Courant alternatif n°167 Mars 2007


  • SOMMAIRE
  • Edito p. 3
  • NUCLEAIRE
  • 17 mars : manifestations antinucléaires Rennes, Lille, Strasbourg, Lyon, Toulouse Sortie immédiate du nucléaire ! p.4
  • Coordination contre la société nucléaire. p.5
  • Antinucléaire dans le Manche. p.5
  • Contre la Ligne THT. p.6
  • EPR, Royal et le verts p.7
  • Problème dans une centrale suédoise. p.7
  • Réflexions à Propos de "5minutes de répit pour la planète". p.8
  • POLITICAILLERIE
  • Je suis une femme, c'est naturel en somme! p.9
  • PROCES
  • L'administration pénitenciaire veut faire taire l'Envollée p.9
  • REPRESSION
  • FILIPE BIDART : libéré, mais sous conditions. p.11
  • SOCIAL / ECOLE
  • Mobilisations enseigntes : ça manque de classe ! p.13
  • Solidarité avec Roland Veuillet. p.15
  • Rubrique BIG BROTHER
  • La sous-traitance automobile p.20
  • SDF et Don Quichotte p.22
  • Rubrique BIG BROTHER

  • EDITO
    A ce jour, la campagne électorale “ officielle ” n’a pas encore commencé. Pourtant, le décors est planté et les acteurs en place. Les stars tiennent déjà leur rôle portées par des médias aux ordres qui les encensent ou les critiques selon l’acte ou la scène jouée, selon la forme de l’un ou la méforme de l’autre dans leur prestation. Sarkozy, après avoir conquis son électorat traditionnel en prenant le parti UMP et ratissé sur sa droite jusqu’à l’extrême, se veut maintenant rassembleur et n’hésite pas à planter ses ergots sur les plates bandes du PS et de la gauche invoquant Blum, Jaurès... Il se met même à défendre et à aimer les travailleurs. Les vrais évidemment, ceux et celles qui veulent travailler et réussir. “ Je veux redonner au beau mot de travailleur le prestige qu’il a perdu ” L’augmentation du pouvoir d’achat sera sa priorité de politique économique après vingt cinq ans de sacrifices.
    Si, “ avec Sarkozy tout est possible ” surtout en promesses, la gauche, par la voix de ses afficionados nous donne soif “ d’un désir d’avenir ”. Chacun y va de sa rupture, de son changement, mais avec réalisme, dans la continuité et dans le cadre de la politique néo-libérale, qu’elle soit nationale ou internationale avec un impérialisme qui nous entraîne de plus en plus dans la guerre : Afghanistan, Côte d’Ivoire, Liban ou Tchad. Impérialisme. Pour les uns et les autres, il ne sera pas question de rompre avec cette politique de défense des intérêts de la bourgeoisie française, voire européenne. Il faudra y adapter les travailleurs (avec ou sans travail). Les services publics et toute la société devront se soumettre au réalisme de la concurrence libre et non faussée, aux exigences de profits maximums des monopoles et de leurs actionnaires. Difficile en ces temps d’évaluer les différences programmatiques de l’UMPS tant leur fond est commun. Sans doute est-ce la raison pour laquelle cette pré-campagne de marketing et de communication est alimentée par les couacs des uns, les gaffes des autres dans une ambiance de boules puantes sur la personnalité de l’un ou la fortune de l’autre. Quand aux seconds rôles, issus du casting du NON au référendum contre le traité de constitution européenne de 2005, seuls quelques uns sont nominés sans être sûr d’être primés. Il est loin l’appel d’avril 2006 où le prometteur Olivier écrivait sa tirade dans le journal Le Monde : “ Marie-George, Arlette, José… si on causait ” et proposait son script “ pour s’opposer à la droite et résister au social libéralisme ”. Notons que, premier à proposer un scénario collectif, premier il sera à quitter la troupe dès novembre 2006. Son spectacle se réduit à un one man show avec pour ambition de rassembler “ les voix de la réelle ? gauche anti-capitaliste ”. Il est vrai que ces seconds rôles ne semblaient pas jouer la même partition d’où la cacophonie, les divergences, les déchirements et querelles pour de mêmes ambitions. Chacun et chacune s’étaient auto-proclamé(e) représentant patenté(e) de la victoire du NON et espérait préserver à son profit ses misérables intérêts rêvant d’être le ou la seul (e) primé (e) pour figurer en haut de l’affiche d’avril 2007. D’où l’affligeant spectacle des deux journées nationales de décembre 2006 où tous semblaient découvrir le coup de force de Marie George, sponsorisée par un PC dont les pratiques suintent encore le stalinisme. Un PC au bout de la laisse du PS qui le nourrit institutionnellement Implosion annoncée de ce fatras alter mondialiste, tant les ambitions de chacun à se voir consacrer “ champion ” de ce mouvement aux contradictions et perspectives réformistes multiples sont grandes. Un alter mondialisme qui sert de paravent à ceux et celles qui se refusent à être anticapitalistes, mais pourvoyeur de voix vers la candidate de gauche au second tour.
    Cette triste réalité électorale nous conforte plus que jamais à dénoncer les mystificateurs qui pensent utiliser et détourner les institutions républicaines et bourgeoises en exutoire des luttes sociales. Nous avons toujours dénoncé l’arme idéologique du bulletin de vote mise en place par la bourgeoisie contre les travailleurs pour les détourner de leurs objectif de classe : l’auto-émancipation par la prise de conscience de leur propre pouvoir dans l’autonomie des luttes. De même nous dénonçons les sauveurs suprêmes alter mondialistes, radicaux et issus de syndicats paysans qui séduiraient jusqu’aux anarcho-électoralistes.
    C’est l’intensification des luttes et leur unification qui transformera cette mise en spectacle en confrontation politique. Confrontation où les travailleurs porteront eux-mêmes leur voix en faisant entendre leurs revendications, et pourquoi pas leur programme politique refusant de déléguer leur vie et leur avenir à un ou une quelconque sauveur. La voix des exploités ne peut être que dans les luttes de résistances qui se déroulent un peu partout en France et dans le monde, dans les luttes qui se perdent ou se gagnent.
    Le problème des sans logis maintes fois posé depuis 1954 avec l’appel à la radio par l’abbé Pierre n’était pas à l’ordre du jour des candidats à la présidentielle de 2007. La mobilisation “ médiatique ” de l’opinion et de chacun dans la rue, a obligé les candidats et partis au pouvoir à réagir vite pour ne pas voir le mouvement des sans toits s’étendre et leur campagne électorale être parasitée. La démonstration d’un rapport de force dans la rue autour des tentes du canal Saint-Martin a obligé le gouvernement, suivi de l’opposition, à décréter une nouvelle loi. Nous ne nous illusionnons pas sur la réalité future de celle-ci.
    Il doit en être de même avec le renouveau des mobilisations contre le nucléaire et l’EPR. Seul le rapport de force construit sur le terrain portera notre voix collective dans la rue pour dire NON et imposer l’arrêt immédiat du programme nucléocrate. Sinon, il se trouvera toujours un télé écologiste ou un représentant labellisé médiatiquement pour nous kidnapper notre parole et en disperser la force vers l’isoloir d’une école ou d’une mairie.
    Il en sera de même dans les solidarités et les luttes : des sans papiers, contre les licenciements du privé ou les suppressions d’emplois dans le public, etc... Nous ne devons compter que sur nous mêmes si nous voulons défendre nos intérêts et renverser l’ordre social du capital.
    L’émancipation sociale et politique n’est jamais venue d’un programme politicien et encore moins sortie d’un isoloir. Elle a toujours été durement conquise et chèrement payée par les travailleurs. Dans le désastre politique, social et écologique où nous mène le capitalisme, le choix n’est plus entre tel ou telle candidate, mais entre la barbarie capitaliste ou la construction d’un avenir communiste libertaire.

