérogènes. Les assises prenaient très peu de décisions, laissant le champ libre à des “ porte-parole ” qui faisaient un peu ce qu’ils voulaient selon la règle du “ Cause toujours ”. C’est pour éviter cela aussi que la fonction de porte-parole avait finalement été supprimée. Mais comme il y avait des pratiques bien ancrées, cette fonction s’était reconstituée de fait à partir de certains permanents.

Se sentir investi d’un pouvoir de décision

Pourtant là aussi, avec la décision de recourir à des emplois aidés, il s’agissait de procurer du revenu à des camarades qui n’y avaient pas droit. Ces emplois devaient tourner. Mais le problème, c’est que toutes les personnes présentes aux assises qui ont décidé ces créations de poste n’ont pas compris la même chose. La question des permanents a commencé très vite à empoisonner les rapports au sein d’AC !. Le permanent recruté pour une tâche essentiellement technique, la gestion du site web, s’en est tenu à sa tâche, et son travail a fait consensus d’autant qu’il était visible à travers le site web. Il n’en a pas été de même avec les autres permanents. L’un d’entre eux, vivant à Paris, a de fait été identifié par les médias et les institutions comme le porte-parole d’AC !. A partir de là, il s’est senti investi du pouvoir de décision, tout en ne rendant plus compte de ce qu’il faisait. C’est un problème classique que rencontre toute association ayant recours à des permanents. Et quand d’autres militants ont mis leur nez dans ce qui était fait au nom d’AC !, ils sont allés de surprise en surprise. Ainsi, le 16 août dernier, des militants d’AC ! Air libre découvrent que le permanent parisien est membre du “ comité d’animation du site web de la Lettre de l’insertion par l’activité économique ” et qu’AC ! figure dans la liste des “ acteurs et opérateurs nationaux de l’insertion ”. Réactions immédiates de militantEs : “ Nous ne comprenons pas ce que fait AC ! avec tous ces organismes, dont le but est le retour à l’emploi forcé des chômeurs et des RMIstes, le flicage, les petits boulots de merde... Plusieurs de ces organisations esclavagistes ont été occupées par AC ! Air libre, en réaction à la politique d’insertion au niveau national et à celle de la Ville de Paris en particulier. ” Quand on sait en plus que les Verts sont mouillés dans tous ces systèmes qui relèvent de ce qu’on appelle l’économie solidaire…
Autre pomme de discorde : le Forum des luttes sociales (FLS). “ Le FLS, écrit une militante d’Alençon, est un état-major à la mexicaine (beaucoup de généraux, fort peu de troupes) censé représenter quelques organisations (SUD, Droits devant, DAL, Confédération paysanne, etc.) et lancer des mobilisations communes. Il n’a jamais rien lancé, mais il permet à quelques personnes de jouer aux chefs et de se donner l’illusion d’écrire l’Histoire. C’est aussi un des lieux du “mouvement social” d’où doit surgir une “gauche de la gauche recomposée” pour les élections de 2007. Le 9 avril, constatant que, sur le terrain, les militants des organisations censées appartenir au FLS ne sont pas informés de leur initiative, les deux marches (Montluçon et Sud-Ouest) estiment nécessaire de publier un communiqué de presse précisant que “Nos marches sont organisées en toute autonomie, par les précaires eux-mêmes” et qu’elles “ne sont nullement organisées ou chapeautées par le FLS”. Ce qui n’empêche pas le FLS d’organiser deux jours plus tard une conférence de presse pour revendiquer l’organisation de ces marches, ni M. (le permanent d’AC !, NDLR) de jeter à la presse cette pensée profonde : “Ça fait longtemps que les mouvements sociaux ont repéré ce qu’on appelle aujourd’hui le 'malaise social', et nos marches sont aussi une manière d’agir et de se mobiliser ensemble à partir du local.” ” La même militante pointe d’autres problèmes de démocratie : signature d’un appel de la fondation Copernic “ pour un Grenelle de l’UNEDIC ” ; signature avec les associations de chômeurs d’une lettre geignarde adressée aux confédérations syndicales siégeant à l’UNEDIC ; signature d’un texte au côté des Verts du 13e arrondissement dénonçant la politique du logement de la droite après l’incendie d’un troisième immeuble, le 30 août, alors que deux des immeubles déjà incendiés étaient gérés par les Verts par le biais de la SIEMP. Ce tract ne met à aucun moment en cause la politique immobilière de la Ville de Paris. D’où les incidents entre des militants d’AC ! à la manifestation qui a suivi.
Mais ce qui a sans doute été inacceptable pour les putschistes, c’est le refus par les assises d’AC ! d’appeler à voter “ non ” au référendum, au printemps dernier. Là, ils ont senti qu’ils ne contrôlaient plus l’expression politique d’AC ! Or l’enjeu était de taille, à savoir la recomposition en cours d’une force politique à la gauche du PS, avec comme pilier important la Fondation Copernic et ce qui allait devenir les Comités du 29 mai. On retrouve dans cette opération des membres fondateurs d’AC ! comme Claire Villiers, Claude Debons ou Michel Husson. Alors que la décision des assises avaient été prises sans ambiguïté, on avait vu le permanent d’AC !, membre de la Fondation Copernic, revenir à la charge en proposant de signer un texte commun avec l’APEIS et appelant à voter “ non ” ! Et comme ces gens-là estiment être les représentants du “ mouvement social ”, ils ont bien besoin d’avoir un mouvement de lutte contre le chômage à sortir de leur chapeau quand ils voudront propulser leur candidat sur la scène électorale pour la prochaine élection présidentielle.

