De la place des hommes dans la lutte contre le patriarcat |
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[Texte écrit pour "Libération sexuelle et émancipation sociale", hors-série n°5 de Courant alternatif.] |
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Si le type homme ou femme est bien déterminé par le biologique, les genres sont très variables dun bout à lautre de la planète, voire d'un bout à l'autre de la vie d'une même personne suivant les rapports socioculturels qui régissent les diverses communautés humaines. Et même si le modèle patriarcal est ultradominant, cest donc quune évolution est possible et quune autre construction est envisageable.
Le patriarcat cest nous ! « Les rapports sociaux de sexe sappuient autant sur lillusion naturaliste de supériorité masculine que sur la reproduction entre hommes de la vision hiérarchique des rapports hommes/femmes. Être homme, y compris chez les hommes, cest être le plus fort, le meilleur, celui qui agit. Les autres, certains homosexuels, les faibles, ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent gagner sont assimilés dans le genre masculin syntaxe comprise aux femmes (1) ». Et lorsque lon se retrouve après des processus de construction sociale, dapprentissage, de rapports de forces, en position de dominant, il ny a objectivement aucune raison de descendre de son piédestal. Nous (les hommes dans leur globalité) avons une place de choix dans le système patriarcal puisque nous occupons la plus haute marche du podium, cest-à-dire que nous opprimons les autres, ceux, ou plus exactement celles, qui nont pas eu lincommensurable honneur de naître couillus ! Comme dans le rapport maître/esclave où le maître ne change que sous la contrainte, dans les rapports hommes/femmes, les hommes ne changent que forcés. Par qui ? par quoi ? En premier lieu par les conséquences des luttes et réflexions féministes, mais aussi parce quentre hommes la guerre est impitoyable et quelle ne fait pas que des vainqueurs. Il est commun de penser que les hommes ont beaucoup à perdre à la libération des femmes, et pourtant des hommes participent aux luttes antisexistes, antipatriarcales. Est-ce par solidarité désintéressée, est-ce que ce sont des refoulés, veulent-ils se faire pardonner des fautes inavouables, sont-il des espions, ont-ils dautres intérêts ? Les luttes féministes créent une situation nouvelle où est remise en cause la suprématie masculine « Les hommes ont vu leurs certitudes seffriter une à une, au cours des dernières décennies. Leur identité, leur couple, leurs rôles sociaux et familiaux ont été remis en question, voire bouleversés. Maintenant que les femmes réclament autant dans la vie privée que dans la vie publique lautonomie et légalité, de nombreux hommes sentent leur place leur échapper. Le nouvel équilibre entre les sexes peut cependant savérer loccasion pour les hommes de penser et dorganiser différemment leur existence (2) ». Face à ces bouleversements, ils doivent chercher dautres repères. Cette dimension collective peut aller de pair avec une approche plus individuelle, notamment lorsquon vit, travaille, milite, discute, se confronte avec des féministes et que lon se fait renvoyer au quotidien, et à juste titre, notre statut de mâle, notre rôle dopresseur. Si cette confrontation est douloureuse elle nen est pas moins salutaire pour nous et pour les autres. Un autre vecteur de prise de conscience est notre rapport aux autres hommes, à limage, aux attitudes que lon est censé reproduire en tant que mec « normal ». Certains, parce quils narrivent pas à prendre en charge leur rôle de macho, sûr de lui, etc., ou parce quils sont considérés comme des sous-hommes (des « femmelettes ») par les autres hommes, en raison de leur physique, de leur caractère, de leur sexualité vont se remettre en cause. On peut être un homme et avoir la nausée face à la violence masculine, à lhomophobie, au virilisme, etc. Ce nest pas parce quil existe des conditions, amenées par les luttes de libération des femmes, favorables au changement quil nexiste pas des résistances de la part des hommes. Le changement nest pas mécanique. Et pour cause : nous sommes toujours les garants et les bénéficiaires de la société dans laquelle nous vivons, société faite par les hommes et pour les hommes. À partir de là, on peut sinterroger sur notre place, forcément particulière, dans une lutte pour labolition du patriarcat. La fin du patriarcat, on a tout à y gagner ! « Contrairement aux femmes et aux minorités (nationales, ethniques, sexuelles, etc.) qui, au cours des dernières décennies, ont revendiqué lamélioration de leur condition, les hommes nont dautres adversaires queux-mêmes. Les hommes ne peuvent sen prendre quà eux, sinon comme individu du moins comme collectivité (3) ». Même si notre premier réflexe est de faire la sourde oreille, de nous arcc-bouter sur nos privilèges, de refuser de changer, nous avons tout à gagner à cette remise en cause de nos comportements. Labolition du patriarcat pour les hommes, cest aussi la fin dun modèle. Ce qui ne signifie pas pour autant le néant, mais plutôt la recherche dautres modèles. Si, pour paraphraser Simone de Beauvoir, on ne naît pas homme on le devient, pour chacun dentre nous et pour la collectivité souvre une possibilité de déconstruction. La première étape est de se remettre en cause au quotidien concernant ses attitudes, comportements, valeurs. La remise en cause de pans entiers de sa vie nest pas évident. Mieux se connaître, sexprimer sous dautres formes que la violence ou le mutisme, changer ses rapports avec les femmes et avec les autres hommes, etc., cest un peu explorer linconnu, mais cela peut être une perspective plutôt jouissive, et pourtant elle nest guère portée en dehors de quelques groupes non-mixtes hommes existants. Alors que les libertaires devraient complètement s'inscrire dans une démarche antipatriarcale, vu les valeurs qu'ils avancent (anti-autoritarisme, égalité, émancipation...), on s'aperçoit que souvent ils se cantonnent à un antisexisme de circonstances, un peu artificiel : surveiller son langage, ses attitudes sans se remettre véritablement en cause. Les hommes sont censés prouver jour après jour quils sont des hommes, notamment en affirmant leur domination sur les femmes ; domination qui recouvre énormément de formes, plus ou moins identifiables, encouragées et diffuses. Saffirmer comme mâle dominant, implique aussi entre hommes une âpre compétition, un culte de la virilité, de la performance, une course au pouvoir, mais aussi des échanges relationnels extrèmement superficiels où les émotions et les sentiments nont pas de place. Si nous sommes solidaires des luttes des femmes, ce nest pas pour parler à leur place, ni pour se réapproprier les rares espaces de la société dont nous ne sommes pas maîtres. Christine Delphy rappelle, dans un texte incontournable qui démonte les principaux poncifs féministes émis par les hommes (révélant la plupart du temps une pensée antiféministe !) (4), que « la libération des opprimés est dabord, sinon seulement, luvre des opprimés [ ] les oppresseurs ne sauraient jouer le même rôle dans les luttes de libération que les opprimés ». Cest à partir de notre place dhomme que lon doit réfléchir, se déconstruire, lutter. Un des enjeux de notre engagement doit être de faire émerger chez les hommes une vision critique de leur réalité. Bernard et Gile (1) M.-F. Pichevin, D. Welzer-Lang, « Préambule », Des hommes et du masculin, ouvrage collectif, Presses universitaires de Lyon, 1992, p. 11. |
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