    CAEN le, 20 02 2007

    17 mars : manifestations antinucléaires Rennes, Lille, Strasbourg, Lyon, Toulouse Sortie immédiate du nucléaire !
    Par sa dangerosité et la centralisation qu’il nécessite, par la culture de sûreté qu’il crée, commercialise et généralise, par les modes de subordination qu’il implique, le nucléaire, loin d’être un simple choix technologique, est partie intégrante des dispositifs de contrôle global de la planète. En quelques décennies à peine, le nucléaire a montré de quoi il était capable, depuis les victimes d’Hiroshima jusqu’aux catastrophes du nucléaire civil reconnues (Tchernobyl, Three Mile Island…), occultées (Windscale, Kychtym) ou évitées de justesse (Forsmark**). Aujourd’hui, le nucléaire civil semble avoir le vent en poupe chez les gestionnaires capitalistes. Des projets grandioses, dont la réalisation dépendra de la possibilité des investissements financiers et des garanties des Etats, sont donc élaborés, comme l’EPR à Flamanville (réacteur civil français dit de troisième génération) ou bien encore ITER à Cadarache (projet international de réacteur à fusion nucléaire). Dans le domaine militaire, on assiste plutôt au développement d’armes miniaturisées pouvant être utilisées contre des populations aux quatre coins du monde, dans le cadre de “ guerres préventives ” et “ d’opérations de police mondiale ”, bien que la possession de bombes classiques demeure l’un des objectifs des Etats et que les stocks de matières nucléaires constituent de réels dangers.
    Les gourous de l’atome prétextent de la crise des énergies fossiles et poussent à la roue pour la reprise du nucléaire. La lutte contre les gaz à effet de serre devient leur alibi au motif que le réacteur nucléaire n’en dégage pas, oubliant au passage toutes les étapes de la construction et du fonctionnement des installations nucléaires, celles de l’extraction de l’uranium au Niger ou en Australie à son utilisation dans les réacteurs, et la pollution thermique par les rejets gazeux et aqueux. Si la société capitaliste n’a jamais eu autant besoin d’énergie pour faire fonctionner ses usines, ses banques, ses réseaux de transport et de communication, ses armées et leurs engins de mort, sur terre, sur mer et même dans l’espace, il ne faut pas oublier que l’énergie électrique ne représente que 5 à 6 % de l’énergie primaire mondiale et que le nucléaire en est encore qu’une infime partie représentant 16%. Aux causes de désastres propres à toutes les formes d’industrialisation, l’industrie nucléaire ajoute la radioactivité artificielle qui peut parfois s’étendre sur des millénaires. Les nucléocrates le savent et c'est pourquoi, loin de nier comme autrefois tous les dangers liés au nucléaire, ils comptent désormais préparer les populations à apprendre à survivre en milieu contaminé. Le risque nucléaire étant la chose la plus partagée, il doit maintenant être le mieux accepté : tout irradié potentiel doit donc devenir le complice de sa propre irradiation et de celle des autres, encadré par les uniformes kakis et les blouses blanches avec, pour seul horizon, les rangées de cercueils de plomb, pour que le monde tel qu’il est continue à fonctionner, dans lequel le citoyen culpabilisé devient acteur de sa soumission.

