Courant alternatif no 162 octobre 2006

SOMMAIRE
Edito p. 3
IMMIGRATION
Ni Karcher, ni charter p.4
ELECTIONS
Un seul programme, l'exploitation du travail p.7
SANS-FRONTIERE
Eté meurtrier au Liban p.9
L'eau, enjeu majeur que mêne Israël contre le Liban p.12
ANTI NUCLÉAIRE
Témoignage d'une répression p.14
SOCIÉTÉ
La "réalité réelle" du sport p.15
Rubrique Big Brother p.17
DEBAT
Ne pas se satisfaire des clichés habituels p.18
MÉMOIRE OUVRIÈRE
L'insurrection de Kwangju en Corée du Sud (1980) p.20
SANS-FRONTIERE
Enfants à la rue en Guyane p.22
LIVRES p.24

EDITO

IL N'Y A RIEN A ATTENDRE DES INSTITUTIONS

L'année 2005/2006 a été marquée en France par des mouvements importants : Révoltes des banlieues à l'automne, mouvement de la jeunesse au printemps et mobilisations multiples et diverses pour la régularisation de sans-papiers qui actuellement se poursuivent.
Cette année fut, pour nous, riche d'autant plus que nous avons toujours pensé que c'est lorsque les gens sont en " mouvement ", dans des moments partiels de rupture avec le système de domination, qu'ils sont porteurs d'idées et de pratiques correspondant le mieux à nos aspirations révolutionnaires.
Concernant les sans-papiers, la mobilisation est partie par rapport à des enfants scolarisés qui risquaient (et risquent encore pour beaucoup d'entre eux) de se faire reconduire à la frontière avec leurs parents, à moins que les rouages de l'Etat choisissent de placer ces enfants dans une institution, éclatant à jamais des familles ! Des milliers de gens (enseignants, parents d'élèves scolarisés dans les mêmes écoles, collégiens, lycéens ou étudiants, voisins, …) se sont mobilisés pour ces familles. De part la détermination, l'arrogance et la volonté de l'Etat français d'expulser ces sans-papiers, des gens non majoritairement militants ont été amené à désobéir en planquant, chez eux, des enfants, des parents et même des grands-mères. Ces gens savaient et savent qu'ils encourent 5 ans de prison et 30 000 € d'amende pour aide au séjour de personnes en situation irrégulière et pourtant ils l'ont fait et dans certains cas l'ont revendiqué !(1). A partir de là, ces gens ont pu s'ouvrir à des tas d'autres situations de sans papiers non nécessairement parents d'enfants scolarisés dans l'école du quartier. C'est ainsi que la revendication de régularisation de tous les sans papiers est reprise aujourd'hui par des gens qui n'auraient jamais eu cette solidarité s'ils n'avaient pas eu ce vécu concret. C'est ainsi aussi que des tas de drames humains, qui sont autant de drames sociaux, économiques et politiques, ont été mis sur la place publique ; que ces drames aient lieu ici ou aux quatre coins de la planète … contribuant ainsi à une réelle politisation.
Politisation relative tout de même car Sarkozy apparaît comme étant le grand méchant loup alors que les ministres de l'intérieur socialistes ont eu des politiques voisines avec l'arrogance, le populisme et un peu de démagogie en moins. Même si demain le pouvoir de droite ou de gauche est contraint par la rue de régulariser des milliers de sans-papiers ; après-demain il y aura toujours autant de sans-papiers célibataires, parents ou non d'enfants scolarisés, en Europe car :
- Ces migrations de populations sont les conséquences des guerres, des famines et de la misère dont la plupart sont les conséquences directes du système économique mondial.
- Notre économie a toujours besoin de cette main d'œuvre corvéable à merci.
Quels que soient les moyens policiers qui seront demain mis en œuvre par les Européens avec l'aide de certains Etats comme le Maroc, la Libye, … (police européenne de l'immigration, consulats européens uniques, rafles et refoulement à partir d'Etats " amis ", . ..) l'immigration se poursuivra car elle répond à des besoins économiques et de survies humaines.
L'immigration sera à n'en pas douter, au centre de beaucoup de discours de politiciens. A noter que, parmi ceux qui défendent aujourd'hui la lutte des sans-papiers, aucun ne fera campagne en demandant la liberté de circulation et d'installation des personnes, seul moyen d'éradiquer le problème des papiers !
Le thème de l'immigration, récurrent depuis plus de 20 ans en France, est maintenant contenu dans celui de l'insécurité. Depuis la loi de sécurité quotidienne de la gauche plurielle (2001), les lois sécuritaires se sont succédées. En cette rentrée, une " petite " dernière s'apprête à être votée. Il s'agit de la loi dite de " prévention de la délinquance " (2). A ce jour, la mobilisation contre ce projet qui prend forme, a bien du mal à s'enclencher au niveau national même si une mobilisation est programmée pour le 10 octobre. Mais, rappelons-nous, la mobilisation de ce printemps 2006 a pris de l'ampleur alors que la loi avait été déjà votée. Tout espoir n'est donc pas perdu même s'il y a des risques que seuls les articles de cette loi concernant les nouveaux pouvoirs répressifs des Maires et la fin du secret professionnel des travailleurs sociaux soient réellement contestés (comme le fut le cas pour la loi sur l'égalité des chances ou le mouvement a seulement gagné sur l'article concernant le C.P.E.).
Il y a aussi bien d'autres espoirs de mobilisations en cette rentrée ; l'Etat et le patronat continuant ses attaques sociales. Mais notre enthousiasme doit être mesuré car ces mobilisations concrètes risquent d'être reléguées au second plan devant … l'échéance électorale du printemps 2007. C'est ainsi que les dinosaures du P.S. qui veulent " aller à la soupe " n'hésitent pas à défiler dans la rue aux côtés de ceux et celles qui luttent alors qu'il n'y a pas si longtemps, lorsqu'ils étaient aux affaires, ils n'hésitaient pas à réprimer, expulser ces sans papiers et plus globalement être aux ordres du capital. Le drame c'est qu'il n'y a quasiment plus personne pour les virer des manifs et rassemblements en leur rappelant leurs pratiques lorsqu'ils étaient au pouvoir. C'est un recul par rapport à ce qu'il se passait au milieu des années 90. Pire, beaucoup de ceux et celles qui luttent recherchent aujourd'hui la signature, les prises de position de ces Lang, Royal, Fabius, Strauss-Kahn, …
Nous sommes donc entrés dans une période de promesses électorales, de cirque où le pouvoir médiatique tente de fabriquer comme toujours l'opinion publique. Ce serait un duel Royal - Sarkozy avec en invité surprise éventuelle Le Borgne. Bof , ON S'EN FOUT car cela ne changera rien au " schmilblic "! L'extrême gauche dite " noniste " ou " anti-libérale " (ne pas confondre avec " anticapitaliste "!) politique, syndicale ou associative tient, elle aussi, à tenir son rang, à avoir une place dans cette très mauvaise comédie burlesque. Les candidatures à la candidature se multiplient au rythme des conciliabules. Mais le PCF demandera toujours au second tour à faire " barrage à la Droite " ou " à faire barrage à Le Pen " ; La LCR, malgré ses dires actuels, suivra afin de ne pas se faire marginaliser au niveau institutionnel comme c'est le cas aujourd'hui pour L.O. qui n'obtiendra jamais les 500 signatures d'élus de la République nécessaires pour se présenter aux présidentielles (3).

