ARRÊTONS LA RECHERCHE ! |
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Ce texte nous a été envoyé par un chercheur, suite aux mobilisations des chercheurs pour obtenir des crédits supplémentaires pour la recherche... |
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Quelques remarques très critiques dun chercheur à propos du mouvement Sauvons La Recherche Après avoir mené lan dernier des actions de protestation contre la politique gouvernementale de réduction des budgets de la recherche publique, le mouvement Sauvons La Recherche refait aujourdhui son apparition, parmi les manifestations et les grèves qui recommencent depuis quelques semaines. En ma qualité (fort provisoire) de chercheur, je voudrais expliquer ici en quoi ce mouvement me semble profondément nuisible et dans quelle mesure il concentre et diffuse un certain nombre dillusions sur le monde où nous vivons, et sur la situation périlleuse qui est la nôtre à lheure actuelle. Toutes ces illusions reposent sur un fait majeur, que le mouvement Sauvons La Recherche passe constamment sous silence : le fait quen travaillant au développement et au perfectionnement de la société industrielle, les chercheurs participent aussi à la production des ravages quelle provoque de manière de plus en plus évidente : destruction de la nature, enlaidissement des villes, falsification des aliments, dénaturation du travail et des rapports sociaux, atteintes de plus en plus manifestes à la santé physique et mentale, etc. Aujourdhui, les chercheurs réclament une fois de plus de largent pour la recherche publique. Ma position est la suivante : non seulement il faut leur refuser cet argent, mais il faut en plus imposer larrêt de la recherche publique autant que de la recherche privée. Cest le seul moyen efficace pour faire un premier pas en direction dun démantèlement de la totalité du système industriel, système dont le fonctionnement remet désormais en cause notre existence collective à léchelle planétaire. Les cherchent nient leur responsabilité dans les dommages quengendre la société industrielle Avant de proposer quelques moyens pour mettre un coup darrêt aux activités de la recherche scientifique et technique, je voudrais démontrer, dans les trois points qui suivent, la fausseté des arguments quutilisent traditionnellement les chercheurs (notamment ceux du mouvement Sauvons La Recherche) pour nier leur responsabilité dans les dommages quengendre la société industrielle. 1) Contrairement à ce que disent les chercheurs pour sinnocenter, il ny a pas de frontière nette, étanche, entre recherche fondamentale et recherche appliquée. En effet, on ne peut concevoir le développement des sciences et des techniques que de manière systémique, cest-à-dire quelles forment un ensemble dont toutes les parties sont interdépendantes, évoluant les unes en fonction des autres : le progrès de la recherche appliquée est donc inconcevable à moyen et long terme sans les apports de la recherche fondamentale. Les chercheurs le savent très bien, puisquils sopposent à un projet de loi qui prétend réduire le financement de la recherche fondamentale au profit de la recherche appliquée, en expliquant que sans la recherche fondamentale, la recherche appliquée nirait pas très loin. Mais ils sont prêts à dire exactement le contraire dès quon fait valoir que cest pour cette raison-là quils sont partie prenante dans la production des désordres graves causés par la société industrielle ; ils rétablissent alors comme par magie une disjonction absolue entre recherche fondamentale et recherche appliquée. La recherche fondamentale est dès lors présentée comme une activité pure (désintéressée, cest-à-dire aussi : innocente), nayant pour but que de faire progresser les connaissances scientifiques. Ce serait donc la recherche appliquée qui ferait un mauvais usage de ces connaissances, mais cest parce quelle est elle-même captive des financiers et des décideurs, et donc contrainte de servir leurs intérêts politiques et commerciaux. On le voit, derrière ces raisonnements contradictoires se cache un malaise très net : les chercheurs ont lintuition (voire la conscience) de leur responsabilité dans la marche catastrophique du monde actuel, mais ils refusent de lenvisager de manière frontale, dy réfléchir posément et den tirer toutes les conséquences qui simposent, pour sépargner la peine davoir à formuler une condamnation morale de leur propre rôle dans cette société. Ce malaise laisse entrevoir la possibilité dune révolte de ceux qui, parmi eux, auraient conservé un sens moral assez sain, en dépit du cynisme et de lambition qui règnent dans les milieux scientifiques et institutionnels ; il leur resterait alors à en tirer toutes les conséquences qui simposent, en contribuant à interrompre la recherche scientifique et technique dans sa totalité. 