Faux-semblants sans fard en combinaisons blanches

Avec le texte qui suit nous voulons contribuer à remettre les pendules à l’heure concernant le mouvement des Tute Bianche – Les Invisibles – en Italie. Alors que beaucoup les citent en exemple dans les luttes : sans-papiers, antiglobalisation… (à Gènes ils/elles sont présenté-e-s comme « La tendance la plus intransigeante de la protestation antiglobalisation »), il nous a semblé intéressant de traduire ce texte paru dans l’hebdomadaire de la Fédération anarchiste italienne, Umanita Nova. Un texte porteur d’un tout autre point de vue.

La naissance du mouvement dénommé Tute Bianche remonte à 1988, quand les centres sociaux se réferant à la « Charte de Milan » décidèrent de s’éloigner, au moins par leur image, du reste du mouvement antagoniste qui n’adoptait pas leurs positions politiques.

Cette Charte est apparue dans une assemblée qui s’est tenue le 19 septembre 88 à Milan, au centre social Leoncavallo. Elle constitua le point de convergence de différentes démarches, venant de l’aire des centres sociaux, comme Leoncavallo, le « milieu » des centres sociaux du nord-est italien (Padoue, Venise, Mestre, etc.) ainsi que certains de Rome (Corto Circuito, Forte Prenestino). Les centres de Ligurie et des Marches s’y rallièrent ensuite.

Ces différentes démarches n’étaient pas totalement homogènes, mais s’étaient construites au cours de la période précédente autour de la tendance de certain-e-s militant-e-s en recherche d’une (re)définition et d’un nouveau rôle politique ; la pratique se constitua à partir de connections avec la « gauche » institutionnelle comme avec certains secteurs associatifs et des militant-e-s bénévoles, dont des catholiques. Dans le même temps des contacts avaient été pris avec des maires, même de droite, pour obtenir une reconnaissance politique et une légalisation des centres squattés avec l’argumentation qu’ils offraient des services publics et des spectacles, organisés par des coopératives sociales liées au secteur non-marchand.

À Mestre (Venise) en particulier, des négociations menées au conseil municipal autour du centre squatté « Rivolta », une ancienne usine, pour un coût approximatif d’un million de dollars US venant de fonds publics et soutenu par le groupe économique Benetton, déboucha sur une légalisation de ce centre. Un tel « tournant » politique, applaudi à la fois par la presse de gauche et la TV, fut alors présenté comme la conséquence d’une révision théorique assumant la fin de la période de la lutte des classes et de la subversion communiste, la reconnaissance d’une « société civile ». Mal définie, celle-ci n’en est pas moins considérée comme une nouvelle interlocutrice visant une « réforme conflictuelle de l’État-providence » par la revendication de droits universels, avec en premier lieu le « revenu citoyen ».

Pour soutenir ces thèses, les centres sociaux de la Charte de Milan dénichèrent un fédéralisme ambivalent : le municipalisme et l’autogestion n’apparaissaient plus comme des alternatives radicales pour une auto-organisation sociale mais plutôt comme un « nouveau » modèle de participation démocratique et de représentation politique dans les institutions comme dans les administrations locales. Ainsi le Centre Leoncavallo a fini par soutenir un démocrate-chrétien comme Martinazolli, dans la course à la mairie de Milan. Tout en regardant à la dérobée de derrière le drapeau du néo-zapatisme, l’étape suivante a été la participation de membres de cette mouvance aux élections locales dans les rangs du Parti Vert ou de Refondation Communiste avec une position exprimant tout sauf l’opposition aux gouvernements de centre-gauche. Lucas Casarini, un porte-parole (mais un vrai : le leader !) des Tute Bianche fut désigné comme conseiller de Livia Turco, ministre des Affaires sociales dont le nom est associé à la loi créant les camps de rétention pour sans-papiers et clandestins en attente d’expulsion.

Depuis 1998, suite à cette « nouvelle » évolution politique, une profonde rupture s’est installée dans le mouvement antagoniste, avec d’un côté les Tute Bianche de plus en plus impliqués dans un cadre institutionnel et social-démocrate; et de l’autre les centres sociaux, les squatts et les expériences d’auto-organisation sociales et syndicales qui prennent leurs points de référence dans « l’Autonomie de Classe » ou les expressions bigarrées de l’anarchisme depuis les squatteurs jusqu’à la Fédération anarchiste italienne (FAI).