Nous pouvons nous demander s'il ne serait pas souhaitable de faire (re)vivre une expression anti- institutionnelle ? A moins que cette expression ne vienne finalement de la rue. Là est notre espoir…

(1) près de 120 000 signatures de la pétition " Nous les prenons sous notre protection " … et les signatures arrivent toujours.

(2) A ce sujet, nous avons publié un article dans notre numéro d'été.

(3) En effet beaucoup d 'élus qui donnaient traditionnellement leurs signatures afin qu'A. Laguiller se présente ne le referont plus à cause du fait que LO n'a pas appelé à voter Chirac contre Le Pen lors du second tour de 2002.

OCL/Reims, le 22/09/06



POUR 2007:UN SEUL PROGRAMME POUR TOUS, L'EXPLOITATION DU TRAVAIL

Les enjeux de la prochaine élection présidentielle ne se situent pas forcément là où les candidats et les partis qui les soutiennent l'affirment.
En fait il ne s'agit que d'accompagner du mieux possible la seule et unique chose importante aux yeux des " maîtres du monde " : la transformation des conditions d'exploitation du travail humain. Une transformation nécessaire et obligatoire du fait du l'inéluctable développement des forces productives lié à l'expansion du capitalisme.

Mettre l'exploitation au diapason de la modernité

Tout se combine évidemment pour faire passer cette évidence au second plan aux yeux de la très grande majorité des exploités, et même, si possible, la rendre invisible derrière des écrans de fumée que constituent débats et affrontements dits " de société ", sur les questions de sécurité, de religion, de parité, de droits divers et variés qui perdent tout sens si on ne les met pas en relation à la question de fond qu'est l'exploitation économique en pleine mutation.

Tout se prépare à gauche pour que se rejoue l'arnaque de 2002 avec Sarkozy dans le rôle de Le Pen face à Royal, au deuxième tour de la présidentielle. D'autant plus facilement que les réticences à voter Royal seront moindres que celles qui ont poussé des abstentionnistes et des gauchistes à voter Chirac. Segolène est " de gauche " quand même, entend-on souvent : si, sur certains côtés (sécurité, famille, éducation, sexualité...), la puritaine Ségolène est très proche du facho Nicolas, sur le plan social ça sera quand même moins pire ! D'autres, avec le même objectif de se préparer une " excuse " pour voter Royal font le raisonnement inverse : on sait bien que sur le fond, celui de la gestion du capitalisme, il n'y a guère de différence entre la droite et la gauche, en revanche sur les questions " de société " Royal sera moins " facho " que Sarko... On nous refait ainsi le coup de l'abolition de la peine de mort en 1981 !

Pourtant, les choses sont on ne peut plus claires. Au mois de septembre les deux candidats les plus probables ont fait le pèlerinage de Bruxelles, ce qui n'était jamais arrivé avant une présidentielle où il importe d'abord de paraître défendre les intérêts nationaux et de ne pas recevoir d'ordres d'ailleurs. Ce qui explique que ces voyages se sont fait dans une relative discrétion. C'est que le " non " français ronge d'inquiétude les élites bruxelloises qui n'ont de cesse que de s'assurer que les politiques qu'ils dictent seront bien poursuivies et non entravées ou retardées par les aléas de telle ou telle vie politique locale. On sait qu'en période de " calme ", l'essentiel du travail des parlementaires européens consiste à adapter les circulaires de Bruxelles.
Sarkozy et Royal ont rassuré ces élites en leur confirmant le lien de vassalité qui ne peut qu'unir les Présidents européens à Bruxelles. Un même lien de vassalité qui unit par ailleurs Bruxelles aux Etats-Unis faisant de l'institution européenne l'intermédiaire/tampon idéal entre l'Europe et les multinationales américaines.
En effet, le Parlement européen, s'il peut paraître, aux yeux des plus naïfs, comme plus ou moins progressiste sur des questions dites " de société " ou de culture (1), est en fait à la pointe de la mise en place des modernisations et des adaptations des conditions de l'exploitation du travail humain dont nous parlions plus haut.

Les impératifs de Bruxelles

Prenons un exemple qui nous occupe précisément en cette rentrée, les attaques contre la retraite par le biais, cette fois, de la menace de suppression - ou de réforme - des régimes spéciaux. Ce que reproche le PS aux déclarations de Fillon puis de Sarkozy, c'est encore une fois la méthode utilisée et non le fond. J.-M. Ayraud le président du groupe parlementaire PS est très clair : " Il faut s'y prendre autrement ". Autrement dit, Segolène ou un autre, une fois élue aura les mêmes objectifs, mais s'y prendra autrement pour justifier et faire avaler la potion.