Christophe (Limoges)

D’Afghanistan à l’Irak, une guerre robotisée


“ Deux mains jointes font plus d’ouvrage sur Terre que tous les roulements des machines de guerre ” (Victor Hugo). Les Forces spéciales américaines engagées en Afghanistan ont assez rapidement réclamé des armes adaptées aux combats, comme par exemple une version modernisée du tomahawk, ce casse-tête amérindien en pierre, très efficace notamment lors de corps-à-corps dans les nombreuses grottes afghanes.

Cependant, leurs demandes ne se sont pas réduites à des équipements issus de la Préhistoire. A l’occasion de ce conflit, elles ont fait entrer l’humanité dans une nouvelle ère militaire : celle des drones (avions télécommandés) et des robots de combat.
Certes, l’usage de robots et de drones n’est pas nouveau. Mais, jusqu’en 2002 il relevait avant tout des domaines du déminage, de la reconnaissance et de la surveillance. Or, les années 2001- 2002 apparaissent comme une rupture tant technologique que polémologique dans les objectifs de cet emploi.
Ainsi, le 4 novembre 2002, une opération de la CIA menée au Yémen à l’aide d’un drone Predator armé aboutissait à l’élimination d’hommes soupçonnés d’appartenir à El-Qaida. Le mois suivant, soit en décembre 2002, un Predator tirait 2 missiles Stinger sur un Mig 25 irakien dans l’une des zones d’exclusion aérienne imposée illégalement à l’Irak.
La mission initiale dévolue aux drones s’est donc étoffée, et intègre désormais des tâches réservées jusqu’à présent à l’homme seul car relevant du combat contre d’autres hommes. Il s’agit là d’une rupture dans la pratique de la guerre, constituant une évolution aussi importante que celles qui intervinrent avec la Première Guerre mondiale (chars, mitrailleuses, gaz, aviation) et avec la Seconde Guerre mondiale (bombardements aériens massifs et arme nucléaire).
Dans un rapport au Congrès américain, des spécialistes des questions de défense notaient ainsi que “ la guerre globale contre le terrorisme a mis sur le devant de la scène la fonction première des UAV, à savoir obtenir des renseignements. En outre, l’efficacité militaire des UAV démontrée lors de conflits récents comme l’Irak, l’Afghanistan et le Kosovo a ouvert les yeux à de nombreuses personnes quant aux avantages et inconvénients des UAV. Il est notamment admis de manière générale que les UAV offrent deux avantages majeurs sur les avions avec pilote : ils sont considérablement moins chers et leur usage permet de minimiser les risques pesant sur les pilotes ”.
Bush a pris rapidement toute la mesure de cette mutation. Dès 2001, il expliquait que “ le Predator est un bon exemple. Ce drone est capable de tournoyer autour des forces ennemies, d’acquérir des renseignements, de les transmettre instantanément au commandement, qui peut alors tirer sur ces cibles avec une extrême précision. Avant la guerre (contre le terrorisme, NDLR), l’usage du Predator suscitait un certain pessimisme, car il n’empruntait pas les anciens chemins. Aujourd’hui, il est clair que les militaires ne disposent pas d’un nombre suffisant d’UAV. Nous entrons dans une nouvelle ère caractérisée par le rôle grandissant que joueront des véhicules sans pilote de toutes sortes ”.
