Courant alternatif no 164 Decembre 2006 | ||||||
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SOMMAIRE | ||||||
Edito p. 3 SANS FRONTIERE OAXACA "Ils veulent nous obliger à gouverner, ne cédons pas à la provocation" p.4 A propos du hezbollah p.9 LUTTES SOCIALES Thomé-Génot: 300 licenciements dans les Ardennes p.6 ECOLOGIE Liaison Lyon-Turin : une luttes écologique contre les partis ecologistes p.14 Quand la grippe aviaire passe, la petite paysannerie trépasse p.15 SOCIETE Les états généraux de la condition pénitentiaire p.18 Rubrique Big Brother p.22 A lire p.23 Brèves p.24 |
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EDITO | ||||||
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Le capitalisme est une guerre permanente Chaque jour qui passe nous rappelle que le capitalisme est une guerre sans fin. Les guerres inter-états du siècle passé sont (un peu) moins nombreuses, sais toujours meurtrières, comme par exemple l'attaque du Liban par l'armée israélienne cet été. En revanche, les guerres que les états mènent contre leurs "propres" populations, ou plus précisément contre les populations sous leur contrôle, s'intensifient. Par ailleurs, l'existence de mouvements armés visant à récupérer tout ou partie du pouvoir d'état place les populations entre le marteau et l'enclume, ou plutôt entre le char et la mitraillette. Participant eux aussi, tel le Hezbollah au Liban (voir page 8), à la destruction des mouvements populaires, ils ne sont pas du même côté que nous. Mais la révolte des opprimés se fait entendre. A Oaxaca (Mexique) l'insurrection dure depuis plusieurs mois (détails de cette lutte populaire en page 4). Les centaines de policiers et militaires envoyés sur les lieux n'ont pu reprendre réellement le contrôle de la ville. En Italie, la lutte contre le train à grande vitesse entre Lyon et Turin, qui dure depuis plus de dix ans, ne faiblit pas, et une grande partie de la population s'y est investie (infos en page 15). En France aussi, les luttes sociales se poursuivent : contre les attaques des capitalistes, comme à Thomé Génot dans les Ardennes (page 12), mais aussi face à la barbarie de l'Etat. Les rassemblements, manifestations, solidarités en tout genre, sporadiques mais incessantes contre les rafles et les déportations ont ainsi empêché quelques milliers d'expulsions Cela nous rappelle que la multiplication des relations sur la volonté d'une émancipation réelle est le terreau de la résistance aux attaques contre les humains et le reste du vivant. Car si l'on en doutait encore, la grippe aviaire est là pour témoigner que le vrai combat, la guerre totale, est celle que mène la marchandise sur la vie. Déjà oubliée par l'incessante agitation médiatique, aujourd'hui centrée sur les élections à venir, la grippe aviaire (page 16) montre une fois encore que c'est l'activité humaine irréfléchie qui met en danger la nature et la détruit. Alors que les élevages industriels de volailles portent la plus grande responsabilité dans cette maladie, les instances internationales -fers de lance de l'idéologie marchande- programment la disparition des élevages de basses-cours au profit des élevages concentrationnaires de dimension industrielle. A elle seule, l'affaire de la grippe aviaire témoigne de l'aveuglement d'un système accumulateur de capital qui, ignorant les liens entre l'activité techno-économique et les transformations d'ordre environnementaux à la surface de la Terre joue au serpent qui se mord la queue… Qu'il s'agisse de l'Homme ou de l'ensemble des ressources terrestres, le capitalisme a réduit le vivant à une force de travail. Pour autant, miser sur le pourrissement d'une économie autiste ne saurait garantir son effondrement, de la même façon que jamais un combat social n'a été gagné en restant assis sur ses chaînes ; le capitalisme est tenu à bout de bras par la servitude volontaire des peuples et c'est seulement avec la volonté ferme (les moyens suivant la fin) de briser sa dynamique mortifère, pour vivre en dehors du fétichisme de l'argent, que nous le feront choir. C'est à nous de briser la mainmise des agioteurs sur nos existences, et à ce titre, la réaction de certain(e)s à la vue des dernières élection professionnelles au sein des forces de l'ordre bourgeois est révélatrice d'un accommodement avec le mépris dans lequel nous tiennent les suppôts du capital. Quel sens cela a-t-il de se réjouir du fait que la majorité des policiers ait voté "contre" leur ministre, en choisissant un syndicat moins orienté à droite quant il semblerait que la bleusaille soit plus intéressée par l'âge de son départ à la retraite et sa prime mensuelle que par le délire sécuritaire ou le nettoyage au Kärcher ? Que la matraque soit étiquetée UNSA, Alliance, SNOP, Synergie, SGPFO, FPIP ou SCHFPN, elle cogne toujours aussi fort ! Et au-delà de son arrogance, de sa brutalité, de son racisme, de son sexisme, directement visibles, la police est là plus insidieusement pour perpétuer les conditions objectives et subjectives qui justifient son existence. La sécurité ne viendra pas de la répression, mais des avancées de la conscience humaine. Notre revendication est simple : nous ne voulons plus de police du tout, condition indispensable pour vivre enfin libres et égaux. |
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OAXACA : Ils veulent nous obliger à gouverner : ne cédons pas à la provocation
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Depuis des mois, les peuples d'Oaxaca se battent, inventant de nouvelles formes de lutte qui s'épaulent mutuellement : les barricades permanentes et une organisation - regroupant 300 à 400 groupes - qui réinvente constamment la démocratie radicale. Toutes les questions sociales sont à l'ordre du jour. Nous n'étions plus qu'à quelques kilomètres d'Oaxaca, le jeudi 2 novembre, après-midi, quand nous avons pu capter dans notre voiture la radio de l'Université, devenue celle de l'APPO (Assemblée Populaire des Peuples d'Oaxaca) : une voix de femme mûre, grave, demandant très calmement, sur un fond de cris, d'explosions, de moteurs rugissant : « apportez de l'essence, des mèches, des bouteilles… Depuis vos fenêtres, attaquez les tanquetas (blindés légers) à coups de pierre… » Et puis, tout d'un coup une clameur : « Victoire, victoire… » Et en effet, l'attaque de la Police Fédérale Préventive (PFP) contre la Cité Universitaire et la radio de l'APPO avait été repoussée. Deux heures plus tard, un instituteur à la retraite nous racontait la bataille. L'attaque a été lancée à sept heures du matin par environ trois mille hommes de la PFP, appuyés par des hélicoptères, des tanquetas équipées de canons à eau (de l'eau additionnée de produits toxiques), et des bulldozers blindés. Le campus se trouve dans la ville, ce qui a sans doute été décisif pour l'issue de la bataille. Les membres de l'APPO et les étudiants qui y étaient retranchés depuis l'entrée de la PFP dans la ville le 29 octobre n'auraient probablement pas pu repousser cet assaut si la population du quartier ne les avait pas massivement soutenus et si des milliers de gens n'étaient pas venus à la rescousse depuis les autres quartiers et depuis la périphérie, prenant ainsi les flics en tenaille. Les gens ne se contentaient pas d'aller chercher dans les supermarchés de quoi ravitailler et soigner les combattants, de leur apporter des caddies pleins de pierres et autres projectiles, ils construisaient des barricades et affrontaient les flics. Des paysans venus d'un village des environs dans trois cars ont dit aux chauffeurs : « Ces cars ne sont pas à vous, n'est-ce pas ? Alors vous nous les laissez. » Ils les ont retournés sur la chaussée, les ont incendiés et ont rendu les clés aux chauffeurs. Le recteur de l'Université lui-même a invité les étudiants à défendre l' « autonomie » de leur Université. En fait, l'objectif des flics n'était sans doute pas de s'emparer du campus mais de détruire la radio et d'arrêter des « dirigeants » de l'APPO. En effet, immédiatement après l'échec de leur première offensive, ils en ont lancé une seconde, beaucoup plus concentrée, visant directement le local de la radio - un véritable fortin, au demeurant - sans succès non plus. Et la nuit suivante, un commando est venu tirer plusieurs dizaines de balles de gros calibre sur ce même local. Cette victoire constituait bien plus qu'une revanche sur l'offensive réussie des 4500 hommes de la PFP qui avaient occupé le centre ville le dimanche précédent et balayé bon nombre des barricades édifiées depuis des mois - d'autant que ce jour-là, l'APPO avait donné pour consigne de ne pas chercher à s'opposer frontalement à l'entrée des troupes et si des combats sérieux ont eu lieu en certains points, le plus souvent la population s'est contenté de manifester sa colère et son dégoût. En fait, la victoire du 2 novembre signifiait que l'intervention des forces fédérales n'avait servi à rien. Les robocops campent par centaines sur la place centrale, le Zocalo, ils n'ont pas même cherché à empêcher des cortèges de manifestants d'affluer tous les jours et dès le soir de l'occupation, depuis les quartiers populaires périphériques, les colonies, jusqu'au centre ; à une centaine de mètres du Zocalo, la place qui borde l'ancien couvent de Santo Domingo est devenue le lieu de rendez-vous des militants et de tous ceux qui viennent aux nouvelles ainsi qu'un forum quasi-permanent de discussion ; la radio de l'Université est devenue celle de l'APPO, instrument de mobilisation, d'information et d'expression libre ; les assemblées générales quasi-quotidiennes de l'APPO continuent à se tenir, toujours aussi ouvertes, - dans l'enceinte de