Rappelons-nous : tout commence en 1993 par le décret Balladur qui fait passer, pour le secteur privée, le nombre d'années de cotisations de 37,5 ans à 40. Or ce décret n'est que, pile-poil, la mise en application du traité de Maastricht soutenu par le PS. Dix ans plus tard, en 2003, la décision de Fillon, déjà lui, de faire passer les fonctionnaires au régime du privé, découle directement du sommet de Barcelone de mars 2002. Chirac est président et Jospin premier ministre ; l'un et l'autre ont approuvé une série de décision européenne dont le point 32 : " Il faudrait chercher d'ici 2010 à augmenter progressivement d'environ cinq ans l'âge moyen effectif auquel cesse, dans l'Union européenne, l'activité professionnelle ". Nous sommes bientôt en 2010 et le travail sera achevé par le prochain président quel que soit sa couleur et son sexe !
Et lorsque le Financial Time (quotidien britannique, porte-parole du Capital) se félicite, en septembre dernier que le taux de croissance de l'UE ait atteint sont meilleur niveau depuis six ans, il l'explique par " les efforts positifs faits pour réformer les marchés du travail " qui " ont fini par payer ". Autrement (à peine) dit, les diktats de l'UE ont pour seuls objectifs la recherche du profit et donc cette transformation/ accroissement de l'exploitation du travail humain.

Et au-delà de Bruxelles, l'imprimature internationale que recherche les candidats à la présidentielle , et plus particulièrement nos deux pantins, n'a de sens que dans l'affirmation répétée que, quoi qu'il arrive et quelle que soit la manière dont ils la mèneront, leur politique ira dans le sens de la modernisation du capitalisme et de la poursuite de l'aggravation et de l'extansion de l'exploitation du travail.

La Medef en embuscade

Mais il n'y a pas que les institutions européennes à prendre leurs précautions à l'avance vis-à-vis des candidats. Le medef, lui aussi, bien entendu, donne de la voix. Il ne se fait pas prier pour dire qu'il ne veut pas de Villepin. " Depuis un an, nous avons connu une succession, voire une accélération de crises tout à fait préoccupantes pour la stabilité de notre pays, pour sa croissance économique et tout simplement pour le bien-vivre ensemble " a déclaré Laurence Parisot à LCI en rappelant le " non " à la constitution européenne, les émeutes de banlieues, le mouvement anti-CPE, qui, apparemment, ont constitué à ses yeux une " année horrible ". Non que les projets de Villepin n'aillent pas dans le bon sens, mais sans doute, là encore, la méthode a laissé à désirer... Pour Parisot, " une fois que la décision est prise, il n'y a pas pire que de ne pas la mettre en œuvre ". Elle fustige ainsi le gouvernement pour sa gestion passée, mais aussi actuelle qui, par prudence devant les réserves de certains députés de la majorité, a retardé la fusion GDF-Suez que le grand patronat appelle de ses vœux (2). Cette leçon donnée a une double fonction : laisser croire que le gouvernement et Medef sont deux institutions indépendantes, mais surtout baliser le terrain de ce que serait un bon président pour 2007, c'est-à-dire celui qui n'hésiterait pas à mettre en œuvre rapidement ses décisions. Sarkozy, qui tire plus vite que son ombre, semblerait être, à ce jeu, le meilleur.
Mais d'un autre côté, si les mesures doivent s'accélérer il ne faut pas qu'elles fassent trop de vagues comme celles qui ont secoué la France pendant un an ! Et là, il se pourrait bien que la victoire de la candidate de gauche soit officieusement plutôt bien vue du côté de l'avenue Bosquet. D'autant que parmi les décisions que le Medef aimerait voir prises, figure l'extension du CNE aux entreprises de moins de 50 salariés et l'instauration d'un smic par branche et par territoire. La volonté affichée de Royal de parfaire la décentralisation en étendant davantage les compétences des régions, ne peut qu'aller dans ce sens.
Une suggestion : décision + rapidité de mise en œuvre + pas de vague + discours humaniste = gouvernement d'union nationale Sako-Ségo sur le modèle allemand avec Bayrou en président de l'Assemblée nationale.

Les affaires sont les affaires... planétaires

Sortons maintenant de l'hexagone pour illustrer à quel point la subordination des politiques menées n'obéissent qu'aux exigences économiques immédiates du capital et nullement à de quelconques impératifs idéologiques : la reconstruction du Liban. On le sait, la guerre sert à détruire pour ensuite reconstruire. C'est l'Europe capitaliste qui va payer pour reconstruire ce que Israël et les USA ont détruit. Avec quel argent ? Avec les contributions faites à Bruxelles et alimentées par les contribuables salariés et non avec ce qui " fini par payer grâce aux réformes du marché du travail " dont nous parlait le Financial Time. Cet argent-là reste bien au chaud dans les nids douillets du capitalisme financier. En revanche, les contributions attribuées à la reconstruction retourneront dans l'escarcelle des grosses sociétés européennes spécialisées dans la reconstruction et qui ont déjà signé des contrats, comme elle l'avaient fait en Irak dès avant la fin de la guerre. Et ce, pour maintenir Israël dans son rôle de flic local afin que les pétroliers continuent à augmenter leurs profits. Une reconstruction qui ne profitera guère à la majorité des Libanais qui seront un peu plus endettés qu'auparavant (ils devront, par exemple, rembourser la reconstruction de leur maison). En attendant que d'ici deux à trois ans tout soit de nouveau détruit.

Cette question de l'adaptation des conditions d'exploitation aux besoins modernes du capitalisme est aussi au cœur de la question des migrations à l'échelle mondiale. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis, par exemple, on constate que de nombreux employeurs, qui n'ont pourtant rien de grands humanistes, se heurtent de front aux groupes paramilitaires qui s'organisent pour chasser les migrants dans le sud du pays. Pas au nom des droits de l'homme mais à celui d'exploiter une main-d'œuvre au prix le plus bas possible, même et surtout clandestine, qui lui permet un taux de productivité des plus importants ! Et en France, même le jour où on n'acceptera plus officiellement que des intellectuels, des artistes et des "divers qualifiés" africain, les autres, la maind'œuvre corvéable et clandestine, continuera de remplir les basses fosses du BTP pour les plus grands profits des adhérents du Medef.