    En restant sur le terrain des alternatives sans remettre en cause la boulimie énergétique actuelle, par exemple en proposant de remplacer l’atome par l’éolien comme énergie renouvelable***, les écologistes d’Etat jouent le rôle de tartufes et d’administrateurs de nos vies irradiées, toujours à la place que l'Etat leur assigne. D’où les tractations, les compromis, les promesses destinées à ne pas être tenues et les jeux de lobbying, qui culminent en période électorale. Pour le PS, il faut faire oublier le programme de 1981, son moratoire sur la construction des centrales nucléaires, et “ Soeur Sourire ” préconise “ une extinction des centrales anciennes et les plus dangereuses ”. Par son porte-parole, virée de la manif de Cherbourg, les Verts français, sur la trace de leurs homologues allemands, s’engagent pour une “ sortie sur 30 ans ” ! Quant au PC, fidèle à sa défense inconditionnelle mais intéressée des technocrates et syndicalistes de la CGT d’EDF et du CEA, il exige un “ nucléaire sécurisé et durable ” ! Tout regroupement antinucléaire conséquent devrait avoir en mémoire la défaite du mouvement à la fin des années 70 et au début des années 80 due à la stratégie électorale prédominante, à une critique insuffisante et marginale de la “ société de consommation ”.

    L’exigence d’arrêt immédiat du nucléaire ne relève pas pour nous de la surenchère. Elle implique la rupture avec les logiques capitalistes et étatiques. Cette perspective autonome est difficile et incertaine et sa réalisation ne dépend pas que de nous. Mais nous avons la volonté d’y contribuer, pour vivre libres, debout, et non à genoux avec des épées de Damoclès au-dessus de nos têtes.

    Coordination
    contre la société nucléaire (CCSN)
    c/o CNT-AIT, BP 46,
    91103 Corbeil Cedex

    * Winsdcale, octobre 1957, rebaptisée sellafield. Kychtym accident de 1957 en URSS totalement occulté.
    ** Le 25 juillet 2006, la centrale de Forsmark, en Suède, est plongée dans le noir. Plus rien ne fonctionne, sauf le réacteur. Les générateurs de secours ne démarrent pas et la température du cœur grimpe : Tchernobyl n’est plus loin. Enfin, l’un d’entre eux accepte de redémarrer à la “ manivelle ”…
    *** Notons au passage qu’Areva, le constructeur de réacteurs nucléaires, poursuit ses investissements dans l’éolien avec une offre publique d’achat des actions de REpower (un des principaux acteurs de l’activité) qu'il ne détient pas encore. Est-ce pour diversifier ses intérêts ou pouvoir demain démontrer qu'on ne peut pas sortir du nucléaire par l’éolien ? Sans changer la consommation électrique française, il faudrait environ 100 000 éoliennes pour remplacer les centrales nucléaires !


    FILIPE BIDART : libéré, mais sous conditions
    Arrêté en février 1988, après 7 ans de clandestinité, Filipe Bidart, militant d’Iparretarrak (cf. encart), a passé 19 années en prison. Accusé du meurtre de deux policiers (qu’il a toujours nié) et d’un gendarme, il a été condamné deux fois à la prison à vie et il s’est vu infliger 20 ans de réclusion en 2000 pour participation (non prouvée) à une fusillade au cours de laquelle un gendarme avait été tué et un autre blessé. Il était le dernier militant d’Iparretarrak emprisonné. Il a rempli sa peine.
    Au-delà même, puisqu’il était libérable quatre ans plus tôt, selon l’aménagement prévu par la loi qu’est la libération conditionnelle, auquel Filipe avait droit depuis 2003.

    L’obtention par Filipe Bidart de cette libération conditionnelle a été un long parcours semé d’obstacles.
    Le mouvement abertzale s’est fortement mobilisé pour le soutenir dans sa démarche, depuis plusieurs années. Une centaine d’élus du Pays Basque ont signé une pétition pour demander “ que la loi soit appliquée et que la libération soit enfin accordée à Filipe ”. Des mobilisations et des manifestations ont eu lieu à plusieurs reprises, appelées par le Comité Filipe aska (Comité Libérez Filipe).
    Une première demande de libération conditionnelle avait été déposée en juillet 2005. Elle a été refusée par deux jugements successifs, en janvier, puis en octobre 2006. C’est une deuxième demande, faite exactement dans les mêmes termes, qui a finalement été acceptée par le tribunal d’application des peines de Paris, le 1° février 2007. Filipe a pu sortir de la prison de Clairvaux (Aube) le 14 février, mais il est interdit de séjour pendant 7 ans dans les départements du Sud-Ouest et au Pays Basque et c’est à Béziers qu’il travaillera dans un centre d’entraide aux demandeurs d’asile de la Cimade.

    Dès que Filipe Bidart a franchi les portes de Clairvaux, c’est à une véritable levée de boucliers qu’on a assisté. Les raisons ? L’attitude digne du militant et les propos politiques qu’il a tenus en sortant de la prison ont été jugés “ choquants ” par certains, dont le Garde des Sceaux lui-même, qui auraient voulu que Bidart sorte “ discrètement ” et la tête basse.
    Le militant basque n’a pas dit ce que l’Etat et ses zélés serviteurs voulaient entendre.
    Ils déplorent son absence de regrets et d’excuses à l’égard des CRS et des gendarmes tués (1). Ceux qui n’accordent aucune légitimité à la demande de reconnaissance du Pays Basque ne veulent voir en Filipe Bidart qu’un meurtrier de policiers et cherchent à nier son combat politique. Les voix qui s’élèvent contre sa libération, dès sa sortie de prison ont cette fonction : attirer l’attention sur les victimes policières afin de tenter de gommer le message politique d’un homme qui est resté un militant fidèle à la lutte pour la reconnaissance et l’autonomie du Pays Basque.

