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NOUS LAISSERONS-NOUS ENCORE LONGTEMPS MENER EN BATEAU ? (CA 127 MARS 2003) Les marées noires ont beau ne représenter que 10% de la pollution par hydrocarbures (5 millions de tonnes sont déversées chaque année dans l'océan), qui elle-même ne constitue qu'une partie minime de la pollution globale des océans, elles représentent un désastre visible et tangible. Elles sont spectaculaires. Mais, par cela même peut-être, elles occultent les causes, c'est à dire ce système qui uvre à rendre le monde inhabitable. Dire que la marée noire provoquée par le naufrage du Prestige (1) fait partie de la chronique d'une catastrophe annoncée est une évidence. Les conditions dans lesquelles se réalise le trafic maritime, où les irrégularités prolifèrent et où règnent les intérêts économiques de méga-groupes industriels et financiers, maîtres quasi absolus des secteurs de l'énergie et des transports, sont propices à des situations à haut risque qui tôt ou tard provoquent des catastrophes (2). 90% du pétrole consommé en Europe est acheminé par bateau avant d'être distribué sous forme de carburant par camions. Pendant que le pétrole rapporte de l'argent, les pétroliers continuent à sombrer. Le pétrole nous vaut des marées noires. Il nous vaut aussi des guerres. Derrière le naufrage du Prestige se cache un mode de production basé sur l'obtention du profit maximal au détriment de la santé, de l'environnement, de la préservation des ressources de la planète; un mode de production qui n'hésite pas à recourir à la guerre pour contrôler et s'approprier les sources d'énergie, qui considère la mer comme une poubelle gratuite et qui laisse aux ressources publiques, avec la complicité active des Etats, le soin de colmater les conséquences désastreuses qu'il provoque. Occulter les causes Autorités et médias ne veulent nous parler que des effets de la marée noire et des efforts pour gommer ces effets, afin de faire oublier les causes et les responsabilités. Bien sûr, cette occultation est organisée. On nous présente des pseudo remèdes techniques propres à prévenir les marées noires ou à y faire face (double coque, surveillance maritime, pompage sophistiqué...), ou encore des lois dont les Etats seraient garants. Ceux qui cherchent à aménager le système capitaliste voudraient nous faire croire que les industries du pétrole et de la marine marchande ont largement débordé les capacités de contrôle et de régulation des Etats et des institutions internationales; que ces derniers sont les garants des droits et des besoins sociaux, et qu'ils sont opposés aux groupes industriels et financiers. Alors qu'au contraire, ce que les Etats garantissent en réalité, c'est que le capital se reproduise et fructifie dans les mêmes mains. Il y a donc collaboration totale entre Etats, organismes internationaux et multinationales, les premiers distribuant entre autres aux derniers les permis de polluer : les industriels encaissent, les populations et l'éco-système trinquent . Le monde maritime est rompu aux sociétés-écrans, aux paradis fiscaux, aux drapeaux de pacotille. Tout comme n'importe quelle entreprise d'envergure internationale. Le but étant de réduire les coûts, de s'affranchir des fiscalités, de gommer les réglementations sociales. Les années passent et rien ne change : pavillons de complaisance, équipages surexploités, sociétés de certification tout aussi complaisantes, responsables de sociétés-écrans qui disparaissent quand les catastrophes arrivent, victimes, toujours les mêmes, les plus pauvres. Et à chaque marée noire, les responsables politiques nous endorment avec les mêmes sempiternelles promesses et les mêmes appels à des mesures " draco-niennes ". Mais toutes les gesticulations médiatiques des gouvernants ne font que révéler combien ils sont englués dans leurs rapports d'intérêts avec les affréteurs et les armateurs. Qui peut croire encore à ces résolutions " urgentes et irrévocables ", proclamées par le duo Chirac-Aznar à Malaga, fin novembre: renforcement du contrôle des navires, accroissement de la responsabilité pénale des armateurs