JPD

L'EAU, ENJEU MAJEUR DE LA GUERRE QUE MENE ISRAEL CONTRE LE LIBAN

De la guerre que mène Israël contre le Liban actuellement les médias professionnels ne traitent que (et abondamment) du prétexte de débarrasser le pays du Hezbollah sans remarquer que ce pays ne leur a rien demandé à ce sujet d'une part et surtout qu'Israël a mené bien d'autres attaques contre le Liban : " Opération Litani " en mars 1978, opération " Paix en Galilée " en 1982, occupation de la zone dite " de sécurité " jusqu'en mai 2000... avec destructions, bombardements, massacres et cela bien avant l'existence du Hezbollah et à chaque fois sous des prétextes différents, un seul pourtant semble constant : celui de l'eau!

En s'appuyant sur l'historique dressé par Sandrine Mansour (1) sur la question de l'eau en Palestine, on comprend l'enjeu majeur que représente la gestion des ressources hydrauliques dans la région. Dès 1919, Chaïm Weizmann, président de l'organisation Sioniste Mondiale, écrit une lettre au Premier ministre britannique, à propos de la frontière nord de la Palestine : "Tout l'avenir économique de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau pour l'irrigation et pour la production d'électricité ; et l'alimentation en eau doit essentiellement provenir des pentes du Mont Hermon, des sources du Jourdain et du fleuve Litani (au Liban). Nous considérons qu'il est essentiel que la frontière nord de la Palestine englobe la vallée du Litani sur une distance de près de 25 miles (40,2 km environ) en amont du coude, ainsi que les flancs ouest et sud du Mont Hermon." Les frontières proposées englobent non seulement tout Israël, mais aussi Gaza, la Cisjordanie, les hauteurs du Golan, des portions du Liban, de la Syrie et de la Jordanie. La France, puissance mandataire au Liban à l'époque, s'était opposée à ce projet.
En 1923 et en 1927, Elwood Mead, hydrologue grand précurseur du développement hydraulique des Etats-Unis, se rendra sur place ; lors de ses deux voyages il ne visitera que des colonies juives et fera une sorte d'Etat des lieux de la situation de l'eau et des projets futurs à prévoir par les sionistes. Il fait notamment une critique pertinente sur la manière dont les colons venus d'Europe utilisent l'eau en ne tenant pas vraiment compte des réalités du terrain, mais se gardera de les rendre publiques. Elwood Mead donnera des indications notamment pour irriguer le Néguev, aride, en prélevant de l'eau du Jourdain pour alimenter cette partie de la Palestine. Ces propositions de travaux seront confirmées par le Plan Hayes, du nom d'un ingénieur américain qui préconisera " l'irrigation des terres de la vallée du Jourdain, la dérivation des eaux du Jourdain et du Yarmouk pour la création d'énergie hydroélectrique, le détournement des eaux du nord de la Palestine vers le désert du Néguev au sud et l'utilisation de l'eau du Litani au Liban. "
Dès 1953 Israël va mettre en application notamment les directives du plan Hayes et commencer à détourner l'eau du Jourdain, ce qui sera critiqué par les Nations Unies suite à des plaintes notamment de la Syrie. Les conséquences de ce détournement étaient aussi importantes pour La Syrie que pour la Jordanie. Le président des Etats-Unis Eisenhower décide d'envoyer Eric Johnston pour proposer un plan de répartition des ressources hydrauliques.

Ce n'est pas d'hier qu'Israël convoite ces sources d'eau rappelle Kim Murphy du Los Angeles Times (le 10 juillet 2006, sur cet aspect méconnu du conflit). Rappelant que Chaim Weizman, le leader sioniste qui devait devenir le premier président de l'État hébreu avait déjà inclus en 1919 le fleuve Litani parmi "les exigences essentielles à la mise sur pied d'un État juif". David Ben-Gurion, premier à occuper le poste de premier ministre israélien, a lui aussi à la fin des années quarante, à l'aube de la création de l'État juif, proposé d'y inclure le fleuve Litani. Dans les années cinquante, ce fut au tour de Moshe Dayan, alors chef d'état-major de l'armée israélienne, de se dire en faveur d'occuper et d'éventuellement annexer le Sud-Liban jusqu'au fleuve Litani. En 1963, Israël bombarde au Liban les travaux destinés à l'exploitation du fleuve Wazzani. Plus tard la guerre de 1967 sera bien une guerre pour le contrôle des sources du Jourdain. Il faut noter que les fermes de Chebaa, occupées par Israël depuis 1967, surplombent un important réservoir d'eau estimé à 1,5 milliard de mètres cubes.
La Guerre des Six Jours sera suivie d'une politique de colonisation, cette colonisation permettant de contrôler directement sur le terrain le niveau d'utilisation de l'eau par les populations locales palestiniennes. En effet dès cette date Israël impose des interdictions notamment pour l'agriculture, le forage de puits, etc.
Le Golan sera même annexé et la majorité de sa population expulsée afin de diminuer la consommation locale (100 000 personnes) et permettre à Israël de contrôler en amont du Jourdain les ressources hydrauliques vitales. Les eaux souterraines ont été surexploitées. Depuis l'occupation en Cisjordanie et à Gaza, 70 à 80% des villes et villages palestiniens ne reçoivent que quelques heures d'eau par semaine, obligeant la population à faire des réserves dans des bidons et ce, dans des conditions d'hygiène précaires. Tandis que les postes militaires israéliens et les colonies sont alimentées 24 heures sur 24. Ces populations vivent comme si elles étaient dans un pays européen, alors que la population palestinienne a toujours géré son eau en connaissant l'aridité de la région. De plus le développement agricole israélien se fait aussi en contradiction avec les ressources en eau disponibles. Les Palestiniens n'ont pas le doit de forer des puits, alors que les colons le peuvent et sur de grandes profondeurs (300 à 500 mètres).
Israël occupe toute la Cisjordanie, Gaza et les hauteurs du Golan, lui donnant accès ainsi par son occupation aux ressources en eau. En 1978, il occupera le Sud Liban pour achever en quelque sorte cet approvisionnement, avec notamment l'usage et le détournement d'une partie du fleuve Litani par un système de pompage … ; le Sud Liban qu'il ne libérera qu'en 2000, chassé de la région par la résistance du Hezbollah.