    Au matin de sa sortie de prison, Bidart a très logiquement fait des déclarations politiques, d’ailleurs tout à fait mesurées, à propos de ses camarades et du Pays Basque : à savoir que 4 prisonniers basques sont enfermés à Clairvaux, qu’il y en a 150 dans les geôles françaises et plus de 450 en Espagne, qu’un prisonnier d’ETA Inaki de Juana en était à son 100° jour de grève de la faim le 15 février (alimenté de force), que l’Etat français continuait à ne pas reconnaître le Pays Basque, et qu’il fallait poursuivre la lutte et se rassembler pour prendre son avenir en mains.
    Ces propos ne s’entendent pas habituellement hors du territoire du Pays basque et ce jour-là la presse française les a répercutés. Cet écho médiatique des déclarations de Bidart à travers toute la France n’a pas plu à l’Etat. D’ailleurs, depuis, les journaux ont rectifié le tir, préférant donner la parole aux familles des policiers et à leurs syndicats. Et d’abord à l’extrême droite (de Villiers) qui, la première, a dénoncé la libération de F. Bidart, tout en réclamant la réintroduction de la peine de mort. En cette période de campagne électorale, d’autres ne pouvaient pas faire moins, et des réactions virulentes, provenant des tendances pour la plupart proches du pouvoir, n’ont pas tardé à se faire entendre pour se plaindre de la décision judiciaire, que ce soit dans les rangs de la droite (dont le maire UMP de Béziers) (2) ou dans ceux des syndicats de police (l’UNSA-police a ouvert le feu, suivi du Syndicat général de la police SGP-FO, du Syndicat national des officiers de police - SNOP, et du Syndicat des commissaires SCPN).

    Ce qui déplaît surtout à l’Etat, c’est de voir que Bidart reste fidèle à ses idées de liberté pour le Pays Basque. L’Etat pensait que la prison, briseuse de volontés, était un bon instrument pour imposer le repentir et que, dans le cas de Bidart, il faudrait que celui-ci renie son amour du Pays basque et ses buts politiques pour que soit acceptée sa libération. C’est pourquoi le Garde des Sceaux Clément, soucieux de ne pas faire perdre quelques voix à son camp, a déclaré qu’il n’excluait pas d’engager des poursuites judiciaires contre Filipe Bidart pour “ apologie de crime ”, au vu du libellé précis de sa prise de parole à sa sortie de prison. Mais il n’a rien pu y trouver qui puisse tomber sous le coup de la loi et il a expliqué piteusement qu’il avait voulu lancer “ un avertissement ” à Bidart.
    Mais le Garde de Sceaux garde une autre arme en réserve ; il a rappelé que la décision du tribunal ayant accordé la libération conditionnelle s’était faite contre l’avis du Parquet général et que lui-même, ministre de la justice, y était opposé - signe qu’il y aurait peut-être du tirage entre pouvoir politique et certains magistrats - . En effet, le 5 février, la libération conditionnelle de F. Bidart a fait l’objet d’un pourvoi en cassation formé par le Parquet général, pourvoi qui représente une épée de Damoclès au-dessus de la tête du militant basque et caractérise l’acharnement répressif de l’Etat. Ainsi, ce dernier ne semble pas satisfait des lois qu’il a lui-même promulguées ou plutôt il donne à ses propres lois des profils à géométrie variable, selon le contexte et la fluctuation de ses arrangements politiciens.

    Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, la libération conditionnelle que Filipe Bidart a fini par obtenir doit permettre d’ouvrir une brèche pour la libération d’autres détenu-es politiques, dont ceux-celles d’Action Directe, qui croupissent dans les geôles françaises, au mépris de la loi.

    Kristine, Pays Basque, le 17-02-07

    (1) Bidart (et Iparretarrak) ont toujours nié avoir participé à la fusillade de Saint Etienne de Baïgorry en 1982, causant le décès de deux CRS. Le militant a reconnu en revanche, lors du procès, avoir tiré sur un gendarme à Biscarosse, en 1987, pour échapper à un contrôle.
    (2) Le maire de Béziers, Raymond Couderc, a affirmé que F. Bidart ne serait pas le bienvenu dans sa ville, pas plus que les quelques trois cent de Basques qui s’y déplacent le 17 février pour fêter sa libération. Le Maire vient d’ailleurs de leur refuser un local en centre-ville.


    Allemagne : la RAF

    Tant en France la libération de Filipe Bidart, qu’en Allemagne prochainement avec les prisonniers de la Fraction Armée Rouge, et malgré les polémiques suscitées, la libération de prisonniers d’Action Directe est plus que jamais à l’ordre du jour.
    Brigitte Mohnhaupt, l’une des quatre membres restants de la “ bande à Baader ”, a croupir encore en prison sera sans doute libérée avant la fin mars .
    Le tribunal de grande instance de Stuttgart a décidé qu’elle serait libérée de la prison d’Alchach en Bavière après l’accomplissement de sa peine de prison qui avait été fixée à vingt quatre ans. Brigitte Mohnhaupt, agée de cinquante sept ans, avait été condamnée le deux avril 82 à cinq fois la réclusion criminelle assortie d’une peine incompressible de 24 ans qu’elle vient de purger.
    Elle avait été jugée coupable de neuf assassinats dont ceux commis en 77 du procureur général S.Buback, du patron de la Dresdner Bank, J.Ponto,et de HM Schleyer, le patron des patrons allemand. De ces années de plomb, trois autres membres de la Fraction Armée Rouge (RAF) restent encore emprisonnés dont Christian Klar, 54 ans. Sa peine n’expirerait qu’en 2009 mais il aurait adressé une demande de grâce à la présidence de la république. Ses deux autres compagnes de la lutte armée, Eva Haule et Brigitte Hogefeld sont toujours incarcérées. Sept autres personnes soupçonnées d’appartenir au groupe dissous depuis 98 sont encore recherchées. La naissance de la RAF se situerait dans les années 70 dans le sillage du mouvement contestataire des années 60, quand la journaliste de gauche Ulrike Meinhof lance une opération commando pour libérer Andréas Baader et Gudrun Esslin emprisonnés pour avoir incendier un grand magasin.
    Il va de soi que cette libération de Brigitte Mohnhaupt et de Christian Klar rouvre les plaies de ces années de plomb.

    Action Directe : Sortons-les !

