Étouffement et précarisation |
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Voici un texte émanant de Lille qui pose les problèmes auxquels sont confrontés actuellement les sans-papiers : - La grève de la faim est-elle la seule solution pour obtenir une régularisation ? Pour combien de temps ? N'est-ce pas une manière d'individualiser les cas et de maintenir tout le monde dans la précarité ? - Les associations, syndicats, etc. ont-ils intérêt à ce que ce mouvement s'autonomise ou visent-elles simplement à l'humanitaire et à remplacer la structuration que s'est donné le mouvement face à l'Etat ? - Quelle autonomie du mouvement ? Des questions qui ne sont pas sans rappeler celles que posait une partie du mouvement des chômeurs et chômeuses. |
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Le 30 juin dernier les sans-papiers lillois ont quitté le local provisoire où ils étaient accueillis par l'Eglise. Au lendemain d'une dixième grève de la faim, la question du local de lutte des sans-papiers organisés en comité (CSP59), pour lequel les Collectivités territoriales et des organisations s'étaient engagées, reste lettre morte. Ce sont des faits qui révèlent une tentative d'étouffement du mouvement lillois et qui a pour seul effet/objectif de maintenir hors droit ces personnes étrangères et de les renvoyer et maintenir dans une précarisation rampante à but toujours lucratif.
Une grève de la faim tout aussi clandestine que les Sans Papiers Une dixième grève de la faim a cessé en mai à Lille. Une grève de la faim qui a débuté de manière clandestine. Les sans-papiers l'ayant entamée un certain nombre de jours avant de la déclarer publiquement le 1er mai 2001. Mais clandestine pour qui ? Ce mode d'action discuté publiquement au cours de quatre assemblées générales publiques du CSP59, l'information circulait depuis belle lurette au sein de la préfecture et dans les couloirs des diverses organisations. Et comme de bien entendu ces organisations réagiront par la suite en disant qu'elles ont été "mises devant le fait accompli", comme pour mieux ne pas se positionner. Une fois déclarée publiquement, la grève de la faim fut relativement courte. Le seul rapport de force eu lieu dans les premiers jours. Les grévistes se sont présentés les 2 et 3 mai dans les hôpitaux. Sur ordre de la préfecture ils ne furent pas admis à y rester exceptés trois d'entre eux. Il semblerait que la préfecture ait donné comme consigne aux hôpitaux de ne garder que ceux pour qui il y avait des risques graves dans les 4 jours à venir et donc d'expulser les autres. Ce qui fut exécuté. Un des grévistes refusant de quitter l'hôpital de Roubaix, fut interpellé par la police et placé à la PAF (police aux frontières) où il lui fut notifié un avis préfectoral de reconduite à la frontière (APRF), c'est à dire un avis d'expulsion en terme administratif. Le PCF auprès de la préfecture en lui tenant à peu près ce langage : "ne toucher pas aux sans papiers, pas d'expulsions". Les grévistes expulsés alors des hôpitaux les organisations devaient prendre position, du moins pour exiger la ré-hospitalisation des grévistes à défaut d'aller plus loin! Le lundi était prévu une rencontre entre les différentes organisations et le CSP59 pour rédiger un communiqué commun. C'est alors, ô! miracle, que la préfecture, le samedi, décide la ré-hospitalisation des grévistes puis, le dimanche, à la demande des grévistes qui conditionnaient leurs retours dans les hôpitaux, l'ouverture des négociations. Un accord fut rapidement trouvé, accord se calquant sur celui de juin 2000. La morale était sauve, nul n'avait alors la nécessité de s'exprimer publiquement. Passons entre parenthèse le fait que quelques grévistes refusent cet accord, réclamant des autorisations de travail immédiates et que soient aussi réexaminés les dossiers de leurs conjoint(e)s, et qu'alors la préfecture profitant du fait qu'il s'agit essentiellement de Laotiens et de Thaïlandais, cherche à créer une division entre nationalités en laissant expulser les "récalcitrants" des hôpitaux par une direction administrative qui a su constamment se montrer digne d'un préfet de police bis. Le message lancé aux sans-papiers est clair. Et pour ceux qui n'auraient pas bien compris une deuxième louche est servie à l'occasion de la rencontre mensuelle. Lors de celle-ci les refus tombent, et la préfecture, par l'intermédiaire de son représentant, s'empresse de déclarer lors du premier dossier abordé que cette personne "sera la première sur la liste de la prochaine grève de la faim". Loi RESEDA : un nouvel article. Article 0 : Peut se prévaloir à la régularisation toute personne étrangère se déclarant en grève de la faim et en cela pouvant fournir des preuves qui seront appréciées à la discrétion des autorités compétentes. L'humanitaire au service de la précarité Ainsi, laisser entrouverte la porte des régularisations aux seules grèves de la faim, est ce un moyen de circonscrire la lutte, en l'individualisant, en la limitant à un nombre particulier et en développant ainsi l'idée de cas "humanitaire" ce qui