Bush a également mis les moyens financiers (en 2001, 667 millions de dollars, et en 2003 1,1 milliard de dollars) afin de permettre la mise en œuvre d’une armada de 163 drones aux noms évocateurs. Le colonel Richard Szafranski note que “ les noms octroyés aux drones en service ou en projet – Chasseur (Hunter), Raptor, Serre de rapace (Talon), Prédateur (Predator), Etoile noire (Darkstar — comme dans Star Wars, NDLR) – sont autant d’indices démontrant qu’au-delà de l’absence de pilote les UAV sont désormais destinés davantage au combat qu’à la simple surveillance ”.
La pseudo-“ guerre au terrorisme ” a bel et bien contribué à accélérer l’emploi de drones et de robots, et par conséquent elle a renforcé une tendance préexistant à ce conflit. L’emploi massif de drones de combat en Afghanistan puis en Irak apparaît ainsi comme une préfiguration de l’avenir. Le spécialiste américain des questions de défense, Bill Sweetman, notait en mars 2005 que le Predator est l’un des outils que le Pentagone utilise le plus dans la “ guerre contre le terrorisme ”.

Une surveillance continue et robotisée de l’Afghanistan et de l’Irak

A chaque moment de la nuit ou du jour, 3 ou 4 Predator surveillent le ciel et le sol irakiens et afghans. Cette présence permanente démontre que “ le drone est devenu un élément majeur de la panoplie des moyens militaires mis en œuvre pendant la guerre en Afghanistan et en Irak ”. En effet, l’emploi en Afghanistan et surtout en Irak des grands drones américains Predator et Global Hawk, capables de voler plus de trente heures, a donné une dimension nouvelle à la gestion du champ de bataille : la permanence de l’action en temps réel. A ce titre, ils représentent un maillon essentiel dans le nouveau concept de “ guerre en réseau ” adopté par les armées occidentales ”.
En février 2003, les Etats-Unis alignaient 5 modèles principaux de drones : 4 Global Hawk, 48 Predator, 47 Pioneer, 43 Hunter et 21 Shadow, soit un total de 163 drones, auxquels s’ajoutent ceux de la CIA et des centaines d’autres drones moins coûteux.

Afghanistan : l’opération “Enduring Freedom”

Outre les missions de reconnaissance, les Predator ont été utilisés comme plate-forme de télécommunication permettant une prise de décision quasi immédiate quant à l’attaque d’une cible suivant sa détection. Ils ont été également associés aux forces aériennes, notamment aux AC130 (avions lourdement armés de canons et mitrailleuses dits “ faucheurs de marguerites ”) et aux F18 pour la désignation au moyen d’un laser de cibles au sol.
Quant au Global Hawk, de décembre 2001 à décembre 2002, il a fourni plus de 15 000 images, et a été impliqué dans la désignation de 50 % des cibles détectées et “ engagées ” par les forces militaires participant à l’opération “ Enduring Freedom ” (OEF).

