Courant alternatif n°168 Avril 2007


  • SOMMAIRE
  • Edito p. 3
  • AGRICULTURE
  • L'agriculture biologique bientôt transformée en agriculture bio-industriel chimique. p.4
  • SANTE
  • La grippe aviaire, une guerre au peuple de la terre. p.6
  • SPECULATION
  • Crise du logement, le pays basque n'est pas à vendre. p.9
  • SOCIETE INDUSTRIELLE
  • AZF : Une explosion légale? p.11
  • Point de vue
  • Grèves de la faim et droits des sans papiers. p.13
  • MEDIA
  • La "liberté de la presse"? Avec ou sans NET, c'est pas net ! p.15
  • ELECTIONS
  • Des jeux...mais pas de pain ! p.18
  • Rubrique BIG BROTHER
  • SANS FRONTIERE
  • OAXACA , la trajedie continue. p.21
  • POILICE PARTOUT
  • Rafler, expulser, réprimer; resistons à l'ordre policier ! p.22

  • EDITO
    En démocratie, c'est "marche toujours"…

    La société française est une société qui marche ; les citoyens et citoyennes de France sont des marcheurs et marcheuses, ils parcourent à longueur d'année des kilomètres et des kilomètres de rue et de boulevard, à travers toutes les villes de l'hexagone. Ils sont des milliers qui marchent, lentement, en courant par instant, en marche arrière ou en sautillant, au pas scandé par les musiques, les slogans … et ce genre de sport n'est pas prêt de disparaître, bien au contraire. En ce début d'année, nous avons marché pour soutenir les Sans-Papiers, les Sans Domicile Fixe, pour le maintien des emplois dans divers secteurs, pour le service public, contre le contrôle social, pour l'émancipation des femmes, contre le nucléaire et l'EPR, contre la guerre en Irak ou l'occupation américaine, contre l'invasion du Liban, pour la paix en Israël ou contre l'occupation en Palestine, pour la libération des prisonniers d'Action Directe, contre les OGM, etc.
    Les causes ne manquent pas et la générosité des Français est sans limite ; nous étions 50, 100, 1000, 5000 ou plus, notre satisfaction ou notre insatisfaction n'a pas de conséquence directe sur la prochaine marche. L'implication n'est pas à mettre en doute, ni la volonté de changer mais changer quoi au juste ? C'est ce qui parfois pose problème. Manifester contre l'EPR ou bien contre la société nucléaire ? Demander la libération des prisonniers d'Action Directe ou l'abolition de cette barbarie démocratique qu'est la prison ? Sauver les emplois d'Airbus ou changer le système de production ? Et changer le système de production ou abolir la propriété privée des moyens de production ? Et encore, gérer cette abolition par un Etat central ou par des collectifs et une organisation horizontale de la production ? Etc. Mais ce n'est pas pour cela qu'il faut minimiser l'intérêt de ces mouvements, marches et manifs ou toute autre forme d'expression de solidarité, de résistance car l'intérêt "de tel ou tel mouvement ne réside pas seulement dans son degré de radicalité mais dans la dynamique qui lui est propre. Un mouvement social sectoriel, contestant peu l'ordre établi, peut être un lieu en pleine évolution, parce que les brèches qu'il crée montrent des gens en train de découvrir, d'aller à leur rythme vers plus de radicalité, c'est-à-dire de contestation et de compréhension de l'ordre établi, de conquérir davantage d'autonomie. A l'inverse un mouvement parvenu à un stade plus avancé de radicalité et de contestation peut se trouver dans une situation bloquée, composé essentiellement de militants ne produisant plus ni avancées ni ruptures." Cependant on constate de plus en plus qu'il y a une remise en cause des arguments dits radicaux ou rupturistes ou révolutionnaires avec des motifs divers : "en attendant le grand soir, il faut quand même avoir quelque chose à grignoter!" ou bien priorité donnée aux luttes "écologistes" car en cas de catastrophe il n'y aura plus de luttes sociales et adieu le grand soir …. alors, laissons la lutte de classes de côté et concentrons-nous sur "une sortie très rapide du nucléaire".
    On voit là poindre une pensée unique et dominante dans ce vaste secteur des revendications et des résistances à l'évidente démocratie citoyenne.
    Que ce soit sous le prétexte de la réforme ou de l'unité des luttes, il s'agit d'effacer les marques visibles de l'inégalité -que l'on nomme pudiquement différences- et de faire croire au plus grand nombre des exploité-es que, si ce monde est rude, c'est ensemble et uni que l'on pourra le mieux s'y adapter en le modifiant juste là où cela fait trop mal et ainsi maintenir le système coûte que coûte. Seulement cela coûte toujours aux mêmes : le travail rémunéré n'enrichit que les très hauts salaires et n'émancipe que la classe au pouvoir, ceux-ci forment une élite qui se reconnaît non pas au son d'un chant guerrier ou à l'ombre d'un drapeau mais plutôt autour des fluctuations de cotations boursières. L'agitation médiatique électorale actuelle n'arrive pas à occulter tous les mouvements de résistances à l'ordre policier, financier, industriel, etc., en un mot au capitalisme.
    Mais les "luttes partielles ne remettront jamais par elles-mêmes le système en cause : c'est pourquoi il est fondamental de travailler à leur mise en rapport, à leur rencontre et leur jonction pour que se forge une vision globale des enjeux." Car la "force du réformisme c'est sa capacité à trouver des réponses, à fournir des porte-parole, des représentants, à séparer les problèmes les uns des autres, et donc à mettre en avant des spécialistes de chacun d'entre eux (environnement, économistes, juristes, …) qui entretiennent des rapports de connivence avec les institutions et encouragent des attitudes de passivité, de prise en charge, de suivisme." Depuis 1945 la gauche crie : "le fascisme ne passera pas!" à la moindre occasion : contre de Gaulle, contre les CRS et la police, contre Le Pen, ou contre Sarkozy pour faire barrage à tout ce qui pourrait nous faire perdre le peu d'espace de libertés qui nous reste et défendre ainsi leurs valeurs de gauche ! Si l'autoritarisme est un réel danger, il l'est d'autant plus qu'il emprunte les habits de la démocratie, du droit, de la liberté qui n'a de sens que pour ceux et celles qui ont les moyens d'en jouir, et aucune sirène ne peut nous faire croire qu'en perpétuant ce système d'exploitation, un autre futur est possible. C'est bien ici et maintenant que notre vie est en jeu et nous ne laisserons quiconque en abuser au nom d'un bien commun qui n'a de commun que l'entente frauduleuse des capitalistes du monde entier.

