Courant alternatif n°171 Juin 2007


  • SOMMAIRE
  • Edito p. 3
  • ELECTIONS
  • L'espritdeMai en campagne p.4
  • CITOYENNETE
  • Un projet de normalisation. p.6
  • Solidarité, encadrement, délation. p.6
  • De l'usage du citoyenisme en temps de crise. p.8
  • BIG BROTHER
  • La biometrie, c'est pratique et ça peut rapporter gros. p.10
  • REPRESSION
  • Election de Sarkozy: manifestation et répression. p.11
  • SOUS LES PONTS DE PARIS
  • Suite et fin d'une histoire commencée en famille. p.13
  • Eva Forest. p.14
  • Camping libertaire
  • SOCIAL
  • Vers la casse des régimes spéciaux de retraites p.16
  • Rubrique BIG BROTHER
  • NUCLEAIRE
  • Fuite en avant malgré les "incidents". p.19
  • ROMS
  • La situation des Roms en France (2). p.20
  • La loi et les Roms. p.22
  • EXPLOITATION

  • EDITO
    Le niveau politique en France est-il en train de tomber aussi bas qu’aux USA ou qu’en Italie avec Berlusconi ? Le croisement possible des deux bateaux illustrant notre couverture entre Malte et Lampedusa illustre bien le décalage entre la politique spectacle et les problèmes politiques réels.
    Nous avons assisté à une campagne présidentielle pleine de vedettes, de stars, de coups de théâtre et de retournements de vestes. La référence au décorum des campagnes à l’américaine a même déteint sur la photo officielle du nouveau président où les drapeaux français et européens mêlés évoquent irrésistiblement le drapeau américain. Sa concurrente a joué quasiment sur le même registre du look, du nationalisme et de la citoyenneté.
    A ce petit jeu, il ne reste pas grand-chose de la gauche et nous avons assisté à un véritable zapping médiatique entre les thèmes “ people ” et les vrais sujets politiques. Même si quelques sujets sensibles (SDF, Ecologie par exemple) ont été abordés, ils ne deviennent sujets de la campagne que s’ils sont portés par les média autour d’événements ou de personnages “ porteurs ” médiatiquement parlant ; dès qu’ils cessent de faire les “ unes ”, les politiques les mettent de côté.
    Avec l’escroquerie du “ vote utile ”, il n’y a plus de démocratie possible, plus moyen de voter selon ses convictions, ou de se faire plaisir par un vote de protestation. Or quelle utilité pourrait-il y avoir à voter pour un candidat ou l’autre alors qu’ils sont prêts à promettre tout et son contraire ?
    Avec des styles différents, les discours des deux prétendants au trône de France (à ce stade de personnalisation, ce n’est plus un simple fauteuil de président) révèlent les mêmes priorités : l’ordre et la sécurité dans le cadre du développement capitaliste, permettant même parfois au centriste d’apparaître comme plus social.
    Des grands problèmes internationaux, des conflits dans lesquels les partis au pouvoir depuis des décennies ont engagé la France, il n’en a pas été question à part chez quelques “ petits ” candidats.
    Pourquoi les vrais problèmes sociaux ne sont-ils pas porteurs de vrais débats ? On est dans une société de lobbying où il n’y a plus d’engagement à partir d’où on est (sauf pour quelques exclus). On fait des discours sur ce qui serait souhaitable tout en refusant de rompre avec le consensus républicain. On reste dans la compassion pour éviter d’évoquer des mesures qui pourraient renverser l’ordre établi.
    Donc c’est une campagne à l’américaine (avec moins d’effets paillettes quand même) : personnalisation, valeurs abstraites, nationalisme, tout sur l’apparence, presque rien sur le fond. D’où l’importance du JE : “ Je veux… Je ferai… ”. Chacune des deux vedettes de ce show a mis l’accent sur la toute puissance qu’il aurait et qui lui permettrait de résoudre les problèmes de chacun, et cela allant presque jusqu’au pouvoir divin de guérir les écrouelles ou faire marcher un paralytique. A quand leur béatification ?
    En ces temps de campagne, il n’y a pas eu de grosses mobilisations mais pourtant beaucoup de luttes locales ou sectorielles (cheminots, grande distribution, postes…). Les partis de la “ gauche de la gauche ” et les syndicats ont très peu relayé ces luttes pour ne pas perturber le jeu politicien.
    Il y a moins de luttes de préservation de l’outil de travail que dans les années 70-80 car les conditions de travail ont tant empiré que le licenciement peut apparaître comme un espoir de trouver mieux, même si c’est une illusion.
    Il y a peu de luttes solidaires (sauf RESF, anti-OGM, résistances à action policière) car dans ces actions là, on se donne bonne conscience sans remettre en cause son confort personnel (sauf cas où on devient à son tour victime de répression policière).
    On est vraiment en période de “ trêve des confiseurs ” : il y a accumulation d’insatisfactions sans que cela débouche sur des luttes et des analyses globales. Peu de média non militants s’y intéressent en dehors de quelques émissions d’une radio publique. Les élites politiques et les média sont déconnectés des réalités de la vie des classes populaires et défendent tous le même système.
    Comment les vraies raisons du chômage et de la précarité ont-elles été écartées des débats ? En rejetant toute la faute sur les étrangers (que ce soient les immigrés, les patrons de multinationales ou les deux, selon les nuances du politicien qui tient le discours).
    Qu’est ce qui pourrait remettre les gens en mouvement ? La politique du pire ? C'est-à-dire l’ami des patrons appliquant ce qu’il y a de plus dur dans son programme ? Même pas sûr…
    “ L’ascenseur social est en panne ”. Au niveau des générations, on constate un phénomène nouveau : Les parents ayant moins de moyens, ce sont les grands-parents (ceux qui bénéficie d’une retraite correcte issue de leur travail lors des “ trente glorieuses ”) qui aident les petits-enfants. Les parents n’ont plus les moyens et les jeunes plus d’espoir d’avoir une vie autonome. Bientôt ça va finir par craquer…
    Pour l’instant, c’est autour de nous, de notre petit morceau du monde où il y a encore suffisamment de nantis, ou du moins de personnes arrivant à préserver une vie “ décente ”, que cela commence à craquer. Cette barque pleine à craquer d’émigrants africains tentés par le mirage des pays riches en est le témoignage. Elle ne pourra qu’être déstabilisée en croisant le yacht de luxe, mais si elle ne coule pas, elle pourrait bien l’accoster et ses passagers pourraient flanquer l’armateur, le capitaine et leurs valets par-dessus bord. Rêvons un peu…