Irak : de “ South Watch ”et “ North Watch ”à l’opération “ Iraqi Freedom ”

L’usage de drones contre l’Irak remonte à 1991, avec 533 missions opérées par des Pioneer. Avec la mise en place des opérations “ South Watch ” et “ North Watch ” dans le cadre des zones d’exclusion aérienne, les drones sont revenus dans le ciel irakien. Au cours de l’opération “ Iraki Freedom ” (OIF), les Predator servirent à localiser les défenses anti-aériennes et à les tester. Plus globalement, le Predator a été utilisé lors de l’OIF et, depuis 2003, pour assurer la protection des troupes au sol. Le Global Hawk fait lui aussi partie de la panoplie de drones présents en Irak. Les UAV ont démontré des capacités importantes dans l’acquisition d’informations sur le terrain, que ce soit en Afghanistan ou en Irak. Or, entre ces deux Etats se trouve l’Iran, menacé d’une intervention américano-israélienne.

L’Iran sous l’œil des drones américains

L’Iran est donc dans le collimateur des Etats-Unis pour deux raisons principales : son soutien au “ terrorisme ” (Hezbollah au Liban, présence de talibans, soutien à des groupes irakiens) et son programme nucléaire.
C’est dans ce contexte que le 12 février 2005 le Washington Post révélait une reconnaissance officielle par les Etats-Unis du survol du territoire iranien par des drones depuis avril 2003, afin de recenser les installations nucléaires et militaires, de localiser et tester les défenses anti-aériennes, de peser sur le climat politique iranien (notamment sur l’élection présidentielle).
Dans un climat de fortes pressions sur la Syrie et en réponse à ces survols, l’Iran a fourni au Hezbollah plusieurs drones de type Misrad. Le 8 novembre 2004, un Misrad 1 survolait Israël pendant vingt minutes. Le 11 avril 2005, le Hezbollah récidivait avec un second Misrad 1 au cours d’un vol de dix-huit minutes.
Le Hezbollah annonça ce second survol au moment même ou Sharon rencontrait Bush. Le journal libanais Daily Star notait ainsi que “ le drone du Hezbollah délivrait un message non seulement à Israël mais aussi à d’autres destinataires ”.
Cet autre destinataire est bien sûr les Etats-Unis, qui encerclent l’Iran grâce à leurs bases en Irak, en Afghanistan et dans d’ex-républiques soviétiques d’Asie centrale.
Le message est aussi clair pour Israël, qui voit pour la première fois depuis très longtemps sa maîtrise aérienne remise en cause — certes modestement, car l’asymétrie demeure entre d’un côté des centaines de chasseurs modernes aux mains de pilotes expérimentés et entraînés et de l’autre quelques drones. Toutefois, ces deux survols apparaissent comme une victoire psychologique, voire un outil de pression psychologique. Israël, le premier utilisateur massif de drones de l’histoire de l’aviation militaire, se trouve ainsi, tel l’arroseur arrosé, sous la menace de drones parmi les plus anciens.

Israël, Liban et territoires occupés

A la fin des années 70, l’industrie israélienne de défense réussit à développer et produire des drones fiables. Ils furent utilisés massivement lors de l’invasion du Liban par Israël en 1982.
Depuis 1982, Israël a été le principal producteur, développeur et exportateur de drones : Hunter, Searcher, Ranger, Heron, Pioneer, Scout, etc.
Malgré la haute technologie des drones, leur usage et l’interprétation des informations qu’ils fournissent ne sont pas toujours aisés. Une vive polémique s’est ainsi instaurée à la suite de la diffusion d’images vidéo prises par un drone israélien dans la bande de Gaza en 2004. Là où les militaires israéliens voyaient un groupe de terroristes transportant des roquettes, l’ONU apercevait des brancardiers transportant un brancard.
Qui plus est, Israël a une forte propension à utiliser des drones pour survoler l’espace libanais. Un rapport de l’ONU constatait dans ce sens, entre le 27 décembre 2004 et le 17 janvier 2005, 23 violations de l’espace aérien libanais dont 13 imputables à des drones !
Au demeurant, Israël et les Etats-Unis ont tous deux franchi un cap important dans l’utilisation de leurs drones en armant ceux-ci…