    mars 2007, Figeac.


    AZF : une explosion légale ? Pendant que nous vendons nos âmes au diable …
    Il y a un peu plus de cinq ans, le 21 septembre 2001, l'explosion de l'usine AZF(1) à Toulouse faisait de nombreux morts et blessés. Les officiels considèrent cette explosion comme la plus grande "catastrophe industrielle" française en métropole. Une catastrophe qui cache la forêt. De Bhopal à Tchernobyl, la liste est longue de tous ces retours de bâton industriels.

    La considération à l'égard de tous les disparus et de leurs proches rend indécente la volonté de donner une échelle de valeur associée à la puissance dévastatrice de ces drames. La catastrophe d'AZF reste certes tragique mais néanmoins relative sur le plan des dégâts physiques, moraux et environnementaux. Ils sont incomparables aux effets destructeurs, permanents, mondiaux, de la société capitaliste, de la société militaro-industrielle, aux effets dévastateurs de l'exploitation de l'homme, du vivant et de la planète. Ces deux derniers siècles, l'activité industrielle dite en situation d'exploitation normale compte à son actif un lot trop important de pertes humaines. Devons-nous rappeler à la mémoire collective toutes les morts, tous ces cancers et autres maladies environnementales, toutes ces nécroses radio-induites ou induites par la chimie ? Tous les décès dus à l'amiante, à l'exploitation du charbon ou de l'uranium … Toutes les proies de la production guerrière, des armes explosives, des gaz de combat et du mortel phosgène, fabriqués à Toulouse. Tous les sacrifiés sur l'autel du profit.

    Droit des victimes ou victimes du droit ?

    Le contrôle des réactions populaires, des turbulences sociales est la condition sine qua non d'une bonne gestion de catastrophe. Une politique fondée sur deux logiques complémentaires : l'usage du bâton, l'occupation militaire préventive de la zone touchée, la chape de plomb de la désinformation, l'individualisation, le traitement psychologique de la colère, la main-mise des organisations politiques citoyennistes sur la lutte des populations … et l'utilisation de la carotte, sous forme de compassion/compensations pécuniaires.
    Hormis pour les Toulousains qui l'ont vécu dans leur chair, une fois médiatisée, cette explosion n'est plus apparue que comme un sujet d'actualité, un événement spectaculaire alimentant la causerie ; une nouvelle source d'angoisse et de charité, un objet de consommation télévisuelle. De la violence, du sang, des larmes, des lamentations, du recueillement et des prières, de la haine, du désir de vengeance, une foule de questions, de suspicions … de mises en accusation réclamant la mise en pâture de boucs émissaires. De la matière première vivante, du justiciable, coupable ou même pas, pain béni quotidien des administrations vampires, des organes répressifs de l'Etat, de la Justice en particulier. L'indépendante Justice des hommes, celle qui juge en toute intégrité et condamne en notre nom, au nom du peuple et des victimes en particulier. L'état de victime estampillée donnant droit à une légitimité pour régler des comptes … mais attention, pas de vindicte rageuse, non, plutôt de la sacro-sainte justice se posant en rempart, en arbitre. N'acceptant de mécontentement que de la part de victimes reconnues. Des associations de victimes en colère réclamant justice. Des associations au pouvoir renforcé, agréées par l'Etat, qui seules peuvent prétendre à la légitimité institutionnelle pour déposer une plainte recevable, qui seules ont accès aux dossiers. Finalement des associations gestionnaires et garantes du bon déroulement des mécanismes judiciaires institués. Des associations qui confinent le règlement du conflit au cadre fixé par la Loi.
    Peut-être parce que cette explosion était, elle aussi, tout à fait légale. Le risque n'était-il pas connu, contrôlé, légiféré, inévitable et accepté ? Tous les Toulousains vous l'auraient dit : "un jour ça va péter".
    N'est-il pas incohérent de faire appel à la justice pour déterminer si cette explosion fut un traumatisme légal ou pas ? Pourquoi semble-t-il si vital de pointer du doigt un suspect ? Pour l'exemple, pour que finalement il soit reconnu responsable mais pas coupable d'un système d'exploitation dangereux mais légal ?
    Quoiqu'il en soit, les victimes associées font donc appel à la justice pour régler leurs dédommagements, pour les assurances mais aussi et surtout pour châtier un coupable. La punition infligée serait expiatoire pour l'accusé. On suppose que pour les plaignants, le jugement rendu prend une dimension rédemptrice et les soulage de la douleur ressentie, leur apporte une reconnaissance officielle. Ils savent pourtant que jamais les représailles ne répareront le tympan crevé ni ne ramènera à la vie la personne perdue.
    La justice évalue donc la gravité des faits pour punir le coupable et indemniser la victime selon des codes en vigueur. En fonction des situations, elle regroupe ou isole les accusés. Elle fait de même pour les victimes.