"Sans accord sur l'eau, il n'y aura pas d'accord […] car pour Israël, l'eau est plus importante que la paix." Yitzhak Rabin

Depuis les années 70, les Israéliens ont pris l'habitude de pomper les eaux du Litani et cela pendant les années de guerre, les invasions à répétition de la région du Sud-Liban par l'Etat hébreu.
Pendant des années, ingénieurs, enquêteurs et même soldats des casques bleus de l'ONU ont livré des rapports concernant des cas de pompage des eaux du Litani par les Israéliens.
C'est ce que rapporte Gilles Labarthe (2).
Il parle du sabotage systématique autour du barrage de Qaraoun, dont la construction remonte à 1959. A l'origine, il était "destiné à la production d'électricité et à fournir de l'eau d'irrigation aux grandes étendues cultivées de la Bekaa". Mais ces objectifs n'ont pu être atteints pendant de nombreuses années, à cause de la guerre civile (1975-91) et de l'occupation par Israël du Sud-Liban. Bon nombre d'infrastructures ont en effet été détruites pendant la guerre. Certaines sous les bombardements israéliens de 1982. L'armée israélienne aurait aussi mené des opérations de sabotage systématique des canalisations.
Ariel Sharon a menacé le pays en octobre 2002 quand le Gouvernement libanais a inauguré une nouvelle station de pompage des eaux du Wazzani. "Pour Israël, cela valait déjà le casus belli."

C'est un joli ruisseau à truites qui jaillit de la colline pierreuse. Le Wazzani serpente au creux de la vallée avant de s'éclipser

Au nord, la terre est nue, sèche et stérile : c'est le Liban. Au sud, de la verdure, des vergers : c'est Israël. Plus de deux ans après le départ de l'armée israélienne, qui occupait la région depuis 1978, le sud du Liban peine à revenir à la vie. La région reste menacée par le contentieux frontalier autour de la zone des fermes de Chebaa, un peu plus à l'Est, témoigne en 2003, Christophe AYAD (3).
Le président du Parlement, Nabih Berri a eu une idée de génie : financer la construction d'une station de pompage sur le Wazzani afin d'alimenter les villages alentours dont les habitants sont contraints d'acheter l'eau potable, amenée par camions-citernes au prix prohibitif d'un Euro le m3. Depuis, le Wazzani est devenu le point le plus chaud du Liban : dès l'annonce du projet, Israël a menacé de détruire les installations, faisant de l'épineuse question de l'eau un casus belli dans la mesure où il prive Israël de quelques millions de mètres cubes d'eau par an, puisque le Wazzani se jette dans le Hasbani... qui se jette dans le Jourdain.
Israël est tout proche. On distingue à quelques kilomètres les premières maisons du village israélien d'en face, Ghajjar, sur le plateau du Golan syrien annexé par Israël. Un petit tube en caoutchouc noir relie le Wazzani à Ghajjar. Une fois par mois, des techniciens israéliens, déguisés en fonctionnaires de l'ONU (et avec son accord), viennent vérifier l'installation qui remonte à l'époque de l'occupation israélienne. Côté libanais, l'eau pompée est acheminée vers des citernes, à 2,5 kilomètres, pour être redistribuée dans les villages alentours (120 000 habitants et 16 000 hectares de terre cultivable), toujours par des conduites souterraines dont le creusement a donné quelques sueurs froides aux diplomates. A Kfar Killa, juste avant la "porte de Fatima", les tuyaux passent à moins de cinq mètres de la frontière avec Israël, matérialisée par un grillage électrifié. "La nuit, quand on travaillait, ils diffusaient des sons horribles par haut-parleur, comme des hurlements de chiens, se souvient un ouvrier. Un jour, un soldat est venu nous narguer. Il disait : "Sharon détruira ce que vous êtes en train de faire.""
Malgré la mise en service de la station de pompage, Israël, à l'époque, n'a pas mis ses menaces à exécution. D'abord parce que le Liban est encore loin de pouvoir pomper le volume maximal annoncé, soit 4,9 millions de mètres cubes. Mais aussi parce que la question du Wazzani inaugure de nouvelles règles du jeu dans une région hautement inflammable. Tout au long de l'automne 2003, les délégations de diplomates et d'experts en hydrologie et en droit international se sont succédé à Beyrouth pour tenter de trouver une issue au conflit d'intérêts entre le Liban et Israël. Le risque de conflit est réel : en 1965, Israël avait déjà bombardé une première pompe dont la carcasse gît à quelques mètres des actuels réservoirs.
En 2004, le gouvernement de Sharon semblait moins obsédé par l'accès au fleuve Litani, tout en maintenant, à une vingtaine de kilomètres seulement au sud-est du lac Qaraoun, une présence israélienne sur les eaux de la rivière Wazzani et le fleuve Hasbani, situé en bonne partie sur le territoire libanais en amont du Jourdain. C'est dans cette région du Mont-Hermon, fief du Hezbollah, que de violents accrochages militaires ont lieu.

Initialement, l'objectif déclaré d'Israël en frappant le Sud-Liban était de mettre fin au tir de roquettes du Hezbollah et de créer un zone tampon.