Durant les manifestations de rue, une question contribuait à aggraver les fractures, la prétendue « désobéissance civile ». À plus d’une occasion, il apparut clairement que certains affrontements entre les Tute Bianche et la police avaient été arrangés préalablement, comme un article de L. Quagliata le dénonça dans le journal Il Manifesto du 1er février 2000 sous le titre : « Guérilla urbaine ? Mais je vous en prie... ». D’autant qu’à plusieurs reprises et en différents endroits (Bologne, Aviano, Trévise, Trieste, Venise, Rovigo...) les Tute Bianche ont commi agressions physiques, menaces ou délation contre des autonomes, des anarchistes, des communistes révolutionnaires et d’autres composantes du mouvement pour l’auto-organisation qui rejettent l’hégémonie politique que les Tute Bianche prétendent imposer, avec la complicité des médias, à la totalité du mouvement d’opposition.

SANDRA K.
(traduction OCL Nantes)

ENCADRÉ - Morceaux choisis:

« ...Excusez-nous, camarades, mais pour nous votre inflexibilité à suivre des principes et le refus de toute médiation avec les institutions se rapprochent plus de la pensée anarchiste et du maximalisme populiste, digne de l’ancienne organisation de gauche Lotta Continua, que de la formation politique de nos militants. Il n’y a rien de pire que cela, éclaircissez donc cette question. Permettez-nous seulement d’observer que les propagandistes néo-anarchistes de l’action directe et les néo-communistes orthodoxes et fondamentalistes ont en commun le même extrémisme en ce qui concerne le langage pseudo-révolutionnaire ».
(extrait de la déclaration « Camminiamo interrogandoci », écrit par Radio Sherwood à Padoue en réponse au mouvement antagoniste toscan, octobre 1996).

« L’État n’est plus dorénavant l’ennemi à abattre, mais l’homologue avec lequel nous devons discuter les choses » (interview de Luca Casarini, supplément du quotidien Il Gazzetino, 23/04/98).

« Les squatteurs de Turin sont trés éloignés de nous, qui discutons les choses avec les institutions et qui travaillons sur des projets et des initiatives. Ils occupent les centres sociaux seulement pour y vivre et s’isoler eux-mêmes du reste de la société. Hier Valentino Castellani (le maire de Turin) m’a téléphoné pour demander mon aide. Nous avons pris rendez-vous »
(interview de Luca Casarini - avril 98).

« Dans les centres sociaux du nord-est du pays, nous avons sorti des nouveaux dirigeants, des gens sérieux comme Luca Casarini. Ne sont-ils pas des nôtres ?! Maintenant certains centres sociaux s’orientent eux-mêmes vers un esprit d’initiative indépendant. Ils ont Cacciari (le maire de Venise) comme interlocuteur intelligent, ils se pensent comme un lobby démocratique »
(Interview de Fausto Bertinotti, secrétaire du parti Refondation communiste, dans Il Manifesto du 16/07/98).

« Le jour où ils ne nous appelleront plus « autonomes » sera une fête... L’idéologie est dépassée »
(interview de Max Gallob, porte-parole du centre social Pedro à Padoue dans le quotidien Il Gazzettino du 15/03/00)

« À Davos, en accord avec José Bové, le leader des agriculteurs français, nous avons invité par mégaphone à isoler ceux qui brisaient les vitrines. Nous y avons réussi avec l’aide des plus jeunes des centres sociaux de Mestre.. J’ai rencontré les garçons des centres sociaux de Mestre et de Padoue... J’ai parlé avec eux, je leur ai dit qu’à la première action violente ils seraient repoussés, ensuite j’ai écouté leurs raisonnements. En fait à Davos ils sont restés de notre côté, ils n’ont jeté aucun molotov »
(interview de Grazia Francescato, parlementaire et leader du parti Vert dans le quotidien Corriere della Serra du 25/05/00).

« Dans le vieil atelier nous trouvons les restes des traditions révolutionnaires qui ont traversé l’histoire du XXe siècle: la communiste, l’anarchiste, la travailliste (?) et les autres. Observons les, désenchantées par ce qu’elles sont : des fragments d’une époque dépassée, avec sa splendeur et sa misère, ses victoires et ses défaites, qui ne reviendront plus jamais, qui ne peuvent être reconstruites »
(extrait d’une déclaration en direct sur Radio Sherwood, printemps 2000).

« ...Ainsi il existe aussi une gauche réactionnaire, pleine de nostalgie pour l’identité de classe, avec sa manière idéale de spéculer sur les petits pays (de Haider) »
(interview de Beppe Caccia, conseiller municipal de Mestre et chef de file des Tutti Bianchi, dans le supplément « Musica » du quotidien La Republica en novembre 2000).


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