l'Université, désormais ; l'APPO conserve son pouvoir de mobilisation, comme l'a montré la « méga-marche » organisée le dimanche 5 novembre, à laquelle ont participé plusieurs dizaines de milliers de personnes issues de tous les milieux, de toutes les communautés, venues souvent de villages éloignés - paysans indiens armés de leurs gros bâtons à planter le maïs, terriblement pointus, femmes de tous âges en tenue de fête… -, une des manifestations les plus vivantes, les plus dynamiques (pas un de nos cortèges de promeneurs muets derrière des hauts-parleurs braillards) auxquelles nous ayons jamais participé… Enfin, autre preuve de vitalité, l'APPO a tenu les 11, 12 et 13 novembre, comme prévu, son second congrès, une sorte d'assemblée constituante destinée à lui donner un programme et des formes d'organisation qui assurent sa pérennité - nous en reparlerons. Le seul point que les autorités aient réussi à marquer contre l'APPO, a été obtenu non par la violence ou l'intimidation, mais par le bon vieux procédé de la division : les concessions qu'elles ont finalement consenties aux instituteurs de l'Etat d'Oaxaca ont détaché de l'Assemblée populaire une partie des 70 000 adhérents de la section 22 du syndicat national des maîtres d'école, dont le mouvement pour obtenir l'alignement de leurs traitements sur ceux de leurs collègues du reste du Mexique avait été à l'origine de l'épreuve de force avec le gouverneur Ruiz. Un nombre appréciable d'entre eux continuent cependant à participer au mouvement, ne serait-ce que par solidarité avec les militants arrêtés ou disparus. Face à cet échec, le gouvernement a le choix entre la répression violente, c'est-à-dire le bain de sang - ce ne serait pas le premier -, les concessions, c'est-à-dire démettre le gouverneur détesté, et la temporisation, c'est-à-dire l'espoir du pourrissement. Les deux premières options ont été jusqu'à présent écartées. La violence, le pouvoir l'a assurément utilisée depuis le début de la crise : attaque brutale de la police de Ruiz le 14 juin contre le planton des instituteurs en grève - occupation permanente par eux du Zocalo -, puis harcèlement par des hommes de main, flics en civil ou paramilitaires qui ont tué une quinzaine de personnes en six mois, enfin intervention de la PFP. Mais le choix de recourir à cette unité de police anti-émeute plutôt qu'à l'armée, et la mission qui lui a été confiée - « rétablir la circulation dans la ville » - traduit l'hésitation du pouvoir à réprimer le mouvement par la force à tout prix. A cela, on avance plusieurs raisons : Fox répugnerait à terminer son mandat par un massacre, il a déjà sur les mains celui d'Atenco ; surtout, après l'énorme mobilisation contre l'élection très vraisemblablement frauduleuse de Calderon et compte tenu de l'agitation ouverte ou latente qui se fait sentir dans de nombreux Etats, le recours à la manière forte peut paraître risqué. Cette même crainte de mettre le feu aux poudres semble avoir fait écarter jusqu'ici la seconde option : démettre Ruiz sous la pression populaire risquerait de provoquer un « effet domino » : des soulèvements en chaîne contre des autorités locales impopulaires. De plus le Parti Révolutionnaire Institutionnel, qui a régné sans partage sur le Mexique de 1929 à 2000, défend bec et ongles ses derniers bastions. L'Oaxaca en est un. Aussi a-t-il menacé le Parti d'Action Nationale, parti de Fox et de Calderon, de ne pas participer à la séance des deux chambres réunies qui doit introniser Calderon le 1er décembre ; comme le Parti de la Réforme Démocratique, celui de Lopez Obrador qui continue à contester la légitimité de l'élection de Calderon, n'y assistera évidemment pas non plus, Calderon, dans ces conditions, ne pourrait prendre ses fonctions… Aussi, le Sénat s'est-il abstenu jusqu'ici, au mépris de la réalité, de constater la « disparition des pouvoirs », c'est-à-dire la vacance de fait du pouvoir, à Oaxaca, ce qui entraînerait l'éviction de Ruiz. Le pouvoir s'est donc manifestement réfugié dans l'attentisme, ou plutôt dans une tactique de double jeu combinant de vagues ouvertures pour un « dialogue » à la poursuite des arrestations et des enlèvements ainsi que des provocations visant à faire basculer le mouvement dans la violence et dont le seul résultat jusqu'ici a été quelques explosions sans gros dégâts revendiquées par une organisation prônant la guérilla. La base de l'APPO, elle, n'a pas répondu aux tueurs en se servant d'armes à feu, qui sont partout, au Mexique : c'est là l'une des manifestations les plus éclatantes de sa maturité politique. Le pouvoir justifie cet attentisme par un déni cynique et ridicule de la réalité. Le gouvernement et les médias mexicains, qui lui sont tous, à l'exception de quelques journaux, plus ou moins directement inféodés, ne se contentent pas, comme partout, de mentir : ils appliquent, comme dans la fable, le principe « la raison du plus fort est toujours la meilleure » : c'est ma parole contre la tienne, et si je suis le plus fort, c'est moi qui dit la vérité. Ruiz affirme tranquillement à la télé, depuis Mexico, qu'il n'y a à Oaxaca qu'une avenue qui soit barrée par une barricade, que l'APPO ne rencontre aucun écho dans la population (alors même que 40 ou 50 000 personnes défilent pour la soutenir)… Fox soutient qu'il n'y a eu aucun mort lors de l'occupation de la ville par la PFP, alors que - des dizaines de témoins oculaires en témoignent et un médecin légiste l'atteste - un homme a été tué par une lacrymo lancée d'un hélicoptère… Ruiz appelle pour le mardi 7 une contre-manifestation pour laquelle il convoque sous peine de sanction tous les employés des services de l'Etat et de la ville avec leur famille…Avec un résultat dérisoire, mais qu'importe : il suffit d'affirmer que ses partisans étaient plus nombreux que ceux de l'APPO. Fox, Ruiz et les autres ont cependant une excuse à l'énormité de leurs mensonges : l'énormité de leur incompréhension de ce qui se passe. Murés dans leur mépris pour le peuple qu'ils croient indéfiniment manipulable par la peur et la corruption, et particulièrement pour ces Indiens - qui forment environ la moitié de la population de l'Etat et de sa capitale - ces Indiens « aux pieds qui puent » comme le répète une radio pro-Ruiz d'Oaxaca, mais qui sont l'une des attractions touristiques de la région - ils ne peuvent concevoir que surgisse dans leur fief un mouvement de démocratie radicale comme celui que représente l'APPO. L'APPO est née de la réaction spontanée d'indignation qui a soulevé la population de la ville au lendemain de l'agression des sbires de Ruiz contre le planton des instits. Alors que jusque là ce mouvement avait laissé assez indifférent le gros de la population et avait même suscité une certaine hostilité chez les gens du centre ville qui vivent du tourisme, principale source locale de revenu, le coup de force de Ruiz a enflammé toutes les colères rentrées que son élection frauduleuse, ses brutalités - en particulier les coups de mains de ses sbires pour faire taire le journal local Noticias, en vain, d'ailleurs -, ses détournements de fonds publics, son clientélisme, etc. avaient semées. L'unité d'une très large partie de la population s'est faite contre lui et c'est pour négocier avec les autorités son départ que l'APPO s'est constituée comme coalition de plusieurs centaines d'organisations de tous ordres. Le caractère spontané de cette auto-organisation et la mobilisation qu'elle a réussi à créer et à entretenir durablement dans la population s'expliquent dans une large mesure, au-delà de ces circonstances, par la tradition de la démocratie d'assemblée qui est restée très vivace dans les communautés indiennes depuis bien avant la colonisation. De même, le souci si vif dans l'APPO de préserver la pluralité et la diversité de ses composantes, et de rechercher, par le dialogue, le consensus. Cette ouverture, qui permet une participation effective de la base, c'est là ce qui fait sa force - et c'est ce que ne peuvent comprendre ses ennemis. Voici comment l'APPO se définit, dans sa « déclaration de Santo Domingo » élaborée et publiée dans les premiers jours de novembre : « L'Assemblée Populaire des Peuples d'Oaxaca [en fait il s'agit autant de l'Etat que de sa capitale] est un mouvement anti-autoritaire et hors partis, caractérisé par la pluralité et la diversité. Au sein de l'APPO n'existe pas une idéologie unique. L'APPO est un front de masses, ouvert, c'est un front d'organisation en cours de construction. Dans l'APPO convergent des organisations sociales, des syndicats, des organismes civils, des colonies, des universitaires, des communautés religieuses de base, des artistes, des organisations indigènes et paysannes, des villages et des communautés. L'APPO articule des secteurs variés sous un discours et une stratégie qui ont un objectif commun : la destitution d'Ulises Ruiz en tant que gouverneur de l'Oaxaca et la transformation politique de l'Etat. » L'APPO estime important de reconnaître qu'il existe en dehors d'elle « d'autres acteurs engagés », qui « mènent des actions pour obtenir des changements » et qui sont « certains milieux de l'entreprise privée, des professionnels et des universitaires, des intellectuels et des communautés indigènes. » L'APPO a pour principe essentiel de sa pratique la « construction avec tous » : ne laisser de côté aucun secteur et « rechercher des points d'articulation qui permettent d'aboutir à une sortie consensuelle de la crise. » Une telle attitude, qu'on pourrait taxer de modération voire d'opportunisme, manifeste en fait la radicalité de l'APPO : une exigence de « démocratie radicale. » L'expression est de Gustavo