Or, précise Jean-Pierre Cloutier(4), Kaveh L Afrasiabi, dans le Asia Times, avance une autre théorie sur les motifs du présent conflit : l'enjeu de l'agression israélienne serait l'annexion pure et simple du Sud-Liban pour avoir accès à l'eau de la rivière Litani. Afrasiabi écrit qu'au fur et à mesure qu'Israël élargit la zone qu'il juge nécessaire pour assurer sa sécurité, et que la dite zone rejoint maintenant la rivière Litani à 70 kilomètres au nord de la frontière, ses motifs deviennent de plus en plus clairs. L'accès par Israël à la rivière Litani se traduirait par une augmentation des ressources hydriques de 800 millions de mètres cubes annuellement selon Afrasiabi.
Israël a bombardé des canaux d'irrigation ouverts et souterrains qui distribuent de l'eau à partir du fleuve Litani sur plus de 20 000 m2 et à 23 villages du Sud-Liban et de la vallée de la Bekaa. On ne peut ainsi s'empêcher de penser qu'Israël cherche à s'approprier les riches bassins des versants libanais, accusations qu'Israël nie formellement.(Kim Murphy du Los Angeles Times) Une bonne partie du débit du Litani est dirigé vers une série de barrages hydro-électriques, ce qui laisse peu pour l'irrigation, mais le gouvernement libanais prévoyait (avant le début de l'agression) un projet d'une valeur de 200 millions de dollars pour optimiser l'irrigation et l'étendre à d'autres zones de la région.
Outre le Litani, d'autres sources sont convoitées. Le 26 juillet dernier, le site israélien Debka spécialisé en questions militaires et de renseignement annonçait déjà que "Peut-être le gain le plus important de cette crise pour Israël est la récupération d'une de ses principales sources d'eau, les sources de Wazzani dans le village de Ghajjar. Ceci s'est accompli dans les premières heures de l'offensive des forces armées vers l'est. Israël ne sera pas empressé de céder cet acquis."(Jean-Pierre Cloutier)
Israël veut-il d'un Liban souverain ? s'interroge Vénus Khoury Ghata (5), selon elle, le motif annoncé n'est qu'un prétexte peu convaincant : cette agression militaire n'est pas une réponse légitime à la capture de deux soldats par le Hezbollah ; il s'agit en fait de mettre la main sur l'eau du Liban, enjeu majeur de la survie d'Israël. Les conséquences de cette guerre servent d'autres objectifs comme ceux de pousser la population du Liban-Sud à un exode forcé vers le nord du pays, dans le but de modifier la démographie et en vue de les remplacer par les 500 000 réfugiés palestiniens auxquels Israël oppose le refus de retourner dans leur pays en application de la résolution 194 de l'ONU.
Des massacres à Cana, Srifa, Marwahine, etc. Des cadavres jonchant les routes du Liban-Sud, des familles décimées, un peuple sur les chemins de l'exode, des dizaines de milliers de logements démolis, des ponts éventrés, des routes labourées, des usines détruites, des voitures et camions disloqués, des champs et des arbres incendiés, du fuel sur le littoral du Liban. La liste est longue.
Tout ceci se déroule avec la bénédiction de George W. Bush et dans l'indifférence totale de plusieurs dirigeants de ce beau monde. Israël se sent au-dessus de toutes les lois.

Chantal, OCL, Toulouse.

Cet article a été composé à partir des sites www.france-palestine.org /www.libanvision.com/ www.ism-france.org, entre autres.

1-Sandrine Mansour, La question de l'eau en Palestine-Israël, Nantes, publié le jeudi 7 août 2003.
Ses sources
: *Maghfour El Hassane, L'eau du Bassin du Jourdain, in Revue d'Etudes Palestiniennes n*18, hiver 1999.
*Jocelyne Grange, Guillemette de Véricourt , Questions sur les Palestiniens, Les essentiels Milan, Janvier 2002. *An American in Palestine : Elwood Mead and Zionist water resource planning, 1923-1936, in Arab Studies Quarterly, Winter 2000, Volume 22.
*Jeffrey D. Dillman, Le pillage de l'eau dans les territoires occupés, in REP n*35, printemps 1990.
*La question de l'eau au Moyen-Orient. Discours et réalités. Monde arabe. Maghreb-Machrek. N*138, octobre-décembre 1992.
*Philippe Le marchand et Lamia Radi, Israël/Palestine demain. Atlas prospectif., Editions Complexe. 1996.

2- Gilles Labarthe, L'eau du Liban, source de toutes les convoitises, de retour du Liban / Le Courrier, 25 mai 2004.

3- Christophe AYAD, Le Wazzani, source de conflit au Liban , QUOTIDIEN : Mardi 18 février 2003 - Wazzani (sud du Liban) envoyé spécial - Internet.

4-Jean-Pierre Cloutier - le blogue - cyberie.qc.ca/jpc, Israël/Liban, une guerre de l'eau? faisant référence au site extremis notamment la section "Guerre de l'eau" du dossier "Planète ravagée" qui portait sur l'eau en territoires palestiniens, puis le dossier "Désobéir" dont une partie importante portait sur Tsahal.

5-Venus Khoury Ghata, romancière et poétesse, née au Liban, texte publié le 10 août 2006.



NE PAS SE SATISFAIRE DES CLICHES HABITUELS !

Y aurait-il quasiment aucune intersection entre le mouvement des banlieues de l'automne 2005 et les mobilisations lycéennes et étudiantes du printemps dernier ?

Selon certains analystes, les émeutes de banlieues ont été l'œuvre " des classes dangereuses " (certains utilisent le vocable : "lumpenprolétariat") qui luttent (sans revendication) contre "l'impossibilité de vivre au présent" tandis que le mouvement des scolarisés du printemps 2006 a été assimilé à un "mouvement dans les classes moyennes qui luttent pour un futur qui leur semblent menacé" (1). Certain-e-s y voient même une opposition entre ces deux mouvements. Bien sûr, ces deux mouvements sont nés d'une même évolution du capital qui tend à marginaliser ces populations, je n'y reviendrais pas ! Par contre, il me semble que nous passons à côté de certaines réalités sociologiques, sociales et politiques si nous nous satisfaisons des clichés : jeunes de banlieues révoltés = lumpenprolétariat ; lycéens et étudiants dans la rue = classe moyenne en lutte pour conserver ses acquis.