    Désigner des coupables pour protéger les responsables

    Dans notre cas, c'est toute la collectivité qui est concernée et responsable d'inconscience. Comment peut-on laisser un tel système social se développer, une telle industrie produire ses crimes ? Alors que l'Etat devrait endosser la responsabilité légale de cette explosion, et en assumer les conséquences, la justice, juge et partie, ne s'acharnera éventuellement que sur quelques lampistes, fussent-ils grands patrons ou hauts fonctionnaires. Le jugement ne sanctionnera que des boucs-émissaires et visera à des réparations individualisées. Chacun aura alors la sensation d'avoir assouvi au tribunal une vengeance personnelle bien méritée. Qu'importe la culpabilité avérée ou pas de l'accusé, sa comparution n'est que prétexte à une transcendance, un mythe populaire … Celui d'une justice juste, appliquant une juste punition face à la transgression de la loi. La valeur exemplaire de la peine donne aussi l'impression que l'œuvre pédagogique préventive, pour que plus jamais cela ne recommence, a été accomplie. La sentence remplace la lutte qui aurait pu changer le cours des choses et écarter le risque industriel à jamais.
    Dès les premiers jours de l'enquête diligentée ici, les conclusions ont été orientées pour qualifier cette catastrophe d'accident physico-chimique. Un sentiment que tous les experts officiels n'ont cessé d'argumenter jusqu'à ce jour ; thèse rejetée par l'industriel exploitant, à grands coups d'autres expertises tout aussi argumentées. Une bataille d'experts, où les "explosés" ne sont plus que de simples alibis consentants, spectateurs impuissants de leur propre avenir de victimes potentielles. Un simulacre identique a lieu lors de toutes les mises en scène de justice dans les tribunaux. Les débats excluent les principaux concernés pour entendre des experts à charge ou à décharge. Une parodie cruelle qui mène le "bas" peuple dans les basses fosses. Toujours pour trop longtemps.

    Alors que le procès de cette explosion doit bientôt se tenir, des questions légitimes restent toujours en suspens. Pourquoi sont-ils morts ? Pourquoi et comment avons-nous explosé ? Avons-nous le droit de connaître la vérité sur cet "événement"? … Des questions précises et terre-à-terre se posent aussi. Pourquoi tous ces dysfonctionnements électromagnétiques, dont cette coupure électrique environ 8 à 9 secondes avant l'explosion, par exemple ? Ignorée volontairement par les juges, cette dernière induit des hypothèses, des plus sérieuses aux plus farfelues, sur l'origine de l'explosion.
    Nous revoilà alors pris dans la spirale de nos contradictions, transformés en enquêteurs, en auxiliaires de police, en procureurs interrogeant les experts pour conclure sur les investigations que seuls, effectivement, les experts peuvent mener. Nous voilà promoteurs de notre propre impuissance, restant seuls face à un système qui finalement récupère nos aspirations et nous étouffe tout en se justifiant.
    Pour certains, le fait de faire condamner Total, dernier exploitant d'AZF -après l'Etat, via Elf aquitaine - semble être devenu la priorité ; un point d'honneur anticapitaliste à la sauce alter-mondialiste qui dédouanerait l'Etat.
    D'autres voudraient mettre en cause l'Etat, ses fonctionnaires, le Préfet ou la Direction Régionale de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement (DRIRE) sous le prétexte qu'ils n'auraient pas contrôlé le processus industriel et la sûreté des installations, assurer la sécurité des riverains, ni fait respecter la réglementation.
    Au mieux, pousser les deux coquins sur le banc des accusés passerait pour une victoire de la démocratie et de l'Etat de droit, une démarche citoyenne de résistance civique. En quelque sorte, l'arroseur arrosé par un tuyau percé.
    Il ne manque plus qu'une loi, une vraie loi sur le risque industriel pour finir de rassurer. Des organismes de contrôle indépendants, des périmètres de sécurité élargis, des masques à gaz pour les riverains, des abris, des pastilles d'iode, des agréments d'experts, des bataillons d'experts et des couillons. Malheureusement, les adeptes de la croissance, du progrès et de la science érigée en religion, ouailles bêlantes prosternées devant les prêtres experts, croyants consommateurs de vérités toutes faites, son toujours légion et fiers de l'être.

    La Justice s'en mêle, comme si il n'y avait pas assez d'injustice ?

    La gestion de cette catastrophe majeure est vraiment un bel exemple de soumission populaire. Soumission à la version officielle des faits et aux nécessités de l'économie, mais surtout à l'autorité judiciaire. Quel grand et beau procès à venir, quand la justice s'occupera de tous ces travailleurs qui produisent les merdes de la consommation courante, et à l'occasion les armes de destruction massive !