Esteva, qui travaille à l'Universidad de la Tierra, une ONG membre de l'APPO. Il nous explique que trois tendances coexistent au sein de l'Assemblée Populaire. Une minorité milite pour une amélioration du fonctionnement de la démocratie formelle : honnêteté et transparence des élections, accès plus ouvert aux moyens d'expression publique, etc. Un second courant préconise une « démocratie participative » : que l'initiative des lois appartienne aux citoyens, que toutes les mesures soient ratifiées par referendum, qu'aucune décision ne soit prise en dehors de ceux qu'elle concerne (« S'il s'agit de paver une rue, c'est aux habitants de la rue à le décider. ») Cette aspiration est très forte. Mais, affirme Esteva, la majorité exige la « démocratie radicale » : nous n'avons besoin d'aucun pouvoir politique « d'en haut », seulement, le cas échéant, de « coordinations administratives. » Toutes les questions se règlent à la base. Et quand une délégation s'avère nécessaire, le mandat impératif et la révocabilité s'imposent. Et c'est du reste ainsi que fonctionne déjà l'APPO. De fait, quand l'APPO, après le refus des autorités de négocier, a occupé tous les lieux de pouvoir à Oaxaca (Parlement, administrations, tribunaux, etc.) et s'est proclamé le seul pouvoir, elle a refusé de prendre en charge les fonctions attachées à toutes ces institutions. Un slogan magnifique inscrit sur un mur résume cette attitude : « Ils veulent nous obliger à gouverner, ne cédons pas à la provocation. » Esteva l'explicite ainsi : ce pouvoir-là, c'est un pouvoir de domination, qui implique le clivage entre gouvernants et gouvernés. Ici, les gens veulent se gouverner eux-mêmes, « le mot gouvernement ne convient pas pour dire que c'est nous-mêmes qui décidons de nos vies et les gérons. » Il ajoute que c'est une tradition ancienne en Oaxaca : « quatre municipalités sur cinq s'administrent toutes seules. » Cette aspiration radicale se heurte à une réalité massive : « Nous sommes au Mexique. Les gens sont réalistes. Notre mouvement ne prétend pas se séparer du Mexique, créer une république à part. Nous restons à l'intérieur du Mexique et donc nous allons accepter certaines choses de la démocratie formelle, mais nous le ferons à notre manière. » Cependant, pour apprécier le rapport de forces, il faut tenir compte du fait que « le mécontentement est général et les gens, au Mexique, ont une grande capacité de lutte. Si nous sommes ici un peu en avance, nous préfigurons ce qui pourrait bien se passer dans tout le pays. Et c'est là une menace très claire pour les pouvoirs établis, pour la structure de pouvoir et pour le capital. » Pour l'instant, cependant, le reste du Mexique s'est contenté de quelques caravanes de solidarité et de quelques manifestations, dont certaines appelées par Lopez Obrador, alors que l'APPO avait, bien entendu, refusé de prendre parti pour lui pendant la campagne électorale. Il est vrai que certains, notamment au syndicat des instits, ont pensé que la victoire d'Amlo aurait créé un rapport de forces favorable à l'APPO et ont vivement reproché à la « otra campagna » des zapatistes d'avoir concentré ses attaques sur celui-ci, qualifié d'homme de Washington, plutôt que sur Calderon. Mais on peut douter que les espoirs placés en Amlo aient été fondés, car en 2001 son parti, le PRD, avait refusé, comme les deux autres, de ratifier les accords de San Andrès qui accordaient une certaine autonomie aux communautés indigènes. L'avenir de l'APPO apparaît ainsi bien incertain. Outre la menace de la répression radicale, qui est loin d'être levée, le risque majeur qu'elle encourt c'est de se vider de sa substance populaire vivante. Cela peut se produire du fait de la pure et simple lassitude. L'APPO est très consciente de ce danger, comme cela ressort des propos tenus à deux de nos amis par Flavio Sosa, l'un de ses porte-parole. Bien que l'APPO ait obtenu de la ville que les services essentiels soient assurés (approvisionnements, eau, électricité, nettoiement…), le quasi-arrêt de l'activité économique et en particulier le fiasco de la saison touristique, créent une situation très pénible pour la plus grande partie de la population, et pas seulement pour les hôtels et restaurants. Les problèmes de survie tendent à prendre le dessus. Tout cela donne des arguments aux partisans de Ruiz…Sosa insiste sur la nécessité d'obtenir très vite le départ de la PFP ainsi que des mesures d'apaisement permettant le retour à une vie « normale ». Et si la masse du peuple désertait l'APPO, celle-ci aurait de fortes chances de tomber soit dans le réformisme combinard soit dans l'extrémisme violent. Certains groupes stalinoïdes, comme le FPR, qui ont joué un rôle actif au moment de sa formation mais qui ont, depuis, perdu leur influence, pourraient la retrouver si l'APPO cessait d'être un « front de masses. » Pour l'instant, cependant, le congrès « constitutif » qu'elle a tenu les 11, 12 et 13 novembre prouve qu'il n'en est rien. Elle reste un forum où toutes les questions de la vie en société sont débattues avec une tolérance sans réserve et l'espèce de réalisme utopique des assemblées révolutionnaires : parler de ce qu'on veut faire comme si, dès demain, on allait pouvoir le faire… Et de fait, dans de telles circonstances, parler n'en reste pas aux paroles : la pratique du débat libre, de la démocratie directe entame la réalité même des rapports sociaux. Comme à l'occasion de tant d'autres mouvements populaires, les femmes ont joué ici un rôle essentiel. Ce sont elles, par exemple, qui, au mois d'août, après l'occupation de la télé locale, « canal 9 », l'ont fait fonctionner comme une véritable télé libre, la voix des simples gens, pendant trois semaines - jusqu'à ce qu'un commando d'hommes de Ruiz fasse sauter l'antenne. Et dans le programme de l'APPO figure une revendication essentielle pour les femmes indiennes : celle du droit pour elles de posséder la terre. Jusqu'à présent, en cas de divorce ou de veuvage, elles se retrouvaient pratiquement sans ressources, et le plus souvent avec les enfants à leur charge. Et cette demande encore : que soient respectées les sages-femmes indigènes. La profondeur de ce mouvement, qui dépasse de beaucoup la mise en cause du « tyran » Ruiz, explique la volonté de l'APPO de se donner les moyens de durer. Elle exclut catégoriquement de se transformer en un parti. Elle entend rester ce qu'elle estime être : le peuple organisé. D'où cette convocation d'un congrès « constitutif » chargé de définir les principes, le programme et le plan d'action à court, moyen et long terme de l'Assemblée et d'élire les membres d'un Conseil (Consejo Estatal de los pueblos de Oaxaca) qui sera l'organe de coordination et de représentation de l'Assemblée. Un millier de délégués représentaient les sept régions de l'Etat et les divers secteurs de la société. Les invités avaient droit à la parole mais non au vote. Une certaine tension semble s'être manifestée au début entre les représentants de la base - colonies, barricades, communautés villageoises… - et les militants souvent issus de mouvements marxistes, pour aboutir finalement à une sorte d'alliance, du type de celle que cherche à réaliser la otra campagna zapatiste entre mouvement indien et oppositions anticapitalistes. Trois tables de discussion se sont répartis les thèmes suivants : 1° : le contexte international, national et régional à l'intérieur duquel se constitue l'APPO ; 2° : la crise des institutions : pour une réforme intégrale de l'Etat souverain d'Oaxaca, pour une nouvelle constituante, une nouvelle constitution, un nouveau mode de gouvernement ; 3° : perspectives, principes, statuts, buts et plan d'action de l'APPO. Derrière ces formulations abstraites, vivent des préoccupations très concrètes : le contexte international, c'est notamment, depuis la libéralisation des échanges, l'invasion du maïs transgénique américain, lourdement subventionné, qui ruine l'agriculture indigène… Parmi les points de programme sur lesquels l'Assemblée insiste particulièrement, au delà de la réforme des règles du jeu politique, citons une « économie sociale et solidaire, une éducation interculturelle » - c'est-à-dire qui cesse de tendre à l'homogénéisation de la population et au déni des identités et des modes de vie des communautés - le « droit à la santé », « un milieu naturel propice à la vie, qui préserve et assure l'accès à l'eau », la « conservation et l'enrichissement du patrimoine historique », « des moyens de communication au service du peuple… » Le moyen d'atteindre tous ces objectifs, c'est essentiellement et toujours le dialogue. Mais il est évident que l'issue de ce dialogue dépendra directement du rapport des forces. Si l'on écarte l'hypothèse de la répression sanglante, celui-ci peut difficilement évoluer en faveur de l'APPO, à moins que le mouvement ne s'étende au-delà des frontières de l'Oaxaca. Si Ruiz conserve son poste, cela signe l'incapacité de l'APPO à atteindre son objectif premier, celui autour duquel s'était unie la population, et il y a de fortes chances pour qu'elle perde une grande partie de ses soutiens. Si Ruiz est démis, de nouvelles élections auront lieu : l'APPO réussira-t-elle alors à ne pas prendre parti, à ne pas se laisser entraîner sur le terrain électoraliste des compromis et des marchandages, à convaincre une large fraction du corps électoral de s'abstenir, par exemple ? On voudrait, avec Gustavo Esteva, faire confiance à l'inventivité dont a fait preuve jusqu'ici le peuple de l'Oaxaca, « inventant à chaque pas les mécanismes qui lui manquent pour maintenir ses buts politiques » et, ajoute-t-il, « je suis convaincu que nous les maintiendrons. » Chronologie - Mi-mai : comme les deux années précédentes, les instituteurs de l'Etat d'Oaxaca se mettent en grève pour exiger des moyens supplémentaires et l'alignement de leurs traitements sur ceux de leurs collègues des autres Etats. Ils occupent la place centrale (Zocalo) de la ville. La section 22 (Oaxaca) de leur syndicat (70 000 membres) a rompu avec la direction nationale lourdement compromise avec le pouvoir. - 14 juin : le gouverneur Ulises Ruiz Ortiz lance une attaque brutale contre le planton (occupation) des instits. 