    26 février 1987 - 26 février 2007
    2O ans après, et leurs peines de sûreté accomplies, les militants d’Action directe sont toujours en prison. Nous sommes conscients que très nombreux sont ceux et celles qui se mobilisent pour une transformation profonde de notre société. Pour nous, cette transfoirmation apsse aussi par la libération de nos camarades, depuis 20 ans derrière les barreaux... Comment pourrions-nous, après toutes ces années, les laisser sur le bord du chemin et ne pas tout tenter pour obtenir que le gouvernement les lmibère enfin

    Défense active

    Mobilisations enseignantes : ça manque de classe !
    Le 8 février, la fonction publique était en grève et défilait pour la défense des services publics, de l’emploi et des salaires. Ritournelles syndicales à la veille d’échéances électorales majeures, effets d’annonce d’une unité d’action enfin retrouvée pour une demi-journée de défilé. La mobilisation ne fut pas franchement un grand succès à l’échelle de l’ensemble des fonctionnaires, mais revêt peut-être un caractère particulier en ce qui concerne l’Education nationale.

    Les mobilisations de profs se sont succédé depuis la rentrée scolaire :
    • un échec le 18 septembre 2006, lors de la rituelle grève de rentrée sur les questions de postes, de moyens et de salaires ; mais il faut dire que l’inutilité de ce genre de journées d’action n’est plus à démontrer, et qu’il n’est plus que les syndiqués pour faire encore l’effort d’y croire,
    • un succès revendiqué le 18 décem-bre avec une nouvelle journée de grève qui a compté plus de 50% de grévistes en collèges et lycées : le projet de modification par décret du statut et des obligations horaires des profs du secondaire a fait se bouger le landernau des certifiés et des agrégés pour une fois syndicalement unis, mais sur des bases exclusivement corporatistes et défensives : la défense du “ statut de 1950 ”,
    • une manifestation nationale à Paris le 20 janvier, orchestrée par la FSU, qui a besoin d’afficher sa visibilité et ses capacités de mobilisation en cette année de congrès, alors qu’elle est toujours privée du statut de fédération représentative des salariés.
    • Enfin cette grève du 8 février où, aux questions de statut du secondaire, sont venues s’ajouter les mesures de carte scolaire (suppressions de postes ou de classes, restrictions budgétaires, suppression de places aux concours de recrutement). Les vacances scolaires décalées sont venues interrompre ce léger frémissement, mais les raisons de la colère sont nombreuses.

    Un cadre national qui se flexibilise

    La rengaine semble se répéter inlassablement d’année en année, pourtant les chiffres sont bien là : les contraintes budgétaires font que le nombre de postes d’enseignants se réduit comme peau de chagrin, indépendamment des données démographiques. La logique comptable de l’Education nationale est la suivante : dans le second degré où il y a une légère baisse démographique, on supprime 1 poste dès qu’il y a 12 élèves de moins, et dans le premier degré, en légère hausse démographique, il faut 48 élèves supplémentaires pour créer un poste. Cherchez l’erreur !
    Le système tient pourtant grâce à différentes combines :
    -En premier lieu, le recours à une main d’œuvre précaire et disponible : les vacataires et contractuels sont légion dans l’éducation, et leurs luttes, pourtant récurrentes, ne débouchent pas, faute entre autres de solidarité réelle des personnels titulaires.
    -Les modifications des horaires des élèves : sous prétexte d’individualisation des enseignements en fonction des besoins de chacun, le fameux socle commun des connaissances de la réforme Fillon (lutte de 2005) permet de donner globalement moins d’heures d’enseignement. Pour éviter que cela soit trop sensible, on peut jouer sur les horaires de chaque discipline ou sur le nombre d’élèves par groupe.
    -Les suppressions de postes ne concernent pas que les seuls enseignants, mais aussi les surveillants, qui ont été remplacés par des assistants d’éducation (lutte de 2002), ou encore les personnels ouvriers et de services, qui sont maintenant à charge des collectivités territoriales, pour réduire le déficit budgétaire de l’Etat (lutte de 2003).
    -Le système des remplacements imposés (lutte de 2006) qui fait que, pour pallier le déficit de titulaires remplaçants, un chef d’établissement peut imposer à un prof de faire des heures supplémentaires pour remplacer le collègue manquant, quel que soit le cours ou la classe à prendre en charge. Le tout rémunéré au taux fort, ce qui fait que les prétendants ne font pas défaut.
    -Les voies de relégation des élèves qui disjonctent et qui ne supportent plus un système de moins en moins vivable se multiplient et permettent d’éviter que tout n’explose en permanence : durée d’exclusion rallongée depuis 2001, classes-relais et dispositifs palliatifs pour les élèves trop en rupture, stages et parcours en alternance pour permettre aux mômes et aux adultes de souffler, l’apprentissage junior pour contourner l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans, ou encore tout simplement la bonne vieille répression avec les risques de poursuites judiciaires pour les parents des enfants absentéistes, ou les peines aggravées pour les violences envers les enseignants, en attendant la généralisation des Etablissement Pénitentiaire pour Mineurs...

    Bref, le tableau n’est pas brillant. Et ce qui surprend, à y regarder d’un peu près, ce n’est pas tant la tension qui existe dans quelques établissements et qui défraye régulièrement la chronique sous le titre de “ violence scolaire ”, ni même le découragement exprimé par nombre d’enseignants ou de professionnels de l’Education devant les difficultés de leur boulot, mais bien plutôt le fait que cela n’explose pas davantage. Quoiqu’à bien y regarder, depuis 2003, presque chaque année scolaire est perturbée par plusieurs semaines de grèves qui, si elles ne débouchent pas concrètement en termes de revendications, ont au moins pour effet de catalyser une sourde colère en la faisant se délester dans la rue. Ce fut le cas en 2003 à propos de la décentralisation pour les personnels puis des retraites, ce fut aussi le cas en 2005 pour les lycéens occupant la rue contre la réforme Fillon, ou encore l’an dernier lors des mobilisations massives contre le projet de Contrat première embauche (CPE) qui déferla tant dans les lycées que dans les établissements post-bac. Nous pourrions presque conclure que les mobilisations du secteur de l’Education ces dernières années ont surtout été un exutoire à la colère née de l’inhumanité croissante du système, et un détournement de l’attention des véritables causes du “ malaise scolaire ”. Cependant ces mobilisations collectives sont aussi des moments d’entrée en action des individus qui peuvent conduire à de nouvelles prises de conscience et à une politisation indispensable.