Les UCAV ou drones de combat

Au cours de la guerre du Vietnam, les Etats-Unis avaient déjà conçu et employé un drone armé. Mais il s’agissait avant tout d’un premier essai. Les développements technologiques récents autorisent un saut sans comparaison. Ainsi, “ les UCAV (actuel NDLR) se distinguent parce qu’ils annoncent une nouvelle tendance : l’émergence des guerres technologiques. Plus que d’un affrontement entre hommes, c’est d’un affrontement entre machines qu’il s’agit ”.
Dès 2001 naissait le Predator MQ1B, équipé de 2 missiles Hellfire (Feu de l’enfer). Depuis,, son armement a été largement étendu. Avec d’autres drones armés comme le Hunter, son emploi est double : opérations de combat et exécutions extrajudiciaires.

L’engagement de drones dans des opérations de combat

Les opérations de combat au cours desquels les drones armés sont employés relèvent essentiellement de deux types. Premièrement, il s’agit de missions de guerre électronique et de destruction de défense anti-aérienne. Le 8 novembre 2002, la revue Jane’s Defense Weekly rapportait ainsi que des sources officielles américaines reconnaissaient l’utilisation de drones armés dans le cadre des zones d’exclusion aérienne contre des radars irakiens et des défenses anti-aériennes. Les zones d’exclusion aérienne ont enfin servi de laboratoire à l’essai de drones armés de missiles air-air de type Stinger. Fin décembre 2002, un drone américain tentait d’abattre un Mig 25 irakien, sans succès. Il s’agissait là du premier combat entre un UCAV et un avion avec pilote de l’histoire de l’aviation militaire.
Le second type de missions renvoie à l’appui aérien aux troupes au sol. Le lieutenant-colonel canadien Carl Doyon notait ainsi que d’octobre à décembre 2001 le Predator avait à son actif une dizaine d’attaques air-sol dont “ l’efficacité frisait la perfection ”. Le général américain Franks, commandant OEF, déclarait pour sa part dès novembre 2001 : “ Le Predator est mon outil le plus efficace en matière de recherche – destruction des dirigeants d’Al-Qaida et des talibans —, et il est essentiel à notre capacité militaire ”.
En Irak, les mêmes recettes ont servi. Les Predator et les Hunter sont utilisés pour éliminer des groupes armés de résistants à l’occupation.

Les exécutions extrajudiciaires

Parallèlement à ces missions de combat, les drones servent pour des exécutions extrajudiciaires. La première d’entre elles à avoir fait l’objet d’une large couverture médiatique fut celle menée par la CIA le 4 novembre 2002 au Yémen contre six islamistes soupçonnés d’avoir attaqué le destroyer américain Cole, en octobre 2000. Ils furent éliminés au moyen d’un missile tiré depuis un drone Predator contrôlé à partir de Djibouti.
Mais, en matière d’exécutions extrajudiciaires au moyen de drones, Israël est le champion toutes catégories. Cette politique d’assassinats ciblés fortement contestée en son sein a conduit à l’élimination de 148 personnes, selon les autorités israéliennes, dont 29 n’étaient pas des activistes (19 % de dommages collatéraux). Selon l’organisation pacifiste israélienne B’Tselem, les civils seraient non pas 29 mais 111, soit 75 % de victimes innocentes…
Quoi qu’il en soit, les drones armés constituent un élément clé du dispositif coercitif israélien. Les officiels israéliens considèrent ainsi que “ l’usage de ces drones doit faire frissonner de peur les terroristes préparant de futurs attentats ” ; qu’Israël “ les emploie pour dissuader de nouvelles attaques. Ils fournissent des renseignements de manière continue, en temps réel sur le terrain, très en amont, de manière à apporter une réponse immédiate et forte ”. Enfin, “ les drones montrent que nous pouvons toujours intervenir [à Gaza] sans y maintenir une présence ”.