2) Comme toujours, les réalistes, les pragmatiques, les raisonnables, vont dire : en militant pour larrêt de la recherche et donc en exigeant aujourdhui que lon refuse daccorder des crédits à la recherche publique, vous faites le jeu de la recherche privée, des entreprises, de la marchandisation de la recherche, etc. Mais que croient-ils, ces bons chercheurs ? Tous leurs arguments sappuient sur lidée que recherche publique et recherche privée sont différentes et fonctionnent indépendamment lune de lautre, et que la recherche publique est bonne parce quelle est soumise au contrôle des citoyens par lintermédiaire de leurs représentants élus au suffrage universel, ce qui est censé éviter toute dérive mercantile et permettre le progrès de lhumanité (eh oui, en éternels adolescents partagés entre cynisme et naïveté, les chercheurs nhésitent pas à employer de telles expressions). Ici aussi, il faudrait rétablir quelques vérités factuelles. La séparation entre privé et public, entre Etat et économie marchande, est aussi illusoire que celle qui existe entre recherche fondamentale et recherche appliquée. LEtat finance les recherches dont les entreprises ont besoin mais dont elles ne peuvent assumer les coûts ; la plupart du temps, dailleurs, il y a directement collaboration entre privé et public (notamment dans le financement des laboratoires publics). Et même lorsquil y a de la recherche publique pure, lEtat se comporte face aux chercheurs comme il sest toujours comporté face à ses administrés : comme une entité dont on croit quelle est un simple outil de gestion collective, et dont on découvre toujours en dernière instance quelle est absolument étrangère, quelle fonctionne de manière autonome. En ceci, lEtat est une entreprise comme une autre : il ne délivre un salaire quen échange dun travail dont il espère tirer des avantages militaires, politiques ou économiques pour lui-même cest-à-dire pour la fraction de la population dont il gère les intérêts. De ce point de vue, la ressemblance entre lEtat et les entreprises explique sans doute quon voit de moins en moins les différences dobjectifs et de méthodes entre recherche publique et recherche privée. Enfin, le fait que la recherche soit publique ne garantit en rien son contrôle par les citoyens, devenus ici et partout des spectateurs floués, comme le montrent notamment les recherches sur le nucléaire ou sur les OGM, menées obstinément depuis des dizaines dannées en dépit dune réprobation générale, sous la protection de la police, et quand il le faut, de larmée et du secret dEtat . 3) Il y a enfin une sorte didée métaphysique invoquée par tous les chercheurs à lheure actuelle pour justifier leur existence et leurs revendications : ils semblent tous être convaincus que la technique et la science sont des outils pouvant servir à lémancipation de lhumanité. Le fait que cette émancipation tarde à venir est dû, selon eux, au mauvais usage que lhomme fait de ces sciences et de ces techniques : soit parce quil est intrinsèquement faillible (doù la nécessité de codes de déontologie et autres comités de bio-éthique) ; soit parce quil est soumis aux diktats de léconomie marchande (doù les faveurs données à la recherche dEtat et à la lutte contre le néo-libéralisme). Cette idée métaphysique saccompagne dun corollaire : lémancipation de lhumanité repose sur un accroissement de la production et de la consommation de biens et de services (publics ou privés). Nous sommes ici en présence de lidéologie centrale du système industriel, quil a produite et qui contribue à le maintenir . Lune des caractéristiques majeures de la société présente, saisie dans son extension planétaire, est effectivement davoir soumis sa production, sa reproduction et lensemble de son fonctionnement, jusque dans les plus petits détails, à un ensemble de techniques perfectionnées. Mais cette omniprésence des technologies, son caractère systématique, a provoqué une accoutumance aux objets techniques qui empêche de considérer sereinement leur usage, leur fonctionnement et leur utilité réelle. Au contraire de ce que prétendent les chercheurs, une évidence simpose aujourdhui à quiconque envisage les bouleversements que la