et des pavillons, aggravation des sanctions contre les dégazages sauvages, refonte du droit international maritime, création d'une agence internationale de sécurité maritime, etc. ? Ces règles de " bonne conduite " figurent déjà, pour la plupart, dans la convention des Nations unies sur le droit de la mer, adoptée par 159 pays en 1982 et applicable depuis 1995, mais jamais appliquée. De plus, au lendemain du naufrage de l'Erika (1999), les membres de la Commission européenne avaient eux aussi décrété tout un train de mesures. L'arsenal juridique existe donc déjà. Mais les gouvernements français successifs, parce que, comme les autres, ils servent les intérêts des lobbies maritimes et répondent aux exigences des plus hautes puissances d'argent , sont intervenus auprès des instances européennes afin d'en différer l'application ; ces mesures n'ont donc jamais été respectées. Et, de toute façon, elles sont fictives dès le départ. Que dire de cet engagement, récemment renouvelé par le gouvernement français, à " se donner les moyens de mettre en uvre les directives prises par l'Union européenne obligeant les Etats membres à contrôler 25% des navires à risque touchant un port français " ? D'abord, cela aurait dû être appliqué depuis longtemps; or seuls 10% des bateaux sont inspectés par la France ; et ensuite qu'en est-il des 75% restants ? Et que dire également de la brillante idée du chef de l'Etat de repousser les bateaux-poubelles à 370 km des côtes françaises, sinon qu'ils pourront continuer à sillonner à l'aise les océans en toute liberté avec toutes sortes de produits ; aurait-on évité pour autant la marée noire provoquée par le Prestige qui a été repoussé à 270 km du rivage espagnol, si on l'avait repoussé de 100km de plus ? Le fioul n'en a pas moins parcouru plus de 500km... Les Etats ont beau faire du tapage contre " les voyous des océans ", ils sont en train de participer à l'élaboration des conventions de l'OMC qui visent à libéraliser plus encore les règles du commerce maritime. A l'heure actuelle, en ayant limité l'entretien des pétroliers au minimum, les coûts d'exploitation ont baissé de 20% en moins de 10 ans. Les pavillons de complaisance (3) sont aussi bénéfiques et donc nécessaires à l'opulence des capitaux que les paradis fiscaux. On ne peut attendre de ceux dont le rôle consiste à maintenir l'édifice politique sur lequel repose le système capitaliste qu'ils arrêtent des mesures aptes à garantir autre chose que les intérêts de ce système. Ne s'attacher qu'aux effets : la gestion de la " crise " Les Etats espagnol et français n'ont pas eu le même comportement face à la marée noire provoquée par le Prestige. Le premier a affiché dès le début incurie et mépris arrogant. Le second a clamé haut et fort combien il était " horrifié ".. Dans cette affaire de naufrage, l'irresponsabilité de l'Etat espagnol ne fait pas de doute. Le gouvernement de Madrid a brillé par son dilettantisme, son inaptitude et son autoritarisme. Il a donné les pires des ordres: il a refusé au navire, sujet à une voie d'eau, l'accès à un port de la côte galicienne, où il aurait pu être réparé ; il l'a fait remorquer pour l'éloigner, alors qu'il perdait du fioul, en le sortant des eaux territoriales espagnoles, pour tenter de l'expédier, en accord avec les autorités françaises, vers les eaux portugaises, le livrant ainsi à la tempête et l'acculant au naufrage, le 19 novembre, au bout de 6 jours de remorquage. D'emblée, Aznar, relayé par les médias, a cherché à minimiser les conséquences du naufrage, par des mensonges éhontés : il a nié qu'il y avait marée noire. Il n'est intervenu publiquement que 26 jours après le début de la marée noire et ne s'est déplacé en Galice que 32 jours après, sous haute protection et sans se rendre sur les plages polluées pour éviter d'être confronté à la colère des habitants. Afin d'éviter tout éclaircissement sur sa gestion lamentable de la crise, Aznar a réussi, lors de l'Assemblée du Parlement européen, le 17 janvier, à dresser les parlementaires de la droite contre la création d'une commission d'enquête sur le naufrage du Prestige. A