92 blessés. L'attaque est repoussée grâce à l'intervention de la population. - 20 juin : plusieurs centaines d'associations se réunissent en assemblée générale pour former l'APPO et élire un « collectif provisoire » chargé de négocier le départ de Ruiz et des réformes. - Des centaines de barricades sont dressées pour intercepter les équipes de tueurs à la solde de Ruiz. Elles deviennent des foyers de mobilisation et de débat. - Début juillet : occupation par l'APPO de tous les lieux de pouvoir à Oaxaca. - 2 juillet : élection présidentielle. Lopez Obrador conteste la victoire de Calderon. - 5 juillet : l'APPO se proclame seul pouvoir légitime de l'Oaxaca. - Début août : occupation de la télé locale. - 22 août : occupation de 13 radios locales après la destruction de la télé par les sbires de Ruiz. - Septembre : tractations de la section 22 avec les autorités et signature d'un accord assez avantageux pour les instits. - 27 octobre : dans la banlieue de Santa Lucia, dominée par les narcos et le PRI, des paramilitaires attaquent des barricades et tuent Brad Will, journaliste américain d'Indymedia et deux membres de l'APPO. Le gouvernement fédéral décide l'envoi de troupes à Oaxaca. - 29 octobre : 4500 policiers anti-émeutes investissent la ville et 5000 soldats occupent divers points de l'Etat. - 2 novembre : échec de l'attaque de la police contre la Cité Universitaire et la radio de l'APPO. - 5 novembre : « mégamarche » de l'APPO. -11-13 novembre : congrès de l'APPO. Aperçu socio-économique : Oaxaca (env. 700 000 hab.), à 600 km au sud de Mexico, est la capitale de l'Etat du même nom, situé dans la Sierra Madre del Sur, avec une façade sur le Pacifique. La population de l'Etat (3,4 millions, dont la moitié d'Indiens) est essentiellement rurale. Outre quelques exploitations minières (or, argent, plomb…), les ressources proviennent essentiellement de l'agriculture traditionnelle, de l'artisanat et du tourisme. Le centre ville d'Oaxaca, avec son cachet « colonial » et ses églises baroques, a été entièrement réhabilité ces dernières années pour en faire une station touristique très active (sites précolombiens, randonnées, faune, flore, artisanat, Indiens typiques…). La très grande majorité de la population vit dans des conditions très précaires. Les ressources en eau diminuent, les sols et la végétation se dégradent. L'Etat ne génère que 1,5% du PIB national. Comme dans bien d'autres régions du Mexique, l'entrée en vigueur du NAFTA (accord de libre-échange avec les Etats-Unis et le Canada ) en 1994 tend à ruiner l'agriculture locale et « libère » une main d'œuvre non qualifiée qui tente d'émigrer aux Etats-Unis ou s'en va travailler dans les maquiladoras. L'Oaxaca fait partie des neuf Etats du sud mexicain qui, avec les sept autres pays d'Amérique Centrale, sont visés par le Plan Puebla Panama. Ce projet de « développement » néo-colonial lancé en 2001, d'un montant de 20 milliards de dollars sur 25 ans, financé par la Interamerican Development Bank, prévoit la création de 9000 km de routes - essentiellement des autoroutes à péage, délaissant totalement la desserte locale -, 1800 km de lignes à haute tension visant à intégrer la région dans le réseau nord-américain, d'énormes ouvrages hydro-électriques à très lourd impact environnemental, l'expropriation de vastes étendues de terres communautaires indiennes, un réseau d'irrigation avec d'immenses plantations arboricoles, l'exploitation des ressources minières et pétrolières et le développement du tourisme de luxe. Devant les oppositions rencontrées et les difficultés à le financer, Fox avait quelque peu mis ce plan en sommeil. Calderon s'est engagé à le relancer. Depuis la rédaction de cet article, les informations reçues traduisent à la fois la poursuite et l'approfondissement du mouvement et une montée de la tension entre l'APPO et le pouvoir mais aussi au sein de l'APPO. Samedi, 19 novembre : dans la région de la Sierra Norte, l'assemblée régionale, réunie pour nommer ses représentants au Conseil de l'APPO, décide la constitution d'une grande Assemblée des trois peuples indigènes locaux, la fermeture des délégations et administrations gouvernementales qui se trouvent dans la montagne et la prise de la radio locale pour la mettre au service de la lutte. Elle menace d'expulsion tout parti politique qui interviendrait dans la vie de la communauté. En ville : Depuis une quinzaine de jours, la tension monte entre ceux qui voudraient se poser en « dirigeants » de l'APPO (et qui pronent le dialogue avec le gouvernement) et ceux des barricades et des quartiers (qui veulent chasser les flics du centre-ville). En même temps, les provocations des policiers et des para-militaires redoublent d'intensité. Une manifestation de femmes contre les viols et violences commis par les PFP a été très durement réprimée, les tirs et les captures de militants par des hommes de main armés, avec tabassage et remise à la police se multiplient. Le 25 novembre une grande manifestation qui devait se conclure par l'encerclement des flics du zocalo pendant 48 heures s'est terminée en début d'insurrection, avec incendie de multiples bâtiments publics, dont le tribunal et la chambre de commerce, affrontements extrêmement violents, plusieurs morts (dont certains par balles, d'après l'APPO) et des centaines de blessés et disparus. On s'attend maintenant à une vague de perquisitions et d'arrestations et à une nouvelle offensive de la PFP contre le campus. L'unité de l'APPO, qui a été jusqu'ici sa force, sortira-t-elle entamée ou au contraire renforcée de cette intensification de la répression et du recours à la violence de la part du pouvoir ? C'est, à court terme, la question essentielle pour la poursuite du mouvement. |
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A propos du hezbollah | ||||||
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La quasi-totalité de la presse s'est largement questionnée, au cours du dernier conflit au Proche Orient en juillet août 2006 sur la nature exacte de cette entité se faisant appelé le Hezbollah, apparu comme le gagnant inattendu face à la suprématie de l'armée israélienne jamais démentie à ce jour. Cet article est la suite du précédent publié dans Courant Alternatif No 162 en octobre 2006. Celui ci avait abordé de manière partielle la réalité du Hezbollah. Ce nouvel article se propose d'éclaircir ce qui fait débat dans l'ensemble du mouvement de soutien aux peuples du Proche Orient. En effet, au nom du soutien à la résistance du peuple libanais, peux-t-on soutenir un mouvement se revendiquant clairement national religieux ? Rappel historique L'instauration de la République islamique en Iran, en février 1979, et la politique d'exportation de la révolution pratiquée au début par le nouveau pouvoir ont été, à l'évidence, le principal catalyseur du développement de la mouvance intégriste chiite dans le pays. Lorsque l'Ayatollah Khomeyni prit les commandes à Téhéran, des groupuscules islamistes chiites étaient déjà actifs au Liban, mais à une échelle réduite. Il s'agissait essentiellement du Rassemblement des ulémas de la Békaa, des " comités islamiques ", et de la branche libanaise du parti chiite irakien al-Daawa (dont sayyed Mohammad Hussein Fadlallah se faisait le porte-étendard au Liban). Cette nébuleuse s'est maintenue jusqu'à l'opération israélienne " Paix en Galilée ", en juin 1982. La rapide percée des troupes de l'armée israélienne jusqu'aux portes de Beyrouth a incité ces groupuscules chiites à mener des opérations ponctuelles de résistance. Les rangs de cette mouvance intégriste ont été renforcés durant ce mois de juin par l'apparition d'une dissidence au sein du mouvement Amal, dirigé par Nabih Berry depuis la disparition de Moussa Sadr en Libye, en août 1978. À la suite de la décision de Nabih Berry de faire partie du Comité de salut formé en juin 1982 par le président Élias Sarkis (et regroupant le chef du gouvernement, Chafic Wazzan, ainsi que Béchir Gemayel et Walid Joumblatt), plusieurs responsables et cadres rentreront en dissidence en créant le mouvement Amal islamique. Ce mouvement politico-religieux chiite est donc le produit d'un double mouvement identitaire, religieux et politique. Identitaire,parce qu'il a réussi à exploiter le fait que les chiites, qui représentent près du tiers de la population essentiellement dans la partie sud du Liban, ont longtemps été considéré comme citoyens de seconde zone et que le parti Amal de Nabih Berri, miné par la corruption, ne défendait pas ou trop peu les intérêts de cette communauté. Religieux,parce que la référence à l'islam est une constante dans le discours et le projet politique de cette structure, en particuliers à travers l'affirmation d'appliquer la charia dès que cela sera possible. Politique, rassemblant plusieurs tendances - le " Amal islamique " (une dissidence d'Amal) et la branche libanaise du parti Daâwa -, il va rapidement s'imposer socio-politiquement et militairement en évinçant son rival chiite Amal du sud du Liban en 1987 et du sud de Beyrouth en 1988, n'hésitant pas à affronter l'armée syrienne alliée