    Limoges le 28.05.07


    L’esprit de Mai en campagne
    “ Ce que nous voulions, c’est mettre des mots sur ce dont tout le monde parle dans cette campagne. Que ce soit Royal, avec son ordre juste, ou Sarkozy, avec sa volonté de revaloriser le travail, on voit bien que tout le monde prône exactement le contraire de 68. Seulement, à cause de sa base militante, la candidate socialiste ne peut pas aller jusqu’au bout. Nous, si. Nous sommes à la fin du cycle de 68. ”
    Henri Guaino

    Décidément, les “événements” n’en finissent pas de les gratter. Mais qu’est-ce qui leur prend de polémiquer à propos de “temps anciens” auxquels ils n’ont pas participé et que le commun des sexagénaires n’évoque plus que sous l’emprise d’une vague nostalgie ? Ségolène Royal comme Nicolas Sarkozy y sont allés une fois de plus de leur couplet sur Mai 68, comme, avant eux et à chaque élection, Jacques Chirac, François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing et Georges Pompidou, ou comme, régulièrement, des ministres de droite ou de gauche lors des grands mouvements sociaux qui animent le pays depuis 1995. Quarante ans après, le spectre les hante encore.

    Ségolène Royal ouvre le bal...

    Nul ne pouvait pourtant la soupçonner de flirter avec une pensée contestataire, aussi anodine soit-elle. Son passage entre 1997 et 2000 à l’Education nationale comme déléguée à l’enseignement scolaire ne laissait aucun doute là-dessus : une loi sur l’autorité parentale qui reconcentrait nombre de compétences entre les mains de l’autorité judiciaire, donc de l’Etat, et réhabilitait le “rôle fondateur des parents” (1) ; des déclarations remarquées sur les vêtements de jeunes filles ; une opposition à la diffusion d’une publication de prévention du sida dans les écoles et collèges sous prétexte d’“incitation à la débauche” ; des certitudes proclamées sur la culpabilité de tel ou tel pédophile (2), tout cela indiquait un puritanisme de mauvais aloi, parfois criminel, mais pas encore une attaque frontale et globale contre cette “fameuse pensée de 68”.
    C’est au fur et à mesure que la campagne officielle approchait que la candidate s’est située plus franchement aux antipodes de cette pensée (3).
    D’abord, avec son “ordre juste” (dont elle ne précisait pas la nature : hiérarchique ? autogéré ? égalitaire ? naturel ?,divin ?), qui est un coupé-collé de l’encyclique Deus caritas de Benoît XVI, loin de toute réminiscence contestataire, même vague.
    Ensuite avec sa volonté de remettre la famille “au centre de la société”, qui doit, elle aussi, plus à l’Eglise qu’à cette “révolution” qui fit subir à la famille triangulaire des assaut inégalés depuis !
    Enfin, avec sa surenchère sur l’identité nationale, Marseillaise et drapeau en sautoir, quand Mai 68 se moquait bien du patriotisme et se voulait internationaliste.
    Nous eûmes droit, en outre, à de multiples couplets puant l’ordre moral, point par point opposables à la “pensée de Mai 68” : l’argumentation, dans un premier temps, contre le mariage homosexuel (2) au nom de la défense de la famille traditionnelle – et non, comme le Fhar (Front homosexuel d’action révolutionnaire) des “temps anciens”, en vue de combattre et de ridiculiser le mariage en tant que tel ; le rétablissement de l’autorité contre l’“interdiction d’interdire”, l’encadrement disciplinaire et militaire des jeunes (4) contre Ivan Illich, la pédagogie institutionnelle ou la non-directivité ; les sorties répétées à propos du beau métier de militaire et de son admiration pour la DGSE, quand elle prend la défense de son frère impliqué directement dans le meurtre du militant de Greenpeace dans l’affaire du Rainbow Warrior en 1985, face à l’antimilitarisme viscéral de Mai 68, aux comités de soldats, aux mouvements d’insoumis et d’objecteurs ; l’appel, le 28 mars 2007, à un retour du service militaire ; la proposition de mise sous tutelle des allocations familiales des “familles dépassées par le comportement de leurs enfants”... (proposition identique à celle de Sarkozy et conforme aux tentatives réalisées dans des communes de la ceinture parisienne par des maires UMP)... Chaque justification de ces mesures, prises ou à prendre, était toujours assortie, implicitement ou explicitement, d’une allusion à cette “culture de 68” qu’il fallait “oublier” ou “dépasser”.
    Cela n’avait pas échappé à Edith Cresson, une autre ennemie notoire de 68, qui avait déclaré rayonnante, au milieu de la campagne électorale : “Ségolène Royal, c'est la fin de mai 1968. La fin d'une époque sympathique mais avec ses dérives, ses bobos *attachés à leurs privilèges, méprisants pour le peuple et qui pensent avoir la science infuse.” Elle précisait que la candidate marquait la “fin de Mai 68 avec le retour de l’autorité dont on a besoin (5)”.