présent, les autorités espagnoles, comme leurs homologues françaises, ont l'obsession de donner l' image d'un parfait contrôle de la situation. Les autorités françaises ont eu le temps de réagir, et de ne pas prendre modèle sur Aznar. Elles ont fait acte de présence bien avant l'arrivée du fioul, cherchant à rassurer (" Ne nous inquiétez pas, on s'occupe de tout ! "). Le président, le premier ministre et leurs acolytes n'ont pas eu de mots assez forts pour clamer hypocritement leur " révolte ", leur " grande colère " contre " la barbarie " des " voyous des mers ", et pour dénoncer comme responsables " les fous du pétrole et de l'argent, la haute délinquance maritime ". Chirac a joué son " petit père des peuples " pour exhorter ses concitoyens au rassemblement devant ce qu'il a fait paraître pour un coup du sort. Les autorités ont fait de nombreux effets d'annonce pleins d' autosatisfaction sur la parfaite préparation des opérations de protection du littoral. Les politiques français ont joué les parfaits communicants pour faire oublier leurs responsabilités et celles des groupes industriels multinationaux. Avant l'arrivée des premières nappes de fioul, les autorités ont exhibé et expérimenté sous les yeux des journalistes toute une panoplie de moyens techniques. Il s'agissait d'attirer l'attention sur les conséquences de la marée noire, et pas sur les causes. Gros engins de chantier, cribleuses et autres machines plus ou moins bricolées, mais très chères et en nombre insuffisant, pour les opérations sur terre ; et sur mer, filets protecteurs, filets sentinelles et serpillières, boudins anti-pollution... On n'en finissait pas également de vanter les prouesses technologiques du sous-marin français, le Nautile, qui a colmaté les brèches du Prestige. Pourtant, loin de tarir définitivement la source de pollution, il n'a fait que réduire les fuites, le pétrole (il resterait encore 37500 tonnes dans les réservoirs de l'épave) continuant à se diffuser lentement par suintement ; jusqu'à ce que la coque cède, ou qu'une société industrielle ne se lance dans le pompage à 3500km de profondeur pour un coût évalué à plus de 280 millions d'euros , ou encore que l'épave soit enfouie sous un sarcophage... Ah ! les prouesses de la technologie ! Mais tous les beaux gadgets mis en vedette à la télévision ne sont que balivernes. Au lieu d'avouer qu'on ne maîtrise rien et qu'on ne sait rien faire d'autre que récolter le fioul à l'épuisette, en mer, et avec la pelle, le râteau et le seau, sur les plages, on vous tient de beaux discours rassurants dont on sait qu'ils sont faux. L'Etat se contente de " gérer " les conséquences de la marée noire par des plans Polmar terre et mer (institués en 1978 suite au naufrage de l'Amoco Cadiz) qui permettent au préfet maritime de mobiliser tous les moyens publics et privés qu'il estime nécessaires : à savoir les pompiers, les agents municipaux, ceux de la sécurité civile, quelques militaires (300 pour 600 km de côtes souillées) utilisant tous des pelles, des râteaux, des gants, quelques pompes et barrages flottants peu efficaces, le reste relevant de l'improvisation, au gré des bulletins météo et des horaires des marées. Des chalutiers, les mêmes qui portent atteinte aux réserves halieutiques par leur pêche intensive, ont été réquisitionnés et ils se réjouissent de redorer leur blason par l'opération écologique d'intérêt public qui consiste à pêcher du fioul. D'autant que leurs armateurs sont confortablement dédommagés. La coordination entre les différentes municipalités laisse à désirer ; chacune fait avec ses propres moyens, et il y en a de mieux loties que d'autres. C'est un peu " à chacun sa mer et sa plage ". Des réactions diversifiées des populations Outre que la marée noire a eu des conséquences immédiates et brutales en Galice, les attitudes différentes des Etats espagnol et français ont influé aussi sur la façon dont les populations ont réagi. Scandalisés par l'inaction des autorités espagnoles, les pêcheurs galiciens se sont aussitôt organisés et ont pris l'initiative de lutter contre la marée noire ; ils l'ont fait dans les pires