Des émeutes porteuses de revendications, hier comme aujourd'hui.
La première émeute en France dans un quartier constitué de barres de H.L.M. date de 1979 à Vaulx-en-Velin dans la région lyonnaise. D'autres révoltes ont eu lieu dans cette région en 1981 (Vénissieux, Les Minguettes) où un certain nombre de jeunes, avec l'aide de pasteur et de curé qui jouaient leur rôle de pompier, ont posé leurs exclusions, discriminations sur la place publique. Cela déboucha sur la "marche des beurs" en 2003, puis sur "Convergence 84" un an plus tard. Je ne vais pas revenir sur ces deux moments forts pour une partie de la jeunesse de certaines banlieues mais simplement signaler que nous ne furent que quelques-un-e-s à nous solidariser avec ce mouvement sans en détourner son contenu (2).
Les révoltes ont gagné la région parisienne (Mantes La Jolie, Dammarie-les-Lys) et des quartiers d'autres villes (Toulouse, Lille, Montbéliard, …). Ces émeutes ont quasiment toujours pris naissance après le meurtre d'un jeune issu de l'immigration par la police ou le total mépris de la justice française vis à vis d'un "arabicide". Ces émeutes ont toujours été porteuses de revendications clairement exprimées pour celles et ceux qui veulent bien l'entendre : "Flics hors de nos cités", "Pas de justice, pas de paix" sans oublier les revendications liées à toutes les discriminations vécues au quotidien. Les municipalités ont d'ailleurs bien du mal à effacer des murs de certaines cités les slogans dénonçant la B.A.C. (Brigades Anti-Criminalité), les CRS … D'ailleurs, lorsqu'il n'y pas plus ou pas de résistance dans un quartier, c'est que la drogue dure s'est installée ; drogue dure que l'on trouve plus facilement après une émeute. Est-ce un hasard ? De ces quartiers sont nées des milliers d'associations culturelles et sportives et ont vu émerger un nombre non négligeable de militant-e-s qui, à part ceux et celles qui ont voulu en faire leur business au P.S. ou à Droite, n'ont pas été massivement séduit, c'est le moins que l'on puisse en dire, par l'extrême gauche franco-française. Tous les mouvements qui ont eu lieu ces 25 dernières années, mais aussi et surtout le vécu quotidien ont toujours eu leur propre expression qui passe évidemment par la musique, la danse, les fresques, … mais aussi par de nombreux films et livres (3). Dans les années 80, ce fut, entre autres, l'Agence "Im'média" qui permis l'expression politique des révoltes ; dans les années 1990-2000, ce fut (et c'est encore, dans une moindre mesure) le M.I.B. (Mouvement Immigration Banlieue) et demain, je l'espère, bien d'autres collectifs.
Aujourd'hui, la situation a, bien évidemment, évolué à cause du contexte de désintégration sociale dans lequel nous nous trouvons sans oublier l'ampleur monstrueuse de la répression. D'après le ministère de l'intérieur, la révolte de l'automne a touché 400 quartiers pour une participation de 15 000 personnes (ce dernier chiffre est évidemment bien en dessous de la réalité ; par contre il est significatif qu'il fut repris par nombre d'officines militantes niant ce mouvement social) dont 4750 furent interpellées !

Vous avez dit " classe moyenne " ?
Cette année, mais ce chiffre n'a guère évolué depuis 5 ans, 70,4% des jeunes de leur génération passait un Bac. 63,8 % l'ont d'ailleurs obtenu. En chiffres cela représente 522000 jeunes qui ont réussi cet examen qui n'est qu'un passeport pour l'enseignement supérieur, certaines formations dans le social par exemple et certains emplois bien souvent précaires et flexibles dans le commerce, le bâtiment, ... 637 800 jeunes l'ont passé. Certains de mes détracteurs me diront qu'il y a Bac et Bac. Mais 54% de ces bacheliers ont obtenu un bac général, 27% un bac technologique et 19 % un Bac professionnel. Si nous comparons ces chiffres avec ceux de 1986 (date importante dans les luttes de scolarisés) nous sommes passés de 29,4% d'une classe d'âge qui obtenait le Bac à 52 % aujourd'hui car nous devons retirer le chiffre des Bacs professionnels qui n'existaient pas voici 20 ans.
Il y a aujourd'hui 4052 lycées en France. Pour information, les lycées sont de plus en plus polyvalents ; en effet, les lycées strictement généraux, technologiques et même professionnels sont de moins en moins nombreux, même si les dominantes demeurent.
Il y a donc massification indéniable au niveau du secondaire qui date d'une quinzaine d'années.
Cette massification … se retrouve aussi, dans une certaine mesure, dans l'enseignement supérieur où le nombre d'étudiants est passé de 500 000 en 1968 à 2,2 millions en 1999. Depuis cette date, il y a effectivement un net ralentissement de cette augmentation (6,2% sur 6 ans).
Ces chiffres officiels devraient nous interroger sur la réalité sociale des scolarisés aujourd'hui. Nombre de lycéens et d'étudiants ont un ou plusieurs emplois de galère. La bouffe rapide et plus généralement le commerce emploient des centaines de milliers de jeunes. C'est ainsi que l'ouverture des commerces le week-end (en particulier les supermarchés le dimanche matin)
Ces boulots de merde, payés au SMIC, à des heures pas possibles, ne sont pas forcément précaires au niveau statutaire car pour beaucoup d'entreprises de discount, de bouffe rapide, un CDI coûte moins cher qu'un CDD. En effet, l'entreprise mise sur les départs volontaires et les fautes dites professionnelles comme l'absentéisme. Nous sommes loin de la période où la majorité des étudiants issus des classes moyennes ou prolétaire continuaient leurs études grâce à un emploi de " pion " dans l'Education Nationale.
Cette massification voulue par le système répond évidemment aux besoins du capital. Cela ne change strictement rien quant à la reproduction des classes sociales par le système scolaire. Seul le bac professionnel peut donner directement un emploi très spécialisé et peu payé dans un certain nombre de secteurs (comme le bâtiment). Les bacs technologiques ont pour fonction de donner l'accès à des formations spécialisées où le SMIC (quand ce n'est pas le chômage) attend le jeune diplômé à Bac + 2, bientôt à Bac + 3 ou 4. Dans leur immense majorité, ces bacheliers seront des prolétaires. Quant aux bacs généraux, ils mènent d'autant plus à tout que les parents peuvent financer les études plus ou moins longues de leurs enfants. Néanmoins, une forte proportion d'entre eux se retrouvera dans des formations communes avec ceux et celles venant de la filière technologique. Bien sûr, il y a des exceptions … qui confirment ces règles, comme ces quelques jeunes issus de banlieues qui accèdent à une grande école et qu'on montre dans les médias.
Mais, la réalité est là, les bacheliers et les étudiants qui sont nés et vivent dans les quartiers populaires sont de plus en plus nombreux. Je devrais d'ailleurs féminiser ma phrase précédente car c'est bien chez les filles que ce phénomène est le plus spectaculaire, y compris dans les filières générales. Mais la plupart du temps, cela ne change rien car les discriminations au niveau de l'emploi et du logement interviennent en aval et cela les jeunes des cités le savent pertinemment.