    Selon l’Europe : quatre défis pour l’éducation*

    Les raisons de cette évolution à marche forcée du système éducatif ne sont pas à rechercher uniquement dans le contexte national. L’Union européenne se prétend confrontée à “ quatre défis socio-économiques étroitement liés ”, qui constituent d’ailleurs le cadre de référence de sa réflexion sur l’enseignement depuis quinze ans : 1) la mondialisation, 2) la démographie, 3) l’évolution rapide de la nature du marché du travail et 4) la révolution des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC).
    Le premier défi, la mondialisation, signifie que l’enseignement est perçu comme un enjeu “ indispensable au développement à long terme du potentiel de l’UE en matière de compétitivité ”. Mais, en même temps, cette compétition économique mondiale pousse les Etats à réduire leur pression fiscale, ce qui impose, dit la Commission Européenne, “ un contexte de restrictions des dépenses publiques ”. Voilà bien la contradiction majeure qu’affrontent aujourd’hui les Etats industrialisés en matière d’enseignement : comment concilier les besoins de l’économie en matière de formation et de qualification avec la nécessité de réduire le coût des systèmes éducatifs ?
    Le deuxième défi, l’évolution démographique, concerne avant tout “ le vieillissement de la population européenne ” : les travailleurs devront rester actifs plus longtemps, et il faut réduire le taux d’inactivité des jeunes. Ce qui signifie aussi qu’il ne faut pas prolonger “ exagérément ” la durée moyenne des études. Les études longues se justifient dans la mesure où les marchés du travail requièrent des travailleurs à très haut niveau de formation, mais pour les autres, le “ droit ” à une formation tout au long de la vie sera bien suffisant.

    D’où la nécessité - et c’est le troisième défi - de bien comprendre l’évolution de la nature du marché du travail. A cet égard, rien n’est plus trompeur que le concept réducteur de “ société de la connaissance ” qui pourrait faire croire que le marché du travail s’orienterait vers une disparition progressive des emplois peu qualifiés. Cela n’est que propagande. Le Département US de l’emploi publie, à ce sujet, des statistiques bisannuelles fort intéressantes. Dans la dernière édition des "Occupational employment projections" (publiées en novembre 2005 et qui portent sur la période 2004-2014), le Monthly Labor Review prévoit que 69% des créations d’emplois de la décennie à venir concerneront des emplois de type "on-the-job training" : formation sur le tas, au terme de l’enseignement obligatoire (Hecker, 2005). Il ne s’agit pas, pour autant, d’emplois qui ne nécessiteraient aucune formation scolaire : les “ vendeurs au détail ”, nettoyeurs, gardes et gardiens, employés du secteur du fast-food, réceptionnistes et autres conducteurs de camionnettes doivent savoir lire, écrire, compter, encoder des données dans un terminal informatique, comprendre quelques mots d’une langue étrangère, conduire un véhicule... Bref, posséder l’indispensable socle commun initié par la commission Thélot et concrétisé par la réforme Fillon dans le cas français.
    C’est ce qui nous ramène au texte de la Commission européenne et à son quatrième “ défi ” : la révolution des technologies de l’information et de la communication. Celle-ci a entraîné une accélération sans précédent du rythme d’innovation des rapports techniques de production et des marchés. C’est ici que le concept de “ société de la connaissance ” va prendre toute sa signification. Il n’implique pas, nous l’avons vu, que tous devraient accéder à de hauts niveaux de connaissances. Il signifie plutôt que chacun, quelle que soit sa situation dans la hiérarchie des emplois et des niveaux de qualification, devra être en mesure d’adapter ses connaissances et ses compétences à un environnement de travail en mutation rapide "afin de rester productif et employable" (OCDE, 1996), mais également que, en ce qui concerne la formation initiale, l’Ecole va devoir s’adapter aux stratégies dites du “ e-learning ” (l’enseignement par l’Internet) qui, pour quelques-uns, permettra de donner les compléments indispensables au fameux socle commun, et ce de façon encore plus efficace que les actuels cours particuliers, déjà déductibles des impôts.

    Remettre la question du travail au centre de l’école.