    ... Sarkozy s’y invite

    l faut croire que Sarkozy n’entendait pas se laisser piquer un créneau qui permettait à la fois de caresser gentiment l’électorat lepéniste tout en rassurant ceux qui pestaient contre cette “génération 68” qui leur barrait la route en s’acharnant à garder le pouvoir avec les bons postes !
    C’est au meeting de Bercy, le dimanche 29 avril, entre les deux tours, qu’il se réapproprie – et avec quelle hargne et violence ! – le thème fort prisé de la fin de 68. “Liquider une bonne fois pour toute l’héritage de Mai 68” : “ceux qui criaient CRS-SS prennent systématiquement le parti des voyous, des casseurs et des fraudeurs contre la police”, avait-il auparavant déclaré après les incidents de la gare du Nord.
    Selon lui, l’héritage de 68 c’est : “le relativisme intellectuel et moral”, “la liquidation de l’école de Jules Ferry”, “l’introduction du cynisme dans la société et la politique”, et “l’abaissement du niveau moral de la politique”. Si le cynisme et l’abaissement moral, ce ne sont pas les diamants de Giscard, les scandales de la mairie de Paris, l’affaire Clearstream, celle des écoutes téléphoniques, du Rainbow Warrior, de la gestion sarko-balkano-pasqualienne des Hauts-de-Seine, les parachutes dorés et j’en passe des tonnes, nous les avons tous en mémoire, c’est quoi ? Où sont les soixante-huitards là-dedans ?
    Enfin, gardons l’argument le plus inattendu pour la fin : “Voyez comme le culte de l’argent-roi, du profit à court terme, de la spéculation, comment les dérives du capitalisme financier ont été portés par les valeurs de 68.” Il fallait le dire ! Faut-il rappeler que le 24 mai 1968, à la veille de la négociation de Grenelle, c’est bien la Bourse de la finance et non celle du travail que les émeutiers brûlèrent ?
    Mais peu importe la vérité, les harangues électorales sont là pour galvaniser les troupes et lancer quelques clichés qui rejoindront d’autres âneries dans les livres d’histoire pour l’édification des enfants, telles celles sur le colonialisme dans les livres de l’école de Jules Ferry. Nul besoin d’être agrégé d’histoire pour se rendre compte que les arguments et les exemples cités par Sarkozy et ses complices n’ont rien à voir avec une quelconque vérité historique mais répondent à des objectifs propagandistes.
    Pourtant, pour fausse que soit cette vision, elle n’en est pas moins révélatrice d’un trait de la “culture” et de l’univers sarkoziens. Le nouveau président traduit le “Jouissez dès maintenant sans temps mort et sans entrave”, censé représenter la pensée de 68, par “Gagnons vite de l’argent, profitons-en au maximum”... Ce qui indique à quel point sa conception de la jouissance et du plaisir est limitée au strict domaine du fric et du pouvoir !
    Cet assaut contre 68 n’est évidemment nullement surprenant. La pensée sarkozienne, conforme en cela à celle de la droite, a toujours été opposée à ce que représentent et disent ces années. L’élément nouveau, c’est que cette fois elle accompagne et se greffe sur un courant intellectuel qui, de Max Gallo à Finkielkraut, de Houellebecq à Taguieff en passant par Régis Debray, Marcel Gauchet ou Alain Soral, supposés avoir été de gauche, voire soixante-huitards, œuvre depuis une quinzaine d’années à faire accepter le monde tel qu’il est, à combattre les “folies” comme les grèves de 1995, et finalement à déculpabiliser les critiques de la culture soixante-huitarde.
    C’est cet appel d’air provenant d’intellectuels en vue qui a permis aux transfuges de la gauche, dont Kouchner est l’emblème, de passer sans dommage à la droite parlementaire. Et ceux qui s’en étonnent ou s’en offusquent n’ont jamais voulu voir que ces gens étaient, au mieux, de bien timides et tardifs soixante-huitards, par mode plus que par conviction (6).
    Face à cette offensive sabre au clair, impossible pour la candidate du PS de faire de la surenchère dans la hargne et la falsification antisoixante-huitarde. Donc, Royal devant impérativement répondre et s’opposer à Sarkozy à quelques jours du second tour dut, sur ce sujet, prendre le contrepied de ce qu’elle affirmait quelques semaines auparavant, sous peine de voir les “messages se brouiller”,comme disent les “communiquants”.
    Elle défendrait donc, cette fois, Mai 68... mais après moult précautions d’usage : “Moi je ne souhaite pas que la France parvienne à cet état de blocage pour précisément susciter comme en Mai 68 des révoltes, des revendications, des grèves qui ont tout bloqué tout simplement parce que le pouvoir refusait d’écouter et de redistribuer les richesses des trente glorieuses.”
    “Il y a eu des excès”, rajoute-t-elle, mais pour aussitôt s’attribuer le mérite d’“avoir recadré les choses” par le passé : “J’AI fait une loi sur l’autorité parentale” (voir plus haut).
    Précautions prises, madame “Moijeu” énumère les avancées de “son Mai 68” : les “accords de Grenelle”, la “section syndicale d’entreprise”, la “revalorisation des salaires”, la “reprise de la croissance”, le “droit des femmes à la contraception” (7).
    Sur les accords de Grenelle (hausse de 25 % du smic et de 7 puis 10 % des salaires réels, baisse du temps de travail à 40 ou 44 heures, création de la section syndicale d’entreprise, assouplissement de l’âge de la retraite), rétablissons quelques vérités historiques. Ils sont signés le 27 mai 1968 après deux jours de négociations entre patronat, gouvernement et syndicats. Or Ségolène Royal, qui rappelle à juste titre, et incite Sarkozy à s’en souvenir, que Mai 68 c’est d’abord 11 (sic) millions de grévistes avant d’autres aspects plus “sociétaux” qu’elle prise moins, oublie de préciser que ces ouvriers qu’elle appelle au secours REFUSERENT les accords de Grenelle ! C’est le 27 mai 1968 que se déroule le fameux épisode, immortalisé par de nombreuses images et prises de son, où Georges Seguy se fait conspuer par les ouvriers de Renault Billancourt ! Ce ne furent que plusieurs semaines plus tard que, rentrée dans le rang après avoir voté et revoté, la classe ouvrière finira par “accepter” ces accords, et après de multiples retouches. Elle omet en outre de nous expliquer comment il aurait pu y avoir ces accords SANS l’état de blocage, ces révoltes et ces grèves qu’elle s’est en préambule empressée de condamner. Elle entre ainsi par la grande porte dans le cercle des faussaires de l’Histoire !
    Le 68 que Ségolène tolère, c’est celui de la capitulation de la classe ouvrière appuyée par des syndicats qu’elle désirerait, pour l’avenir, beaucoup plus puissants qu’ils ne le sont, mais à condition d’être plus intégrés encore dans le système pour contrôler du mieux possible cette classe ouvrière, comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne.
    C’est celui de la récupération par les forces institutionnelles... et, à ce propos, le choix du stade Charléty par Royal pour son dernier meeting, centré sur Mai 68, n’est pas le fait du hasard... Charléty, c’est 68 mais le début de la fin de 68, la récupération par les partis de gauche, la présence de Mendès France avec Mitterrand en coulisses, l’affirmation de Rocard, la fin des grèves qui se profile... C’est ce 68-là qui plaît à Ségolène Royal.
    Ce Mai 68 toléré, voire loué, est tout aussi réducteur et partisan qu’est imaginaire celui de Nicolas, qui y voit l’origine du capitalisme financier et de l’esprit de spéculation ! Là encore, ces deux-là finissent par se rejoindre dans la volonté d’éradication de toute culture critique de la société capitaliste. Et si certaines mesures mises en œuvre par le nouveau président ont été approuvées par Royal qui y a vu un hold-up sur son propre programme, c’est bien que ce qui les sépare est tout juste affaire de “communication” et de “méthode”.