    Mais nous n'en sommes pas là, et il faut dépasser le drame, aller de l'avant. Le site AZF sera dépollué avant sa reconversion. Une nouvelle activité plus "respectable" mais tout aussi lucrative s'y développera et engendrera son lot d'aberrations quotidiennes et, certainement, une prochaine fois, une nouvelle catastrophe … Mais, non, c'est un cancéropôle inoffensif, c'est un complexe de santé avec des bio et des nanotechnologies qui verra le jour. Chouette ! Sur un terrain dépollué, propre. Super ! Et puis les malades participent à la croissance, ils font vivre tout un secteur en pleine expansion. Alors ? Plus question de "karchériser" la ville de ses industries cancérigènes et mortifères ? Ni de ses possédants, décideurs, technocrates, magistrats et curés ? Dommage.
    Malin, le système. Il repose sur la récupération de nos contradictions profondes, dont notre désir justifié de vérité et de justice sociale ; mais surtout, il repose sur le non-dit et le mensonge permanent. Sous peine de passer pour un empêcheur de tourner en rond, tout le monde doit faire semblant d'y croire. Semblant de croire au souvenir, même si la mémoire est distordue par de vilaines cachotteries, de croire à l'arbitrage de l'Etat se droit et à l'Etat social qui assure la soumission légiférée et consentie ; et surtout en la Justice, qui ne serait pas une justice de classe au service des riches, des industriels et des patrons syndiqués. Une justice qui pour notre cas particulier, reconnaîtrait l'injustice de notre malheur en échange de notre confiance aveugle, les yeux fermés sur l'arbitraire quotidien des tribunaux.
    "AZF, c'est fini" titrait le journal "La Dépêche"(2) … "On a gagné" s'exclamait le collectif Plus jamais ça, alors que la Société Nationale des poudres et Explosifs (3) reprenait ses activités mortifères : la production du carburant des missiles nucléaires… "Tous aux urnes" reprenaient les organisations citoyennes : "les conflits sociaux se règlent dans la légalité devant les juges, pas dans la rue". Pourrait-il en être autrement ?

    Claude, Toulouse

    1-AZF ensemble pétrochimique construit en 1950 ; l'usine de fabrication d'engrais agricole a explosé le vendredi 21 septembre à 10h20 du matin faisant 30 morts officiellement, plus de 2000 blessés sur un rayon de près de 3 kms et endommageant les habitations, vitres et devantures
    2-La Dépêche du Midi, quotidien régional, qui s'intitule lui-même "journal de la démocratie", a multiplié ses ventes pendant les premiers mois de suivi de l'événement et a publié un spécial AZF avec photos apocalyptiques du site
    3-SNPE, usine militaire reconvertie en établissement public à gestion privée qui jouxte le site d'AZF

    La " liberté de la presse " ? Avec ou sans Net, c'est pas net !
    On nous rebat les oreilles en France depuis maintenant des décennies avec la " défense de la liberté de la presse " (voir les campagnes menées contre Hersant dès les années 70), et on nous appelle depuis des mois à un " sursaut citoyen " pour voler à son secours, en empêchant qui la fin de Libé qui celle du Monde. Mais comme ce discours provient des hautes sphères politiques et médiatiques, un décodeur s'impose pour voir en clair une image du " droit à l'information " astucieusement proposée ici brouillée.

    On s'aperçoit alors que la menace invoquée pèse non sur les médias dans leur ensemble mais sur la presse écrite, ou, plus exactement, sur une presse quotidienne " nationale " (PQN) qui recouvre en fait les quotidiens parisiens - les régionaux se portant assez bien (en particulier Ouest-France et Sud-Ouest), de même que la presse spécialisée ou " de loisir ".
    On s'aperçoit aussi que la mobilisation recherchée autour de la " liberté de la presse " est une belle arnaque à dénoncer comme telle, pour trois raisons principales. D'abord, les rédactions de la PQN sont composées de représentant-e-s de l'élite intellectuelle qui soutient globalement les institutions en place, et donc la " liberté d'opinion " pour laquelle nous devrions nous battre se situe sur une palette de fines nuances dégradées du bleu au rose, mais toujours de bon ton (on voit d'ailleurs que la situation de France-Soir, trop " populo ", ou de L'Huma, encore trop " coco ", bouleverse et agite assez peu les " défenseurs de la démocratie "). Ensuite, le lectorat de la PQN appartient également pour l'essentiel aux classes moyennes, de Paris et d'autres grandes villes, qui défendent lesdites institutions - la baisse des ventes observée provenant pour partie de l'attraction de cette clientèle habituelle vers le Net, par lassitude de la soupe insipide que servent les quotidiens et recherche d'un menu plus alléchant. Enfin, non seulement, dans un système capitaliste, l'acquisition et la concentration des moyens d'information par des marchands d'armes et d'avions ou des banquiers est de pure logique, mais encore les médias sont l'outil qu'utilisent les détenteurs de tout pouvoir pour faire passer la propagande nécessaire à la perpétuation de ce pouvoir.
    La " liberté de la presse " dans les termes où on nous la présente nous concerne donc fort peu : participer à la " bataille " (de type pétitionnaire et juridique, ou par l'actionnariat !) pour arracher Libé des griffes d'un Rothschild ou Le Monde de celles d'un Lagardère, sinon pour arrêter la multiplication de " gratuits " coupables de " concurrence déloyale " (comme si l'info financée partiellement par la pub était " meilleure " que celle financée uniquement par elle), n'empêchera en rien cette presse d'être aux ordres et son information partisane. C'est pourquoi il faut dénoncer non seulement la mainmise du patronat et des banques sur les médias en général, mais aussi la prétendue objectivité des journalistes et la parfaite hypocrisie de leur direction (la décision prise par Le Monde de lancer finalement son " gratuit " en étant un exemple de plus).