Les robots terrestres

Dès la Seconde Guerre mondiale, des robots comme le Goliath étaient en dotation dans certaines armées, avec pour fonctions le déminage et la reconnaissance. Les mêmes tendances que celles caractérisant les drones sont à l’œuvre : développement quantitatif de leur usage et armement des plates-formes qu’ils constituent.
Il apparaît ainsi que “ les interventions récentes en Irak et en Afghanistan ont démontré l’importance de la robotique comme élément démultiplicateur de force et comme élément de protection des soldats sur le terrain ”. Que se soit en Afghanistan ou en Irak, plusieurs modèles de robots terrestres sont en service : Irobot, Dragon runner, ODIS et Talon. Celui-ci fut le premier robot à intervenir en Afghanistan. D’octobre 2001 à fin 2004, plus de 20 000 missions ont été menées avec l’aide d’une centaine de Talon. Les robots de combat sont quant à eux bien moins nombreux sur le terrain puisqu’ils ne sont que 18 en Irak.

Reconnaissance, surveillance, déminage et détection NBC, mais aussi combat

C’est la firme Foster-Miller, conceptrice du Talon, qui a développé le premier robot de combat. Il s’agit en fait d’une adaptation du Talon baptisée “Special Weapons Observation Reconnaissance and Detection System ”, SWORDS, ce qui signifie en anglais “ épées ”. Il peut riposter voire attaquer grâce à diverses armes : fusils d’assaut, mitrailleuses, roquettes antichars, lance-grenades, armes non létales. La précision de son tir dépasse celle du soldat moyen.
Certes, les évolutions des UGV sont moins spectaculaires que celles enregistrées dans le domaine des drones. Cependant, il s’agit d’une “ anticipation sur ce qui va advenir prochainement ”, affirme John Pike, directeur de GlobalSecurity.org, avant d’ajouter que “ ces choses n’ont pas de famille à qui il faut écrire en cas de décès sur le théâtre des opérations. Elles sont sans peur. Vous pouvez les positionner à des endroits où il serait très difficile d’envoyer des soldats… ”. Nombreux sont donc les projets en cours.

Pour les futurs UCAV, un maître mot : l’autonomie

Ces drones de combat peuvent intervenir soit en étant contrôlés par un opérateur ou en autonomie. En 2001, le Congrès des Etats-Unis a décidé que d’ici à 2010 les drones constitueraient 30 % du total des avions américains de frappe en profondeur. Comme le note le lieutenant-colonel français Mochin, “ l’évolution vers la robotisation de la campagne aérienne semble (donc) inévitable ”.
Le X45 en est une illustration parfaite : un avion prêt à détruire immédiatement toute menace sans aucun risque pour un pilote. Lors d’une attaque en meute, les X45 déterminent eux-mêmes lequel d’entre eux est le plus à même d’éliminer la cible, du fait de sa proximité avec elle, de ses réserves en carburant et de son stock d’armes.