    JPD

    * Une des caractéristiques des bobos, c’est un certain attachement à la consommation alors qu’il nous semblait qu’en 1968 c’était la CRITIQUE de la société de consommation qui prévalait. Les bobos étaient à peine nés alors... Ils sont de la génération Mitterrand, superposable à la gauche caviar, en moins huppés sans doute, mais bourgeois tout de même.
    (1) A l’époque, un grand nombre d’associations féministes critiquèrent vertement cette loi, accusant la ministre d’avoir été pénétrée par le “lobby masculiniste”. La critique s’est envolée dès que la plupart de ces associations décidèrent de soutenir la candidate.
    (2) On consultera avec profit les textes de Act-up au début de la campagne ainsi que le dossier sur le suicide de l’enseignant Bernard Hanse suite au dérapage de Royal. Il suffit de taper Bernard Hanse sur internet et tout y est !
    (3) Voir CA n° 163, “Voter Ségo contre Sarko ? Et puis quoi encore !”, novembre 2006.
    (4) ...ou par toute “profession en uniforme qui incarnent la République”. Il faut être particulièrement tordu pour voir un rapprochement entre Mai 68 et des uniformes incarnant la république ! Il est vrai que certains ex-supposés “gauchos” estiment que le port de l’uniforme à l’école serait un moyen de lutter contre les inégalités sociales, confirmant ainsi que la confusion entre le déguisement et la réalité est une chose très partagée.
    (5) A signaler que le directeur de cabinet de Royal, Christophe Chantepy, fut le conseiller technique d’Edith Cresson... un expert en succès électoraux !
    (6) voir CA n° 158, “Les nouveaux réactionnaires au service d’une nouvelle alliance gauche-centre”, mai 2006.
    (7) Notons que le droit des femmes à la contraception date de... 1967 de par la loi dite “Neuwirth” – du nom d’un député gaulliste – qui autorise la mise en vente libre de la pillule anticonceptionnelle, et que c’est Simone Veil et Giscard qui font voter la loi sur l’avortement en 1974.

    Un projet de normalisation
    A l’automne dernier, à Limoges, lors du procès d’un jeune manifestant interpellé à la suite d’une manifestation contre la venue de Sarkozy, le parquet a requis en plus d’une peine de Travail d’intérêt général, l’obligation de suivre un stage d’apprentissage à la citoyenneté, c'est-à-dire d’intégrer un ensemble de normes, de valeurs, de comportements afférents au statut de citoyen. Cette réquisition du représentant de la société semble étrange si on la met en perspective avec le fait que la citoyenneté se trouve au cœur du consensus républicain, en tant que valeur quasi sacré et que dans le cas présent, elle devient un moyen de punition. Cela n’est pas sans évoquer le travail en Union soviétique, à la fois valeur sacrée et instrument de punition inscrit dans le système pénitentiaire, en Sibérie. Dans la même période, l’Observatoire international des prisons (OIP) initiait ses Etats généraux de la condition pénitentiaire. L’objectif de cette démarche était de rappeler aux candidats aux élections présidentielles que les détenus étaient aussi des citoyens, privés de liberté mais étant également et malgré tout, détenteurs des droits qui vont avec (sauf celui d’aller et venir). Le 10 octobre dernier, deux sénateurs ont déposé un projet de loi visant à créer un service civique citoyen, aux motifs que l’individualisme dominant nos sociétés engendrerait des “ incivilités ”, distendrait le “ lien social ” et avec pour objectif de recréer les “ solidarités traditionnelles ” en réponse au désarroi de nos “ concitoyens ” et qu’il y aurait confusion entre droits et devoirs. La Journée d’appel à la défense qui a remplacé le service militaire va dans le même sens. Le candidat Bové qui se veut le candidat de la “ société civile ”, a employé ad nauseam ce mot valise qui veut dire tout et son contraire. Les sans papiers, les chômeurs, les précaires se sont souvent situés sur ce terrain, ces dernières années, avec des revendications portant sur la conquête de nouveaux droits. Il nous a donc semblé opportun de revenir sur ce concept, de voir par qui il est porté et ce qu’il signifie. Ce dossier comprend deux parties. D’une part, un premier article évoque les terrains et les cibles du citoyennisme, dans le domaine de l’insertion et de l’éducation . D’autre part, nous avons repris des éléments de réflexion, plus théoriques, dans le numéro hors série de Courant alternatif sur le citoyennisme, paru en 2003 et dont la lecture est toujours aussi stimulante.

    De quelques aspects pratiques du citoyennisme Solidarité, encadrement, délation

    L’invocation de la citoyenneté est toujours porteuse d’une injonction à faire bloc. Elle a principalement pour but de rassembler les populations autour de valeurs qui sont présentées comme devant être communes. En cela elle cherche à gommer les antagonismes de classe, d’origine ou de position sociale. C’est un discours qui cherche à rassembler tous les “ bons ” citoyens contre ceux qui par leur comportement s’excluent de fait de la collectivité.


    La solidarité citoyenne : un cautère sur une jambe de bois

    Pour les plus humanistes, l’invocation de la citoyenneté se fait autour d’une nécessaire solidarité, mais une solidarité gérée par l’Etat. L’appel des “ Enfants de Don Quichotte ” dans leur “ Charte du canal st Martin ” en est un des plus éclairants exemples récents. Dans leur préambule, ils proclament :
    “ Nous, citoyens et citoyennes, refusons la situation inhumaine que vivent certains d’entre nous, sans domicile fixe. Nous voulons que soit mis fin à ce scandale, à la honte que cela représente pour un pays comme le nôtre.
    La Constitution garantit le droit à la dignité, à des moyens convenables d’existence, et nous avons un devoir d’assistance à personne en danger.
    N’acceptons plus que les plus fragiles ou les plus pauvres soient laissés au bord de la route.
    L’Etat doit mettre en place dès aujourd’hui une politique ambitieuse garantissant l’accès de tous à un vrai logement.
    Il faut rompre avec les solutions provisoires, les logiques d’urgence qui aggravent la précarité et conduisent certains à une mort prématurée.
    Pour la dignité de tous. ”
    Tout y est dans ce texte :
    - l’indignation (appuyée par des termes redondants) des bons citoyens face à une situation jugée inhumaine ;
    -l’englobement dans un même “ nous ” des bons citoyens et des pauvres “ laissés au bord de la route ” (mais que l’on ne laisse pas vraiment s’exprimer eux-mêmes) ;
    - l’ambition, décrétée commune : “ un vrai logement ” ;
    - l’absence de réflexion sur les causes concrètes qui créent les SDF ;
    - l’appel à l’Etat pour organiser la solidarité.
    Les valeurs idéologiques qui sous-tendent les intentions des animateurs vedettes de ce mouvement sont connues. En tant que bons chrétiens, la vue de ces pauvres à la rue leur fendait l’âme. Mais comme “ charité bien ordonnée commence par soi-même ”, comme pourrait le dire Augustin, il faut trouver qui faire payer, et à ce moment-là, l’Etat est bien pratique. Quand ils seront relogés dans des HLM de banlieue, les SDF ne leur gâcheront plus la vue et peu importe s’ils y crèvent de misère.
    Evidemment, il y a bien d’autres courants “ humanistes ” qui invoquent la citoyenneté pour tenter de pallier au développement de la misère. Cela va donc des chrétiens traditionalistes, jusqu’aux associations proches du PC. Chacun peut, lorsqu’il en a les moyens, donner son obole ou son temps de citoyen solidaire en fonction de sa sensibilité. Le seul ennui, c’est que toute cette débauche de bonté citoyenne ne change jamais vraiment la situation des plus pauvres (ne produisant qu’un mieux-être provisoire) et encore moins la société.