    La peur de ne plus maîtriser l'info à donner

    En réalité, l'agitation actuelle autour de la PQN traduit pas mal les craintes de la classe dirigeante de voir se réduire, avec le développement tous azimuts de nouveaux moyens de communication, le contrôle de l'opinion que favorisent les médias classiques. Ecrans et images occupent en effet aujourd'hui une place toujours grandissante dans les sociétés modernes ; et la " révolution technique " déjà réalisée - avec la puce de mobile, le Net à haut débit, les caméras numériques, les logiciels téléchargeables de traitement de l'image, ainsi que la possibilité de diffuser leurs contenus via le Net - met à la portée des personnes qui en ont les moyens financiers les outils pour faire elles-mêmes des images et du " son " ou pour diffuser une information à un coût très bas, à travers les blogs et les sites. De ce fait, la frontière entre les pros de la communication et ces amateurs, appelés par les " spécialistes " " éditeurs de contenu ", s'estompe (même si ces derniers s'alimentent beaucoup auprès des médias traditionnels) ; et le " média conversationnel " qui apparaît avec le Net entraîne de profondes transformations socioculturelles puisqu'il ne respecte pas la classique séparation entre diffuseurs et récepteurs de l'information.
    Cette évolution inquiète suffisamment les dirigeant-e-s politiques et médiatiques pour qu'ils cherchent à la fois à la nier et à la contrôler. Si, à contrecœur, les différents titres de la PQN, les stations de radio et les chaînes de télévision ont ouvert leur site afin d'offrir une info en ligne, ils parlent rarement de ce qui se passe sur le Net : selon un article d'Internet actu de juillet 2005, il existait en 1995 à la télé nationale trois émissions régulières quotidiennes ou hebdomadaires ayant pour thèmes multimedia et cyberspace ; dix ans plus tard, elle n'en proposerait plus, et n'aurait consacré aux blogs une de ses principales émissions de reportage qu'en juin 2005. Enfin, quand le Net y est mentionné, c'est le plus souvent dans de courts sujets visant à en souligner les risques ou le côté inquiétant, à coups de réseaux pédophiles démantelés ou de nouveaux virus dévastateurs.
    Une telle attitude est d'autant plus remarquable que les médias ont l'habitude, on le sait, de se citer mutuellement, et même de se mélange : les " revues de presse " des radios résument ce qui est publié dans les journaux ; des journalistes de presse écrite ou radio interviennent, en tant qu'intervieweurs ou à titre d'experts, dans des émissions-débats TV ; les journaux commentent les programmes télé tandis que les chaînes nationales annoncent la sortie de tel magazine imprimé… Surtout, les émissions télé consacrées à la… télé abondent, le propre des médias étant de parler d'eux-mêmes. Mais le Net est, lui, quasiment absent de toute cette autopublicité, et semblable marginalisation ressemble bien à un choix politique quand, dans le même temps, il devient un terrain commercial d'importance.
    Cependant, ignorer le " virtuel " ou le présenter comme un lieu fréquenté par des foldingues d'informatique recourant à un langage abscons inconnu du " grand public " est devenu un exercice difficile, vu l'ampleur prise par le Net dans les usages de consommation et les modes d'ingestion de l'info. Sans s'arrêter au milliard de connexions réalisées, nous dit-on, par le site de la Nasa le 4 juillet 2005 (à l'occasion de la collision programmée entre Deep Impact et la comète Tempel-1), une forte proportion de la population en France utilise à présent le Net pour une raison ou une autre ; et une bonne part des internautes y suit en détail et en direct les événements majeurs de l'actualité mondiale. De plus, les dépêches d'agence, autrefois privilège des journalistes, sont maintenant en accès libre sur la plupart des portails : chacun-e peut y piocher, avec une immédiateté inédite, tel événement qui sera souvent traité plus tard par la presse ou la télé.
    Cette concurrence par rapport aux médias classiques est amplifiée par le fait que la principale source d'information concernant le Net est le Net lui-même. En effet, l'habitude d'y recourir est susceptible d'accentuer toujours davantage le décalage par rapport à l'info proposée ailleurs, puisque celle qui est trouvable en ligne est particulière tant dans la forme que dans le fond : les internautes, surtout dans les jeunes générations, établissent en permanence une hiérarchisation personnelle de l'actualité qui est souvent éloignée des unes des médias traditionnels.
    Si tous ces changements ne constituent évidemment en rien une garantie contre la manipulation des esprits, ils peuvent entraîner un rejet croissant du traitement médiatique classique - en particulier, là encore, dans les jeunes générations. Le " mouvement anti-CPE " de l'hiver dernier a ainsi fait clairement ressortir la fracture existant entre les gens de pouvoir et la jeunesse mobilisée : pendant que Villepin défendait son projet sur TF1, les jeunes en discutaient sur les forums des blogs ouverts pour l'occasion (30 000, paraît-il) ; les deux adversaires utilisaient donc deux médias différents, et le Net a joué un rôle important dans la force de la mobilisation - comme pour le mouvement altermondialiste antérieur. (A noter que la " fin de l'écrit " si fréquemment prédite n'y a pas trouvé là sa preuve, car si la jeunesse actuelle boude assez livres et crayons, on a constaté à cette occasion que cela ne l'empêche pas de lire ou d'écrire sitôt qu'elle a accès à un écran et un clavier.)