Des robots pour accroître les effectifs de l’US Army

Le Future Combat System américain prévoit également qu’à partir de 2010 l’armée américaine disposera de 1 663 robots dont 1 200 “ Multifonctional Utility Logistics and Equipment Vehicle ” (MULE), emportant une tonne d’armes, de senseurs, de munitions, de vivres ou de minidrones.
Mais, là encore, Israël apparaît comme l’Etat le plus à la pointe du progrès technologique avec le Gardium, qui peut intervenir à l’encontre d’éléments suspects pénétrant un périmètre donné et les retenir jusqu’à ce qu’une patrouille humaine arrive. Il peut également être utilisé pour éliminer une menace. Sa vitesse est de 80 kilomètres/heure et il peut être équipé, outre de divers senseurs, d’armes létales ou non létales. Ses patrouilles peuvent être préplanifiées, l’opérateur humain n’intervenant alors qu’en cas d’incident. Il s’inscrit, au demeurant, dans un projet plus global de “ frontière électroniquement gardée ” par un ensemble de drones et de robots. Selon des officiels israéliens, les “ terroristes ” pourront ainsi être éliminés de manière automatique. Après une identification électronique d’individus comme des éléments hostiles, le système proposera lui-même à l’opérateur humain de sélectionner le vecteur (UGV ou drone) le plus approprié, de par sa position ou son armement, pour supprimer ces éléments.

Des applications pour maintenir l’ordre

Drones et robots constituent des plates-formes de senseurs, d’armes létales ou non létales dont de nombreuses applications peuvent servir dans le domaine du maintien de l’ordre. Certains robots trouvent d’ailleurs leur origine dans ces missions. Le drone de 4.5 kilogrammes produit par Tecknisolar en est un exemple. Dirigeant de cette société, Pascal Barguidjian, déclare ainsi : “ Cet équipement est particulièrement adapté au survol de manifestations rassemblant plusieurs milliers de personnes. En cas de débordement, il peut identifier rapidement, grâce à sa caméra embarquée, les émeutiers et les immobiliser en projetant du gaz ”…

La robotisation favorise un recours plus fréquent à la violence

Plusieurs éléments laissent à penser que la robotisation favorise un recours plus fréquent à la violence.
Le faible coût théorique du drone est un premier argument : “ sur le plan économique, un UCAV réutilisable est moins coûteux à long terme qu’un missile de croisière à 1million de dollars pièce servant une seule fois ” . De plus, comme le souligne le général Henry “ Hap ” Arnold, “ Pour le prix d’un B17 larguant une bombe unique de 2,7 tonnes, nous pouvons envoyer 500 petits UCAV au-dessus du territoire ennemi ; chacun emportant avec lui 360 kilogrammes d’explosif (soit 180 tonnes) ”.
Un second argument réside dans l’absence d’équipage, qui permet de réduire le volume du véhicule et d’accroître ses performances.
Enfin, en cas de perte, personne ne pleurera la mort du drone, et il n’y aura pas de pilotes à exhiber devant les caméras. Pas de frais de formation, ni de paie, ni de retraite, ni de famille, et encore moins de cercueil à montrer aux journaux télévisés, ni même de pitié : le drone et le robot ont des qualités bien supérieures aux humains dans la perspective d’un recours plus fréquent à la violence.
De par ces considérations, ils constituent des multiplicateurs de puissance destinés à gagner des guerres, selon l’UEO. Dit autrement, “ les UCAV fournissent à notre politique de leadership diplomatique un moyen militaire supplémentaire permettant de ne pas risquer des vies américaines ”. De même pour le lieutenant-colonel Vandendorpe : “ Les systèmes de drones deviendront assurément un outil privilégié des responsables politico-militaires pour les conflits du xxie siècle” . Il y a donc consensus dans les milieux militaires autour de l’idée suivante : “ Si des vies et de l’argent sont économisés, avec un accroissement réel de l’efficacité des missions menées, alors les véhicules sans pilote deviendront un outil essentiel dans la conduite des guerres ”.
L’usage des drones contribuera à renforcer cette “ domination aérienne [qui] donne aux Etats-Unis un avantage asymétrique sur n’importe quelle nation du monde ”. Or, nous savons ce qu’en font les Etats-Unis… S’ils obtiennent davantage de suprématie militaire à moindre coût et à moindre vie américaine, ils ne feront que davantage usage de la coercition. Comme l’affirmait Montesquieu, “ un empire fondé par les armes a besoin de se soutenir par les armes ”.

Karim


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