conditions, avec leurs faibles moyens, et même à mains nues (alors que le produit, cancérigène, est extrêmement dangereux à toucher et à inhaler), rejoints par les habitants et des milliers de volontaires qui ont spontanément afflué de toute l'Espagne et même d'Europe. Ce n'est que 20 jours plus tard qu'un effort logistique a été entrepris par les autorités espagnoles, pas vraiment efficace et surtout symbolique, que des militaires ont été envoyés et que le gouvernement a annoncé l'octroi des premières indemnisations, une obole de 30 euros/jour aux marins galiciens en chômage technique, moitié moins que ce qui se gagne habituellement à cette époque de l'année. De cette obole sont d'ailleurs exclues quantité de travailleuses de la mer, qui vivent de la cueillette côtière des fruits de mer. " Nunca mais " (" Plus jamais ça ") s'est mise spontanément en place, regroupant des comités locaux de pêcheurs, des syndicats, des partis politiques, des écologistes, des artistes. Cette coalition de lutte contre la marée noire et d'opposition au pouvoir central de Madrid et au gouvernement de Galice (dominé aujourd'hui par le Partido popular, avec à sa tête depuis près de 13 ans Fraga, cacique du franquisme) a organisé des manifestations en Galice (le 10 décembre à Saint Jacques de Compostelle, réunissant 300000 personnes, plusieurs autres ensuite en décembre et en janvier ; une autre prévue fin février à Madrid). Ces actions de protestation massives et répétées ont surpris de la part d'une population réputée réactionnaire et assez fataliste (La Galice -1200km de côtes - a subi 5 marées noires en 30 ans). Elles semblent montrer que l'énergie collective mise au service du nettoyage des côtes s'est prolongée avec la volonté de préserver les capacités d'auto-organisation et de contestation qui se sont fait jour dès le début de la marée noire. Mais on peut craindre que cette prise de conscience trouve un débouché trompeur dans la voie institutionnelle lors des prochaines élections municipales en mai. En solidarité avec la Galice, des manifestations ont eu lieu aussi à Barcelone et à Bilbao. Au Pays Basque Sud aussi les pêcheurs, organisés en comités locaux de pêche et qui ne sont soutenus institutionnellement que par le gouvernement basque, ont mobilisé leurs embarcations pour ramasser des milliers de tonnes de pétrole à l'épuisette, procédé des plus archaïque qui s'est malgré tout avéré bien plus efficace que l'action des bateaux antipollution commandés par l'Etat espagnol. Mais les réactions de protestation ont été beaucoup moins massives au Pays Bas-que (4). Au nord, Il y a eu des rassemblements, mais peu fournis, " contre l'attitude des Etats face à la marée noire du Prestige et le système capitaliste qu'ils soutiennent, responsable de cette catastrophe ", des actions symboliques devant la préfecture (déversement de déchets du pétrolier). La réquisition par le préfet d'un terrain à Mouguerre, près de Bayonne, pour y stocker les déchets d'hydrocarbure du pétrolier avant qu'ils soient expédiés dans des centres de traitement hypothétiques (5) a suscité une levée de boucliers de centaines de riverains. D'autant qu'elle s'est faite sans information des élus et de la population, sans étude préalable. Les gens sont déterminés à ne pas offrir aux responsables de la pollution marine un site sableux, perméable et inondable, branché directement sur un canal qui se jette dans l'Adour et proche des zones de travail et d'habitation. Lors d'une action de sabotage signée par " les bénévoles de nuit anticapitalistes ", les b’ches destinées à récolter les déchets du pétrolier sur ce site ont été lacérées et un communiqué est paru, intitulé " Capitalisme, égal à productivisme, à pillage et à terrorisme " et dénonçant " ces décideurs cravateux (qui) font semblant de s'indigner à chaque " catastrophe " alors qu'ils font partie de la même bande de voyous capitalistes ". Contrairement à la Galice, nombre d'associations se sont déclarées ici clairement hostiles au recours au bénévolat, excepté pour porter secours aux oiseaux mazoutés. Le refus est quasi général de se sacrifier pour