    Le pouvoir des journalistes fragilisé par l'impact du Net

    D'après une étude récente, les ados européens passaient en 1983 deux heures trente par jour devant un écran qui était en général celui de la télé, contre quatre heures dix-sept minutes aujourd'hui. En réalité, ils-elles font à présent du cross media, en regardant plusieurs écrans (d'ordinateur, pour échanger paroles et musiques sur le Net ; de téléphone mobile ; de console…) en même temps. Mais si la TV semble perdre de son attractivité pour cette catégorie d'âge, c'est également le cas pour les autres générations, au bénéfice de ce qu'offre le Net. Le " petit écran " d'antan ne restera peut-être pas longtemps le lieu emblématique du spectacle et du " débat " public (quoique la campagne électorale actuelle procure de gros scores à certaines émissions politiques), en grande partie parce qu'il est désormais possible de regarder un programme quand on le veut, en l'enregistrant (le film du dimanche soir sur TF1 a fait les frais de la VOD, ou " vidéo à la demande ", qui présente un catalogue de produits visionnables selon son gré sur l'écran d'une télé, d'un ordinateur, voire d'un mobile…). La possibilité et l'exigence de cette consommation à la carte de l'image viennent ainsi bouleverser les règles du jeu et les positions de force des principaux acteurs existant sur le marché de l'info : le média fixe de moins en moins le programme, l'événement donnant de plus en plus le rythme - on le voit avec la finale du Mondial de foot ou le face-à-face ultime de l'élection présidentielle, qui ne tolèrent aucun différé.
    Du fait de cette évolution, non seulement le Net tend à occuper la place qu'avait la télévision jusque-là, mais il ne cesse d'englober, d'absorber les autres médias, son succès les forçant peu à peu à mettre en ligne leurs émissions et articles, et à devenir des multimedia pour ne pas perdre leur clientèle. Quant aux journalistes, ils-elles se sentent dépossédés de leurs prérogatives ici comme là. En effet, dans les médias classiques, ils-elles ont parfois du mal à mener la danse au cours des " débats " (les équipes Bush et Kerry négocient directement entre elles les conditions de la campagne présidentielle américaine à la télé, Ségo et Sarko imposent leurs volontés aux chaînes françaises…) ; et du mal à conserver leur pouvoir de censure et de contrôle sur l'info à donner. Spectacle oblige. Un mouvement de grève… de deux heures observé le 21 novembre 2006 par la rédaction du Progrès pour protester contre le fait de réduire les " journalistes à un rôle de sténo et le journal à une chambre d'enregistrement " l'illustre bien. A l'origine du conflit, l'opération menée conjointement par le quotidien lyonnais et RMC pour répondre à une étude montrant le lectorat toujours plus désireux de " direct ", et qui consistait à faire animer une série d'émissions-débats par les personnalités politiques invitées. S. Royal avait inauguré la formule en mai ; son côté " scandaleux " a sauté aux yeux des journalistes six mois après, lorsque l'" animateur " s'est appelé Le Pen. En 1995, Le Parisien avait utilisé pareille recette, mais le compte rendu du débat n'avait suscité aucun remous journalistique, officiellement parce qu'il était publié à côté d'enquêtes sur le FN et son dirigeant ; pour la présidentielle de 2002, le même quotidien avait réitéré en s'alliant à RTL, sans susciter plus d'agitation. Mais, a expliqué le SNJ-CGT, les journalistes avaient alors reçu lecteurs et auditeurs sélectionnés avant leur rencontre avec un candidat ; et ils-elles avaient choisi ensuite les extraits à publier ou à envoyer sur les ondes - bref, ils-elles avaient été à même d'user de ce fameux " filtre journalistique " qui nous garantit l'objectivité de l'info… par sa mise en conformité, exercice que leur a refusé le Progrès.
    Avec le Net, les journalistes ont du souci à se faire dans la mesure où l'échange entre " experts " et " citoyens " s'effectue sans intermédiaires dans les sites et les blogs. Un autre exemple, pris en Corée du Sud celui-ci, est éclairant : le site Ohmynews est réalisé, à 70 % de son contenu éditorial, par et pour ses 40 000 " citoyens-reporters " réguliers ou occasionnels. Leurs textes et images mis en pages sont complétés par 70 journalistes, tandis qu'un espace est laissé sous chaque article pour les commentaires des internautes et qu'une " boîte à pourboires " sert à féliciter les auteur-e-s, à partir d'un téléphone mobile. Devenu le sixième média du pays, ce site mélange infos nationales, locales et personnelles ; il possède une capacité de mobilisation (il a paraît-il fortement contribué à l'élection du Président Roh Moo-hyun en 2002) et est une source de financement (il a donné en 2004 les fonds pour poursuivre un travail historique public, sur la colonisation japonaise de 1910 à 1945, qui avait été gelé par les députés). Cette forme de journalisme, baptisée en 2000 users generated content (" contenus produits par les particuliers ") et qui s'exporte grâce aux opérateurs de téléphonie (comme la Softbank au Japon), ne laisse plus guère aux gens de presse que leur savoir-faire - réduit à leur capacité de synthétiser toutes les infos en circulation et d'arriver à imposer un agenda à une actualité que le Net rend de plus en plus volatile.
    Face à la dispersion des sources d'information par l'effet cumulé des nouvelles technologies et de la forte demande émanant du public, ses fabricants officiels, craignant d'en perdre le monopole, soulignent facilement les risques de désinformation et de manipulation inhérents au Net ainsi que l'absence d'" objectivité " des non-professionnels. Mais si ces risques sont bien évidemment réels dans un espace public " virtuel " où chacun-e peut faire courir n'importe quelle rumeur comme vérité vraie, les médias classiques sont bien mal placés pour donner des leçons de déontologie, le catalogue de leurs " bavures " ayant la grosseur d'un annuaire ; et pour ce qui est de l'" objectivité " dont ils se font les défenseurs, elle n'est à attendre nulle part et de personne… vu qu'elle n'existe pas.