d'Amal, avant de se lancer dans une résistance armée contre l'occupation du sud du Liban par Israël entre 1990 et 2000. Dans les zones qu'il contrôle, il impose un ordre social religieux comparable à celui de l'Iran des mollahs. On peut considérer à ce jour que le Hezbollah est un état dans l'état, ce que a bien compris Israël. Les principes de base constituant le projet politico religieux - L'islam constitue la ligne de conduite globale en vue d'une vie meilleure. Il représente le fondement idéologique, pratique, de la pensée et de la foi sur lequel devrait être bâtie la nouvelle formation politique. - La résistance contre l'occupation israélienne est une priorité. Il est par conséquent nécessaire de créer une structure adéquate pour le jihad et de mobiliser toutes les potentialités nécessaires sur ce plan. - Le commandement revient au Guide Suprême (à l'époque l'Ayatollah Khomeyni), en tant qu'héritier du Prophète et des imams. C'est à lui que revient la charge de définir les grandes lignes de l'action au sein de la nation (islamique), et ses décisions sont contraignantes. À la lumière de ces trois principes fondamentaux, les responsables des groupuscules chiites multiplieront les réunions et les débats internes afin de jeter les bases de la nouvelle formation politique en gestation. Ces débats déboucheront sur l'élaboration d'un document politique fondateur. Un comité de neuf - trois représentants du Rassemblement des ulémas de la Békaa, trois des Comités islamiques et trois du mouvement Amal islamique - sera chargé de soumettre ce document au guide suprême. Après avoir obtenu l'aval de l'Ayatollah Khomeyni, les différents groupuscules concernés se sont auto dissous pour former un seul parti fédérateur qui prendra pour nom le Hezbollah. Ce processus de fusion a donc été lancé dans le courant de l'été 1982, mais ce n'est qu'à la fin de l'année 1983 que le Hezbollah verra formellement le jour. Le processus ne viendra à maturation qu'au début de 1985 lorsque le Hezbollah dévoilera son premier programme politique. Rapidement, la nouvelle formation bénéficiera de l'appui politique, logistique et militaire de l'Iran par le biais, notamment, de l'envoi, via la Syrie, de cadres et d'experts des Gardiens de la Révolution qui mettront sur pied des camps d'entraînement militaire dans la Békaa afin de former les militants du Hezbollah. Le culte du martyre Dans un premier temps, entre 1982 et 1985, la mouvance intégriste accordera la priorité absolue aux opérations de résistance contre l'armée israélienne. Malgré le profond déséquilibre des forces en présence, les combattants chiites ont rapidement réussi à porter des coups durs à l'armée israélienne. Ces réussites ponctuelles contre le géant israélien s'expliquent essentiellement par l'importance que revêt la notion de martyre dans l'inconscient chiite. Le martyre de l'imam Hussein lors de la bataille de Kerbala (680) constitue pour les chiites croyants un mythe, un exemple à suivre au niveau de chaque individu. Le jeune chiite reçoit, dès son jeune âge, une éducation basée sur l'idéal du martyre. Le " numéro deux " du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, souligne à ce propos, dans son livre sur le parti, que " si les gens reçoivent une éducation fondée uniquement sur la recherche de la victoire, qui devient ainsi à la base de leur action, leur lutte contre l'ennemi s'estompera s'ils réalisent que la victoire est lointaine ou incertaine ". " Par contre, précise-t-il, si les gens reçoivent une éducation fondée sur le martyre, leur don de soi a pour effet d'accroître au maximum l'efficacité de leur action. S'ils tombent martyrs, ils auront réalisé leurs vœux. S'ils réalisent une victoire, ils auront obtenu une vive satisfaction au cours de leur vie ici-bas. L'éducation basée sur la notion de victoire ne garantit pas la victoire et inhibe la force potentielle de la nation. Par contre, inculquer la notion de martyre revient à tirer profit de toutes les potentialités, ce qui permet de réaliser le martyre ou la victoire, ou les deux en même temps. Cela ouvre la voie à toutes les possibilités. Inculquer la notion de victoire implique de miser sur les moyens matériels, mais inculquer la notion de martyre a un effet mobilisateur au niveau du moral (de la population), ce qui implique que des moyens limités deviennent nécessaires (pour mener la lutte)". Tomber martyr au service des préceptes de Dieu devient ainsi un honneur suprême pour tout jeune chiite. Et l'objectif sur ce plan n'est pas tant de remporter une victoire militaire directe et immédiate, mais plutôt d'avoir eu le privilège d'être martyr, de s'être sacrifié par amour du Tout-Puissant, d'autant que la vie dans l'au-delà promet le bonheur éternel. Rester attaché à la vie d'ici-bas, motivée par les contingences matérielles, est donc insignifiant devant l'honneur que représente le martyre au service de Dieu. C'est cette profonde divergence au niveau de la valeur accordée à la vie terrestre qui fait toute la différence avec l'Occident, tant au niveau de la perception du sens de la vie que du comportement dans la gestion de la chose publique. " L'Occident, du fait des fondements de sa pensée, sacralise la vie matérielle et y reste attaché, quel que soit le prix, souligne cheikh Kassem. Il n'est donc pas en mesure d'assimiler le sens du martyre. Il est normal que les Occidentaux ne comprennent pas le sens spirituel de l'orientation de l'islam car une telle compréhension ne peut se limiter à la seule perception rationnelle. Elle nécessite de côtoyer de près et d'observer les étapes de la vie des moudjahidine, ainsi que les réalités de la société islamique en général. " La résistance menée par les jeunes de la mouvance intégriste chiite avait ainsi pour élément moteur un cadre socioculturel qui correspond à l'inconscient populaire chiite et qui explique le succès aussi bien de la Résistance que du Hezbollah. Le précédent du Vietnam, en tant que soulèvement populaire contre l'occupant, a constitué sur ce plan un exemple à suivre. Au-delà de ces péripéties internes, c'est au niveau international que s'effectuera l'identification de ce mouvement, en l'occurrence les attentats suicide contre les marines - 200 morts - et les parachutistes français - 58 morts le 28 octobre 1983-, qui seront clairement attribués au Hezbollah, constituant ainsi son véritable acte de naissance, et cela bien qu'il ne les ait pas tout à fait revendiqués. Et, bien qu'il s'en défende, il ne fait aucun doute que derrière le Jihad islamique auteur d'une bonne partie des 150 rapts de ressortissants étrangers, dont le chercheur français Michel Seurat, se cachait le Hezbollah. Le Parti de Dieu est de ce fait vite catalogué comme " mouvement terroriste " par l'Occident . À partir de 1985, le Hezbollah fait croire à sa mue politique et se transforme en mouvement de résistance politico-religieux, s'interdisant toute action paramilitaire - enlèvements ou attentats - à l'intérieur ou en dehors du territoire libanais. Il est pourtant à peu près certain que le Hezbollah a maintenu son activité de lutte armée, en sous traitant certains attentats revendiqués par d'autres mouvements Il faut rappeler, à ce propos, que c'est à la suite des attentats du 11 septembre 2001 que le Hezbollah a été placé par Washington sur la liste des organisations terroristes, alors qu'il figurait sur celle des mouvements de libération. Et si l'Iran de Khomeiny l'a aidé financièrement et militairement lors de sa création dans la plaine de la Bekaa, il serait faux de le considérer comme l'instrument des mollahs iraniens ou des " moukhabarat " (services secrets) syriens. En réalité, le Hezbollah s'est surtout affirmé comme force politique et militaire en prenant la tête de la résistance armée contre l'occupation israélienne du sud du Liban entre 1990 et 2000, non sans liquider violemment les autres composantes de la résistance, en particulier les groupes armés communistes. Dirigé par Hassan Nasrallah, le Hezbollah contrôle plusieurs organisations caritatives : l'association Al-Jarih, qui vient en aide aux blessés et aux handicapés, l'association Al-Shahid, qui prend en charge les familles des " martyrs ", et l'association Jihad et Binaa, qui réhabilite les sites détruits par l'armée israélienne. Il entretient également un vaste réseau d'écoles coraniques, de dispensaires et d'hôpitaux et dispose d'une radio et d'une chaîne de télévision, Al-Manar. Celle-ci a bien tenté de diffuser par le biais de chaînes satellites en Occident, notamment en France où elle était en l'occurrence soutenue par Dieudonné, mais le caractère clairement antisémite de ses programmes n'a pas plu au CSA. D'un point de vue politique, le Hezbollah a choisi l'option pluraliste. Suite aux élections législatives de 2005, il dispose d'un groupe de 28 députés dont 11 proviennent directement de ses rangs. Il dispose de trois portefeuilles ministériels, dont celui de l'Énergie est occupé par un de ses dirigeants. Enfin et surtout, le 8 juin 2006, il a conclu une alliance politique, dite " Document d'entente ", avec le Courant patriotique libre (CPL) du général Michel Aoun. Document qui stipule que le désarmement de la branche militaire du Hezbollah devra être décidé dans le cadre d'un " dialogue national ". Ce rapprochement inattendu, qui avait pris au dépourvu le " camp anti-syrien ", a radicalement modifié le champ politique libanais. On peut considérer que c'est cette nouvelle alliance - et non la capture de deux soldats israéliens - qui a été l'élément déclencheur de l'offensive militaire israélienne. Une force avant tout conservatrice Tout en devenant la voix des déshérités