    L’encadrement citoyen : la soumission aux règles

    Pour être un vrai citoyen, il ne faut pas oublier que l’on a avant tout des devoirs. Le premier devoir du citoyen c’est celui d’aimer et défendre la patrie et ses valeurs. Je ne m’étendrai pas sur ce thème que Nicolène Royozy et Ségolas Sarkal ont si bien chanté en duo (couvrant un peu les basses qui s’épuisent à le brailler depuis des années).
    Juste un petit rappel ; même si le service militaire n’existe plus, depuis la restauration des liens entre l’école et l’armée au début des années Mitterrand (protocole Hernu-Savary), l’école a toujours un rôle à jouer pour instiller “ l’esprit de défense ”. Le dossier sur “ Citoyenneté et défense ” paru il y a 7 ans dans Textes et documents pour la classe, Revue du CNDP pour la diffusion de la pédagogie officielle est introduit ainsi par Jacqueline Costa-Lascoux :
    “ L’enseignement de la défense en éducation civique, le recensement, la Journée d’appel de préparation à la défense constituent trois étapes d’une pédagogie de la citoyenneté. Mais la défense doit redéfinir ses objectifs pour inspirer aux jeunes générations le sens du bien commun, la volonté de se battre dans l’intérêt général, quitte à sacrifier un certain bien-être, des privilèges, voire sa vie, pour un idéal partagé. Seule la protection des droits de l’homme et de la démocratie semble aujourd’hui avoir un sens assez fort pour représenter une mission qui justifie de combattre. ”
    On voit bien que cette pédagogue, plus au fait que Ségolène des thèmes auxquels la jeunesse peut être sensible a l’habileté de remplacer les symboles que sont le drapeau et la Marseillaise par les valeurs des droits de l’homme et de la démocratie.
    Bon, ça c’est pour les vrais petits français, les jeunes qui sont nés ici ou au moins allés à l’école depuis leur plus jeune âge. Mais pour former des citoyens, il y a aussi un boulot éducatif à faire auprès de tous ces étrangers qui s’installent en France. C’est ainsi que, grâce au fils d’un obscur immigré hongrois, tous les étrangers qui ne sont pas invités à prendre un charter de retour vers leur pays d’origine, pour montrer qu’ils souhaitent de leur plein gré s’intégrer à notre société doivent obligatoirement signer le “ Contrat d’accueil et d’Intégration ” et participer à une journée de formation civique.
    Former des citoyens en 6 heures, surtout lorsque certains ne comprennent pas encore le français, cela relève de l’exploit, alors on va à l’essentiel “ La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ”: On rappelle ensuite la devise de la République, le fonctionnement des institutions, l’égalité en droits, en particulier entre hommes et femmes. On insiste sur trois “ droits fondamentaux ” : la liberté, la sûreté “ qui garantit la protection par les pouvoirs publics des personnes et des biens ”, ainsi bien sûr que “ le droit personnel à la propriété ”… pour bien faire comprendre à ces étrangers qu’ils n’ont pas intérêt à être collectivistes ?
    Cela reste dans les fondamentaux classiques, mais on trouve aussi quelques recommandations plus folkloriques : L’ANAEM, agence qui pilote le dispositif, demande aux organismes de formation de se munir d’un drapeau bleu-blanc-rouge et de faire écouter la Marseillaise. Faisant du zèle, un organisme parisien de formation de formateurs (porté par des personnes d’origine turque, c'est-à-dire éduquées dans un système de valeurs nationalistes) en rajoutent dans l’adhésion à ces valeurs demandée aux formateurs. A l’issue de leur module, ceux-ci doivent être capables de “ donner une image positive de la France ”… des fois qu’il y aurait des formateurs rebelles qui oseraient critiquer cette belle nation ?


    Civisme et délation : quand la morale devient puante

    Le ministre de l’intérieur de ces dernières années souhaitait vivement favoriser les délations. Evidemment, pas celles de ces infâmes gratte-papiers qui harcèlent les honnêtes gens à propos de leur appartement, de leur week-end au soleil ou de leurs relations amicales. Non, il s’agit de permettre aux gentils policiers d’infiltrer les réseaux mafieux, aux serviables indicateurs de police d’être correctement rémunérés, aux “ repentis ” de bénéficier d’allègements de peine et d’une absolution morale, aux bons citoyens français de réagir civiquement face à l’immigration irrégulière et enfin au travailleurs sociaux de nous protéger de la délinquance dès le berceau.
    Comme certains français restent allergiques à ces “ bonnes pratiques ”, surtout depuis une épidémie de délation dans les années 1940, et que d’autres y sont tout autant attachés que leurs parents ou grands-parents l’étaient à l’époque, on peut dire que la société française est très divisée sur ce point. Lors d’un débat récent dans les pages de l’Express sur le thème “ La délation peut-elle être civique ? ”, Le philosophe André Comte-Sponville essaye de distinguer la dénonciation qui “ peut être acceptable, voire moralement estimable ” de la délation qui “ même intéressée ou haineuse ” peut être utile mais “ pas moins méprisable ”. Bref, la frontière est spongieuse…
    C’est au même genre d’exercice que s’est livré Nicolas Sarkozy lorsqu’il a répondu par courrier au collectif “ Résistance à la délation. Il est capable d’écrire (ou en tout cas de signer) “ Il n’a jamais été question dans mon esprit ni dans les projets du ministère de repérer des enfants ou des adolescents qui seraient des délinquants potentiels. ” et deux phrases plus loin : “ C’est fort de cette conviction que l’action publique doit favoriser la prévention, que cette prévention doit être aussi précoce que possible, que le partage de l’information est un préalable à toute coordination, que je soumettrai prochainement au parlement une (sic) projet de loi de prévention de la délinquance. ”
    On ne doit plus dire “ ce collabo avait dénoncé des juifs ou des résistants ” mais “ ce citoyen a partagé des informations avec les autorités compétentes. ” Enfin, on doit signaler que Sarkozy est en retard sur Tony Blair, l’un de ses modèles. Le 16 mai dernier, dans le cadre de la politique de lutte contre la criminalité , le gouvernement britannique a annoncé la mise en place d’un nouveau dispositif visant à mieux contrôler les enfants de “ familles à problèmes ” et ceci dès la seizième semaine après la conception !