    Au royaume de l'image, le profit reste le roi

    Quant à nous, nous n'avons pas plus de raison de pleurer la " fin de la presse écrite " existante que de nous enthousiasmer pour la " nouvelle info " apportée par l'informatique. Non seulement parce qu'il y a toujours lieu de se demander pour qui et pour quoi existe tel ou tel produit (voir encadré), mais encore parce que, même sans le Net, on connaît la désinformation induite par le tout-info, cette avalanche de données qui rend impossible une véritable réflexion dessus.
    Pour finir, on aurait tort de croire, d'une part, que le Net est vraiment menacé par les sphères dirigeantes, et, d'autre part, qu'il les menace, dans un système dont le mot clé demeure le profit. Les investissements publicitaires le concernant traduisent au contraire son intégration grandissante aux échanges économiques : en Angleterre, ils sont déjà supérieurs à ceux de la presse régionale et de la radio ; en France, ils représentent 9 % des parts du marché, contre 12 % pour la radio ; aux Etats-Unis, Google en attire 28,3 % (ce moteur de recherche, qui a doublé ses bénéfices en un an, a une valeur boursière équivalente à celle de Yahoo, eBay et Apple réunis), et son PDG souligne son intérêt pour " apporter une publicité à la fois utile au spectateur et plus efficace à l'annonceur ". Par ailleurs, si les industries du disque, du cinéma et du showbiz ont d'abord considéré le développement du P2P (" pair à pair ", qui permet un téléchargement gratuit de musique) comme une attaque frontale contre elles, elles cherchent de nos jours davantage les moyens d'en tirer bénéfice que d'en freiner le développement.
    Les élites intellectuelles et politiques sont à la vérité elles aussi engagées sur ce chemin, parce qu'elles ont pris conscience que le formidable outil de " démocratie directe " dont on qualifie souvent le Net n'échappe pas à la réalité du système capitaliste. De fait, que pourrait-il avoir de vraiment inquiétant pour les classes dirigeantes ? Son origine militaire (la CIA), le poids des Etats-Unis dans sa structuration même (notamment avec Microsoft) et les facilités de flicage qu'il induit (toute activité en ligne étant contrôlable, depuis les courriels jusqu'à la fréquentation d'un site) sont là pour les rassurer. Au bout du compte, si le Net distrait le " peuple " par une consommation toujours accrue, en lui donnant de plus l'illusion de pouvoir prêter sa voix à la chanson qu'elles continuent de lui passer, tout ne va-t-il pas encore pour le mieux dans le meilleur des mondes ?


    Vanina

    Des jeux... mais pas de pain !
    Quelle est la différence entre Nicolas Sarkozy et Segolène Royal ? Ils payent tous les deux l'impôt sur la fortune, mais l'un paye son billet de train tandis que l'autre, son billet de train elle paye. Tout comme certainement François Bayrou et Jean-Marie Le Pen l'ont toujours fait. Décidément, nous ne sommes pas du même monde ! Les preuves abondent chaque jour.