libanais, le Hezbollah est le vecteur d'une idéologie islamiste virulente. Pendant longtemps, le mouvement a été influencé par l'ayatollah Muhammad Hussein Fadlallah, né dans la ville sainte irakienne de Najaf de parents libanais. Il a d'ailleurs fait ses " armes " dans la résistance chiite contre Saddam Hussein, au titre de fondateur du parti Dawa. Plus tard forcé à l'exil, il s'est retrouvé au Liban où il est rapidement devenu le leader spirituel du Hezbollah et la référence obligée d'une grande partie des Libanais. La vision du monde de Fadlallah est restée longtemps volontairement ambiguë. Sans prôner la mise en place d'un État islamique (" impossible dans le contexte multiconfessionnel du Liban " selon l'ayatollah), le Hezbollah s'est aligné sur la révolution iranienne et son code rigoriste et exclusif. Les femmes sont confinées au rôle traditionnel de mères de familles et pour le reste, la vie quotidienne est réglementée par la charia. Parallèlement, le Hezbollah a imposé dans les zones dont il a pris le contrôle une domination sans partage, qui exclut des forces politiques historiquement enracinées au Liban, des organisations de gauche principalement. À plusieurs reprises même, les militants du Hezbollah ont pourchassé et malmené ces autres organisations dans le sud où Hezbollah fait la loi. Rôle social Par ailleurs le Hezbollah traite d'affaires sociales par le biais d'hôpitaux, d'écoles, d'une chaîne de télévision et d'orphelinats. Il est le premier employeur au Liban. Suite aux élections législatives de mai-juin 2005, le mouvement a compté 14 sièges au parlement libanais qui en compte 128. On remarque qu'à chaque élection, le mouvement présente des candidats sunnites et chrétiens en plus de candidats chiites. Le Hezbollah est actif principalement dans la vallée de la Bekaa, dans la banlieue sud de Beyrouth et au sud du Liban. Le Hezbollah, par sa présence concrète sur le terrain du social, a pu ainsi développer un véritable clientélisme en répondant aux besoins des populations, ce que n'a jamais pu faire l'état libanais. La place des femmes On peut noter que le mouvement a une forte mixité : si seulement quelques femmes ont participé à des actions combattantes, elles sont très nombreuses dans les structures sociales et certaines ont des hommes sous leur direction. Pour autant les cellules féminines sont représentées par un homme à la Majlis Choura (l'assemblée de la consultation - organe directionnel du mouvement - où sont également présents 2 représentants de l'Iran). Selon les dirigeants du Hezbollah, une femme pourrait entrer à la Majlis Choura, mais l'occasion ne s'est pas encore présentée. Le Hezbollah s'est beaucoup fait remarquer dans le monde musulman en étant favorable au Ziouaj el Moutaa (qui n'existe que chez les chiites), traduit littéralement par "mariage de jouissance", aussi appelé mariage temporaire. Comme son nom l'indique cette forme d'union est temporaire et peut ne durer qu'une heure. Cette forme de mariage évite l'adultère car il ne nécessite que le consentement des époux (et du père de l'épouse si celle-ci est célibataire -ni veuve ni divorcée). Dans les années 80, de nombreux islamistes sunnites et politiques ont accusé le Hezbollah de pratiquer une prostitution déguisée. Un financement controversé Le groupe est financé principalement par l'Iran et la Syrie, sans doute à hauteur de 7 à 800 millions de dollars par an ainsi que par des fonds privés. Cependant, certaines sources tendent à prouver une source de financement plus occulte. Suite à un coup de filet des polices brésiliennes et équatoriennes, mené le 21 juin 2005, mettant à jour un réseau international de trafic de drogues, des soupçons se portent sur ce mouvement comme éventuelle destination des fonds issus de ce trafic. La fin justifiant les moyens, le Hezbollah n'a aucun scrupule à côtoyer la mafia internationale pour assurer une partie de son financement. De la même manière, on n'oublie pas le financement de l'armée israélienne à hauteur de 70% de son budget annuel par les USA sans négliger le financement indirect par le biais de grandes entreprises américaines dans le cadre d'expérimentations communes de nouveaux systèmes d'armes. On oubliera pas non plus les millions de dollars versés par certaines organisations juives américaines à titre caritatif et qui vont remplir directement pour une bonne partie les caisses du Yesha, structure regroupement les colonies dans les territoires occupés palestiniens. Le Hezbollah et la gauche libanaise Comment la gauche a-t-elle pu continuer à travailler avec des groupes comme le Hezbollah, que certains dans cette même gauche qualifient d'islamistes intégristes fascistes ? Le meilleur exemple est celui concernant la position du parti communiste libanais, le PCL. Ce parti communiste libanais est l'un des partis les plus anciens et les plus sérieux dans la région et était aussi l'un des plus influents. Le PCL, pour ce qu'il en reste, travaille à ce jour main dans la main avec le Hezbollah en s'efforçant d'avoir une alliance critique à l´égard du Hezbollah, sauf que ce parti a largement perdu son influence passée et sert finalement de caution de gauche au Hezbollah. Après 2000, date du retrait israélien du sud Liban, le PCL qui avait encore un peu d'influence, a considéré que le Hezbollah avait gaspillé, pour ne pas dire trahi, la victoire, parce que dans la politique interne libanaise, le Hezbollah s´est allié à ses ennemis, à ceux qui étaient contre la libération, la bourgeoisie néolibérale. A partir de 2003, il envoie régulièrement des gens participer au forum social mondial. Il recherche ainsi une reconnaissance et une crédibilité internationale dans les milieux alter mondialistes pour apparaître comme le seul mouvement de libération du Liban. Dans la foulée se met en place une alliance pratique et politique entre le Hezbollah, le Parti communiste libanais et le Parti du peuple -qui est un parti nationaliste de gauche. Ils se voient régulièrement et ne dissimulent pas les points de divergence. Le PCL par exemple reproche au Hezbollah de n´avoir jamais participé à des manifestations de revendications sociales, alors que sa base est une base composée de pauvres, de paysans, d´ouvriers et de la classe petite-bourgeoise défavorisée au Liban. Ce reproche est complètement justifié dans le sens où le Hezbollah a toujours développé une approche interclassiste en cohérence avec son projet religieux. Et ce n'est pas les pratiques de façade d'être au plus des gens et de leurs préoccupations qui masquera l'absence de contenu de classe de ce parti. En d'autres termes, la gauche libanaise n'a plus d'autre fonction que d'être l'imbécile utile d'un Hezbollah qui cherche désespérément une reconnaissance au niveau international. Les mouvements islamistes sont une nébuleuse complexe. Comme chez les communistes et les gens de la gauche, les mouvements islamistes ne sont pas tous les mêmes. Il n´y a aucun lien de parenté entre Ben Laden et le Hezbollah. Il y a des fascistes chez les islamistes comme chez des gens de gauche, mais il y a aussi des gens libérés, progressistes. Cependant, il est peu probable qu'il puisse y en avoir dans le Hezbollah. Celui-ci n´aspire à rien d'autre qu'à être reconnu comme un mouvement de théologie de la libération, d'où sa volonté de travailler avec les communistes, jusqu'au jour où ceux perdront leur utilité et seront liquidés. En ce qui nous concerne Suite à l'invasion du Liban par l'armée israélienne en juillet et août dernier, s'est développé le mouvement de solidarité que l'on sait. Mobilisations diverses, manifestations, tracts avec signatures communes. Il était évident qu'en tant que révolutionnaires et donc internationalistes, nous nous devions d'apporter notre soutien et notre solidarité au mouvement de résistance libanais. Devions nous pour autant manifester conjointement dans les cortèges sous les drapeau du Hezbollah ? Sûrement pas. Que la gauche et l'extrême gauche le fasse, il n'y a là rien de surprenant. L'œcuménisme est une valeur montante, au nom de l'unité. Comment pactiser avec un mouvement, même s'il représente la réalité de la résistance, dont les bases sont l'obscurantisme religieux, qui n'a pas hésité à liquider en son temps toute la frange progressiste et laïque afin d'asseoir son hégémonie sur le sud Liban ? Comment cautionner un mouvement dont l'identité se fonde, malgré le pragmatisme de façade, sur un concept religieux situé à des années lumières de nos principes d'émancipation des femmes et de l'individu en général ? Non, pour nous le Hezbollah est d'abord un état dans l'état qui utilise la lutte légitime contre l'état d'Israël comme un moyen devant permettre l'instauration d'un état islamique au Liban. C'est pour cette raison que nous ne pourrons, en tant que libertaires, entrer dans le jeu des confusions cher à la gauche et à l'extrême gauche qui n'a pas hésité à mêler ses drapeaux à ceux du Hezbollah lors des mobilisations de soutien à la résistance libanaise. Notre tâche reste à trouver les capacités autonomes de mobilisation pour le soutien au peuple libanais en refusant l'inféodation et donc l'amalgame avec un parti comme le Hezbollah avec lequel nous n'avons strictement rien à voir et que nous combattons. Sources : journal l'Humanité du 24 juillet Hassane Zerrouky Robert Pape The Observer Août 2006 L'Orient-Le Jour juillet, août 2006 Michel Hajji Georgiou et Michel Touma N° 77 de la revue Travaux et jours de l'Université Saint-Joseph. Beyrouth. Wikipédia BBC news infos en ligne 21 juin 2005
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QUAND LA GRIPPE AVIAIRE PASSE, LA PETITE PAYSANNERIE TREPASSE.