    Alain


    Vers la casse des régimes spéciaux des retraites
    Le refus de la remise en cause du régime des retraites des cheminots était déjà l’un des points principaux de la grève des cheminots en novembre /décembre 1995 (1). 12 ans après, pour le pouvoir nouvellement élu, la remise en cause des régimes spéciaux est une de ses priorités (2) avec entre autres le “ service minimum ”. Avant même ces présidentielles, les patrons de la SNCF et le gouvernement ont tenté de faire passer un projet (externalisation en dehors de la SNCF de la caisse de prévoyance et de retraites ) qui s’avère être la première marche avant la casse définitive du régime des retraites des cheminots .
    Nous avons interviewé, fin avril, un cheminot – Christian – lors de l’une des émissions de l’Egrégore (groupe OCL/Reims).


    Egrégore : La remise en cause de votre Caisse de Prévoyance et Retraite (C.P.R.) semble avoir commencé par la transformation de ce qui est encore aujourd’hui un service à part entière de la SNCF en une caisse autonome. Peux-tu-nous en dire plus ?

    Christian : Cela a débuté en pleine campagne électorale pour les présidentielles. Cette première attaque va avoir des conséquences rapides pour les cheminots qui dépassent le corporatisme. C’est en fait la deuxième partie de la loi Fillon sur les retraites (2003) qui prévoyait, à partir de 2008, la remise en cause de l’ensemble des régimes spéciaux dont celui de la SNCF. Les travailleurs vont cotiser plus et plus longtemps pour avoir une pension à taux plein. Ensuite l’ensemble des régimes sera concerné pour s’harmoniser sur les autres pays européens en particulier Allemagne ou Angleterre …
    Partir à 67 voir 70 ans si on veut une retraite à taux plein ou adhérer à des fonds de pension si on a les moyens pour ne pas avoir une pension de misère.

    Egrégore : Cette sortie de la C.P.R. du giron de la SNCF est faite ?(3).

    Christian : On en parle depuis plusieurs mois mais finalement ce n’est pas encore fait car le décret n’est pas encore paru. Cela devait se faire en catimini avec la chape de plomb des élections présidentielles. Mais deux organisations syndicales - SUD-Rail et UNSA, 2e et 3eaux dernières élections – s’opposent à ce projet d’autonomie de la C.P.R.. (rejointes depuis peu par la fédération FO)

    Egrégore : Comment est justifiée cette autonomisation ?

    Christian : Depuis quelques années, les financiers décident des règles du jeu. Ils veulent mettre en place des normes comptables identiques dans toutes les entreprises. Des entreprises comme la SNCF veulent participer au grand jeu de monopoly : Rachat d’entreprises étrangères qu’elles privatisent (comme ce qui s’est passé récemment en Pologne), emprunts sur les marchés financiers internationaux. Elles sont donc contraintes d’appliquer les mêmes normes comptables internationales. Et il y a des représentants des salariés au Conseil d’Administration qui votent pour ce monopoly.
    Des scandales financiers aux USA ont accéléré ce changement dans la comptabilité. C’est ainsi qu’il faut provisionner dans les comptes toutes les dépenses prévisibles, y compris les pensions qui seront versées aux retraités jusqu’à leur mort. Cela remet en cause notre système de retraite par répartition qui veut que les pensions soient payées grâce aux cotisations sociales du moment. C’est comme si on demandait aux parents de mettre dans leur compte bancaire la totalité des dépenses futures de leurs enfants jusqu’à l’âge de 25 ans. La SNCF a ainsi calculé la somme à provisionner. Dans un premier temps, c’était 8 milliards d’euros, somme intégrable dans ses comptes. Puis, sans modifier grand chose, les comptables ont recommencé leurs calculs … et ils ont trouvé 111 milliards d’euros (voire 114 maintenant !) à provisionner. Ce n’est plus possible … Par un jeu d’écriture comptable, le gouvernement et la SNCF ont donc trouvé un prétexte pour sortir notre C.P.R. de la SNCF.
    La SNCF et le ministère des transports prétendent qu’une gestion autonome de cette caisse ne changera rien pour les cheminots, ils présentent cela comme une simple mesure technique. C’est faux ! L’objectif est de préparer la remise en cause des régimes spéciaux. Ils veulent réduire les cotisations patronales pour les retraites de la SNCF qui sont actuellement plus élevées que dans le régime général. C’est une remise en cause de dizaines d’années de luttes et d’acquis sociaux des générations précédentes car la création de cette C.P.R.date de 1910. Le patronat et le gouvernement à son service veulent abattre les remparts afin d’aller jusqu’aux 45 annuités pour tous ! Dès 2008, les 40 annuités augmenteront d’1 trimestre/an. Dans certains pays européens, on atteint d’ores et déjà le taux maximum de pension après 45 ans de cotisations. La France a pris du retard grâce aux mouvements sociaux de 1995. Il s’agit donc aussi de faire tomber ce symbole de 1995 où les cheminots s’étaient aussi battus pour tous !

    Egrégore : Le pouvoir vous fait apparaître comme des privilégiés. Il ne parle jamais des régimes spéciaux des militaires ni .. des députés. Qu’est ce que ce régime spécial qui tient tant à cœur des cheminots ?

    Christian : Parlons des avantages : Pour les agents de conduite (les roulants) c’est la retraite à 50 ans. Mais cela ne concerne que 17000 agents sur les 162 000 cheminots. Pour les autres, la retraite est à 55 ans.
    Les inconvénients : Les cheminots sont relativement moins bien payés que l’ensemble des autres salariés. Ils cotisent plus que dans le privé. Au final leur retraite est moindre car ils cotisent moins longtemps. Les cheminots reçoivent au maximum 67% de leur salaire brut comme retraite (75 % chez les fonctionnaires et jusqu’à 84 % dans le privé). La moyenne des pensions à la SNCF est de l’ordre de 1500 euros (mais 3000 cheminots ou femme de cheminots décédés touchent environ 1000 euros/mois) pour 1713 euros dans le privé.
    La C.P.R. des cheminots a toujours été viable, d’autant plus que leur durée de vie est plus faible que la moyenne nationale à cause des horaires de travail décalés.