Confusion entre mouvement réel et sa représentation
Etant donné les origines sociales de la jeunesse scolarisée, leurs luttes ne peuvent être dans un premier temps qu'inter-classiste.
Par contre, les jeunes qui représenteront la lutte devant les caméras ou dans les réunions intersyndicales seront effectivement bien souvent issus de milieu favorisé, surtout au niveau culturel. C'est ce qui s'est encore passé lors du dernier mouvement du printemps. Les médias cherchaient toujours les représentants syndicaux de l'UNEF pour les étudiants, de l'UNL ou de la FIDL pour les lycéens afin d'écrire leur papier ou traiter leur sujet au micro ou à l'antenne. A noter, pour ceux et celles qui l'ignorent, si l'UNEF ne représente pas grand chose chez les étudiants, l'UNL et la FIDL ne représentent quasiment rien chez les lycéens.
La représentation qu'ils en ont donné pouvait faire penser aux classes moyennes qui luttent pour garder des acquis d'autant plus que ce mouvement a eu du mal à démarrer, qu'il a été porté au départ par des jeunes du M.J.S., que ce mouvement a effectivement démarré dans des facs où les classes moyennes semblaient (à vérifier !) sur-représentées. Mais ensuite, lorsque les lycées sont entrés dans la danse, personne n'est allé voir ce qui se passait dans les lycées des quartiers populaires. Personne n'a relayé la lutte de ces lycéens et lycéennes, personne n'a enquêté sur le terrain pour savoir si certains d'entre eux avaient participé d'une manière ou d'une autre au mouvement de révolte des banlieues ! Et pourtant, dans nombre de villes, ce sont les lycées les plus populaires qui ont été porteur de la lutte ; ce qui est somme toute logique lorsqu'on se bat contre une mesure impliquant encore une plus grande précarité.

Un éventail de condamnés bien similaire
Au total, pour ces deux mouvements, plus de 9000 personnes ont été interpellées. La répression judiciaire contre le mouvement des banlieues a été beaucoup plus sévère : Sans entrer dans les détails il y a eu beaucoup plus de comparutions immédiates et surtout plus de condamnations à de la prion ferme que pour le mouvement du printemps (4). Néanmoins, globalement, la répression est aujourd'hui sans aucune mesure bien plus importante qu'il y a seulement une douzaine d'années (mouvement contre les C.I.P.) alors que la solidarité concrète a tendance à baisser quel que soit le mouvement (y compris contre la loi Fillon du printemps 2005).

Il n'existe pas (à ma connaissance) de statistiques officielles concernant la fonction sociale des personnes interpellées. Néanmoins, nous pouvons éplucher certains dossiers de personnes traduites devant les tribunaux. Et là, j'ai été très surpris ! Les étudiants-lycéens sont peut-être en proportion plus importante pour le mouvement du printemps dernier mais sont aussi largement représentés dans le mouvement des banlieues. Deuxième constat, et pas des moindres : Les catégories des salariés, chômeurs, rmistes, SDF … c'est à dire des non-scolarisées sont aussi largement représentées dans le mouvement du printemps 2006 ! Alors ?

Nous ne pouvons pas nous contenter du journal Le Monde et d'Internet pour décrypter un mouvement social, même si nous y participons à la base. Nous devons œuvrer pour que se mettent en branle les outils de contre-information et de libre expression présents sur le maximum de terrains de lutte et d'affrontement contre l'Etat et le capital.

Denis, fin août 06

(1) Citations extraites du bulletin n°116 au réseau "Echanges et mouvement", B.P. 241, 75866 Paris cedex 18. Nous retrouvons ce type d'analyse dans le dernier numéro de C.A., dans l'interview dans le journal Le Monde du sociologue François Dubet, etc.
(2) Voir à ce propos les nombreux articles, interviews parus dans la première édition de C.A. de 1984 à 1987.
(3) A propos de la révolte de l'automne 2005, un livre est à lire : "C'EST DE LA RACAILLE ? EH BIEN, J'EN SUIS !" D'Alèssi Dell'Umbria, 7 €, 95 pages, paru aux éditions l'échappée, 130 rue Saint-Maur, 75011 Paris.
(4) Vous pouvez avoir bien d'autres infos concernant la répression contre le mouvement de novembre sur le site : atouteslesvictimes.samizdat.net. Quant au mouvement du printemps un rapport a été édité par un collectif constitué d'élèves avocats et est disponible sur le site : http://repression2006.blogspot.com/


[Sommaire de ce numéro] [Liste des numéros de CA sur le site] [S'abonner] [Commander des anciens numéros]