    On le voit à l’examen de la stratégie de l’Union Européenne, c’est bien de la question du travail dont il est ici question. Et il est fort à craindre que les enseignants, en se contentant de défendre “ leurs ” conditions de travail (acquis, statuts, salaires et postes…), aient déjà encore perdu un combat qu’ils tentent à peine d’engager !
    Ce qui se joue actuellement autour de leurs statuts, que ce soit sur la question des heures supplémentaires, des suppressions de décharge, de l’annualisation du temps de travail, ou encore de la présence 35 heures par semaine dans les établissements, touche bel et bien à une augmentation de leur productivité dans un souci de réduction des coûts de production. En cela les problèmes des enseignants ne sont pas différents de ceux des autres travailleurs, et sur ces bases des actions interprofessionnelles devraient être envisageables.
    Mais tenir un tel langage revient à rappeler au prof qui se sentait bien dans son image de “ cadre A de la fonction publique ” qu’il n’est qu’un travailleur vendant sa force de travail. Et que, de surcroît, il a de moins en moins de leviers pour la vendre le plus cher possible. Le prestige de l’enseignant n’est plus ce qu’il était et, pour en rire, il n’est qu’à voir comment les candidats à la présidentielle se précipitent avec entrain pour se promouvoir auprès de sociétés de chasse, alors que ce sont leurs sous-fifres qui reçoivent les principaux syndicats enseignants les jours de grève ! Le lobbying syndical ne fait plus recette dans l’Education, et il va bien falloir que les profs en prennent conscience s’ils veulent échapper aux menaces qui pèsent actuellement sur un système éducatif déjà bien mal en point.Un des axes de lutte pourrait donc être d’opérer avec leurs élèves et l’ensemble de la population une jonction sur cette question de la résistance à l’exploitation au travail. Pour cela il conviendrait en premier lieu de rompre avec nombre d’habitudes pédagogiques, et au premier chef celle qui consiste à considérer que l’école émancipe alors que pour le plus grand nombre elle reste une propédeutique de soumission à la “ valeur travail ”** toujours et encore sublimée : depuis le “ c’est l’école qui te donnera un bon travail ” comme ressort supposé de la motivation, à la sanction pour “ travail insuffisant ” sur le bulletin scolaire. Etre critique sur la finalité de son travail, et partager cette critique avec ses élèves, pour défendre l’activité actuelle des uns et celle future des autres, pourrait être un axe de lutte porteur.
    Mais pour le corps enseignant cela voudrait dire rompre avec son modèle idéologique, celui de la promotion sociale laïque et républicaine par le mérite, qui transcende gauche et droite. Il est clair que le monde enseignant ne peut rompre pour l’instant avec ce modèle auquel il s’identifie, et par lequel il trouve sa raison d’exister socialement. Le corps professoral ne peut pas encore ni raisonner ni agir en termes de lutte de classe***, car il lui est encore trop douloureux de se penser du côté des exploités et des dominés, tant il se croit toujours du côté de ceux qui pensent et font les décideurs, faute de vraiment décider ! Ici et maintenant tout du moins, parce qu’à Oaxaca…

    Philippe
    Février 2007.


    *Ce paragraphe s’inspire très largement des analyses de Nico Hirtt, de l’APED, Association pour une Ecole démocratique (http://www.ecoledemocratique.org)
    ** cf. Nestor Romero
    “ La valeur Travail ”, publié sur http://ecoledesrichesecoledespauvres.blogspot.com
    *** cf. la brochure “ Pour une compréhension critique du mouvement du printemps 2003 ”, Echanges et Mouvement, septembre 2004.

    La sous-traitance automobile
    Du concepteur fabriquant au concepteur assembleur
    Les grands constructeurs automobiles américains fondaient traditionnellement leur modèle de production sur une forte “intégration verticale”. Une fraction substantielle des composants des véhicules était fabriquée par le constructeur lui-même ou par des sociétés de fabrication de composants lui appartenant au sein du même consortium. Ce modèle prévalait également chez les constructeurs automobiles européens, bien que leur échelle de production fût nettement inférieure. Le niveau d'intégration verticale de la production était similaire à celui des compagnies américaines, l'intégration s'opérant à l'intérieur même des constructeurs sans qu'une industrie de fabrication de composants ne soit créée sous la tutelle d'un consortium, à l'exception de Fiat et Peugeot, qui comptaient un grand nombre de sociétés extérieures leur fournissant les composants nécessaires dans un contexte exacerbé de concurrence interne et de pressions sur les coûts.
    Ce modèle de production a subi de profondes transformations depuis les années 1970. Eu égard au paradigme de la “production dégraissée”, les constructeurs se sont orientés à un degré croissant vers la conception, l'assemblage et la distribution, en incluant dans certains cas la production directe de composants qu'ils estiment stratégiques, comme les moteurs.
    L'innovation ne réside toutefois pas seulement dans l'extension de la sous-traitance, mais également dans le remaniement et la structure hiérarchique des relations avec les fournisseurs qu'elle implique. Bien entendu, ce processus varie selon les stratégies propres à chaque entreprise, mais les principaux changements sont les suivants :
    - une sous-traitance progressive de la production des composants à travers différentes filières (comme la création d'une filiale au sein du même consortium ou la sous-traitance à une autre entreprise d'anciennes ou de nouvelles activités), souvent associée à des stratégies de spécialisation à grande échelle (la fourniture d'un composant donné à plusieurs usines et marques du même consortium, voire à plusieurs consortiums, par exemple).
    - une diminution sensible du nombre de fournisseurs directs (rang 1). Les constructeurs assument aujourd'hui la responsabilité de l'assemblage d'éléments complets du véhicule, du contrôle de la qualité et de la gestion des stocks, tandis que les fonctions d'innovation technologique et de conception des composants sont de plus en plus souvent déléguées à ces fournisseurs. Les évolutions les plus récentes recherchent une implication accrue des principaux fournisseurs dans la conception du produit final et du procédé de production. - la sous-traitance progressive des services, qui commence par ceux qui offrent une faible valeur ajoutée et demandent une forte intensité de main-d'œuvre (nettoyage, restauration collective et sécurité) et se poursuit avec les services plus stratégiques tels que les réparations de l'équipement, la maintenance informatique, l'entreposage et la logistique.