    Egrégore : Quelle est la position de la CGT, premier syndicat à la SNCF ?

    Christian : Il faut distinguer la base de la CGT et sa direction.
    La direction de ce syndicat accompagne le projet en affirmant que c’est la moins mauvaise solution.
    Quant à la base, beaucoup refusent ce projet d’autonomisation de la C.P.R.. Ca bouge à l’intérieur de la CGT et certains en viennent à dénoncer publiquement (dans un texte : “ Où va la CGT ? ”) la cogestion de leur fédération avec la direction. Ils estiment qu’ “ un front commun des cheminots est nécessaire pour faire reculer la direction et le gouvernement ” et proclament : “ c’est à nous cheminots de décider de notre avenir … et non à une poignée de responsables ”.

    Egrégore : Comment expliques-tu ce positionnement des bureaucrates de la fédération CGT-cheminots ?

    Christian : On les achète par des postes d’administrateurs au nouveau Conseil d’Administration de cette caisse autonome. En se référant aux résultats des élections précédentes, la CGT va récolter 3 nouveaux administrateurs.
    Une autre explication : A chaque fois que le pouvoir veut faire avaler une couleuvre à la CGT, il ressort une casserole juridique où la direction de la CGT est impliquée. C’est ainsi qu’on reparle de la gestion du comité d’entreprise d’EDF (pactole de 1 milliard d’euros/an) par la CGT qui est loin d’être limpide. Ce n’est pas un hasard si le gouvernement brandit cette épée de Damoclès au-dessus de la tête de la CGT à chaque fois qu’il a un projet important de remise en cause des régimes de retraite.
    Une troisième explication : Au niveau de la fédération CGT et de la confédération, il y a des enjeux importants au niveau européen. La CGT est adhérente à la C.E.S. (Confédération Européenne des Syndicats) qui est elle-même affiliée à une confédération de syndicats au niveau mondial. Ce sont des bureaucrates qui accompagnent toutes les réformes du capitalisme et dans cette histoire, la CGT veut y faire son trou. Il y a des milliers de permanents en jeu, des sommes colossales. Pour la CGT, accompagner une grande réforme sur les retraites c’est quelque chose d’important pour prouver sa légitimité au sein de la C.E.S.. On peut citer le penseur de la CGT d’aujourd’hui, un certain Le Guigou, qui avait dit en 2003 : “ pour sauver la retraite à 60 ans en 2008, il faut accepter la fin des régimes spéciaux ”.

    Egrégore : Quelles sont les prochaines échéances ?

    Christian : Le fameux décret entraînant l’autonomie de la C.P.R. n’est, à ce jour, toujours pas paru. SUD-Rail revendique un large débat dans l’entreprise puis un référendum sur ce projet d’autonomisation de notre Caisse de Prévoyance et de Retraite car ce n’est pas un problème technique comme le disent les autres fédérations cheminotes (excepté l’UNSA) et les cadres.


    (1) Voir à ce propos le Hors série n°11 de C.A..
    (2) A noter, qu’avec le P.S. au pouvoir, l’ordre du jour aurait été très certainement le même si l’on en croit les dernières déclarations de S. Royal entre les deux tours.
    (3) Les décrets ont été signés le lendemain de l’élection de Sarkozy par l’ancien Premier ministre De Villepin, malgré cela la mobilisation continue (voir le précédent du CPE) ainsi que la demande d’un référendum sur ce sujet. Car le régime particulier des cheminots fait partie de l’identité forte des cheminot(e)s . C’est l’un des critères qui fait choisir la SNCF plutôt qu’une autre entreprise même si globalement les salaires sont relativement bas.


    La Loi et les Roms
    De la Troisième République (le carnet anthropométrique date de 1912) à la loi Sarkozy en passant par les lois vichystes, un traitement spécifique est réservé à ceux désignés par les législations successives comme “nomades” puis comme “gens du voyage” une étude chronologique des législations successives permet de saisir les fondements idéologiques de ces politiques et les mécanismes d’exclusion d'un Etat qui finalement n'admet jamais la différence.

    LOI DE 1912: LE CARNET ANTHROPOMÉTRIQUE OBLIGATOIRE POUR LES NOMADES

    On a déjà parlé de cette loi de 1912 établie par le gouvernement Poincaré (CA n°170). Pour comprendre son fondement, intéressons-nous à l’idéologie qui sous-tend de telles mesures et à la mise en place de ce carnet anthropométrique. Pour cela il est nécessaire de se replonger dans le contexte politique et idéologique de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Les théories racialistes, inspirées entre autres par Joseph Gobineau et son Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855), connaissent à ce moment leur apogée, l'affaire Dreyfus a pendant 12 ans (1899-1906) déchiré la société et a été l'occasion de l'expression d'un antisémitisme hystérique, de plus la République coloniale est en train de se mettre en place. Émergence et diffusion des théories racistes, lutte contre “l’errance ouvrière”, volonté assimilatrice et mission “civilisatrice ” de la République, émergence d’un nationalisme xénophobe, renforcement du contrôle social, voilà, pour résumer, l'esprit qui a conduit à l’adoption de la loi de 1912. Cela aboutit à une représentation de la société comme un organisme dont les ennuis sont perçus comme des maladies une manière d'envisager les problèmes sociaux qu'on retrouve aujourd'hui dans l'idéologie sécuritaire développée depuis une dizaine d'années. Notons que le Front populaire n’apporta aucune modification à cette législation.

    LOI DE 1969 : LA VOLONTÉ ADMINISTRATIVE DE SÉDENTARISATION

    Sans aucune considération des préjudices subis durant la guerre et sans qu’aucun dédommagement ou aucune compensation ne soient entrepris, les pouvoirs publics français reprirent dès les années 1950, puis dans les années1960, leurs pratiques discriminatoires envers les populations romanies. Une nouvelle législation est adoptée en 1969 (loi du 3 janvier 1969). Le carnet anthropométrique est supprimé, mais un livret de circulation est mis en place pour les commerçants ambulants et les caravaniers pouvant justifier de revenus réguliers, un carnet de circulation est créé spécifiquement pour les “nomades” tels que définis par la loi de 1912, c’est à dire ne pouvant justifier de revenus réguliers. Chacun de ces documents devant être présentés chaque trimestre, la non possession de ces documents pouvant être punie jusqu’à un an d’emprisonnement. La volonté de sédentariser administrativement les personnes itinérantes est l’élément déterminant de ce dispositif: L’instauration de la notion de “commune de rattachement”, qui ne sera pas annulée par les différentes lois Besson de 1990 et de 2000, est la marque de cette volonté. Symboliquement d’abord, par cette mesure, les pouvoirs publics affirment leur volonté de faire rentrer les “nomades” dans la norme et ceux-ci doivent donc,“ comme tout le monde ”, être dépendants d’une commune. Cette disposition n’est pas seulement symbolique. Ce rattachement est obligatoire et d’une durée de deux ans. La liberté de choix de la commune n’est pas totale car le préfet ou le maire de la commune peuvent s’y opposer. Comme d'habitude dans le baratin législatif les droits justifiant les devoirs. la loi de 1969 reprend l’essentiel des fondements de celle de 1912. Les Roms itinérants restent considérés comme de dangereux marginaux qu’il convient de faire rentrer dans le rang, non plus par une criminalisation systématique, mais par des moyens apparemment moins révoltants mais tout aussi arbitraires.