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Un coup de maître de la manipulation politico médiatique mâtinée de sécuritaire aura été l'occasion d'industrialiser d'avantage le secteur avicole : interdiction de la volaille en plein air, élimination des petits producteurs, réapprovisionnement des fermes industrielles avec des poulets génétiquement modifiés sont les réponses du capitalisme à la crise de la grippe aviaire. De plus, cet épisode démontre l'emprise impérialiste qui vise à empêcher que les pays sous domination puissent réaliser leur autosuffisance alimentaire.
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Cet article est réalisé à partir de rapports, communiqués de presse et articles du GRAIN datés de février à mai 2006, ainsi que d'une première synthèse signée " L'Alain ", parue dans le " Monde Libertaire " de juin 2006. L'expansion de la production avicole industrielle et de ses réseaux commerciaux a en effet créé les conditions idéales à l'apparition et à la transmission de virus telle la souche H5N1 de la grippe aviaire. Une fois qu'il a pénétré dans les élevages industriels surpeuplés, ce virus peut rapidement se développer et devenir mortel. L'air vicié par la charge virale est transporté sur des kilomètres à partir des fermes infectées, pendant que les réseaux d'échanges commerciaux intégrés répandent la maladie par les nombreux transports d'oiseaux vivants, de poussins d'un jour, d'œufs à couver ou à consommer, de viande, fientes de poulets ... (Les fientes de poulet et les litières des élevages industriels de volaille sont des ingrédients courants de l'alimentation animale). Ajoutons que les variétés industrielles de volaille existantes (une petite poignée) ont été créées pour que les individus croissent rapidement. Cette croissance rapide est encore renforcée par l'enfermement dans un espace aussi réduit que possible (voire par l'usage d'hormones), et par le fait que les volailles sont saturées d'antibiotiques (mélangés à la ration alimentaire) en raison de leur faible résistance à l'agression microbienne. La plupart crèveraient par auto empoisonnement si elles n'étaient pas abattues lorsqu'elles ont atteint leur poids commercialement rentable (au bout d'environ 40 jours). A titre d'exemples : en Malaisie, le taux de mortalité chez les poulets des villages est seulement de 5 %, ce qui indique que le virus a du mal à se propager dans les petits élevages ; les manifestations de H5N1 au Laos - qui est entouré de pays infectés - se sont seulement produites dans des élevages industriels, lesquels sont approvisionnés par des établissements d'incubation thaïlandais. Les seuls cas de grippe aviaire dans la volaille de basse-cour - plus de 90 % de la production du Laos ! - se sont produits à proximité de fermes industrielles… La raison principale pour laquelle le Laos n'a pas souffert des manifestations généralisées de grippe aviaire comme ses voisins tient à ce qu'il n'y a presque aucun contact entre les élevages à petite échelle, qui produisent l'essentiel de la nourriture destinée à leur volaille, et ses exploitations commerciales, intégrées à des compagnies avicoles étrangères. Le Laos a efficacement enrayé la maladie en fermant la frontière à la volaille de Thaïlande et en éliminant les poulets dans les exploitations commerciales. Cela étant, si les petits paysans laotiens ont été peu concernés par la menace d'une extension de l'épidémie à partir des entreprises infectées, la raison en est que - à la différence de ceux de la Thaïlande et du Viêt-nam - ils ne se fournissent pas auprès des grandes compagnies en poussins d'un jour et en alimentation pour leur volaille. L'expérience du Laos suggère que la clef de la protection de la volaille élevée en basse-cour, et des personnes, contre la grippe aviaire est de les protéger de l'aviculture industrielle et de ses produits dérivés ; ce qui est relativement facile dans un pays comme le Laos où il y a peu de fermes industrielles, peu d'utilisation d'intrants extérieurs et, essentiellement, des systèmes alimentaires locaux. Au Nigeria, des cas de contamination se sont déclarés au début de cette année ; le foyer d'origine était un élevage industriel éloigné des axes principaux de déplacement des oiseaux migrateurs et appartenant à un membre du Conseil des ministres… bien connu pour importer des œufs à couver hors réglementation. En Inde, les autorités locales ont indiqué que le virus H5N1 est apparu et s'est répandu à partir d'une ferme industrielle, appartenant à la plus grosse compagnie avicole du pays, les couvoirs Venkateshwara. La transformation de la production de volailles en Asie ces dernières décennies est stupéfiante : en Chine par exemple, la production a triplé pendant les années 90, pour passer à plus de 9 millions de tonnes par an. Pratiquement, toute cette nouvelle production de volaille provient de fermes industrielles concentrées à la périphérie des villes principales et intégrées dans les systèmes de production transnationaux : l'idéal pour la reproduction des souches hautement pathogènes de la grippe aviaire - comme la souche H5N1. De leur côté, les gouvernements des pays de l'Union Européenne ont répondu à la découverte de migrateurs infectés par des mesures sévères obligeant à l'enfermement des volailles (et, parfois, à la vaccination) parce que quelques experts fortement médiatisés ont déclaré que nous sommes à l'aube d'une pandémie humaine qui pourrait tuer des millions de personnes (créant ainsi une épidémie de psychose à l'encontre des volatiles de toute plume vivant en liberté). Or, la première et seule manifestation significative en France s'est déclarée dans un gros élevage industriel de dindes de l'Ain, où les 11 000 volatiles étaient bien sûr confinés. Qui est le dindon de la farce ? Le développement de cette souche mortelle (pour la volaille ou les oiseaux sauvages, mais très rarement pour les humains : un peu plus de 101 décès à la mi-mars 2006) est essentiellement un problème lié aux pratiques d'élevage des industries avicoles. Son épicentre se trouve dans les fermes d'élevage industriel de Chine et d'Asie du Sud-est, et - alors que les oiseaux migrateurs peuvent éventuellement transporter la maladie, au moins sur de courtes distances - son vecteur principal est l'industrie multinationale avicole, laquelle est extrêmement automatisée et disperse ses produits et les déchets de ses élevages à travers le monde par une multitude de canaux. Pour aggraver les choses, les gouvernements et les organismes internationaux, suivant des hypothèses erronées sur la manière dont la maladie se répand et s'amplifie, continuent à prendre des mesures pour imposer le confinement et poussent à industrialiser davantage le secteur avicole. Un incident connu est cité à charge contre les oiseaux sauvages : un cas de contamination massive par le H5N1 parmi des oies sur le lac Quinghai, en Chine du nord. Une théorie a été rapidement construite sur la façon dont le virus a été ensuite transporté par celles-ci vers l'ouest : Kazakhstan, Russie et même Turquie. Mais les organisations de défense des animaux, et notamment la BirdLife International, ont fait remarquer que de nombreux élevages de volaille entourent le lac Quinghai. Elles ont également noté qu'il y a dans le secteur une entreprise piscicole - qui avait bénéficié à sa création d'une aide de la FAO - et que les fientes de poulet sont fréquemment employées comme nourriture et engrais dans les exploitations de pisciculture intégrées chinoises. En outre, la région du lac est desservie par un réseau routier et ferroviaire abondant, qui la relie aux secteurs où la grippe aviaire s'est manifestée, tel celui de Lanzhou (origine de la volaille infectée qui avait déclenché l'apparition du H5N1 au Tibet, à 2 400 km de distance). Cependant, aucun de ces scénarios, différents de la thèse officielle, n'a retenu l'attention de la FAO ou des autres autorités internationales importantes. La faiblesse principale de la théorie de la responsabilité des oiseaux migrateurs est que la diffusion géographique de la maladie ne correspond pas aux itinéraires ni aux saisons de migration. " Aucune espèce n'émigre de Quinghai, en Chine de l'ouest vers l'Europe de l'est ". Le tracé des cas de contamination suit les itinéraires des routes principales et des voies de chemin de fer, pas les voies aériennes. Si les migrateurs transmettent la maladie, pourquoi la grippe aviaire n'a-t-elle pas frappé la Birmanie, et pourquoi est-elle restée confinée à quelques exploitations commerciales au Laos, quand chacun de ces deux pays est entouré de voisins infestés par le virus ? Les groupes de défense des oiseaux nous ont aidés à comprendre à quel point les oiseaux sauvages sont les victimes, et non les vecteurs, de la forme fortement pathogène de la grippe aviaire. Si ces populations sauvages ne sont pas exemptes de grippe aviaire, elles ne sont naturellement porteuses que de souches relativement bénignes. Mais, dans des exploitations d'élevage surpeuplées, le virus bénin peut évoluer rapidement vers des formes plus pathogènes et fortement transmissibles, capables de sauter la barrière des espèces et de se propager à son tour chez les oiseaux sauvages, qui sont sans défense contre la nouvelle souche. En ce sens, H5N1 est un virus de volaille domestique susceptible