ramasser la merde des industriels responsables et des Etats qui se moquent des populations quand il s'agit de prévenir les risques, puis comptent sur elles quand la catastrophe arrive. Les médecins eux-mêmes refusent d'engager leur responsabilité dans la délivrance de certificats médicaux " d'aptitude au ramassage de fioul ", d'autant que l'on sait que, suite à l'Erika, 762 personnes continuent à être suivies médicalement et qu'il y en a déjà 400 en Galice. Les ressources publiques au service des intérêts privés La marée noire a et aura un coût énorme. L' armateur et le propriétaire de la cargaison, par un jeu de techniques financières, ont organisé leur insolvabilité ; et l'affréteur est juridiquement intouchable. Les aides débloquées viennent donc des fonds publics, et elles sont dérisoires. L'Espagne a déjà annoncé sa facture : un milliard d'euros, uniquement pour nettoyer les côtes. En France, le plan Polmar-terre ne prévoit que le remboursement des heures supplémentaires des employés municipaux ainsi que les combinaisons et le petit matériel de nettoyage. Le seul plan Polmar-mer coûte 200000 euros/jour. Le gouvernement a annoncé qu'il verserait royalement 50 millions d'euros, destinés aux seuls coûts de la dépollution. Ce qui est très insuffisant. Quant aux procédures et conditions d'indemnisation des conséquences de la marée noire sur les activités de la pêche côtière, rien n'a été défini. Pourtant, pour ces pêcheurs, les dégâts sont énormes, et pas seulement en termes économiques, mais aussi en termes, non mesurables ni quantifiables, de façon de vivre, de sociabilité et de culture. Tous, de la Galice à la Gironde, sont conscients que les dommages entraînés jusqu'à présent représentent une partie minime de tout ce que vont subir leur région et l'écosystème côtier dans les mois et les années à venir. Les Etats français et espagnol, pour soulager leurs dépenses, quémandent des moyens auprès des fonds européens qui servent à compenser les coûts des " catastrophes naturelles ".. Mais l'océan ne dégueule pas " naturellement " du fuel. On renvoie donc les victimes au FIPOL (fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, réunissant 85 pays dans le cadre de l'Organisation Maritime Internationale), qui dispose aujourd'hui de 172 millions d'euros, levés auprès des compagnies pétrolières : c'est le léger prix qu'elles sont amenées à consentir pour leur droit à polluer. Cette somme dérisoire à répartir entre 3 pays, Portugal, Espagne et France n'épongera que 10% tout au plus des pertes ; et encore faudrait-il que cet argent soit versé (le cas de l'Erika est éloquent : moins de 30% de l'enveloppe de 184 millions d'euros du FIPOL ont été versés à une partie des sinistrés.). Victimes et contribuables de toute façon seront lésés. Sachant très bien qu'ils ne pourront pas compter sur le FIPOL, les patrons et commerçants de la CCI de Bayonne ont entrepris de solliciter la création d'un fonds public pour venir en aide aux entreprises du Pays Basque. L'Etat s'est juste engagé pour le moment à financer la campagne de " communication plage propre ". Parce que non seulement il s'agit d'occulter les causes, mais encore de sauver les apparences, en effaçant jusqu'aux conséquences, du moins celles qui sont les plus visibles. Lutte contre " la pollution médiatique " A présent, autorités, élus, armateurs, professionnels du tourisme n'ont plus pour ennemie la pollution de la marée noire ; ils n'ont qu'une seule lutte à gagner dorénavant, celle contre " la pollution médiatique ". L'essentiel pour eux est une bonne " campagne d'image forte pour préserver l'économie touristique du Pays Basque ", donc il faut effacer les images qui ont été données de goudron visqueux et nocif. Plus qu'au sort des pêcheurs, les autorités s'intéressent à celui des professionnels du tourisme. D'autant que les pêcheurs de haute-mer, l'activité la plus capitalistique, continuent leur travail lointain comme si de rien n'était ; ce sont les pêcheurs côtiers qui sont les premières victimes, leur zone de pêche étant durablement affectée. Il faut donc à présent dédramatiser, minimiser l'ampleur des