    LOIS BESSON : LE GRAND MALENTENDU

    La loi Besson, initialement proposée pour s’attaquer aux problèmes de logement des plus défavorisés, fut adoptée le 31 mai 1990. Sa disposition unique concernant les “ gens du voyage ” est contenue dans l’article 28. Celui-ci n’était pas prévu initialement et ne doit son existence qu’à une initiative parlementaire. La nouvelle loi n’annulait pas l’obligation du titre de circulation ni celle de la commune de rattachement, elle n’était accompagnée d’aucune sanction pour les communes récalcitrantes ou pour les départements n’ayant pas mis sur pied le “ schéma départemental d’accueil ” prévu par la loi. Le principal reproche que l’on peut faire à ce texte est de n’envisager les populations romanies qu’à travers une vision comptable des personnes...

    LES AMENAGEMENTS DE LA LOI DU 5 JUILLET 2000

    Les ambiguïtés, les défaillances, l’inapplication ou la mauvaise application des dispositions de la loi Besson, mais aussi et surtout les protestations des élus locaux rendirent nécessaire l’adoption d’une nouvelle loi “relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage” en juillet 2000. On peut surtout en retenir l’obligation, pour les communes de plus de 5000 habitants, de construire des aires d’accueil dans un délai de deux ans.
    En contrepartie à ces exigences, et c’était là le deuxième souhait de la commission Delevoye, le pouvoir des maires en matière d’interdiction du stationnement illicite et d’expulsion s’est trouvé nettement renforcé. Le nouveau dispositif permet aux municipalités d’accélérer les procédures d’expulsion lors d’un stationnement “sauvage” sur un terrain communal mais également sur un terrain privé.
    Si les élus locaux n’ ont pas obtenu, et il s’en est fallu de peu, le pouvoir de décider eux-mêmes de l’expulsion des contrevenants, ils pourront en tout cas saisir un juge afin d’obtenir une décision rapide.
    La moitié seulement des aires répondent aux normes d’hygiène et de salubrité selon un rapport (début 2002), les autres “ sont situées dans un contexte de nuisance et de risque : voie à grande circulation, voie SNCF, décharge, station d’épuration”
    Quels autres choix, dans ces conditions, que le stationnement “sauvage” ? Quelles autres alternatives aux tensions entre autorités locales et populations itinérantes? Parmi tant d’autres, l’expulsion en février 2002, d’un camp installé dans une zone industrielle d’Argenteuil, est à ce titre significatif. Les militants associatifs et les syndicalistes présents sur place pour témoigner leur solidarité à cette communauté dénoncèrent les conditions dans lesquelles cette expulsion fut ordonnée. Expulsion réalisée, en dehors de toute légalité puisque aucun référé n’avait été signifié.

    2002 : VERS UNE NOUVELLE LÉGISLATION D’EXCEPTION

    Avec la loi sur la sécurité intérieure (fév 2003) et la loi sur la sécurité intérieure (LSI été 2002), completées par le décret accompagnant la loi de prévention de la délinquance adoptée début 2007, la criminalisation collective et la suspicion généralisée sont clairement affirmées. Dans le même temps du vote de la LSI deux parlementaires, Richard Dell’Agnola et Christine Boutin, demandèrent la constitution d’une commission d’enquête sur “ le train de vie des gens du voyage”. Cette dernière a également présenté un amendement permettant d’utiliser les Groupements d'intervention régionaux (GIR), tout juste créés pour lutter contre “l’économie souterraine dans les quartiers”, afin de soumettre les Roms itinérants aux contrôles croisés des services de douanes, des services fiscaux et des forces de l’ordre. Une fois encore, la législation applicable aux “gens du voyage” n’est compréhensible qu’à travers le contexte politique propre à l’époque. Deux facteurs au moins ont concouru à la mise en place d’un tel arsenal répressif :d’une part, un climat politique omnibulé par les questions de sécurité depuis plusieurs années et, d’autre part, l’augmentation et la médiatisation de l’immigration en provenance de Roumanie, comprenant de nombreux Roms. Le gouvernement Jospin (1995-2002) avec la loi sur la sécurité quotidienne (LSQ, 2001), n’a pas failli à la tradition.

    Depuis janvier 2002, la Roumanie fait partie de l’espace Schengen, c’est-à-dire un espace de libre circulation pour les ressortissants des pays signataires. Les accord signés entre M. Sarkozy et son homologue roumain Loan Rus visent sans la nommer la minorité rom roumaine. Ils prévoient, entre autre, de faciliter les proc édures d’expulsions et impose à tout candidat à l’immigration de justifier d’une activité professionnelle (!), ce qu’évidemment très peu de Roms peuvent faire, vu le niveau de discrimination en Roumanie. On pourrait aussi citer les accords franco-espagnols conclus entre Sarkozy et son homologue espagnol Acebes en novembre 2002 : ils prévoient “l ’organisation de vols spécialement affrétés pour rapatrier ces collectifs d’immigrés illégaux avec une plus grande efficacité pour chacun des deux pays”. Sitôt dit sitôt fait, 63 roumains en situation irrégulière en Espagne ont été embarqués dans un vol charter à Madrid début décembre 2002. Après une escale à Paris où les autorités françaises ont embarqué vingt-trois autres “clandestins”,
    Par ces accords, les dirigeants européens dressent des murs internes à l’intérieur d’une Europe forteresse bâtie pour lutter contre l’immigration. La lutte contre les déplacements des pauvres “d’ailleurs ” se double de celle contre les pauvres “d’ici ”.
    La libre circulation est donc réservée aux touristes, aux hommes d’affaires, aux marchandises et aux capitaux.

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