de tuer les oiseaux sauvages… et non le contraire ! La volaille de basse-cour est une solution, pas le problème ! " Le poulet de basse-cour est le grand problème et le combat contre la grippe aviaire doit se jouer dans les cours des pauvres du monde. " (Louise Fresco, directrice générale adjointe de la FAO.) L'argument utilisé contre l'élevage de la volaille en basse-cour se présente généralement comme ceci : dans les cours des petites fermes, la volaille vagabonde à l'air libre, entrant en contact fréquent avec les oiseaux sauvages portant le virus et avec les humains vulnérables à la transmission. On dit que ces fermes représentent un bouillon de culture où la maladie circule constamment. Ces élevages sont également frustrants pour les autorités à cause de leur nature même - de petite taille, en plein air, dispersés et informels - caractéristiques qui rendent difficile la mise en application de leurs deux mesures de contrôle principales : l'abattage ou la vaccination. La FAO, l'OMS et des organismes gouvernementaux désignent comme responsable les basses-cours de fermes, avec des appels à des contrôles plus stricts de leur fonctionnement et à une plus vaste " restructuration " du secteur avicole ! Parallèlement, les grosses compagnies de l'industrie avicole essaient même d'utiliser les cas déclarés de grippe aviaire comme " occasion " d'éliminer ce qui reste de la production de volaille à petite échelle. L'élevage à la ferme n'est pas un passe-temps futile pour les populations rurales. C'est le nœud de la sécurité alimentaire et des revenus agricoles pour des centaines de millions de pauvres en Asie et ailleurs, fournissant un tiers des protéines consommées à une famille rurale moyenne. La volaille est par conséquent un élément essentiel dans leur mode d'agriculture diversifiée, tout comme la diversité génétique de la volaille des petites ferme est cruciale pour la survie à long terme de l'aviculture en général. La grippe, arme de destruction massive de la paysannerie. Derrière l'attaque contre les élevages de poulets de basse-cour, il y a un programme plus sinistre. A la première page de la Stratégie mondiale pour le contrôle progressif de la grippe aviaire de la FAO et de l'OIE (Organisme mondiale pour la santé des animaux), on peut lire : " Il devient de plus en plus évident que beaucoup de réservoirs de l'infection peuvent être trouvés dans le monde en voie de développement, en particulier parmi les animaux d'élevage des zones à faible revenus, c'est-à-dire parmi les ruraux pauvres. Ceci entraîne des risques sérieux pour le secteur des animaux d'élevage, qui est confronté à une demande en expansion rapide de protéines animales alimentaires dans beaucoup de pays en voie de développement, liée à l'urbanisation croissante, à l'augmentation des revenus disponibles, et qui fait passer l'alimentation d'une alimentation à base de féculents à une alimentation à base de protéines. Il y a là des opportunités considérables pour la croissance économique, en particulier dans les zones rurales, à tirer de ce processus, communément appelé révolution de l'élevage. " Qu'est devenu le soutien apporté de longue date par la FAO à l'aviculture diversifiée ? Cette organisation est soudainement préoccupée par la protection de l'industrialisation de la production de volaille (la " révolution de l'élevage ") contre les risques prétendument venus de l'aviculture à petite échelle. Elle a même commencé à parler ouvertement d'une industrie de la volaille restructurée du futur en Asie, qui aurait : - Des marchés plus concentrés, des producteurs moins nombreux et plus importants (moins de petits paysans) ; - Des zones de production de volaille où l'infrastructure pourra être concentrée ; - Une compartimentation pour les pays d'exportation, organisée de telle manière qu'un cas de contamination mineur d'un compartiment ne puisse guère affecter les exportations ; - des marchés de volaille vivante déplacés aux périphéries des villes, avec moins de commerces autorisés, un abattage centralisé et un grand nombre de points de vente dans les supermarchés des grandes villes ; - L'obligation d'enfermer toute la volaille dans des endroits clos. Cette conception signerait la mort des petits élevages asiatiques. Rien que pour le Viêt-nam, la FAO admet que la mise en place de " zones de production " aurait pour conséquence la perte de revenus pour 1 million de petits producteurs commerciaux. Les usines à produire la maladie. Les poulets élevés en plein air sont plus sains parce qu'ils peuvent courir partout. Je fais attention à eux et je sais quand ils tombent malades. Dans l'usine, personne ne fait attention, et c'est difficile de savoir quand un animal est malade. (Mme Thanh, agricultrice, Viêt-nam.) En septembre 2004, les autorités cambodgiennes ont rapporté un autre cas de grippe aviaire dans l'une des quelques exploitations commerciales du pays. Cette fois, elles ont identifié la source de la contamination : des poussins d'un jour fournis à la ferme par Charoen Pokphand (CP), la compagnie thaïlandaise qui est le plus grand producteur de volaille et d'aliments pour volaille en Asie. Les manifestations de la grippe aviaire au Cambodge n'ont en général touché que les exploitations commerciales. Et celles-ci y sont liées, d'une manière ou d'une autre, à CP, soit par contrat, soit par achats d'intrants, tels les poussins d'un jour et l'alimentation que CP importe de Thaïlande . Il a nié les accusations cambodgiennes, alors même qu'au Laos les cas de grippe aviaire n'ont guère affectés que les élevages de volaille ayant importé les aliments et les poussins de Thaïlande. Ce qui semble aussi le cas en Birmanie, où il a été rapporté un cas de contamination d'une ferme industrielle approvisionnée en poussins par Charoen Pokphand. Quant au commerce mondial de l'aliment pour la volaille, un autre facteur de cette pagaille généralisée, il est dominé par les mêmes compagnies celles qui produisent industriellement le poussin d'un jour, l'œuf ou le poulet de chair, directement ou par contrat d'intégration verticale. Un des ingrédients ordinaires dans l'alimentation industrielle des poulets est réalisé à partir des " déchets de volaille "..., un euphémisme pour désigner tout ce qu'on trouve sur le sol des élevages industriels : matières fécales, plumes, litières, etc. La viande de poulet, sous l'étiquette " farine de sous-produits animaux ", entre également dans l'alimentation industrielle des poulets. Or, l'OMS déclare que la grippe aviaire peut survivre dans les fèces des volatiles jusqu'à 35 jours et, dans une mise à jour récente de sa fiche d'information sur la grippe aviaire, elle mentionne l'alimentation comme milieu possible pour la diffusion de la grippe aviaire entre les fermes. Ne faudrait-il pas commencer à prendre la grippe aviaire au sérieux ? La grippe aviaire n'est qu'un scandale de plus parmi ceux qui ont éclaté dans d'autres secteurs de l'industrie alimentaire multinationale, de la maladie de la vache folle au maïs Star Link. Il est tout simplement honteux que l'industrie avicole essaye de jouer sur la gravité de cette épidémie pour en faire une occasion supplémentaire d'accroître ses profits sur le dos des petits paysans. Ce n'est pas une petite affaire. Le virus H5N1 est une réalité, et les inquiétudes quant à une pandémie humaine le sont aussi. Cependant, si nous acceptions la théorie de la responsabilité des oiseaux sauvages et des basses-cours et ignorions le rôle de l'industrie avicole multinationale, nous ouvrons grand la porte à une pandémie de ce type. La stratégie de maîtrise du virus H5N1 par la destruction des basses-cours génétiquement diversifiées et par le développement d'exploitations bien plus intensives de volaille, augmentera paradoxalement la possibilité - ou probabilité, comme certains le pensent - d'une pandémie mortelle en provenance des élevages industriels à grande échelle, cœur de la production et du commerce globalisés du poulet aujourd'hui. " Il est possible que les oiseaux sauvages puissent présenter le virus, mais c'est par les activités humaines de commerce et d'échanges que la maladie se propage ", a indiqué Juan Lubroth en janvier 2006. Mais rien de suffisant n'est fait pour s'attaquer à, ou simplement identifier, ces " activités humaines " à l'origine de la crise de la grippe aviaire. Si l'épidémie actuelle de grippe aviaire est aussi sérieuse que l'OMS le prétend, si des millions de personnes pourraient mourir d'une pandémie de H5N1, alors comment se fait-il que cette industrie continue à fonctionner avec si peu de surveillance et tellement d'impunité et de soutien de la part des gouvernements ? L'ironie est qu'une réorientation totale vers un élevage industriel, ramène directement la " solution " proposée à l'origine du problème. Extrais notamment de GRAIN, " Qui est le dindon de la farce ? Le rôle central de l'industrie de la volaille dans la crise de la grippe aviaire " Février 2006, traduit de l'anglais par Christine Domerc (BEDE) http://www.grain.org/briefings/?id=195 GRAIN est une ONG dont le but est de promouvoir la gestion et l'utilisation durables de la biodiversité agricole, fondées sur le contrôle exercé par les populations sur les ressources génétiques et les connaissances locales.
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