    La France risquait de s'ennuyer. Les compétitions sportives serrées qui entretiennent le suspense, permettent aux journalistes d'exister et à la vie d'être moins terne, battent de l'aile cette année : rien n'empêchera plus Lyon d'être champion de France, l'incertitude ne demeure plus que pour les dernières places. Certitude également pour l'épopée de la petite reine, ce sera un dopé qui remportera le Tour de France ! Heureusement le match qui oppose, tous les 5 ans seulement hélas !, les candidats à la présidentielle s'annonce, cette fois, encore plus serré. L'indécision est entretenue par les sondeurs, bichonnée par les médias ; le spectacle est superbe dans l'arène, les blogs déblatèrent, les paris font les délices des zincs et des dîners en ville. Les compétiteurs sont plutôt compétents et, pour quatre " grands " du moins, parviennent à paraître différents tout en disant la même chose. Du grand art !
    Sarkozy avait placé, on s'en rappelle, " l'effort récompensé " au cœur de sa campagne (voir CA février 2007). Il a encore rajouté une couche aux accents pétainistes, à la suite des " incidents " de la gare du nord : " La vérité c'est que rien n'est gratuit, que tout se mérite, c'est que le travail crée le travail. Moi je veux contruire avec cette jeunesse un avenir où chacun recevra selon son mérite, ou chacun aura sa chance ". Une pensée précisée par l'invitation faite aux jeunes à forcer leur destin : " Je veux que chacun d'entre vous, chaque jeune fille, chaque jeune homme [...] puisse se dire "pourquoi moi aussi je n'essaierai pas de forcer mon destin ?" ". Seul problème, cette précision n'a pas été apportée par le candidat lui-même mais par sa supposée opposante, Segolène Royal dans le cadre d'une rencontre avec les jeunes dans le Puy-de-Dôme où elle a conclu ainsi : " Forcez votre vie ! Saisissez votre liberté ! ". Il est vrai que le travail rend libre ! La candidate socialiste précisait en plus qu'elle aussi avait forcé le destin en faisant des études et en refusant de " rester aux fourneaux " (pas de problème puisque son couple s'offre les services d'une bonne, en attendant mieux sous les lambris élyséens). Sarkozy aussi rappelait qu'il ne devait à personne le fait " d'en être arrivé là où je suis ", mais à sa pugnacité et à ses efforts. Sachant que le nombre de postes ou de positions sociales " arrivée " à prendre dans une société est limité et non extensible et que, de surcroît, il existe encore quelques esprits chagrins pour qui l'arrivisme n'est pas une qualité, ces déclarations, conformes à une idéologie parfaitement élitiste, en disent long sur le sort qui sera fait aux ratés de la réussite, aux mécréants de l'effort, aux fainéants de l'ascenseur social !
    Eh bien rassurez-vous braves électeurs. Celles et ceux-là ne seront pas les oubliés du socialisme de l'ordre juste, Royal vient de dégainer une nouvelle arme : Le contrat première chance. L'Etat financerait pendant un an le salaire et les charges des jeunes sortant du système scolaire sans qualification qui seront recrutés dans le secteur du commerce et de l'artisanat. Autrement dit, Il offrira aux entreprises concernées, qui ne débourseront pas un centime, une main-d'œuvre pendant un an. Il sera simplement demandé à ces patrons de " respecter le jeune " et, s'il donne satisfaction, de " le recruter sur un emploi stable et durable ". Mais il ne s'agit là que d'un vœu, d'une incitation assortie d'aucune mesure contraignante. C'est un " pacte de confiance " dont on sait déjà ce qu'il produira : la grande majorité de ces jeunes pourront aller, au bout d'un an, s'inscrire, non plus à l'ANPE, mais dans les nouvelles officines privées de placement qui poussent comme des champignons en écartant progressivement la Grande Agence, jugée trop coûteuse en personnels, mais qu'on ne ne regrettera quand même pas. Le salaire de ces " employés première chance " sera modulé sur la base du smic mais négocié en fonction de la région et du secteur (une vieille idée de Royal pour éliminer définitivement le vieux " à travail égal salaire égal ".
    Comment cette mesure sera-t-elle concrètement mise en place et financée ? Rien n'est précisé pour l'instant sinon un coût fantaisiste de 1 milliard d'euros. Ce sera le boulot de la sociologue du travail Dominique Méda d'en finaliser la mise en place. Qui est Dominique Méda ? Après avoir constaté que le travail en tant que tel s'éloignait des préoccupations centrales des salariés et de la société tout entière, elle s'efforce depuis des années de promouvoir une forme moderne de réhabilitation du travail pour le réconcilier avec cet autre honorable pilier de la société, la famille. De gauche, il faut que le travail permette l'accession au temps libre, féministe il faut que le travail permette néanmoins aux femmes qui y ont accédé de s'occuper des enfants (avec le père quand même) et de réhabiliter la famille, il ne manquait à Méda que Le drapeau et La Marseillaise pour reconstituer une version de gauche moderne de la célèbre trilogie, c'est chose faite grace à la candidate socialiste. Cela ne fait qu'illustrer une vieille et constante préoccupation des socialistes : comment donner une apparence " de gauche " aux valeurs et aux orientations de la droite. Par exemple, dans un entretien avec des petits patrons la candidate a affirmé qu'elle ne veut ni démotiver ni culpabiliser " ceux qui gagnent de l'argent ". Sortir de " l'idéologie punitive du profit " a-t-elle précisé, version actuelle de la " réhabilitation de l'entreprise " des Mauroy, Rocard et Cresson des années 80. " Il n'y a pas de honte à faire du profit " précise-t-elle, comme si c'était une question de honte ! la mauvaise conscience appartient peut être aux électeurs de gauche, pas aux patrons qui n'ont nul besoin de l'imprimature de Royal pour ne pas être culpabilisés. La conséquence de ce salmigondi va quand même au-delà d'une simple mixture idéologique : " d'accord pour les délocalisations si l'entreprise réinvestit sur le terrtioire national ! ". Sous forme de villas sur la côte d'azur ou de l'acquisition de clubs de foot ? Rien ne les obligera à des investissements d'un autre type. Les délocalisés de la période apprécieront.
    Bref, tout le monde court après tout le monde dans la plus traditionnelle confusion et la démagogie la plus éhontée. Un paradoxe tout de même : alors qu'il n'a plus aucune chance d'être un jour élu, ni même de refigurer au second tour, Le Pen n'aura jamais été autant le moteur, la référence et l'élément dynamique de cette campagne. Sa conception du monde est comme une carotte devant tous les lapins du concours... Lui, tient la canne quelques pas derrière. Et dire qu'il y eu des gens de gauche pour reprocher à Rocard d'avoir dit que la France ne pouvait accueillir toute la misère du monde alors que le PS ne régularisera pas les sans-papiers (ce qui veut dire que comme avec Sarko ils seront expulsés) ; ou d'avoir reproché " les mauvaises odeurs " dans la bouche de Chirac... C'était le bon temps ! Et dire que l'argument suprême du PS est le vote utile au premier tour pour barrer la route à le Pen !
    JPD

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