dégâts, tenir un discours " positif " à l'intention des futurs touristes : " nos plages n'ont jamais été aussi propres qu'aujourdhui, car elles sont nettoyées tous les jours ", entend-on dire par des élus côtiers unanimes (6). Pour la circonstance, on invente une novlangue : le terme " marée noire ", par exemple, trop péjoratif, " fait du tort " et doit être proscrit au profit de " menaces de pollution ". Toutefois comme la pollution risque de durer des mois et des mois, il est prévu d'avoir recours en dernière instance à des bénévoles juste avant (et pendant) l'été.. Ultime trouvaille aussi pour nettoyer la merde provoquée par sa politique: l'Etat, s'inspirant des pratiques américaines et renouant avec les chantiers de travaux forcés, annonce vouloir utiliser des détenus, en fin de peine et " volontaires ", royalement payés 15 euros par jour, à qui serait promise une éventuelle remise de peine. Aznar, lui, a promis de recruter 7000 chômeurs...sans dire s'ils seraient volontaires. Entre des consommateurs soucieux d'obtenir des rabais toujours plus importants et des armateurs désireux de protéger l'accès à une main d'uvre à bas prix, la navigation réfractaire aux impératifs de la sécurité et aux charges sociales a visiblement de l'avenir. D'autant que les Etats n'ont aucune raison ni intention de s'y opposer, bien au contraire. Les sociétés pétrolières transnationales ne sont pas seules en cause ; il faut s'interroger aussi sur ce qui produit cet appétit de pétrole au rythme duquel vivent les sociétés riches et " développées ", et à partir duquel prospèrent les économies boursières : ce système capitaliste dévorant et gaspilleur qui exalte la croissance et la productivité, dans une course au développement dont la catastrophe est le revers. Nous n'avons d'autre choix, pour inverser la vapeur, que de contrecarrer partout l'action des propriétaires du monde, dont la position est assurée par l'exploitation et le pillage du bien commun ; et de renverser ce système. Pays Basque, le 15 février. (1)Le Prestige faisait partie des 4 bateaux sur 10 qui, dans le monde, ne respectent pas les normes en vigueur. Propriété d'une compagnie domiciliée au Libéria, construit il y a 26 ans au Japon (35% des pétroliers, gaziers et chimiquiers ont plus de 20 ans d'âge ; 40% ont plus de 15 ans), immatriculé aux Bahamas, affrété par la filiale suisse d'un conglomérat russe, exploité par une entreprise grecque, servi par un équipage grec, roumain et philippin travaillant dans des conditions épouvantables, déclaré apte à la navigation par une société de certification américaine, remorqué par un bâtiment chinois, le Prestige était l'illustration flottante du capitalisme mondial à vau-l'eau. (2)Un pétrolier sombre tous les mois dans le monde, 100 cargos coulent chaque année, 2000 marins perdent la vie dans ces naufrages (3) Les bateaux battant pavillon de complaisance représentent 50% de la flotte mondiale et 60% du tonnage. L'Europe affrète aujourd'hui près d'un tiers de ces navires. La France a son propre pavillon de complaisance aux îles Kerguelen, joli cadeau fait par les gouvernants aux armateurs français. .(4) Dans les Landes, à Capbreton, il y a eu une manifestation rassemblant 600 personnes (" marée humaine contre marée noire "), (5) Le traitement des 210 000 tonnes de déchets de l'Erika stockés en Loire-Atlantique est loin d'être achevé et il n'est pas non plus prévu de traiter les 10000 tonnes de pétrole enfouies à Donges, dans un terrain du Port autonome de Saint-Nazaire, issues du naufrage de l'Amoco Cadiz. (6) Il faut savoir que l'effort de nettoyage, sur la côte landaise en particulier, ne porte que sur les coins de baignade surveillée, et que rien n'est entrepris à proximité immédiate ; que l'eau et le vent, aidés par les engins lourds qui labourent les plages, ont le bon goût de recouvrir de sable les galettes de pétrole, ne sauvant ainsi que les apparences ; que les nappes de mazout ne sont que la partie visible de la contamination des sites et que l'écosystème dans son ensemble est touché, et durablement. |
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