société industrielle a introduit aussi bien dans le milieu naturel que dans tous les domaines de la vie humaine et des rapports sociaux (travail, loisirs, langage, morale, politique, art, etc.) : la science et la technique, dans leur état actuel, ont cessé dêtre des outils démancipation de lhumanité. Ce qui signifie que, contrairement à ce que veut croire laile gauchiste du mouvement des chercheurs, la solution à cette situation ne réside pas seulement dans la lutte contre léconomie marchande, mais aussi dans la lutte contre la science et la technique consubstantiellement liées à cette forme déconomie. "Le fait que la recherche soit publique ne garantit en rien son contrôle par les citoyens, devenus ici et partout des spectateurs floués" Rompre avec la science et la technologie actuelles Disjonctions recherche privée / recherche publique, recherche fondamentale / recherche appliquée, sciences-technologies / économie marchande : voilà trois illusions dominantes qui sont lindice dune incapacité à acquérir une compréhension globale de la société actuelle, à la saisir en tant que totalité complexe en devenir. Cette incapacité trouve bien sûr son origine dans la limitation de nos capacités de représentation : il est devenu quasiment impossible de se figurer lensemble du fonctionnement économique et technique de la société actuelle, tant elle est devenue colossale, par sa puissance déréglée et son extension planétaire. Mais à cette limitation naturelle de nos facultés de représentation, le développement de la société industrielle est venu ajouter des limitations artificielles, telles que les séparations imposées à la conscience et à laction dans toutes les sphères de la vie quotidienne (la division du travail étant la première et la plus importante de ces séparations). Force est de reconnaître que, parmi ces limitations artificielles, figure lactivité scientifique telle quelle sexerce aujourdhui. Par la professionnalisation des savoir-faire techniques et la spécialisation de la connaissance scientifique, linvestigation intellectuelle sest dissociée de lexpérience quotidienne conduisant à une privatisation de lexpérience sans précédents dans lhistoire , et lhomme ordinaire a perdu toute souveraineté sur les conditions de production de sa propre existence. Lhomme ordinaire (cest-à-dire aussi le chercheur en tant quhomme ordinaire) est devenu dépendant, pour sa vie comme pour sa survie, dun appareil techno scientifique quil ne maîtrise plus. "En travaillant au développement et au perfectionnement de la société industrielle, les chercheurs participent aussi à la production des ravages quelle provoque de manière de plus en plus évidente" Retrouver une autonomie individuelle et collective, cela signifie donc rompre avec la science et la technologie actuelles, arrêter immédiatement toutes les recherches scientifiques et techniques, privées et publiques, et procéder à la réappropriation critique de leurs résultats par tous les individus, dans le cadre de leur propre activité, pourvu que cette activité ne perpétue pas le système des besoins déterminés par la société marchande et industrielle. Ce qui veut dire, pour les scientifiques, ingénieurs, techniciens, etc. : 1) Se mettre en grève totale et illimitée, rompre toute collaboration avec lEtat, les entreprises ou les institutions scientifiques en leur refusant quelque information que ce soit sur les recherches passées ou en cours. 2) Soutenir ce rapport de forces jusquà la démission contrainte, et jusquà la résistance physique face aux inévitables tentatives de récupération par la force du matériel de recherche (laboratoires, locaux, outils, etc.) ; et lorsque cette résistance ne pourra plus être assurée, il faudra en passer par le sabotage de ce matériel. 3) Il est évident que cette grève naura de sens et dutilité que si elle permet aux chercheurs dentamer une réflexion approfondie sur la nature de leurs travaux (leur implication dans la totalité du système industriel, leurs répercussions sur le milieu naturel, sur la santé et sur les rapports sociaux) les chercheurs devant aussi faire connaître à la population, par leurs propres moyens de communication, les résultats de cette réflexion, ainsi que leurs méthodes de combat et leurs orientations théoriques, afin de rejoindre dautres mouvements de lutte, ou de contribuer à les faire émerger. "La science et la technique, dans leur état actuel, ont cessé dêtre des outils démancipation de lhumanité"
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