a pour effet de sortir la question du champ politique. Dans la position des sans-papiers la grève de la faim, seule issue de sortie donnée par la préfecture, est l'outil d'un rapport de force dans le cadre de la lutte pour leur régularisation. Cette position est "normale" pour les sans-papiers même s'ils savent que cela ne leurs apportera qu'une réponse humanitaire précaire, mais est-ce une position politique pour les organisations politiques, syndicales ou associatives que de soutenir : Non la seule position politique que peuvent et doivent avoir les organisations qui soutiennent la lutte des sans-papiers, c'est la régularisation de tous les sans-papiers par la carte de 10 ans et d'enfin ouvrir un véritable débat sur la liberté de circulation. Le soutien des organisations politiques, syndicales et associatives, actuellement, et pour leur grande majorité, n'est d'une part qu'un faire valoir vis à vis de l'opinion publique et des "biens pensants" de la majorité plurielle et d'autre part qu'un pis aller pour les sans-papiers, pour n'être en fin de compte que la confirmation d'une position d'immobilisme qui condamne les sans-papiers à retourner dans l'isolement et la clandestinité. Le local ou la question de la visibilité et plus encore celle de l'autonomie Le local est un outil indispensable à toute lutte collective. Les sans-papiers et le mouvement des sans-papiers existent. Le mouvement des sans-papiers, comme celui des chômeurs, a eu comme nouveauté de regrouper dans une lutte commune pour un même objectif des personnes qui étaient maintenues dans un état d'isolement et de précarité. Le caractère de ces mouvements a fait qu'ils ne sont jamais restés coupés des questions politiques plus générales. A ce titre de représentation, de visibilité et d'organisation des mouvements, des locaux ont été octroyés. Les locaux du mouvement des chômeurs comme la lutte demeurent. La lutte des sans-papiers demeure et l'organisation du Comité des Sans-Papiers 59 (CSP59) à Lille nécessite un local. Les besoins et les raisons restent les mêmes : Le mouvement des sans-papiers à Lille, tout comme ailleurs, rentre dans un cadre de lutte plus globale, ce qui fait que sa situation de non droit et d'illégalité auquel il est relégué devrait soulever l'opposition massive des organisations politiques, syndicales et associatives qui se disent "soutiens". Mais fournir un local au CSP serait lui donner les moyens d'affirmer sa visibilité et son autonomie. Ainsi cette question du local et par delà la question de l'autonomie jalonnent l'histoire du mouvement des sans-papiers à Lille depuis 1996. En octobre 1997, afin de faire partir les sans-papiers de la MNE, la Mairie de Lille, le Conseil d'Administration du CHRU d'une part, la LDH et le MRAP d'autre part, comme outils légaux, avaient mis à disposition du CSP59 le pavillon Denis Cordonnier au CHRU de Lille. Après l'expulsion municipale des sans-papiers de ce local, le 19 novembre 1999, et suite à 15 jours ininterrompus de manifestations et d'occupations, un accord avait été conclu le 13 décembre 1999. Le CSP n'ayant pas de "légalité" (au même titre que les sans-papiers eux-mêmes faut-il le rappeler ! - terme sur lequel, d'ailleurs, il serait intéressant de s'arrêter un temps), fut créée l'association Immigration Droits des Migrants (IDM) comprenant des personnalités issues de diverses organisations (LDH, MRAP, UD CGT, FSU, Cimade, Pastorale des Migrants, CFDT Lille, MVDH). Cette association avait pour objectif de trouver un local au CSP, la Mairie de Lille et le Conseil Régional s'engageant à financer l'acquisition de ce local. C'est dans ce cadre là et dans l'attente de ce local définitif que l'Eglise se proposa d'héberger de manière provisoire le CSP dans ses locaux de la rue des Meuniers pour une durée de 6 mois, délai que s'était donné l'IDM pour concrétiser ces engagements. Mais l'objectif réel de l'IDM, du moins pour certaines personnes dirigeantes l'association, s'est révélé être : ne pas trouver de local. Le 9 juillet 2001, Notes (1) A ce titre la situation des Laotiens est remarquable. Régularisés, ils ne le seront, à vie, dans l'état actuel des choses, que par récépissés de 3 mois (3 mois qui de fait sont réduits à 3 mois moins un jour ce qui n'est pas sans conséquence quand aux droits sociaux. Pour tout renseignement s'adresser à la CAF, aux Assedics et autres). En effet pour obtenir une carte d'un an et qui plus est celle de 10 ans, il est nécessaire que l'ambassade du Laos leurs délivre un passeport. Or, celui-ci n'y est délivré que contre monnaie sonnante et trébuchante (environ 20 000 Francs), et donc, en cas d'obtention, de le rendre immédiatement caduque aux yeux des autorités françaises puisque considéré comme "vrai-faux". Ainsi avec ou sans passeport , les Laotiens resteront sous récépissés de trois mois renouvelables à l'infini. Ceci a pour effet de réduire considérablement, si ce n'est totalement, leurs droits et leurs conditions de vie (conditions de travail, conditions de logement, droits sociaux). |
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