    Une sous-traitance très hiérarchisée

    Les modifications instaurées par les constructeurs automobiles ont directement entraîné la restructuration de l'industrie de fabrication des composants. Au premier niveau se trouvent les sociétés qui fournissent des ensembles complets de pièces, d'unités ou de systèmes et d'importants éléments du véhicule impliquant une certaine complexité technologique. Ces sociétés ont subi les transformations les plus profondes, avec un degré élevé de concentration des activités et de mondialisation de la production, et l'adoption de stratégies de production similaires à celles des constructeurs. Elles en arrivent également à redéfinir leur activité essentielle et à sous-traiter le reste de la production. Elles jouent un rôle d'une importance croissance dans la production du véhicule en ce qu'elles supportent une partie de l'investissement dans la conception et la technologie et organisent le deuxième niveau de fournisseurs. Ce processus se répète à divers degrés d'intensité aux niveaux inférieurs, formant ainsi une pyramide hautement hiérarchisée de fournisseurs.
    L'introduction croissante de l'automatisation et le remplacement de la main-d'oeuvre par des capitaux ont pour corollaire que les activités à plus haute intensité en main-d’oeuvre ne sont plus rentables et peuvent aisément être sous-traitées. À travers leur contrôle de la chaîne de production, les fabricants parviennent à se débarrasser des activités à plus faible valeur ajoutée, à transférer une partie du coût inhérent à la conception et à la production vers les fournisseurs de premier rang et à exercer une pression appuyée en termes de qualité, de délais de livraison et de prix. Des stratégies similaires se répètent successivement aux différents échelons de la chaîne des fournisseurs, bien que les entreprises jouissent d'une autonomie de plus en plus restreinte à mesure que l'on descend dans la chaîne. À la base de la pyramide, un grand nombre d'entreprises exécutent les activités à forte intensité de main-d’oeuvre et à faible valeur ajoutée au coeur d'une concurrence exacerbée, avec de lourdes pressions en faveur d'une réduction des coûts de main-d’oeuvre et d'une déréglementation des conditions de travail.


    Les conséquences sur l’emploi et les conditions de travail

    Il va sans dire que cette évolution exerce une influence indubitable sur l'emploi et les conditions de travail. Directement ou indirectement, la sous-traitance engendre en effet des pressions sensibles en direction d'une réduction des coûts de main-d’oeuvre et d'une déréglementation des conditions de travail. Le nombre d'emplois manuels est minimal au sommet de la pyramide et maximal à la base, accompagné d'une nette augmentation du travail précaire et faiblement rémunéré offrant une protection limitée.
    Deux niveaux principaux sont donc créés. Au sommet de la pyramide figurent les entreprises qui exécutent des activités à haute valeur ajoutée (constructeurs, fournisseurs de premier rang et quelques sociétés de services). Dans ces entreprises, les coûts de la main-d’oeuvre exercent une influence restreinte sur les coûts de production. Le travail est relativement bien rémunéré et la flexibilité de la production est assurée au moyen d'une automatisation généralisée et de l'application de “nouvelles formes d'organisation du travail” (telles que les hiérarchies horizontales, le travail en groupes ou les groupes de travail autonomes). D'autre part, dans les entreprises qui réalisent des activités à valeur ajoutée moindre (fournisseurs du deuxième ou troisième rang et certaines sociétés de services), les coûts de la main-d’oeuvre sont déterminants pour les coûts de production. Le travail est beaucoup moins bien rémunéré et la flexibilité de la production se traduit souvent par une augmentation des charges de travail, une plus grande disponibilité des travailleurs et le recours aux engagements temporaires. Cette différenciation des conditions de travail est mise en oeuvre à l'aide de plusieurs techniques. Les activités sous-traitées peuvent relever de conventions collectives moins avantageuses pour les travailleurs - comme celle du secteur métallurgique général, plutôt que de relever de l'accord propre à l'entreprise du constructeur ou d'un fournisseur du premier rang, ou encore celle d'un autre secteur où les conditions de travail sont moins bonnes - ou, dans certains cas, ces activités sont nouvelles et ne sont pas réglementées par les accords sectoriels (lorsque ceux-ci sont prédominants dans les systèmes nationaux de relations industrielles). De surcroît, la protection atteint souvent un niveau inférieur parce que les syndicats sont sensiblement plus faibles et les relations de travail plus individualisées.

    Les conséquences sur la représentation syndicale et la lutte collective

    La sous-traitance a entraîné une érosion de la capacité d'organisation, de représentation et d'intervention des syndicats dans le secteur de la construction automobile :
    - les entreprises de fournisseurs ont tendance à compter davantage de jeunes travailleurs, de femmes et (dans certains pays) de travailleurs issus d'un milieu rural, soit autant de catégories possédant une tradition d'affiliation syndicale moins enracinée que les travailleurs traditionnels de l'industrie automobile. Les entreprises de fournisseurs sont également plus susceptibles de recourir aux engagements temporaires ou à d'autres formes de travail “atypiques”, qui ne favorisent pas les actions collectives ;
    - dans les principales entreprises de construction automobile, le nombre d'ouvriers manuels décline, tandis que le nombre d'employés techniques et administratifs augmente ;
    - les changements dans la structure des entreprises entravent également les actions collectives. La sous-traitance entraîne un nombre accru de petites et moyennes entreprises (PME), dans lesquelles les syndicats rencontrent davantage de problèmes d'affiliation ;
    - la sous-traitance favorise également l'implantation en Europe d'entreprises non européennes, qui sont parfois plus réticentes aux structures de représentation des travailleurs et aux négociations collectives ;
    - un nombre croissant d'entreprises et de travailleurs qui exécutent des opérations pour le secteur de la construction automobile relèvent désormais d'autres secteurs et sont couverts par d'autres conventions collectives (chimie, textile, transports, bois, banque, “activités diverses”, etc.).
    Dans les entreprises centrales et les fournisseurs de premier rang, l'organisation syndicale demeure élevée, le travail a tendance à être stable et les salaires à être relativement hauts (jusque quand ?), tandis que la flexibilité repose sur le consensus. Dans les entreprises qui exécutent des activités à faible valeur ajoutée, le travail est plus instable et nettement moins bien rémunéré et les relations industrielles sont sensiblement plus individualisées.
    L’accélération de la mondialisation (pour être au plus près du marché) et la production au coût moindre (pour inonder de nouveaux marchés) vont conduire en Europe et aux Etats-Unis à des suppressions massives d’emplois dans le secteur automobile. Ce sont principalement les sous-traitants de rang 2 qui vont trinquer. Avec toutes les conséquences désastreuses que cela va entraîner au niveau local. Mais espérons que cela puisse amener à une réflexion sur le système “tout bagnole”

    Camille
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